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Vers un même horizon
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Livre électronique470 pages7 heures

Vers un même horizon

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À propos de ce livre électronique

Italie, Lombardie, 1900. Giuseppe pousse son premier cri, alors que sa mère, Luisa, rend son dernier souffle. L'enfant et son grand frère, Luigi, sont élevés par leur jeune tante Salvina, dans la ferme familiale. Leur père, Emilio, finit par tomber amoureux de cette jolie jeune femme.
Dans les années 1920, alors que monte le parti mussolinien, Emilio décide d'envoyer ses fils en France, pour travailler et vivre en sécurité. Un exil qui fera couler bien des larmes.
France, Limousin, 1903. Jeanne voit le jour dans un foyer, où elle ne connaîtra jamais l'amour de sa mère, femme de mauvaise vie et alcoolique. C'est Marthe, l'aînée de Jeanne, qui prend soin d'elle et l'aime plus que tout.
Lorsque Marthe rentre à l'école, le service social décide de placer Jeanne à l'assistance publique, pour ensuite, la confier à une famille d'accueil. Une séparation et un éloignement qui laisseront de grandes blessures.
Le destin va se charger de mettre Giuseppe sur le chemin de Jeanne. Un combat va se mener pour ces deux jeunes gens, afin de vivre leur amour au grand jour.
La rudesse de la vie, les injustices et la guerre, dans cette Corrèze rurale, ajouteront bien des difficultés à ce couple et leurs trois filles.
Denise, la cadette, sera celle qui souffrira le plus d'être la fille d'un Italien. Aura-t-elle la liberté, et surtout le droit d'aimer Raymond, un garçon du village ?
Une saga familiale très touchante, entre fiction et vécu, qui vous portera sans aucun doute, vers un même horizon.
LangueFrançais
Date de sortie28 mars 2024
ISBN9782322475827
Vers un même horizon
Auteur

Nadine Joly

L'auteure, Nadine JOLY, jeune retraitée, revient souvent vers ses souvenirs d'enfance, dans sa Corrèze natale. Une région, dont l'histoire familiale, ses habitants et son parler local, l'a profondément marquée. Aubazine, ce si joli petit village touristique, où elle a passé ses dimanches et vacances, partageant la vie paysanne, battant la campagne, et s'attachant à toute cette richesse culturelle. Elle y revient encore volontiers pour se ressourcer... Depuis sa tendre jeunesse, elle dévore les romans d'histoires régionales, du terroir, familiales et sentimentales. C'est tout naturellement, qu'elle s'est lancée dans l'écriture régionale, aimant à reproduire dans ses dialogues, le parler si particulier de cet accent chantant. Dans son écriture, elle fait ressortir des portraits de femmes fortes et combatives. Elle est de cette dernière génération à avoir connu une vie paysanne si peu modernisée...

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    Aperçu du livre

    Vers un même horizon - Nadine Joly

    À ma mère,

    « Il faut espérer, puisqu’il faut vivre… »

