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Récit d'un séjour au Cameroun
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Récit d'un séjour au Cameroun
Livre électronique275 pages3 heures

Récit d'un séjour au Cameroun

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À propos de ce livre électronique

Lorsque l'avion a posé ses roues sur le tarmac de l'aéroport de Douala, mon cœur a failli s'arrêter. J'allais fouler le sol de l'Afrique, plus particulièrement au Cameroun, à un âge où la langueur de la retraite aurait dû me retrouver assis en douce rêverie. Pourtant, j'entreprenais un séjour de neuf semaines, dans un petit patelin, en accompagnant des stagiaires. Durant ce séjour, je côtoierai des personnes qui doivent se battre quotidiennement pour se nourrir, en travaillant aux champs, en allant chercher de l'eau parfois loin de chez eux et qui garderont tout de même une joie de vivre. Je serai bousculé dans mes valeurs et dans mon mode de vie nord-américain, où la notion de bonheur et de bien-être est associée à nos avoirs. En voyant les habitants du village se satisfaire du minimum, je me suis posé régulièrement la question: «Combien me faut-il pour être heureux?» Depuis mon retour, j'ai le sentiment qu'une partie de moi est devenue «africaine». II est maintenant impossible de sortir l'Afrique de moi ...
LangueFrançais
ÉditeurBéliveau
Date de sortie4 mars 2014
ISBN9782890926448
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    Aperçu du livre

    Récit d'un séjour au Cameroun - Chapleau Jean

    intérieur.

    Le faux départ…

    6H30. LES COQS CHANTENT. QUELQUES OISEAUX S’ÉGOSILLENT, tentant de rivaliser en puissance avec ces maîtres chanteurs, mais leurs cordes vocales manquent de cette virilité.

    L’aube parvient à peine à se frayer un chemin au travers de la brume matinale qui a pris possession du panorama. Journées plutôt chaudes, nuits plus fraîches, le résultat est inévitable. On obtient un paysage où le flou et les impressions dominent.

    Derrière les montagnes, un gros œil jaune pose son regard sur la nature. Il faudra plusieurs minutes avant d’apercevoir le soleil percer tout à fait cette buée et déchirer le voile qui dissimule la nature.

    Au bout de la petite route en terre rouge, davantage un sentier qu’une route d’ailleurs, une femme apparaît, vêtue d’une longue robe traditionnelle superbement colorée. Contraste des plus saisissants d’avec sa peau d’ébène. Une démarche lente, cadence des pays chauds, régulière, métronomique. Un gros bol débordant de bananes se maintient en équilibre sur sa tête. Majestueuse dame.

    Décor de carte postale... premières images tirées d’une vidéo touristique.

    Pourtant, ici s’arrêtent les clichés…

    PREMIÈRE PARTIE

    LES INÉVITABLES

    CHOCS CULTURELS

    DANS CETTE PREMIÈRE PARTIE, J’ABORDERAI LES difficultés engendrées par la découverte de nouvelles façons de faire et de vivre tout à fait étrangères à ma culture nord-américaine et québécoise. Je vous ferai part des obstacles et des efforts liés à l’adaptation à une nouvelle culture en regard de mes références incontournables et, bien sûr, à l’inévitable comparaison entre les deux mondes.

    J’ouvrirai aussi sur la difficulté du « petit quotidien », de ces brefs moments déstabilisants qui viennent parfois gruger l’énergie nécessaire à l’adaptation aux us et coutumes de l’autre pays.

    Je tenterai également d’apporter des exemples d’adaptation et de rapprochement grâce à nos ressemblances entre les deux peuples.

    Donc, beaucoup de questionnements personnels, de réactions à chaud sur les chocs culturels que j’ai vécus, d’émotions que j’ai ressenties au contact de ce pays où la misère est omniprésente.

