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Après 50 ans : L’évolution des cégeps inspirée des réflexions de Guy Rocher
Après 50 ans : L’évolution des cégeps inspirée des réflexions de Guy Rocher
Après 50 ans : L’évolution des cégeps inspirée des réflexions de Guy Rocher
Livre électronique339 pages4 heures

Après 50 ans : L’évolution des cégeps inspirée des réflexions de Guy Rocher

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À propos de ce livre électronique

Les 50 ans des cégeps auront été l’occasion de bénéficier des réflexions de Guy Rocher et de son regard lucide sur le réseau collégial. Ce participant de la Commission Parent a été et est toujours une source d’inspiration pour les auteurs de ce livre qui ont tous en commun une grande admiration pour ce grand humaniste et ce citoyen engagé. Inspirés par les écrits de Guy Rocher, ils ont tenté de traduire sa pensée en présentant le chemin parcouru par les cégeps dans divers secteurs et leurs réalisations. Ils ont aussi posé des jalons de réflexion et dégagé les perspectives d’avenir du réseau collégial au XXIe siècle.
LangueFrançais
Date de sortie31 oct. 2019
ISBN9782981780638
Après 50 ans : L’évolution des cégeps inspirée des réflexions de Guy Rocher

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    Aperçu du livre

    Après 50 ans - Association des cadres des collèges du Québec (ACCQ)

    Québec

    «Le collégial demeure ce qui est le plus réussi

    dans notre système d’éducation¹.»

    Cette affirmation ne vient pas, comme on pourrait s’y attendre, d’une personne appartenant au réseau des cégeps. Non, elle vient du dernier membre vivant de la commission Parent, commission qui a proposé la création de ces instituts appelés plus tard cégeps: Guy Rocher.

    Or, monsieur Rocher n’est pas un quelconque expert ayant participé exceptionnellement à une commission gouvernementale et dont la participation aurait été éphémère ou anecdotique. Il est un universitaire et un chercheur plusieurs fois honoré. Un sociologue réputé dont la longue feuille de route comprend un engagement de quelques années dans la machine gouvernementale à titre de sous-ministre.

    M. Rocher est, de fait, un sociologue enraciné qui n’hésite pas à se prononcer sur les défis qui attendent notre société. Il demeure, encore aujourd’hui, malgré son âge, un intellectuel de haut niveau. Dès lors, on comprend pourquoi le réseau collégial, voulant souligner ses cinquante ans d’existence, a fait appel à ce dernier pour témoigner.

    Que ce soit lors des congrès de la Fédération des cégeps ou de l’Association québécoise de pédagogie collégiale; que ce soit lors du Colloque de l’Association des cadres des collèges du Québec (ACCQ) ou encore à l’occasion de la présentation de l’avis du Conseil supérieur de l’éducation sur les collèges après cinquante ans, M. Rocher a prononcé des discours percutants usant de son regard de sociologue pour juger de l’utilité de ce réseau.

    Il nous a dès lors semblé important de rassembler certains de ces témoignages et même d’interroger M. Rocher. Les différents points de vue avec lesquels il aborde la question des cégeps permettent d’embrasser ce qu’ils étaient appelés à devenir et ce qu’ils sont devenus. C’est la première partie de ce livre.

    Il n’était pas question pour M. Rocher de faire un panégyrique des cégeps. Ce sociologue attentif à l’évolution de la société québécoise a soulevé des questions fondamentales susceptibles de marquer son avenir. Nous avons alors demandé à des acteurs du réseau de pousser un peu plus loin la réflexion quant aux constats formulés. C’est la deuxième partie du volume.

    Par la suite, M. Rocher a souligné des enjeux fort à propos pour les cégeps eu égard aux révolutions à venir au sein de notre société. Dans cette dernière partie, des personnes du réseau ou encore des partenaires s’emploient à mieux cerner les enjeux mis au jour.

    Enfin, nous avons demandé à M. Rocher de réagir à ces textes de façon très libre en produisant une postface inspirée des apports de ces penseurs.

    Cette entreprise emballante et passionnante a été menée à bien grâce au soutien constant de l’Association des cadres des collèges du Québec (ACCQ).

