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Le clan du sanglier (Chroniques de la cité d’Arenjun – Livre I)
Le clan du sanglier (Chroniques de la cité d’Arenjun – Livre I)
Le clan du sanglier (Chroniques de la cité d’Arenjun – Livre I)
Livre électronique267 pages4 heures

Le clan du sanglier (Chroniques de la cité d’Arenjun – Livre I)

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À propos de ce livre électronique

Dans la vieille cité d’Arenjun, deux personnages hauts en couleur – Kasim, le légendaire guerrier nain, et Serpent, l’Archimage maître de la Tour – se livrent à une compétition acharnée au travers des histoires qu’ils racontent dans une auberge.
Ce soir, c’est Kasim qui doit relever le défi et tenir son auditoire en haleine. Le nain va raconter l’histoire des tribus nomades de la lande d’Achenard et de leur grand rassemblement du printemps.
Chaque année, les tribus se rencontrent : elles vont commercer, renouer leurs alliances et procéder au passage à l’âge adulte de leurs jeunes au travers d’une quête qui leur sera donnée.
Mais cette année-là, rien ne se passa comme prévu : le peuple gnome prit les armes contre celui des tribus et la guerre éclata. Que fallait-il faire ? Aller au combat, au risque de mécontenter les esprits protecteurs en violant la coutume ? Ou respecter la mémoire des ancêtres et organiser le rassemblement ?
Tandis que le lecteur suit le déroulement de l’histoire racontée par le guerrier nain, la perplexité de l’Archimage ne cesse de croître : d’où Kasim tient-il son récit ? Il sort sans doute, et comme d’habitude, de son imagination, mais si les faits racontés se sont vraiment déroulés, alors il y a beaucoup plus urgent à faire que de rester assis dans une auberge à écouter des histoires !

LangueFrançais
Date de sortie22 mai 2015
ISBN9782370113191
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    Aperçu du livre

    Le clan du sanglier (Chroniques de la cité d’Arenjun – Livre I) - Olivier Walter

    cover.jpg

    LE CLAN DU SANGLIER

    Chroniques de la cité d’Arenjun – Livre I

    Olivier Walter & Stéphane Lesieur

    Published by Éditions Hélène Jacob at Smashwords

    Copyright 2015 Éditions Hélène Jacob

    Smashwords Edition, License Notes

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    © Éditions Hélène Jacob, 2015. Collection Fantasy. Tous droits réservés.

    ISBN : 978-2-37011-319-1

    Prologue

    Nous sommes le premier Verlier. Et comme tous les premiers Verlier, l’Archimage maître de la tour du Serpent interrompt pour quelques heures ses recherches, quitte sa tour et se fond dans la foule. Il va écouter l’histoire de Kasim à l’auberge du Nain bleu.

    Comme chaque fois qu’il doit entendre l’un des récits de Kasim, il a passé une partie de l’après-midi à se préparer mentalement, pour détacher son esprit de ses travaux magiques. Il est resté presque tout l’après-midi debout sur l’une des gargouilles qui se trouvent sur le plus haut point de sa tour, à regarder le désert qui s’étend autour de la ville.

    À part ses pieds sur la pierre, il a l’impression de se sentir voler, sans effort, sans magie. Il assiste au coucher du soleil, loin dans la mer au-delà du port. Les derniers rayons flamboyants de l’astre sont pour lui comme un signal : il est temps de se rendre à l’auberge.

    Comme d’habitude, car cela aussi fait partie de son rituel, il décide de soigner son entrée. Ses robes semblent soudain se mettre à flotter autour de lui, il met un pied dans le vide à côté de la gargouille et il entreprend sa descente, en flottant lentement vers le bas. Un discret sourire peut se deviner sur ses lèvres.

    Il savoure la magie, la vue et le plaisir de descendre parmi le peuple.