    Le départ

    LE 4 FÉVRIER 2012, À L’AÉROPORT TRUDEAU DE MONTRÉAL, EN file d’attente pour décharger mes valises et autres sacs de voyage, je me demandais si je ne rêvais pas : je partais pour l’Afrique, à soixante-trois ans, dans un projet d’intervention avec des stagiaires en Techniques d’éducation spécialisée¹. Départ pour une folle équipée, dans un petit village du Cameroun : Fonakeukeu. Jamais de ma vie je n’aurais cru possible et même imaginable une telle aventure : participer à un projet de stage à l’international.

    Ce n’était pourtant pas une décision irréfléchie, tout au contraire : elle a été mûrie, j’ai pris le temps d’y penser, de soupeser les tenants et les aboutissants, d’évaluer les impacts dans ma vie, d’analyser les différentes facettes. Il reste tout de même que cette démarche se situe un peu hors du commun des mortels… de mon âge. Pour célébrer ma première session en tant que professeur à la retraite, j’allais accompagner un groupe de stagiaires éducateurs en Afrique. Il devait sûrement exister plus fou…

    En entrant dans l’aéroport, j’ai pris conscience que le jour J était arrivé. Après tous ces mois de préparation, d’anticipation, d’énervement, de campagnes de financement, de rencontres de groupe, de lectures, nous étions arrivés à la date butoir. Fatidique ? Je l’avais imaginé, anticipé, ce jour du départ, j’en avais parlé jusqu’à plus soif ! En voyant les stagiaires et leurs familles devant moi, ma respiration s’était accélérée. On sentait la fébrilité dans l’air, je percevais la tension qui émanait du groupe. Subitement, mon passeport était devenu un peu plus lourd dans le fond de ma poche. J’avais encore la possibilité de changer d’idée, de rebrousser chemin : il me restait encore quelques heures pour tourner les talons. À peine ai-je eu le temps de penser à cette éventualité qu’elle s’est éclipsée à la vitesse de l’éclair, chassée par l’accueil enthousiaste des stagiaires.

    Retrouver le groupe n’avait fait qu’augmenter mon excitation. Vraiment, il n’aurait pas fallu analyser la cohérence de notre discours ! L’expression « sauter du coq à l’âne » semblait tout à fait désuète pour qualifier nos conversations. Pour ajouter une goutte au verre déjà plein, les parents de nos stagiaires nous faisaient leurs nombreuses recommandations concernant la sécurité et le bien-être de leur enfant. C’est à ce moment, je crois, que j’ai pleinement réalisé que nous venions d’entrer de plain-pied dans le projet. Je percevais bien le sens profond et élargi du mot responsabilité ! Et je prenais conscience du poids qu’elle déposera sur nos épaules tout au long du stage.

    Arrivé devant le comptoir de Swiss Air, j’avais le sentiment de partir en voyage dans le sud, comme je le faisais en hiver depuis quelques années. Imaginer que je quittais le Québec pour l’Afrique, et ce, pour neuf semaines, m’apparaissait comme poursuivre une folle chimère. Ou n’était-ce pas davantage l’impossibilité de me projeter dans ce futur immédiat et de me voir fouler le sol africain ? Ce sentiment me paraissait partagé par les autres membres du groupe. Après des mois et des mois de préparatifs, nous y étions… Incroyable ! était le seul mot qui me venait en tête. J’arrivais difficilement à croire, malgré mon billet d’avion en main et la destination on ne peut plus claire inscrite dessus, que j’aurais, dans à peine une journée, les deux pieds bien plantés en sol africain. Cette évocation me procurait des bouffées d’anxiété, en alternance avec une excitation toute enfantine.