    Table des matières

    Prologue

    Première partie

    Chapitre I

    Chapitre II

    Chapitre III

    Chapitre IV

    Chapitre V

    Chapitre VI

    Chapitre VII

    Chapitre VIII

    Deuxième partie

    Chapitre IX

    Chapitre X

    Chapitre XI

    Chapitre XII

    Chapitre XIII

    Chapitre XIV

    Chapitre XV

    Troisième partie

    Chapitre XVI

    Chapitre XVII

    Chapitre XVIII

    Chapitre XIX

    Chapitre XX

    Chapitre XXI

    Chapitre XXII

    Quatrième partie

    Chapitre XXIII

    Chapitre XXIV

    Chapitre XXV

    Chapitre XXVI

    Chapitre XXVII

    Chapitre XXVIII

    Chapitre XXIX

    Chapitre XXX

    Chapitre XXXI

    Chapitre XXXII

    --------------------

    Chapitre XXXIII

    Chapitre XXXIV

    Epilogue

    Giuseppe -1900 — Italie

    Jeanne — 1906 — France

    Salvina — juin 1903 — Italie

    L’assistance publique — 1907 — France

    Salvina et Emilio — 1908 — Italie

    Une nouvelle famille — 1909 — France

    Les grandes décisions — 1918 — Italie

    Jeanne fête ses 16 ans — 1918 — France

    Luigi et Giuseppe — 1921 — France

    Les deux soeurs vont au bal — été 1921

    Un amour dur comme la pierre ; décembre 1921

    Un début d’année désastreux — janvier 1922

    Jeanne fait ses choix — mai 1922

    Le changement de cap — janvier 1923

    L’heure des grands changements — 1924 — Italie

    Un bonheur simple — 1926 — France Corrèze

    De bonnes en mauvaises surprises — 1940

    Un Noël particulier — 1940

    Les prémices de la liberté — fin 1944

    Amour, sentiments, chagrin — printemps 1947

    Madeleine et Jules — décembre 1947

    L’école est finie — juin 1948

    Une bien jolie bergère — 1949

    Un grade de fierté — 1950

    La fête communale — octobre 1950

    Amour et frustration — novembre 1950

    Une semaine mouvementée — janvier 1951

    Chez Raymond « Les Forêts » — février 1951

    Des débuts bien difficiles — mars 1951

    La senteur du foin — fin mars 1951

    Vous permettez monsieur — avril 1951

    Une mauvaise nouvelle n’arrive jamais seule — 1er

    mai 1951

    Des préparatifs précipités — mi-mai 1951

    Une mariée en deuil — 9 juin 1951

    Prologue

    « Maman, raconte-moi encore quand tu étais petite, parle-moi de ton papa quand il est né là-bas, en Italie. Et pourquoi tu n’y as jamais été toi ? Et ta maman, elle était triste quand elle était petite, pourquoi ? Et quand tu as connu papa, il n’était pas content le tien, il ne sentait pas le vin pourtant ! Et la guerre, c’est vrai que tu as eu beaucoup peur quand ils sont venus les Allemands ? Elle était gentille, ta maîtresse ? Allez, raconte-moi encore, maman »…

    Les enfants ont soif de connaître la vie de leurs parents, ils ne se lassent jamais, raconter encore et encore, et surtout ne changer aucun mot !

    À la mort de ma mère, ses histoires sont passées en boucle dans ma tête comme lorsque j’étais petite, un besoin intimement viscéral, vital… Raconte-moi encore maman… mais elle n’était plus là… J’ai oublié de lui demander des tas de choses sur cette famille maternelle italienne ! Elle a pu se rendre en Italie une seule fois avec sa soeur aînée en voyage organisé. Elles ont ramené une poignée de terre, « moi je l’appelle un petit souffle d’Italie », qu’elles ont parsemée autour du caveau familial à Aubazine, dans leur Corrèze natale.

    Alors, j’ai attaqué des recherches en Italie, et à mon grand étonnement, j’ai pu remonter le temps jusqu’en 1840 pour retrouver des noms, des dates, des lieux, des mariages, des décès… l’existence de ces aïeux…

    Puis, comme ça ne me suffisait pas, j’ai attaqué également des recherches du côté maternel cette fois-ci, car ma mère ne m’avait jamais parlé de ses arrière-grands-parents ! Un trou béant… Comme si, avant mes grands-parents, il n’y avait jamais eu personne ! Un néant dans lequel je me suis engouffrée, la tête baissée et le coeur palpitant…

    Et j’ai trouvé, oh, pas tout bien sûr, mais suffisamment… Des recensements des années 1926, 1931 et 1936, m’ont donné des adresses précises, des naissances, des nationalités, puis, plus rien après la guerre de 1939 ! Mais cela m’aura suffi à établir un début d’arbre généalogique, et m’enfoncer dans le temps…