    De toute part, les regards respectueux et craintifs des habitants suivent sa lente descente. Majestueusement, le mage se pose au pied de la tour, remet ses robes noires en ordre et, sans un regard pour la foule, se dirige vers son lieu de destination. Il ne l’avouera pour rien au monde, car l’empressement sied mal à un Archimage, mais il lui arrive même d’attendre ce moment avec impatience : se promener, entendre les ragots, puis prendre une ou deux bières en fumant sa pipe. Cela lui permet de se ressourcer encore plus efficacement qu’à l’aide de ses sortilèges. Et puis, les histoires de Kasim, le nain bleu, forment une inépuisable source d’intérêt et d’inspiration. D’ailleurs à Arenjun, la joute à laquelle lui, Serpent, se livre avec Kasim au travers de leurs histoires est devenue un sujet de légende. Et les gens viennent nombreux à l’auberge du Nain bleu, pour regarder les deux amis s’affronter par l’intermédiaire de leurs récits. Tout cela pour le plus grand bénéfice de Kasim, heureux propriétaire de l’auberge, dont c’est aujourd’hui le tour de relever le gant et de raconter une histoire.

    Kasim, le nain bleu ! Un personnage de légende : héros des guerres Keshites, Grand Commandeur des Invincibles, Fléau des Batailles, maître de l’Arène, plus de trois cents victoires en combat singulier, mais aussi propriétaire de l’auberge du Nain bleu. Cela en fait un des plus célèbres habitants de la ville. Bien sûr après Serpent, Archimage et maître de la tour du Serpent, le plus grand des magiciens de son temps. Cela va sans dire.

    Il faut quand même le rappeler de temps en temps, pense Serpent dans un soupir, car Kasim soutient évidemment le contraire et prétend qu’être le maître de la tour du Serpent, un des plus grands mages de son temps, un des rares à maîtriser trois royaumes, le seul à les posséder pleinement, « tout cela ne vaut pas un bon coup de hache dans la tête de son meilleur ennemi ». Mais ainsi va leur amitié, faite d’une admiration réciproque et d’une incessante rivalité.

    Serpent avance calmement dans les rues chaudes du soleil de la journée, la foule s’écartant avec respect de son chemin. Il voit enfin le célèbre bâtiment, s’en approche avec dignité, pousse la porte et, immédiatement, le silence se fait dans l’auberge. Sans en paraître le moins du monde incommodé, il marche vers sa table réservée, la seule sur la scène où Kasim viendra raconter son histoire. Le vin qu’il préfère est là, la bière fraîche arrivera plus tard. Il tire sa chaise, écarte ses robes d’un revers de la main et s’y installe. Alors seulement, il jette un coup d’œil à la salle, saluant les dignitaires présents, scrutant les inconnus, donnant des regards qu’il souhaite bienveillants à ceux qu’il connaît. Petit à petit, les conversations reprennent, mais sur un ton plus apaisé.

    Serpent sort alors son nécessaire à pipe de sa manche, déroule la peau d’hippogriffe, en extrait un peu de tabac et entreprend de bourrer sa pipe. Puis il prend son verre pour regarder la salle au travers du liquide rouge qui se trouve dedans. Quand il a fini de jouer avec les reflets, il le porte à ses lèvres pour savourer le breuvage, tout en picorant dans les tranches de viande séchée posées devant lui ; il allume sa pipe de gris-nain, en tire une bonne bouffée, puis s’assied plus confortablement.

    Dans l’auberge, la salle se remplit petit à petit en attendant le conteur ; les portes et les fenêtres restent grandes ouvertes pour que ceux qui ne pourraient pas entrer entendent quand même l’histoire et puissent commander à boire et à manger. On peut faire confiance à un nain, fut-il Grand Commandeur des Invincibles, pour ne pas perdre de vue ses intérêts.