    Finalement, le grand moment de la coupure est arrivé : accolades, câlins, baisers et re-câlins. Les derniers adieux faits et refaits, les larmes essuyées, j’ai traversé « de l’autre bord » comme je dis souvent, et, rendu à ce point, impossible d’envisager une retraite ! J’étais dans la zone d’embarquement. Je quittais le Québec ! Pour la première fois de ma vie, j’allais entreprendre mon plus long périple en pays inconnu. Je ressentais une impression de fraîcheur juvénile, semblable à un jeune adolescent qui posait un geste d’autonomie en quittant la maison paternelle ! Pourtant, j’avais l’âge d’un grand-père…

    Durant cette longue attente avant le départ, mon esprit se débattait avec une multitude de questions. Qu’allais-je faire dans ce projet ? Dans ce pays ? Peut-on décider, à mon âge, de faire une première expérience à l’international² ? Et de partir avec un groupe de jeunes dans la vingtaine ? Me sentirais-je comme le grand-père accompagnant ses petits-enfants ? Qu’est-ce qui m’attendait là-bas ? Qu’allais-je découvrir de moi ? Qu’est-ce que les autres allaient découvrir de moi ? Qu’est-ce que j’apporterais à ces gens ? Qu’est-ce que je prendrais et j’apprendrais d’eux ? Quels seront les chocs culturels inévitables qui viendront me déstabiliser ? Les surprises ? Les déceptions ? Serais-je seulement utile ? Ou ne serais-je qu’un autre Blanc qui viendra vivre une expérience en Afrique ? Beaucoup d’interrogations, peu de réponses. Encore moins de certitudes.

    Une autre inquiétude non négligeable me turlupinait l’esprit : elle concernait toutes les craintes reliées à l’aspect physique et à la santé. J’avais entendu tant d’histoires, de la plus banale à la plus dramatique, sur les voyages en Afrique, que je ne pouvais demeurer indifférent face à ces récits. Il existait bien un risque réel (certains membres du groupe rencontreront des problèmes de santé). Par contre, certaines craintes que j’avais au départ vont me sembler nettement exagérées après avoir vécu toutes ces semaines en Afrique. Cette peur, parfois fondée, d’attraper maladies ou infections sera présente en moi tout au long du séjour, et je l’aurai aussi à l’esprit concernant les stagiaires. J’ai constamment gardé en tête les facteurs de risque et les facteurs de protection associés. Une sorte de vigilance, parfois inconsciente.

    L’annonce de l’embarquement a mis subitement un terme à mon soliloque. Lorsque je serai assis dans l’avion, il sera minuit moins une pour refaire ces grands questionnements. Je les traînerai tout de même avec moi sur le continent africain et j’en rapporterai quelques-uns dans mes valises sur le vol de retour… sans les réponses pertinentes.

    Nous avons voyagé avec une très bonne compagnie aérienne. Je la qualifierais de luxueuse. Très différente de celles offrant des vols nolisés durant la période des fêtes de Noël, à tout le moins. Nous étions tous très satisfaits. Cependant, après avoir vécu neuf semaines dans des conditions, disons, minimales, le vol de retour avec la même compagnie m’apparaîtra comme extrêmement luxueux ! Comparable à une première classe… Curieux comme les perspectives peuvent changer après neuf semaines… de vie à la dure. Comme nous nous sommes habitués rapidement à vivre dans des conditions quasi optimales, en ne les voyant plus ou presque. Comme elles deviennent des acquis. Comme on ne se pose plus de questions sur le manque, la rareté, la privation ou l’excès. Nous possédons tout cela et nous trouvons le moyen de critiquer quand même. Nous voudrions plus et nous n’apprécions pas ce que nous détenons sous la main si facilement. De façon unanime, tous les membres du groupe souligneront cet état de fait lors du retour au bercail.