    Alors, je me suis raconté ton histoire, en changeant quelques mots, en enrobant, enjolivant, inventant parfois, mais surtout, en respectant la trame, celle que ma mère m’a racontée avec ces anecdotes si souvent réclamées, celles de sa vie…

    J’ai fait défiler plus d’un siècle pour en arriver là, en traversant la frontière, en affrontant trois guerres, en gravissant la haute montagne, en élevant des chèvres, en battant la campagne, côtoyant la misère, m’enivrant des odeurs d’antan. J’ai entendu résonner cette si jolie langue italienne, j’ai entendu le patois du fin fond de la Corrèze ! J’ai entendu, j’ai vu, j’ai respiré, j’ai tremblé, j’ai pleuré aussi, et tout cela à travers une rame de papiers !

    En partant de la naissance de ce grand-père italien, à Ardésio, j’ai côtoyé des gens que je ne connaissais et ne connaîtrai jamais, et qui eux-mêmes, n’auront jamais su que j’existais ! Des arrière-grands-parents, des oncles, des tantes, des gens autour, de passage ! Et pourtant, un lien entre ces deux pays, entre ces belles âmes, sur plus d’un demi-siècle, s’est réellement tissé. Qui est allé là-bas, qui est venu ici, qui a franchi les Alpes, qui a traversé le temps ? Eux ou moi ? Je ne le saurai jamais, mais ce fut une magnifique rencontre !

    À la fin de mon histoire, nous sommes une grande famille réunie à travers des pages et des pages écrites, pour se connaître, se reconnaître, et se raconter ! Si les anges savent lire, ils vous la raconteront avec plaisir… Et n’hésitez pas à me faire savoir par leur biais ce que vous en pensez surtout !

    Une chose est certaine, c’est que l’amour saura toujours combattre, pourra toujours vaincre et pourra toujours atteindre chaque coeur. Il pourra traverser tous les continents, les guerres, les maladies, la misère, les différences. Il continuera à donner un souffle, un sens, une route, une lumière, à chaque être qui désirera aimer.

    C’est ce même amour qui a envahi le coeur des miens, a rassemblé, procrée, puis formé une belle et grande famille. Celui-là même qui a rempli mon coeur d’enfant et qui lui a donné l’envie de se raconter.

    En mémoire de mes grands-parents et parents, de bienveillantes personnes, quelques-unes de moins plaisantes, et surtout, grâce à toutes ces anecdotes que ma mère m’a racontées, alors, voici l’aventure que j’ai vécue sur ces pages blanches, pour retracer presque un demi-siècle de vie…

    Maman écoute, je vais raconter ton histoire…

    PREMIÈRE PARTIE

    Chapitre I

    Giuseppe

    Avril 1900 - Italie

    Salvina va vite chercher Valentina au village, ta soeur ressent ses douleurs, elle souffre beaucoup et ensuite, tu prendras Luigi avec toi et vous irez prier Notre-Dame-de-Grâce, fait vite, je t’en prie !

    Emilio se sentait tellement accablé d’entendre gémir ainsi sa femme Luisa depuis plusieurs heures à présent. Tôt sur le petit matin, des élancements violents lui traversaient le ventre et les reins. Elle n’avait pas voulu que l’accoucheuse arrivât trop tôt, il fallait attendre que le travail se fasse. C’était son deuxième bébé, alors elle ne savait que de trop le déroulement lent et douloureux d’une naissance.

    Salvina partit en courant jusqu’au village bâti au flanc de ses montagnes. Il lui fallut bien dix minutes de course folle par ce chemin boueux et glissant qui reliait la modeste ferme aux premières maisons de pierres. Les ruelles escarpées portaient à bout de bras des nappes de brouillard épais et laiteux en ce début de printemps, qui laisseront s’infiltrer une humidité dans le moindre recoin de terres ou de pierres toute la journée.