    C’est la clameur de la foule qui signale en premier l’arrivée de Kasim ; puis la marée humaine qui applaudit à tout rompre s’écarte, comme si un homme invisible s’y frayait un chemin en la fendant en deux. Le mage peut enfin voir son ami émerger de cette masse quand il arrive à hauteur de la scène ; il marche avec aisance et bondit sur celle-ci d’un mouvement souple et puissant. Le nain se retourne vers les spectateurs en levant les bras.

    La cohue s’apaise et le silence se fait. Puis les vivats fusent de nouveau quand Kasim brandit sa hache à la vue de tous pour la planter dans le sol. Le bruit de l’assistance devient assourdissant et culmine quand Kasim attrape sa chemise pour la faire passer par-dessus sa tête : le héros va montrer ses trophées, on va voir ses tatouages !

    Le haut de son corps, couvert de dessins et d’écritures d’un bleu profond, est mis en valeur par les poses de lutteur que prend le nain. Tous veulent toucher ses cicatrices porte-chance et on lui tend des nouveau-nés, qu’il attrape pour les présenter à la foule. Et chaque fois, la foule salue l’enfant.

    Quel comédien ! pense le magicien. Leurs yeux se croisent et le sourire du nain indique que lui aussi est satisfait de son entrée en scène. Puis, le dernier enfant remis à ses parents, il tend les mains en geste de bénédiction et le silence se fait dans l’auberge.

    — Pour le dieu Ejiwesh, dieu des vents du ciel… et des voleurs !

    La foule éclate de rire à cette dernière saillie, Ejiwesh étant un dieu très populaire, mais pas vraiment craint.

    — Que le silence se fasse !

    Et l’assistance de reprendre après lui :

    — Que le silence se fasse !

    — Que même le vent écoute l’histoire !

    — Que même le vent écoute l’histoire !

    Le nain prend une grande chope de bière qui est posée sur l’estrade et entame les bénédictions.

    — À la grande déesse du Nord, qui nous tient dans ses mains et vers qui tous nous reviendrons.

    Et il jette généreusement de la bière hors du verre.

    — À la déesse de l’Est, notre mère nourricière, femme fertile, femme de sagesse et de bonté !

    Le geste est ample et de nouveau la bière s’écoule largement de sa chope.

    Puis, d’une voix sombre et douce :

    — À notre soleil du Sud, qui meurt chaque nuit et renaît chaque matin.

    Le nain boit une longue rasade, imité par la foule.

    — À Ejiwesh, dieu des vents et du ciel.

    Kasim renverse son verre… mais rien ne s’en écoule. Surpris et interloqué, il regarde vers la foule et, finalement, lève de nouveau sa chope avec une moue de résignation.

    — Et prince des voleurs !

    Et la foule éclate de rire et répond :

    — À Ejiwesh ! À Ejiwesh !

    Le nain passe alors sa chope à un serveur, qui lui tend un petit tambour noir. Serpent connaît bien ce tambour, compagnon du feu, des combats et des contes. Un tambour nain, le tambour du nain bleu !

    Kasim le prend, le chauffe avec le brasero qui se trouve à la droite du mage. Nouvel échange de regards, nouveaux petits sourires.

    Puis il se retourne, bras tendus ; sa main droite tient le tambour, les doigts de la main gauche vibrent sur la peau d’hippogriffe. Serpent touche son nécessaire à pipe, pour y retrouver la sensation que doit connaître son ami ; il s’agit du même animal. Cela aussi fait partie des liens qui les unissent, souvenirs d’un autre temps, souvenir d’un combat inégal que les deux amis avaient fini par remporter. Serpent pousse un soupir en sentant la nostalgie l’envahir, mais le son du tambour le ramène à l’instant présent.

    La foule se tait, au fur et à mesure que les vagues de sons qui partent du tambour viennent s’échouer en elle.