    Une première partie du trajet, disons-le, moins anxiogène, plus relaxe, puisque je savais que nous aurions une escale avant de reprendre le « vrai vol » vers l’Afrique, s’est terminée en atterrissant à Zurich. Nous étions officiellement loin de chez nous et en transit pour le grand saut. Une longue relâche, cinq heures – qui nous a paru le double, tant nous avions hâte de repartir – à flâner dans un aéroport, à fouiner dans les boutiques, à dormir allongés sur un banc, appuyés sur notre sac à dos (qui deviendra l’un de nos objets fétiches au village, nous accompagnant dans tous nos déplacements), à parler ou à jouer aux cartes. L’appel des passagers en partance pour Douala, a fait monter la tension et l’effervescence d’un cran. Une fébrilité palpable s’est emparée de nous. L’Afrique se rapprochait. Plus de doute possible, il ne restait plus que quelques heures avant le moment de vérité… Même à quelques poussières d’éternité de fouler le sol africain, il m’apparaissait pratiquement inconcevable que j’allais y vivre neuf semaines… qui me laisseraient des souvenirs impérissables et des empreintes ineffaçables. Je m’y étais tout de même bien préparé. Beaucoup de lectures – qu’elles soient en lien avec le mode de vie ou sur les chocs culturels possibles et inévitables – et plusieurs reportages sur l’Afrique ont constitué ma nourriture intellectuelle avant mon départ et ont servi de facteurs de protection essentiels rendu là-bas. C’est beaucoup ma façon d’appréhender la nouveauté : j’essaie le plus possible de lire ou de me documenter en lien avec la réalité dans laquelle je vais baigner. Ainsi, je possède déjà certains repères en moi, des points d’ancrage. Si minimes soient-ils, ils me permettent de me rassurer et aussi d’analyser et de comprendre, sans trop laisser les rênes à mon émotivité. Cette façon d’appréhender la nouveauté m’évite de plonger directement dans le vide sans filet. Et je sais pertinemment que ces références sont lilliputiennes en regard de ce que j’ai vu et vécu au Cameroun. C’est donc armé de documents sur l’intervention interculturelle, riche de mes échanges avec des amis qui avaient voyagé sur ce continent, la tête pleine d’images de reportages et, surtout, de toute la préparation donnée par la responsable des projets internationaux au cégep, que j’ai pu me sentir minimalement d’attaque pour l’Afrique !

    Le pilote a annoncé qu’il amorçait sa descente vers Douala… La réaction fut collective : l’excitation et la tension s’exsudaient par les pores de notre peau. Les roues de notre Boeing ont touché le tarmac de l’aéroport de Douala. (C’est toujours impressionnant de constater qu’un si gros mastodonte atterrisse grâce à de si petites surfaces caoutchoutées.) Palpitations cardiaques en accélération. Une cavalcade effrénée se fait entendre dans ma cage thoracique. Je regardais dehors et j’ai dit tout bonnement, comme une banale constatation : Me voilà en Afrique ! Plusieurs mois après mon retour au Québec, il m’arrive encore de me pincer et de me faire cette remarque, qui peut paraître insolite à vos yeux : Ai-je déjà été en Afrique ?

    Quand les moteurs se sont arrêtés, ai-je besoin de vous dire qu’aucune pensée rationnelle ne m’a effleuré l’esprit ? J’arrivais en Afrique. La première fois. De ma vie. Mis à part les photos et les films, et je sais que l’on présente souvent les mêmes clichés, je n’en savais pas grand-chose, finalement.


    1  Cette technique vise à former des éducateurs et éducatrices spécialisés qui interviendront avec des personnes en difficulté d’adaptation. Ces stagiaires, tous en cours terminal de troisième année, étudiaient au cégep de Saint-Jérôme. Vous trouverez, en annexe, une brève description du projet d’intervention.

    2  C’était la première fois de ma carrière que j’allais intervenir dans un autre pays.

    Le premier contact :

          choc inévitable

    LA PORTE DE L’AVION S’EST OUVERTE ET DANS CETTE BÉANCE s’est engouffrée une humidité qui nous a happés sans tergiverser ! Bienvenue dans la fournaise de Douala. À peine cinq minutes après l’ouverture des portes, ma peau ruisselait sans même avoir encore soulevé une seule de mes valises ! Les gens nous avaient bien spécifié que Douala, à cette période de l’année, deviendrait très chaleureuse avec nous. Mes pores avaient-ils décidé d’évacuer le liquide de mon corps tous à l’unisson ? Cette sensation de moiteur sur la peau m’accompagnera tout au long du séjour avec, en prime, une fine couche de poussière qui ne semblera jamais partir, malgré les « douches ».