    Ici, la pluie dominait tout au long de l’année, sauf au coeur de l’hiver, où les cimes enneigées se confondaient avec un lourd ciel blanc. Plus bas, sur les prairies, un lit de verglas faisait reluire le paysage comme un tableau passé au vernis. Les hivers étaient longs et rudes, douloureux pour une population pauvre et épuisée par le travail !

    La vallée avait évolué dans l’élevage intensif de moutons faisant tourner les filatures dont le tissage de la laine avait une réputation très grande. Les bovins et chèvres donnaient une fabrication ancestrale de fromages et charcuteries. Les cultures de châtaigniers, maïs, pomme de terre s’exportaient en France, Allemagne, Hongrie, et avaient permis au pays de ne pas mourir de faim dans ces années difficiles.

    Le pays se relevait difficilement d’une faillite financière et dut se lancer dans de grands changements industriels électriques, sidérurgiques, hydrauliques et chemins de fer. Ce nouveau virage finit par faire oublier l’âme rurale de ces villageois isolés, oubliés, repliés à même des flancs de leurs montagnes. Ils subissaient en travaillant à tour de bras… Hommes, femmes et enfants avaient des journées longues et harassantes, et manger à leur faim était illusoire !

    Emilio avait du mal à tenir son activité. Il avait su acquérir un beau troupeau de moutons, quelques brebis dont sa femme tirait de bons fromages qu’elle vendait sur les petits marchés alentour ainsi que des oeufs frais de son poulailler, deux ânes dont l’aide aurait été irremplaçable pour acheminer cueillettes et cultures dans ces chemins escarpés ! Oui, ils étaient fiers et courageux et s’étaient juré de ne jamais quitter cette vie-là.

    Beaucoup d’hommes malheureusement abandonnaient famille et pays pour essayer de s’enrichir au-delà de cette frontière montagnarde. La survie se trouvait dans l’immigration, mais la misère en était tout simplement partagée en deux, et personne ne trouvait fortune !

    Emilio avait en fermage de belles prairies, une grange, étable et habitation. Il se rajoutait donc au loyer payé, une part de la production de l’élevage, de la laine, des cultures, volailles et fromages… Les trois mois d’été, le troupeau trouvait un bon pâturage dans l’alpage du Val de la Sierana et redescendait passer l’hiver dans la plaine d’Ardesio. Le foin prenait alors le relais pour les mois enneigés…

    La bourgeoisie possédait pratiquement toutes les fermes alentour, ce qui leur assurait une alimentation et des revenus plus que suffisants. Peu de fermiers de génération en génération, n’avaient pu devenir propriétaires, un rêve inaccessible pour leurs modestes revenus.

    Mais, Emilio ce matin, n’avait pas la tête à penser au travail de la ferme, les cris de sa femme lui transperçaient le cœur ! La naissance de leur premier fils, Luigi, avait été très longue et compliquée, laissant une hémorragie qui faillit emporter Luisa.

    Valentina l’accoucheuse, parla alors de miracle et leur recommanda de bien remercier Notre Dame des Grâces… C’est en pensant à tout cela qu’il fut surpris par l’arrivée rapide et bruyante de Salvina et Valentina.

    ─ Alors, mon pauvre Emilio, ça y est, ton deuxième pointe son nez ? Allez, tout ira bien, le beau Luigi a fait le passage !

    Sur ces dires, elle se précipita dans la chambre pour examiner l’avancée du travail. Elle trouva Luisa ruisselante de sueur, les joues en feu et ses cris rauques étouffés par l’épuisement.

    ─ Valentina, il est trop gros, il ne passera pas celui-là, je le sens, je le sais !

    ─ Doux Jésus, c’est ce qu’on va voir ! Tiens, ton homme, il pesait presque neuf livres, et il a bien été là que je sache pour le faire ce beau petit aujourd’hui ! essayant d’apporter une petite note d’humour à Luisa qui bien malgré elle, étira un léger sourire en pensant au beau bébé qu’avait dû être son Emilio !