    Roulement rapide, rythme nain d’avant la bataille, choc de la main qui tombe. Silence. Puis, d’une voix grave, le tambour imitant le rythme de la course de nombreux hommes…

    1 – Le rassemblement des tribus

    Le garçon court aux côtés de son père, avec cette ample foulée tranquille qui caractérise le peuple du vent. Les corps longs et fins des nomades avancent avec fluidité, puissants et silencieux dans les grandes plaines d’Achenard. Ils courent vers le début du printemps, vers le temps des alliances, vers le grand rassemblement des cinq tribus.

    Leur taille, la longueur de leurs cheveux, qui vont du châtain au noir, et la souplesse de leurs mouvements pourraient presque les faire passer pour des elfes. Sauf que celui qui verrait autant d’elfes ensemble ne pourrait sans doute pas le raconter, car ils n’aiment pas les mortels. Les chasseresses, protégées par les guerriers qui les entourent, courent au centre. Une formation de combat, car les femmes sont de redoutables lanceuses de bolas.

    Pour la première fois, le garçon court avec les hommes. Son nom est Paliwesh. Il tient dans sa main gauche son boomerang sacré ; à son côté droit pend le coutelas de guerre ; dans son dos, l’arc des chasseurs rythme sa course.

    Un grand honneur lui a été fait. Il représentera le peuple du vent à la quête du rassemblement des cinq tribus. Dans chacune d’elles, un adolescent a été désigné pour représenter les autres jeunes et entreprendre la quête. Paliwesh ne sait pas encore qui les autres tribus ont choisi pour être ses compagnons. Mais il sait que ces personnes vont être extrêmement importantes pour lui. Et lui pour elles.

    Paliwesh court comme on le lui a toujours appris, avec le vent, avec le cœur. Bientôt, il verra les fumées du camp du rassemblement, là où les tribus se dirigent.

    Sous les doigts de Kasim, le tambour change brusquement de rythme. Un rythme saccadé, violent, qui rappelle le choc des batailles et que le nain accompagne de hurlements d’animaux sauvages. L’ensemble fait frissonner l’assemblée, qui est déjà pendue aux lèvres de son héros.

    Il avance, le peuple des loups blancs, il avance et les créatures de la forêt s’écartent avec crainte devant la horde guerrière ! Elles s’écartent devant le peuple des sorcières-matriarches, accompagnées de leurs fiers guerriers.

    Les sorcières ont de longues robes brunes, des cornettes sur la tête et un grand bâton dans la main. Les guerriers, en armure de cuir, portent sur leurs épaules la toison du loup des neiges, la fourrure blanche qui leur a valu leur nom.

    Un couple est visible au milieu d’eux. La jeune femme marche sereinement. Elle est fière et heureuse, car elle va représenter son peuple à la quête du printemps. Elle tient, par une corde qui lui enserre la taille, un jeune guerrier. C’est le signe qu’elle ne le maîtrise pas encore, ou qu’il est trop puissant pour elle. Ou peut-être n’a-t-elle pas encore atteint la plénitude de son pouvoir ; chez les loups blancs, les couples se forment en fonction de leur puissance, au sein du groupe les pouvoirs doivent s’équilibrer au mieux.

    La meute avance avec efficacité, soudée comme les animaux dont elle porte le nom. La tribu des loups blancs est crainte parmi les peuples du Nord, la qualité de leurs guerriers et la puissance de leurs sorcières ne sont pas une légende.

    Pourtant les matriarches sont inquiètes et hâtent encore plus le pas. Ces deux-là ne sont pas comme les autres et elles ont besoin de savoir.

    Le jeune guerrier est grand, puissant et, malgré son jeune âge, ses mouvements sont assurés comme ceux d’un vieux combattant. Son regard respire le calme et la force. Aucun doute ne se lit dans ses yeux bleus et il n’a pas besoin d’en avoir, car il possède une autorité naturelle à laquelle peu de personnes peuvent résister. Tous le connaissent et admirent ses qualités, mais si nul n’y prêtait attention, c’est lui qui commanderait chaque action. Pour les matriarches de la tribu, la situation pourrait devenir grave et elles le surveillent constamment. Heureusement, sa compagne sera puissante en son art. Peut-être même un peu trop puissante, en fait, et cela aussi perturbe les sorcières. La jeune femme parle peu, obéit bien, mais n’entre jamais en conflit avec les autres femmes. Et c’est bien là que le bât blesse ; parmi les femmes de la meute, les disputes doivent être monnaie courante. Si les sorcières ne se querellent pas, comment peuvent-elles mesurer leur pouvoir, comment établir avec précision la place de chacune dans leur groupe ?

