Place aux littératures autochtones
Par Simon Harel
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À propos de ce livre électronique
À partir de son parcours d’intellectuel, d’écrivain et de théoricien, l’auteur invite à la réflexion et à une plongée à l’intérieur de nous-mêmes en vue de repenser le territoire et les récits d’origine. Harel nous amène aussi à questionner un courant de la littérature québécoise contemporaine, axée sur le retour au terroir.
Point de vue de l'autrice
En retournant la terre de mes mains, j’ai trouvé maintes pépites de la littérature des Premières Nations. Révélées au grand jour, elles ont beaucoup de choses à nous apprendre sur la qualité de ce sol québécois, sur sa composition également. C’est toute la fondation symbolique du Québec, aujourd’hui dans une impasse, qu’elles nous invitent à réexaminer.
Simon Harel
Lauréat du prix Trudeau (2009-2012), Simon Harel est membre de la Société Royale du Canada. Il a ouvert, au cours des vingt-cinq dernières années, un champ de recherche novateur à la frontière des études littéraires et culturelles. Il a été l’un des premiers à préciser la singularité de l’expérience migratoire au Québec. Son ouvrage Voleur de parcours, publié en 1989, est reconnu comme l’un des livres les plus significatifs des années 1980 et 1990 dans le champ des études culturelles au Québec. Auteur et directeur de publication de plus de trente ouvrages, il s’est intéressé aux problématiques interculturelles, aux questions qui font référence à la place de l’étranger dans la société, et a poursuivi des recherches sur la précarité de nos espaces de vie. Conscient de l’insuffisance de certains discours critiques (sur l’hybridité, le métissage, l’identité à la carte), il se donne à présent comme objectif de cerner les formes instables, souvent conflictuelles, de la mobilité culturelle. Il est présentement codirecteur du Département de littératures et de langues du monde de l'Université de Montréal.
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Aperçu du livre
Place aux littératures autochtones - Simon Harel
D’ENCRIER
Mémoire d’encrier reconnaît l’aide financière
du Gouvernement du Canada
par l’entremise du Conseil des Arts du Canada,
du Fonds du livre du Canada
et du Gouvernement du Québec
par le Programme de crédit d’impôt pour l’édition
de livres, Gestion Sodec.
Mise en page : Virginie Turcotte
Couverture : Étienne Bienvenu
Dépôt légal : 1er trimestre 2017
© 2017 Mémoire d’encrier inc.
Tous droits réservés
ISBN 978-2-89712-444-1 (Papier)
ISBN 978-2-89712-446-5 (PDF)
ISBN 978-2-89712-445-8 (ePub)
PS8089.5.I6H37 2017 C840.9’897 C2016-942473-1
PS9089.5.I6H37 2017
MÉMOIRE D’ENCRIER
1260, rue Bélanger, bur. 201 • Montréal • Qc • H2S 1H9
Tél. : 514 989 1491
info@memoiredencrier.com • www.memoiredencrier.com
Fabrication du ePub : Stéphane Cormier
Entre le marteau et l’enclume
Si j’étais cynique, je dirais que j’habite un lieu à l’abri de la violence, dans les confins nordiques de la vaste Amérique, et que j’abandonne tous les auteurs de la « vieille Europe » en proie à la folie d’une ascendance qui remonte à la nuit des temps parce que nous n’avons pas ces difficultés en Amérique. L’horizon est clair, le territoire une gigantesque réserve naturelle. La Statue de la Liberté se dresse tel un symbole qui ouvre la voie au Nouveau Monde. Mais je ne peux pas dire ça. En revanche, je peux vous garantir que je ne suis guère rassuré. Depuis des années, j’ai le sentiment de piétiner une Amérique autrefois sacrée, aujourd’hui ravagée, hantée par le spectre de mises à mort collectives. En un mot, une Amérique ossuaire. On veut me convaincre du contraire, rien n’y fait. Pour moi, l’Amérique est un charnier
Wounded Knee, le 29 décembre 1890 : 125 ans à peine.
Autant dire, c’est hier et non, je ne suis pas cynique. Simplement, les enjeux du territoire m’habitent; ils se font insistants. Je ne fais pas pour autant dans la géographie culturelle, ce n’est pas ma formation. Je ne veux pas que le territoire ressemble à une prose narrative, à un répertoire de figures de style. Je ne contemple pas les sommets de montagnes recouverts de neige. Je n’ai pas l’habileté requise qui me permettrait de photographier les couchers de soleil sur les grands fleuves du continent.