    Pourtant, elle disait vrai Luisa, cet enfant était bien mal positionné et bien trop gros…

    Valentina essaya avec ses mains expertes de retourner le bébé en manoeuvrant son ventre tendu et dur, appuyant de toutes ses forces, d’un côté, puis de l’autre, d’en haut à en bas, mais ce petit obstiné s’était ancré la tête en haut et ne voulait point en changer ! Elle demanda alors à Luisa de se lever et de marcher, de se tenir debout le plus longtemps possible, cela aiderait la descente !

    La maman se leva péniblement, recroquevillée de douleurs, se tenant le ventre tout en faisant quelques pas autour du lit, encouragée au mieux par Valentina. L’effort fut insoutenable et long, les heures qui passèrent parurent des jours.

    Luisa était une très jolie jeune femme de vingt-deux ans, avec de beaux yeux aux reflets océan entre vert et bleu, de longs cheveux soyeux d’un blond cendré, une peau de pêche toute en délicatesse, un caractère doux et calme, qui plus est, travailleuse et généreuse. Elle aurait pu, si elle l’avait voulu, faire tourner la tête à tous les garçons du village.

    Mais seul Emilio fut l’élu de son coeur pour fonder un foyer où un amour fort et beau s’éveillait chaque matin, s’embrasait chaque nuit… Luigi en fut leur premier né adoré, et aujourd’hui, cette petite famille ne demandait qu’à s’agrandir. Une fille serait l’idéal, le choix du roi…

    L’accoucheuse demanda à Emilio de tenir l’eau bien chaude, des serviettes propres roulées près du poêle et une bassine à disposition. C’était déjà beaucoup trop pour ce pauvre homme qui n’arrivait même pas à exécuter la première tâche !

    D’entendre crier sa mère, Luigi était parti en pleurant avec sa jeune tante Salvina. Elle s’inquiétait pour sa soeur aînée, mais ne le montra pas à son neveu de quatre ans, cet enfant qu’elle aimait tant !

    Les deux soeurs avaient quatre années d’écart, et à tout juste dix-huit ans, Salvina pensait qu’elle avait bien tout son temps pour enfanter à son tour, car les hurlements de douleur de Luisa résonnaient encore à ses oreilles ! D’ailleurs, elle n’avait pas encore de promis, alors autant penser à autre chose pour le moment !

    Tante et neveu se rendirent au sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce prier pour mère et enfant. Ce lieu de culte fut édifié au XVIIe siècle, au même endroit que la maison familiale où eut lieu l’apparition de la Vierge et l’enfant à deux jeunes soeurs alors âgées de 11 et 7 ans. Elles priaient dans leur chambre devant une Piéta — fresque représentant la vierge Marie pleurant son enfant qu’elle tient dans ses bras — à la demande de leur maman pour éloigner une violente tempête orageuse qui aurait pu faire perdre toute la récolte de foin, leur gagne-pain pour une année entière ! Ce fut ici même que la vierge et l’enfant, assise sur un trône d’or baigné d’une lumière vive, leur apparurent. À ce moment précis, l’orage et le vent tempétueux cessèrent, laissant un grand ciel clair et calme. La nouvelle se répandit comme une poudre de canon dans tout le village et cette demeure devint alors un lieu de prières intensives.

    Salvina, agenouillée dans la crypte devant la statue de la vierge à l’enfant, tenant fortement la petite main froide de Luigi, pensait alors que cette bonne vierge pourrait prendre soin de sa soeur aînée, comme elle l’avait fait pour cette famille Salera autrefois.