    Mais Efka, la jeune sorcière, est différente. Sans jamais entrer en conflit avec personne, elle a réussi à se faire une place dans la horde. Une place de choix, même, car elle a été désignée pour participer à la quête. Quand il a fallu désigner un jeune, le nom d’Efka s’est imposé comme une évidence.

    Les sorcières ont eu beau utiliser leurs talents de divination et interroger leurs oracles au sujet des deux jeunes, rien n’y a fait : les oracles sont restés compliqués ; les visions, brumeuses. Les matriarches ne le comprennent pas, ne se l’expliquent pas et cela les rend nerveuses. Ici tout est affaire de pouvoir, or Efka et Koem, son compagnon, en ont beaucoup, pour ne pas dire beaucoup trop. C’est la première fois qu’une telle situation se présente. Il faut que la cérémonie ait lieu, il faut que les sorcières puissent consulter les chamans des autres tribus. Il leur faut absolument un oracle clair, pour savoir à quoi s’en tenir et quelle place accorder aux deux jeunes dans la meute. Ou hors de la meute.

    Le jeune couple est confiant ; Efka et Koem sentent l’inquiétude des mères, mais leur amour naissant les laisse indifférents au sérieux de la situation.

    Le camp du rassemblement est proche, tous le sentent aux odeurs, tous l’entendent aux bruits. Bientôt, ils sortiront des sous-bois et ils le verront.

    Kasim s’interrompt un instant pour boire une gorgée de bière.

    « Bon début, mais je me demande où il veut nous emmener », se dit Serpent. Le nain lui a affirmé que cette histoire est réelle, mais comme tout conteur – et comme tous les nains –, il a une forte tendance à l’exagération. Quand il le souhaite, il peut même faire passer un combat de coqs pour la plus épique des sagas ; d’ailleurs, il l’a déjà fait. Sur ces entrefaites, la musique reprend, une musique lente, froide, rythmée.

    Les montagnes enneigées se reflètent dans l’eau glacée du fjord, où l’on voit passer de temps à autre les ailerons des orques épaulards. Les pagaies tombent et ressortent de l’eau à l’unisson, sur un rythme soutenu ; la tribu des Saa a encore un long voyage à effectuer avant de rejoindre le point de débarquement. Mais bientôt, ils verront l’embouchure du grand fjord, où ils accosteront. Bientôt, ils sortiront les radeaux de chasse, ils tendront leurs filets et ils trouveront de la nourriture pour la suite du voyage. Les Saa sont de grands chasseurs, de très grands chasseurs et, même s’ils préfèrent les glaciers et les fjords, ils connaissent bien aussi la forêt qu’ils vont devoir ensuite traverser : elle fait partie de leur territoire de chasse.

    Cette année, leur délégation est particulièrement nombreuse : vingt canoës longs, deux cents membres de la tribu ! Dans la première embarcation, un jeune chasseur imprime le rythme de cette migration. Le cœur de Sahale bat à l’unisson de sa pagaie. Il va représenter sa tribu à la quête du printemps ! Il a été choisi, car il est de très loin le meilleur parmi les jeunes. Sa lance-harpon est sûre, elle se plante droit, et sa faucille est rapide et tranchante.

    Pendant que la flottille avance, Anpao, le chef de la tribu, discute avec le grand chaman dans le canoë du milieu. Dans le dernier, fermant cette procession, il y a la jeune Inouée. C’est le grand chaman qui a insisté pour emmener sa jeune apprentie. Dans une transe, son esprit lui a dit qu’il le fallait.