    La course débridée pour rapatrier nos valises, le guet à tour de rôle auprès des valises, le transport de ces mêmes valises rendu exténuant sous les quarante degrés, le poids des valises qui me semblait pas mal plus lourd qu’au départ du Québec : j’avais la triste impression que notre survie dépendait de ces satanés objets sur roulettes. On nous avait bien prévenus d’être vigilants à l’aéroport, car le vol de bagages était fréquent. D’autant plus que treize Blancs (avec notre blancheur hivernale en prime !), dont dix femmes, ça se remarquait un tantinet dans une foule d’Africains. J’ai pourtant visualisé cette scène de l’arrivée maintes fois avant mon départ. La vivre et ressentir le stress inhérent dans mon corps fut une tout autre paire de manches. Les regards des gens posés sur moi, me faire scruter, me sentir l’intrus donne toute une impression d’inconfort, allant jusqu’au malaise profond. Et ce n’était que le début, nous allions le subir si souvent par la suite, surtout en « ville », puisqu’au village où nous habiterons, ils avaient l’expérience de côtoyer et de vivre régulièrement avec des Blancs.

    Donc, pour aller à la ville, ce fut le début pour nous tous du pairage et d’une forme d’intimité tout à fait particulière : il fut exceptionnel que nous ayons fait quelque activité que ce soit tout seul. Nous l’avons d’ailleurs expérimenté une première fois à l’aéroport lorsque l’une de nos stagiaires a voulu se rendre toute seule à la salle des toilettes. Rapidement, nous avons vu des gens s’y intéresser. La consigne établie fut d’être au moins en paires. Une ombre, quoi ! Pour notre sécurité et, je crois, avec le recul, pour notre santé mentale. Se faire examiner en étant deux m’a paru moins lourd à la longue.

    Une fois sortis à l’extérieur du terminal (un gentil collaborateur camerounais, en visite au Québec, avait aplani quelques tracasseries administratives et douanières avant notre départ), le premier grand choc culturel nous attendait : l’environnement extérieur ne ressemblait en rien à celui des aéroports où j’avais déjà débarqué. Tout d’abord, le bruit, dont il était difficile d’identifier une source unique, sorte de cacophonie constituée par les voix des nombreuses personnes à l’extérieur, les cris des manutentionnaires, le bruit des autos et de leurs savoureux klaxons ; puis, la pollution rejetée par les autos et camions, véhicules pour la plupart d’une autre époque et crachant une fumée digne des vieilles locomotives, qui nous occasionnait subitement une légère toux ; la pollution encore, par la présence constante de la fumée des feux à ciel ouvert, en pleine ville, sorte d’incinérateurs improvisés sur le bord des rues ; finalement, la saleté de l’environnement avec plein de détritus au sol allant du simple petit bout de papier en passant par une panoplie de morceaux de boîtes de carton et un éventail de bouteilles et autres contenants de plastique et verres de toutes sortes, qui causeraient des syncopes à Hubert Reeves et à David Suzuki…