    La jeune tante et son neveu se rendirent ensuite à la ferme familiale ou Luigi fut content de trouver les bras rassurants de sa grand-mère Marianna. Cette dernière, qui avait envoyé tôt ce matin sa fille pour aider un peu Luisa aux travaux domestiques, ne savait pas encore que cette dernière fût en travail si douloureux. Lorsque Salvina lui rapporta les dernières nouvelles, Marianna se signa et rentra dans une prière monocorde qui rendit Luigi silencieux et surpris.

    Pendant ce temps, chez Emilio, un silence lourd avait remplacé les cris rauques de Luisa. Sans force, allongée sur le lit aux draps ensanglantés, elle sentait la vie se retirer de son corps alors que ce dernier était fait pour la donner… Valentina en dernier recours dut poser les fers pour forcer le passage du bébé venant en siège. Ces forceps, créés par le médecin italien Tarsitani en 1844, et qui ouvrit la première école de gynécologie en Italie, furent une évolution considérable pour aider certaines femmes dans des accouchements très compliqués, où de toute façon, mère et enfant auraient trouvé la mort ! Malheureusement, il y avait encore beaucoup trop d’accidents, surtout dans ces villages éloignés, d’une époque surannée ! Valentina, très professionnelle, essayait d’être toujours au courant des avancements et techniques. Les accoucheuses de ces campagnes se prêtaient volontiers les derniers savoirs en la matière.

    Un faible cri, poussé par le souffle miraculeux de la vie, se fit entendre dans les mains rouges de Valentina. C’était un beau garçon, à la tête duveteuse blonde. Elle le porta tout près du visage de Luisa qui n’avait plus aucune réaction. L’accoucheuse avait déjà vu des mères s’accrocher à la vie en sentant la présence de ce petit être chéri. Le bébé frottait déjà sa tête contre le torse luisant de sa mère… Lequel des deux prenait du courage, appelait l’autre, forçait la vie ? Mais le miracle ne se produisit pas, pas cette fois-ci, et lorsque l’enfant poussa un cri puissant, sa mère rendit son dernier souffle.

    Valentina dut agir vite, criant par la porte de lui porter l’eau chaude et des serviettes. Emilio, comme un fou, coinça le linge sous son bras et prit la bassine en zinc bien fumante. Il voulut rentrer dans la chambre, mais Valentina lui fit barrage, prit les ustensiles et lui demanda d’attendre encore un peu. Elle prit le temps de le préparer en douceur…

    ─ Emilio, ça ne se passe pas bien. Prie mon garçon, prie, mais je peux déjà te dire que tu as un beau garçon ! elle referma brusquement la porte de son pied.

    Le père se laissa tomber sur le banc à la petite table en bois blanchi de la cuisine et mit sa tête entre les mains, commençant une prière d’amour et d’espoir pour sa femme et son deuxième fils né. Qu’avait voulu dire l’accoucheuse ? La dernière fois, ce fut la même chose et tout se termina dans le bonheur d’une famille réunie… Alors il pria, de longues minutes, une heure, peut-être plus, il ne savait pas trop, le temps n’était plus palpable, mais, quand l’accoucheuse vint vers lui pour lui tendre son fils, il vit dans ses yeux une tristesse inquiétante.

    Valentina avait donné les premiers soins au bébé, fort et vif, plié bien au chaud dans une couverture de laine faite par sa pauvre mère. Puis, elle fit une dernière toilette à l’accouchée, l’habilla d’une chemise d’un blanc immaculé, refit le lit avec des draps propres, puis, solennellement, croisa les mains jointes de la pauvre Luisa sur son ventre meurtri. On aurait pu croire qu’elle dormait, les joues encore rosies par l’effort…

    ─ Emilio, tu dois être fort, ta gentille petite femme n’a pas survécu, l’enfant était mal tourné. J’ai essayé Emilio, j’ai tout fait pour sauver les deux, les yeux humides et la voix rauque.