    L’Association souhaitait être accompagnée d’un comité de rédaction dont la cheville ouvrière serait Mélanie Cormier. Voici les membres de ce comité:

    Léane Arsenault,

    consultante et formatrice

    Mélanie Cormier,

    directrice des affaires professionnelles et des communications, ACCQ

    Marcel Côté,

    directeur général du cégep régional de Lanaudière (jusqu’en juin 2019)

    Judith Laurier,

    directrice des communications, Fédération des cégeps

    Nicole Rouillier,

    conseillère en éducation

    Charles Simard,

    président-directeur général de l’ACCQ

    Pour le comité de rédaction, ce projet a été source d’un grand enrichissement. Certes, en raison de la parole même de Rocher sur les cégeps que nous avons approfondie, mais aussi grâce aux contributions pertinentes des auteurs ainsi que des partenaires sollicités.

    Liste des auteurs

    Hélène Allaire

    Léane Arsenault

    Marcel Côté

    Mélanie Cormier

    Céline Desjardins

    Natacha Giroux

    Suzie Grondin

    Gilbert Héroux

    Paulette Kaci

    Maryse Lassonde

    Judith Laurier

    Marie-Claude Pineault

    Louis-André Richard

    Guy Rocher

    Julie Roberge

    Nicole Rouillier

    Charles Simard

    Bernard Tremblay

    Nous souhaitons qu’il en soit ainsi pour vous, lecteur. Que cette lecture vous outille pour mieux comprendre ce que sont les cégeps aujourd’hui et, surtout, pour relever les défis qu’ils auront à affronter.

    1Citation de Guy Rocher lors de sa prise de parole au lancement de l’avis du Conseil supérieur de l’éducation Les collèges après 50 ans; regard historique et perspectives. Cette citation est tirée du dossier à ce sujet sur le site Web Portail du réseau collégial, consulté le 3 juin 2019.

    Verbatim de la conférence de Guy Rocher au Congrès de la Fédération des cégeps

    26 octobre 2017

    Merci de votre accueil, merci!

    Madame la Ministre, je vous remercie pour cette initiative que vous avez prise de présenter cette motion à l’Assemblée nationale ce matin. Cela a été un grand moment historique pour les cégeps. D’autant plus que vous avez fait un hommage très remarquable, qui a entraîné d’autres députés à parler des cégeps d’une manière tout à fait pertinente. L’Assemblée nationale a été remarquable ce matin, grâce à vous.

    «Applaudissements»

    Merci en mon nom personnel, mais merci aussi au nom des membres de la commission Parent. J’aurais bien aimé qu’ils soient là, mais je suis le dernier survivant de cette commission. Je la représente donc encore le moins mal possible et je me permets, au nom de cette commission, de vous remercier.

    Déjà cinquante ans: pour les membres de la commission Parent, ce serait bien étonnant. Quand on regarde cinquante ans devant soi, c’est très long. Quand on regarde cinquante ans derrière soi, c’est très court… La perspective est bien différente. Je m’étonne encore qu’aujourd’hui on puisse parler des cinquante ans des cégeps. Je me suis demandé ce que je pouvais apporter dans cette conférence de clôture parce que vous m’impressionnez beaucoup. Vous m’impressionnez parce que d’abord vous représentez les cégeps de toute la province, de tout le Québec. Et puis, j’ai eu l’occasion de lire une partie du livre que nous avons lancé hier soir, Le réseau des cégeps: trajectoires de réussites.

    Donc, ayant lu cet ouvrage, je me suis dit «je n’ai plus rien à dire». Cependant, je me suis repris, je peux peut-être parler de ce que je connais et de ce que je ne connais pas. De ce que je connais, oui, c’est l’origine des cégeps. Ce que je ne connais pas, c’est l’avenir. Je vais donc d’abord vous parler de l’origine des cégeps et puis de l’avenir. Je vais vous parler du big bang des cégeps, tel que nous l’avons vécu de l’intérieur de la commission Parent. Je voudrais commencer par vous dire qu’à mon avis, la commission Parent n’aurait pas dû, ni concevoir, ni recommander la création des cégeps. C’est un peu fort à dire devant vous tous. Mais je dis cela, parce que telle qu’elle était composée, la commission Parent n’était pas prête à faire une telle recommandation.