    De nouveau, le rythme change. Une percussion lente et rassurante remplit la salle.

    Comme chaque année, les membres de la tribu des marcheurs noirs sont arrivés les premiers et ont préparé le camp du rassemblement. Ils ont dressé au centre de la place le grand totem du printemps. Ils ont bâti la hutte des chefs de tribu, la hutte des visions et celle du recueillement. Puis ils ont déblayé la place du rassemblement, en prenant soin de laisser les herbes folles en un endroit, honorant ainsi la mémoire de la cinquième tribu.

    Les marcheurs noirs auraient pu devenir un peuple puissant, ils auraient pu posséder un grand royaume, mais lorsque les Choix ont dû être faits, il y a longtemps, ils sont devenus une tribu nomade, pour conserver l’équilibre du monde. Leur place est d’être, sous couvert de commerce, les yeux et les oreilles des autres tribus. Ils ont développé le goût du voyage et leur magie est devenue une magie à part, un secret jalousement gardé qu’ils ne partagent pas.

    Les marcheurs noirs aussi sont inquiets ; cette année, certains territoires leur ont été fermés et on leur a demandé de cesser d’espionner. Le vent leur a rapporté des bruits, des visions : beaucoup de groupes armés commenceraient à circuler dans les Terres Froides.

    S’il le faut, la tribu ouvrira encore une fois les citadelles cachées, elle formera comme elle l’a fait il y a longtemps les chefs à la guerre. Les marcheurs noirs l’attendent même avec impatience, après tout ils sont formés pour cela. Mais aujourd’hui, il est temps d’unir de nouveau les tribus, si les anciens le veulent bien.

    Wakynyan, le chef de la tribu, surveille d’un regard les préparatifs. Comme d’habitude, la tente des anciens a été montée la première. On peut même déjà voir de la fumée en sortir et le vent apporte le son des chants qui y résonnent. Les anciens ont commencé le rituel.

    À l’intérieur, la fumée envahit l’espace de la yourte et Kalaman est assis au milieu des anciens. Il se sent honoré d’y être admis. Il écoute les chants destinés aux esprits, mais ne peut y participer, car il ne maîtrise pas la langue des esprits ; il n’a pas encore été initié. Sa guimbarde, l’instrument des élèves, reste sur ses genoux sans se joindre aux sons qui s’élèvent des autres instruments.

    Ce soir, c’est son maître qui officie. À lui l’honneur, puisque cette année son apprenti va faire la quête du printemps. Les chamans poursuivent leurs chants, jusqu’à ce que chacun, protégé par son totem, entre dans une transe profonde et mystique.

    Bientôt, les trois autres tribus vont les rejoindre dans le camp du printemps avec les autres apprentis, bientôt ce sera la quête !

    Ils arrivent ! Ils arrivent !

    Kasim fait vibrer son tambour de plus en plus vite et se met à danser. Le son est gai sous les doigts du nain. La joie et l’excitation se font sentir dans sa musique. On sent les odeurs des viandes qui grillent dans la cuisine et tout cela se mélange à l’histoire. Cela fait maintenant au moins dix minutes que Serpent n’a pas touché son verre. Le brusque changement de rythme du tambour le ramène à la réalité. Irrité d’avoir trop ostensiblement montré de l’intérêt, le mage se sert une gorgée de vin. Le liquide qui coule dans sa bouche rencontre sa langue pâteuse et sa gorge sèche. Puis une nouvelle gorgée, plus longue, succède à la première. Serpent reprend alors l’attitude d’indifférence polie qu’il affecte lorsque Kasim raconte ses histoires.

    Ils arrivent ! Ils arrivent !

    Dans la plaine, on entend les chants de marche des fils du vent. Ils courent, sveltes et rapides, puis se dirigent vers le totem du printemps où le marcheur noir les attend. Kalouga,

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