À vrai dire, je bute sur le territoire. Je regarde par terre pour ne pas trébucher. Il m’arrive rarement de regarder les étoiles. J’aime les villes, les enseignes illuminées dès la tombée du jour, les avenues commerciales et leurs devantures criardes. Je ne vais pas en forêt. M’y perdrais-je? Dans ma ville, l’asphalte, le béton durcissent ma marche. Il me faut piétiner, encore et toujours. M’assurer que je ne perdrai pas contenance, que je maintiendrai mon équilibre.
J’ai fini par me pencher pour mieux fouiller le sol de cette Amérique ossuaire et, plus particulièrement, là où se logent les expressions post-identitaires de la littérature québécoise – à moins qu’elles ne soient néo-identitaires? En retournant la terre de mes mains, j’ai trouvé maintes pépites de la littérature des Premières Nations. Révélées au grand jour, elles ont beaucoup de choses à nous apprendre sur la qualité de ce sol québécois, sur sa composition également. C’est toute la fondation symbolique du Québec, aujourd’hui dans une impasse, qu’elles nous invitent à réexaminer.
*
Tout a bougé très vite, quand on y pense : alors qu’il y a une dizaine d’années la littérature des Premières Nations n’existait qu’en marge des Lettres québécoises, la voilà non seulement présente sur tous les fronts, mais aussi multiple dans ses visages. Après un long travail d’élaboration, nécessaire pour que l’accès au monde de l’édition devienne réalité, son corpus s’est rapidement étoffé et diversifié.
J’ai lu le récit d’An Antane Kapesh au moment de sa publication. C’était en 1976. Le point de départ de la littérature des Premières Nations. Le titre était en soi tout un programme de dénonciation : Eukuan nin matsshimanitu innu-iskueu. Je suis une maudite sauvagesse¹. Un essai? Un pamphlet? Un témoignage? En tout cas, un coup de tonnerre dans le ciel serein et bleu du nationalisme de ces années-là. L’auteure est inclassable. Son coup de gueule a la même violence que les écrits de décolonisation des poètes et essayistes québécois des années 1960, de Chamberland à Vallières. Personne n’est épargné, des marionnettes coloniales à l’intendance gouvernementale. Kapesh nous offre un miroir que nous devons traverser comme la petite Alice et qui nous conduit dans un univers inversé. Là-bas, il faut surveiller les collets, ses arrières, et s’affirmer dans sa propre identité, en sachant d’où on vient et où l’on va. Parce que Kapesh a ouvert la voie en faisant acte de résistance, la littérature des Premières Nations, comme celle des Métis et des Inuits, a pu connaître une belle « renaissance² » dans les années 1990.
Une telle renaissance s’est effectuée en français. De qui parle-t-on au juste? Sur les dix nations amérindiennes au Québec, certaines sont plus représentées que d’autres en littérature, du fait de leur lien avec le français – les Innus, par exemple, appartiennent à la nation la plus importante de langue seconde française, devant celle des Algonquins et les Hurons-Wendat, de la famille iroquoienne³, s’expriment en français. Beaucoup d’artistes offrent directement leurs textes dans cette langue, voire en édition bilingue, si l’on pense aux poètes innues Rita Mestokosho et Joséphine Bacon. La première s’inscrit dans une démarche d’apprivoisement et d’affirmation identitaire : « Écrire dans une langue, la langue française est aussi une nécessité. Celle de pouvoir diffuser à un vaste auditoire nos préoccupations dans une langue poétique⁴. » Disant cela, elle résume la position de la majorité des écrivains contemporains, comme celle de sa consœur Bacon. Celle-ci pratique le principe de co-écriture, du français à l’innu. Cette inscription est surtout la marque d’un rapport à la défamiliarisation que provoque en moi la lecture / écoute d’une langue que je ne maîtrise pas : elle révèle une relation à un territoire qui s’avère être une prise de possession linguistique.
Est-il possible que les succès récents de certains poètes amérindiens tiennent en partie au choix du français, langue d’écriture vivante, monde enveloppant, bien plus que représentation d’un discours assiégé? Si l’on s’en tient strictement aux lettres québécoises, on constate aisément que le domaine de l’énonciation conquiert peu à peu des espaces qui, il n’y a pas si longtemps, étaient considérés comme imprenables. Tandis que la littérature amérindienne en anglais aborde résolument le champ narratif, celle du Québec francophone affiche sa spécificité par la présence très forte de la poésie – qui est d’ailleurs l’un des genres privilégiés de la littérature nord-américaine de