    Comment était composée la commission Parent? Je vais vous en parler parce que ce n’est peut-être pas assez bien connu. La commission Parent, vous étiez jeunes quand elle a travaillé. Pour un certain nombre d’entre vous, vous n’étiez pas de ce monde, c’est donc un peu un mythe. Eh bien, peut-être que vous avez vu la photo dans le livre Le réseau des cégeps: trajectoires de réussites, des membres de la commission Parent, à la page 18. C’est une photo assez extraordinaire. Cette photo a été prise dès les débuts des travaux de la commission Parent, donc au début de l’été 1961. C’est une photo que je ne peux pas revoir sans émotion parce que nous étions innocents. C’est-à-dire que, oui, nous avions conscience de l’énorme responsabilité qui pesait sur nous, sur nos épaules. Mais en même temps, nous étions complètement inconscients de ce qui nous attendait.

    Et cette commission était drôlement composée. Il y avait huit membres. Il y avait six hommes et deux femmes. C’était l’égalité des sexes telle qu’elle était conçue à cette époque. Et déjà, on s’étonnait qu’il y ait deux femmes sur une commission. Mais comme c’était une commission sur l’éducation, il fallait bien qu’il y ait deux femmes.

    Nous étions six francophones sur huit; un Irlandais et un Écossais. Nous étions sept catholiques et un protestant, je peux dire tous pratiquants à l’époque. Nous étions quatre professeurs d’université sur huit. Les trois grandes universités étaient représentées; Laval, Montréal et Mc Gill. Nous étions sept représentants d’institutions privées. Professeurs d’université ou de collège, à cette époque, c’étaient des institutions privées. Monsieur Filion était directeur du Devoir, institution privée. Il y avait un homme d’affaires qui était attaché à Aluminium Limited, institution bien privée. Les syndicalistes n’étaient pas représentés à la commission Parent, mais il y avait un homme d’affaires. Et ce qui est étonnant, c’est que nous étions sept représentants d’institutions privées et le seul qui représentait le public, c’était l’Irlandais qui était directeur des écoles catholiques anglaises de la Commission scolaire de Montréal. Il n’était même pas dans le secteur francophone. Puis, nous étions six Montréalais et deux Québécois.

    Aucune région n’était représentée. Et par surcroît, le président de cette commission était un prêtre, un monseigneur même, pas un évêque. C’est-à-dire qu’il avait un titre honorifique dans l’Église catholique parce qu’il avait été recteur de l’Université Laval. Et pendant la commission, il était encore vice-recteur de l’université actif. Non seulement nous avions un prêtre comme président, mais nous avions une religieuse. Une des deux femmes était une sœur de la communauté de Sainte-Croix. Si vous regardez bien attentivement la photo de la page 18, vous verrez combien elle est présente, la religieuse, avec cette si belle cornette des sœurs de Sainte-Croix, une sorte d’auréole extraordinaire. Ce qui fait qu’elle avait un succès fou parce qu’elle était belle en plus. Elle avait un succès fou dans les séances publiques. Il se trouve que nous avons voyagé ensemble elle et moi. La communauté des sœurs de Sainte-Croix a dû faire des exceptions énormes pour permettre à cette religieuse non seulement de sortir seule, parce qu’à l’époque les religieuses devaient sortir avec une compagne, mais même de sortir avec des hommes dans des avions, des trains, des autobus, des automobiles, jusqu’en Californie.

    Cette commission, elle était donc à l’image du Québec de 1960. Et quand je pense à sa formation, quand je pense à nos débuts, cette commission était composée pour préparer un rapport conservateur. Un rapport sur le statu quo parce que nous étions attachés aux institutions qui existaient. Six des huit membres de la commission avaient fait le cours classique. Ils étaient très attachés à leur collège classique. Comment une telle commission a-t-elle pu en arriver à ce qu’elle a fini par présenter comme recommandation à l’époque?

    Je voudrais vous l’expliquer un peu de l’intérieur de la commission, à travers ce que j’appellerais quatre moments de notre parcours, de notre trajectoire.

    Le premier moment se situe dans les premières semaines de nos travaux où nous avons pris conscience d’abord de la sous-scolarisation des Canadiens français de l’époque. Ce fut pour nous un choc. En même temps, nous avons pris conscience du statut défavorisé des filles dans notre système d’éducation.

    Il nous a fallu bien prendre conscience, nous qui avions tous fait le collège classique, six d’entre nous, que ce système d’éducation était fait pour une petite élite dont nous étions, dont nous avions profité. Que ce système d’éducation avait fait que la grande majorité des Québécois de langue française n’avait pas dépassé l’école primaire. Ce qui faisait qu’au-delà de l’école primaire, il y avait un système anarchique, par morceaux détachés, au profit d’une petite minorité qui réussissait à faire les huit ans du cours classique avec un taux de décrochage, à l’époque des collèges classiques, de 70%. Nous avons donc eu à prendre conscience dans les premières semaines de nos travaux que le Québec avait besoin d’une importante réforme de son système d’éducation et que nous ne pouvions pas faire peu, il fallait faire beaucoup. Nous ne savions pas quoi, mais dès le début de nos travaux, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait aller loin.