    Emilio regarda le bébé puis Valentina, à nouveau le bébé… Que dit-elle ? Non, il n’a rien compris, non, tout va bien ! Le bébé a l’air bien beau, Luisa est fatiguée, c’est normal la pauvre…

    Il planta son regard dans celui de Valentina et d’une voix autoritaire, répliqua.

    ─ Je veux voir Luisa, elle m’a fait un beau garçon, je dois la remercier pour m’avoir donné un second fils, et combien elle a souffert la pauvre, mais ça va aller maintenant, Valentina, ça va aller, n’est-ce pas ?

    Il cherchait une lueur d’espoir dans les yeux noirs de l’accoucheuse, son cerveau cherchant à annihiler les mots confessés juste avant.

    ─ Tu as entendu Emilio, et tu as compris ce que je t’ai dit mon garçon. Elle t’a laissé un beau petit, et c’est à lui qu’il faut penser maintenant. Emilio, prends-le dans tes bras et dis-moi comment tu vas l’appeler !

    Elle lui tendit le petit paquet de laine tout chaud, paisiblement endormi. Emilio, le regard humide, regarda son petit, si rose, si doux. Il lui murmura dans un cri étouffé de douleur, laissant couler ses larmes qui rebondissaient sur le petit crâne blond de son fils.

    « Oh, Giuseppe, qu’as-tu fait à ta maman, mon petit, pourquoi ? »

    Il remit tel un automate le bébé dans les bras de Valentina, se leva, et en se dirigeant vers la chambre, lui dit.

    ─ Giuseppe, Luisa voulait un petit Giuseppe…

    Le lendemain du décès de Luisa, alors que le bébé criait famine, Emilio s’était exclamé sur un ton qui ne permettait aucune objection.

    ─ Giuseppe se nourrira du lait de nos chèvres, ce ne sera pas le premier ni le dernier enfant à être élevé ainsi. Salvina, occupe-toi de te procurer le matériel, veux-tu… et, se radoucissant quelque peu, merci d’être là, je sais que c’est une grosse responsabilité pour toi du jour au lendemain, tu es si jeune, mais je n’ai que toi pour s’occuper des petits pour le moment. Être mère, ça se prépare, et ta tendre soeur Luisa, était une merveilleuse maman !

    Il baissa la tête afin de cacher ses yeux humides et rougis de chagrin, puis partit sans se retourner à ses occupations pour effectuer ses corvées quotidiennes. Il était tôt ce matin, plus que d’habitude, et il fallait bien faire acte de présence tout au long de cette maudite journée afin d’honorer les visites de courtoisie. Mais les bêtes, elles, ne pouvaient attendre… même si Emilio aurait préféré rester calfeutré au fond de l’étable tel un animal, pour échapper, voire oublier, son terrible et douloureux malheur !

    Il y eut un va-et-vient incessant de villageois pendant deux jours à la ferme afin de rendre un dernier hommage à cette pauvre Luisa. Chacun y allait de sa désolation, de son chagrin, de sa peine, de son soutien, de son affection, n’omettant pas de rappeler à chaque instant combien elle était une adorable jeune femme, si dévouée, courageuse, généreuse, belle…

    Toutes ces belles paroles creusaient comme un abcès infecté le coeur d’Emilio.

    Bien entendu, Valentina était présente, donnait quelques conseils à Salvina et vérifiait que le bébé allait pour le mieux. Elle avait bien proposé une nourrice pour donner un peu de son lait à ce petit, mais Emilio fut catégorique, personne ne nourrira aussi bien son Giuseppe que ses chèvres ! Elle avait tellement de peine pour cette petite famille. Elle se repassait en boucle gestes et soins apportés à Luisa, elle n’aurait jamais pu changer le destin… enfin, elle essayait de s’en persuader, car un malheur comme celui-ci restait traumatisant et tellement culpabilisant pour celle qui le tenait entre ses mains…

    Il y eut tout le village à l’enterrement de Luisa. Même le ciel pleura ce jour-là sur ce bien triste malheur.