    Était-il possible que cette saleté soit permanente et omniprésente et que personne n’y fasse ou n’y puisse rien ? Où était l’erreur ? Comment ces gens pouvaient-ils vivre et tolérer une si grande détérioration de leur environnement ? Vision qui n’allait pas du tout m’aider à déconstruire certains préjugés plus tenaces… Au cours de mon séjour, je comprendrai davantage comment le souci de l’environnement se situait très loin dans leurs priorités quotidiennes. J’en suis même arrivé à penser que survie et écologie formeraient un couple improbable… L’écologie est-il un mot inventé par les gens aisés et nantis ? Lorsqu’une grande partie de la vie des Camerounais consiste à tout faire pour se nourrir et nourrir la famille, l’environnement peut attendre ! Et même si certains s’en soucieraient, les argents et, par le fait même, les installations, les infrastructures n’étaient pas des priorités gouvernementales. Où auraient-ils pu mettre tous ces déchets ? Il n’en restait pas moins que j’avais eu un mouvement de recul face à cet environnement agressant. Et je n’avais encore rien vu, puisqu’au fil des semaines passées au village et dans les villes avoisinantes, la vision de tas d’immondices brûlant sur le bord des rues ou des routes fera partie de notre quotidien. Certains de ces amas de déchets jouxtaient des champs en culture. Ce sera l’éternel petit caillou qui titillera le pied de ma conscience écologique… Je ne m’y habituerai pas et, dans le pire des scénarios, que j’avais honni, j’y participerai en faisant moi-même brûler mes déchets ! Je vous avoue que j’ai résisté et résisté encore avant de m’y mettre. Mais étant donné que la cueillette des ordures ne se faisait pas (aucun service), c’étaient les jeunes qui s’en occupaient. J’aimais mieux le faire moi-même, cela leur évitait une tâche supplémentaire… Au moins, ce petit coin de ma conscience serait soulagé.

    En plus de cette vision passablement cauchemardesque, j’ai dû essuyer la ruée vers le Blanc ! Toute une impression de voir tout à coup fondre sur nous un groupe d’hommes (à quoi m’étais-je attendu d’autre qu’ils soient tous Noirs ?!), tous « avides » de trimbaler nos bagages. Il nous fallait quasiment nous enchaîner aux valises si nous ne voulions pas nous les faire prendre, malgré notre refus de recevoir l’aide de ces porteurs improvisés. Tous voulaient nous aider. Ou nous arnaquer ? Cette crainte d’être le Blanc que l’on peut exploiter, qui peut payer tout et tout le temps ne s’est jamais tout à fait estompée durant les neuf semaines.

    Cette situation me bouleversait : je me sentais le riche Blanc (effectivement pour eux, venir en Afrique voulait dire avoir beaucoup, mais beaucoup d’argent) qui pouvait les aider financièrement en acceptant qu’ils transportent mes valises. Par contre, j’agissais chichement en m’y opposant. Je trouvais tout de même désolant cet attroupement de jeunes hommes, assis devant les portes de l’aéroport, qui attendaient l’arrivée des touristes. J’avais déjà vécu situation semblable à mon arrivée à l’aéroport de Punta Cana, en République dominicaine. Mais à Douala, les touristes n’arrivaient pas avec la même régularité et en nombre aussi important que pour les destinations soleil.

    Où se trouvait l’espoir pour ces jeunes ? Leur avenir deviendrait-il tributaire du nombre de touristes qui débarqueraient à Douala ? Je constaterai semblable phénomène dans un autre type d’emploi précaire : les conducteurs de motos-taxis. Les jeunes garçons abandonnaient l’école pour conduire les motos-taxis, ce qui leur donnait accès rapidement à des revenus, sans avoir eu à fournir l’effort requis par les études (d’autant plus triste que même avec un diplôme, si le jeune n’avait pas de « parrain » pour le promouvoir, le monde du travail lui était inaccessible). Effectivement, pour quelques mois, il y aura une rentrée d’argent. Mais ces revenus stagneront, les profits n’iront pas en courbe ascendante. L’entretien et les réparations de la moto, par contre, iront en augmentant. Dans les villes, il était effarant de constater le nombre de motos-taxis stationnées au coin des rues, motocyclistes bien en selle, fumant cigarette sur cigarette, rigolant et attendant les clients. Ces jeunes s’arrachaient pratiquement les passagers et même, parfois, j’en fus témoin, en arrivaient quasiment aux coups pour une maigre pitance. Leur vie entière se résumera à survivre par les faibles rétributions générées par le taxi.

    Fort heureusement pour nous, une des responsables des projets internationaux au Cameroun nous attendait sur place afin de nous amener à l’hôtel. Elle nous a extirpés

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