    Deuxième moment, c’est la première décision que nous avons prise. Nous nous sommes demandé par quoi commencer. Nous avions un mandat très large. Un mandat complet; y compris le financement de l’éducation. Alors, par quoi commencer? On nous disait même que la confessionnalité, c’était très important: «Commencez donc par la confessionnalité.» La décision que nous avons prise a été que la première tranche de notre rapport allait être la recommandation de la création d’un ministère de l’Éducation. Pourquoi? Parce que nous nous sommes rendu compte que pour faire les réformes qu’il semblait important de faire, il fallait que ce soit l’autorité de l’État qui s’en charge. Il fallait que le pouvoir politique, désormais, prenne la responsabilité de l’ensemble du système d’éducation, que l’on passe du privé au public et que le gouvernement, que l’État québécois accepte le financement public de l’ensemble de l’enseignement, du primaire à l’université.

    Il nous est apparu très clairement que sans un ministère de l’Éducation, si nous laissions les choses telles qu’elles étaient en 1964, aucune réforme ne pouvait se faire. Nous ne pouvions pas demander à l’Église catholique de faire ce que nous voulions qu’elle fasse. La création du ministère de l’Éducation fut un choc à l’époque. Pourquoi? Premièrement, parce qu’à l’encontre de toute la philosophie de l’éducation qui nous était présentée pendant les séances publiques, la commission décidait que l’éducation devait être placée sous l’autorité du pouvoir politique. C’était une hérésie de l’époque. Deuxièmement, en proposant la création d’un ministère de l’Éducation, nous chassions du pouvoir 22 évêques du Québec. Parce qu’à l’époque, tout le système public, c’est-à-dire les écoles primaires et les écoles normales, relevait de ce qui s’appelait le comité catholique auquel siégeaient 22 laïques et 22 évêques. Les évêques étaient les seuls qui avaient le droit de se faire représenter quand ils étaient absents. Les laïques n’avaient pas ce droit. Donc les évêques avaient tous les pouvoirs.

    Je peux vous dire qu’en séance publique, l’Assemblée des évêques est venue devant la commission Parent pour nous dire «nous tenons à nos pouvoirs». Bien, ils ont été surpris d’apprendre en 1963, quand la première tranche est sortie, que nous proposions de les exclure du système. Troisièmement, les protestants aussi étaient très touchés parce que, jusqu’à la création du ministère de l’Éducation, les protestants avaient une entière autonomie dans notre système. Ils faisaient ce qu’ils voulaient. Le comité catholique s’occupait des catholiques et le comité protestant s’occupait de tout le système protestant, tout seul, sans aucune autre autorité.

    Non seulement les protestants étaient-ils désormais touchés parce qu’ils allaient relever d’un ministère, mais même l’Université McGill allait relever d’un ministère. Je me souviens d’être allé rencontrer mes collègues de l’Université McGill. Oh là là! Ce que j’ai entendu à ce moment-là! Il était bien entendu que l’Université McGill devait être exemptée de cette autorité. Mais non, chers amis. L’Université de Montréal et l’Université McGill, nous allons relever du même ministère. Ce choc n’est pas passé si facilement inaperçu, loin de là. Comme vous le savez, il a fallu un an au gouvernement du Québec pour appliquer cette recommandation. Il a fallu que Paul Gérin-Lajoie fasse une tournée du Québec pour expliquer ce qu’était un ministère de l’Éducation. Il a fallu que messieurs Jean Lesage et Paul Gérin-Lajoie négocient avec les évêques et avec les protestants pour faire accepter, finalement au bout d’un an, la création de ce ministère.

    Le troisième moment de notre démarche, c’est quand nous avons pris la décision que le système d’éducation que nous allions proposer allait valoriser le public. Alors que notre système d’éducation avant 1964 était construit sur le privé, avec des écoles privées au primaire, mais surtout à partir du secondaire, les collèges classiques, les universités, tout était privé, et principalement catholique.

    La commission Parent a considéré que si nous voulions vraiment ouvrir l’accès à tous et toutes, il fallait que, désormais, le système québécois d’éducation soit public et unifié. C’est-à-dire que nous mettions fin à toutes les institutions parallèles qui existaient alors pour que, désormais, le système d’éducation du Québec, sur tout le territoire du Québec, soit le même, unifié de la maternelle à l’université. C’était évidemment aller à l’encontre de toute la tradition québécoise qui avait favorisé le privé, favorisé le rôle de l’Église catholique en particulier, favorisé le rôle d’intérêts privés.

    Et une manière de présenter la chose fut de dire non aux jésuites. Ah! quelle affaire! Parce qu’en 1960-1961, les jésuites du Québec s’étaient présentés au gouvernement avec un projet de loi annonçant qu’ils allaient créer une nouvelle université à Montréal, qu’ils appelaient l’Université Sainte-Marie. Les jésuites irlandais, bien sûr, ont fait la même chose. Donc on avait deux projets d’université de jésuites. Comme le fait tout bon gouvernement, monsieur Lesage a dit: «La commission Parent va régler cela.» Et en effet, vous lirez dans le volume 2 que la commission Parent a dit «non» aux jésuites. Pourquoi? Parce qu’à l’avenir, les universités ne doivent plus être entre les mains d’intérêts privés. Les universités à l’avenir seront publiques.

    Et cela amène le quatrième moment, où dans cet ensemble unifié est apparu le cégep. Et comment est-il apparu? Je vais vous le dire à vous en particulier, pour vous seul. Ce qu’on nous proposait, c’était évidemment le modèle nord-américain. Ce que vous, la commission Parent vous devriez proposer, c’est évidemment le système existant en Amérique du Nord; qu’on soit comme les autres. C’est-à-dire, qu’après le secondaire, on passe à l’université. Cette formule a été pour nous l’objet de très longues réflexions et d’études. Et nous l’avons mise de côté, pour deux raisons.

    Principalement, la première, c’est que nous voulions un système unifié. Or, en proposant le modèle nord-américain, nous continuions d’avoir un enseignement technique parallèle au secondaire, ce que nous ne voulions plus.

    Deuxièmement, surtout, nous avions, comme membres de la commission Parent, fait le tour du Canada, visité les États-Unis. Nous avions entendu un grand nombre de professeurs d’université nous dire: «L’université est toujours très mal organisée pour accueillir les élèves qui arrivent des high schools. Nous sommes très mal organisés pour les encadrer. À l’université, nous sommes des spécialistes. Nous ne sommes pas là pour enseigner la culture générale. Nous ne sommes pas là pour donner des cours de formation générale. Nous sommes des spécialistes.Et alors, le passage du high school à l’université est très difficile.» Nous avons eu un grand nombre de commentaires sur ce point à travers le Canada et les États-Unis.

    Mais alors, quoi trouver? Un modèle nous a inspirés. C’est ce qui s’appelait en Californie les community colleges. Dans le fouillis du système éducatif de la Californie, je dis le fouillis, parce que c’est un système profondément inégal où il y a un peu de tout, bien, dans ce système californien, il y a ce qui s’appelle les community colleges qui ont la vocation d’aider des gars et des filles à faire le passage à l’université ou au marché du travail. Donc ces community colleges préparent à l’université pendant deux ans, et en même temps, il y a dans les community colleges des options professionnelles qui préparent au marché du travail.

    Mais les community colleges sont de petites institutions, et même, elles sont vues de haut quand on est dans le système d’éducation de la Californie. Mais ce sont ces community colleges qui nous ont inspirés et qui nous ont fait penser à utiliser ce modèle, mais en l’installant au Québec entre le secondaire et l’université, entre le secondaire et le marché du travail et à en faire une institution obligatoire de passage à l’université.

    Évidemment, je n’oublierai jamais le moment où, au début du mois de décembre 1964, nous avons remis au premier ministre Jean Lesage la deuxième tranche de notre rapport dans laquelle il y avait la bombe du chapitre 6 intitulé «L’enseignement préuniversitaire et professionnel», c’est-à-dire le projet de cégep. La première réaction de monsieur Lesage a été évidemment rapide. «Qu’est-ce qui arrive avec les collèges classiques?», a-t-il demandé à monseigneur Parent, les yeux dans les yeux. Monseigneur Parent a dit «les collèges classiques vont servir à créer les cégeps».

    De toute évidence, nous n’avions pas convaincu monsieur Lesage. C’était très évident. Il faisait, comme nous, partie de l’élite qui avait profité de ces collèges classiques, bien sûr. Mais ce qui faisait la force du projet de cégeps, c’est que la commission Parent recommandait qu’ils soient créés à partir des institutions existantes. Or, cela fut un projet, mais en même temps un tour de force. Comment ont été créés les premiers cégeps? Comment ont été créés la plupart des cégeps? À partir des collèges classiques, des écoles normales, des instituts familiaux, des écoles techniques, des écoles d’agriculture, qu’on réunissait autour d’une table pour réussir à créer avec eux une nouvelle institution. Bien, qu’est-ce que c’était? On partait d’institutions privées pour créer une institution publique. Nous partions d’institutions catholiques pour créer une institution neutre, laïque. Nous partions d’institutions où la ségrégation des sexes existait pour créer des collèges mixtes. Nous partions d’institutions qui étaient séparées, les collèges classiques, pour créer une seule institution.

    Je peux témoigner de l’admiration que j’ai eue à cette époque pour des hommes et des femmes, des religieux et des religieuses en particulier, qui acceptaient ce changement. Et je me souviens encore de religieuses qui me disaient: «Vous savez, monsieur Rocher, vous nous demandez beaucoup. Moi j’enseigne dans un collège de filles. J’enseigne à l’école normale. Là, vous nous demandez maintenant d’aller enseigner à des garçons et à des filles. Vous nous demandez d’avoir comme collègues des hommes et des femmes. Il est certain, disaient-elles, que le directeur du cégep ne sera pas une religieuse. Ce seront des hommes. Vous voyez ce que vous nous demandez.»

    Quel est le facteur qui a prédominé et qui a fait que ces gens acceptaient notre projet? Bien, c’est l’idée de la démocratie. À ce moment-là, dans les années soixante, la démocratie était vraiment un projet actif, un projet dynamique. Nous sortions de la Deuxième Guerre mondiale où nous nous étions battus pour la démocratie. Et après la Deuxième Guerre mondiale, en Occident en particulier, nous nous étions rendu compte, un peu partout, que nos systèmes d’éducation n’étaient pas démocratiques. Nos systèmes de santé n’étaient pas démocratiques. Il y a donc eu une prise de conscience à travers l’Occident, et le Québec a fait partie de cette prise de conscience. Des hommes et des femmes, religieux, religieuses, me disaient: «C’est au nom de la démocratisation de notre système d’éducation que nous acceptons que ma communauté religieuse se départisse de son collège, de son école normale.» C’est ainsi que les premières institutions sont sorties de terre. Ce qui me frappe, c’est l’évolution qui s’est produite au cours de ces cinquante années. J’ai été à même de la constater. Ce que je peux vous dire, c’est que je visite quelques cégeps et que j’ai l’occasion d’être invité par quelques-uns d’entre vous et je le serai encore. Chaque fois que j’entre dans un cégep, je suis ému parce que je pense à cette utopie de 1964 et à ce que c’est devenu maintenant.

    Je peux vous le dire, les cégeps, vos cégeps, vont bien au-delà de ce que la commission Parent s’est imaginé. Bien au-delà, à bien des égards. Premièrement, les options professionnelles de vos cégeps sont beaucoup plus nombreuses, beaucoup mieux organisées que ce que nous avions pensé. Nous nous disions que peut-être il y aurait une minorité d’élèves qui entreraient dans les options professionnelles alors que c’est l’inverse. Et puis, nous n’avons pas pensé que les cégeps allaient renverser la vapeur en ce qui concerne le statut des filles. Un des grands événements de l’histoire du Québec des cinquante dernières années, c’est la montée des femmes, en particulier, grâce à l’existence des cégeps.

    Et aussi, ce qui étonne, c’est l’implantation des cégeps dans les régions. Les collèges classiques étaient fermés sur eux-mêmes. Ils vivaient à l’intérieur de leurs murs. Je les ai bien connus. Les cégeps, vos cégeps, ont au contraire des liens avec le milieu, cela va au-delà de ce que nous avions pu imaginer.

    Comment maintenant envisager l’avenir à partir de là? Nous sommes déjà dans l’avenir. Nous sommes en 2017, c’est-à-dire que le 21e siècle est commencé. Et, ce qui me frappe, c’est que ce 21e siècle est déjà très différent du 20e siècle. Nous sommes

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