    Les prières avaient un goût amer et la Madona del Grazie, devait avoir le coeur bien lourd. Luisa reposa à tout jamais au côté de sa défunte famille paternelle, au petit cimetière d’Ardésio, presque caché par le flanc de la montagne, comme pour ne pas déranger, se faire oublier…

    À la ferme des parents de Luisa, ce fut la désolation, car en plus d’avoir perdu à tout jamais leur fille aînée, ils perdirent aussi les bras de Salvina qui apportait une aide précieuse jusqu’alors. Ce n’était pas le travail qui manquait dedans comme dehors dans une ferme ! La vie allait être encore plus dure à supporter…

    Salvina avait donc pris demeure chez Emilio pour s’occuper du bébé et de Luigi, ce dernier ne comprenant pas la présence de ce bébé et l’absence de sa maman… À tout juste quatre ans, il était encore un petit être fragile avec un grand besoin d’attention maternelle, que seule Luisa lui prodiguait sans retenue tant elle était une mère aimante et douce.

    La jeune soeur essayait de faire au mieux pour ce petit neveu si triste, et lui donnait tout l’amour qu’elle pouvait pour l’apaiser. Elle faisait tourner la maison entre enfants, repas et tâches ménagères afin qu’Emilio puisse continuer au mieux les activités de sa ferme.

    Elle assurait également la fabrication des fromages qu’elle vendrait au marché, car le lait des chèvres ne pouvait attendre, et il fallait bien que l’argent rentre par tous les moyens avec deux enfants à élever.

    Salvina passa du statut de jeune fille insouciante à celui de mère au foyer du jour au lendemain, mais sans en avoir eu le ventre rond et le coeur rempli d’amour !

    Chapitre II

    Jeanne

    1906 - France

    J ’ai faim moi Marthe, j’ai très faim. Où elle est maman ?

    La petite Jeanne était si frêle, qu’on l’aurait pu croire fragile comme une poupée en biscuit de porcelaine. Son petit corps était ficelé dans une robe trop petite pour elle, au tissu bleu délavé et râpé, des chaussettes de grosse laine plissaient sur ses mollets minuscules, qui se terminaient par deux grosses chaussures crottées devant peser à elles seules plus que le poids de la fillette !

    Ses grands yeux verts lui mangeaient tout le visage. Sa peau si blanche lui donnait un air maladif et surtout, ses cheveux d’un châtain fade, si rarement lavés et démêlés, faisaient paraître l’enfant encore plus souillon.

    ─ Tu veux un croûton de pain de midi, Jeannou ? demanda sa grande soeur.

    ─ Non, il est trop dur, ça me fait mal aux dents, faisant la moue avec sa petite bouche d’un rouge cerise.

    ─ Pas si je le trempe dans de l’eau sucrée ! répondit Marthe malicieusement.

    Que ne ferait pas Marthe pour voir sourire sa Jeannou ? Elle avait trois ans de plus, mais en vérité, elle en avait bien le double, tant sa maturité et son dévouement faisaient d’elle une deuxième maman !

    À presque sept ans pour l’une et quatre ans pour la deuxième, ces deux petites filles survivaient dans la misère et l’absence trop répétée d’une mère. Cette dernière, trop fatiguée la journée par des nuits passées à lever la gigue, offrait son corps à qui voulait bien lui donner une pièce pour manger, mais surtout pour boire, et ne s’offusquait en aucun cas de voir ses enfants ainsi privées.

    D’ailleurs, savait-elle de qui elles étaient ces deux-là ? Non, et elle les avait encore moins désirées, alors, il ne fallait pas lui en demander trop en ce qui concernait le fait d’être une bonne mère. Elle les avait mises au monde, c’était déjà bien, elle aurait pu, ou dû, allez savoir, les faire passer !

    Si Jeanne essayait d’attirer son attention très régulièrement en quémandant un câlin ou un sourire, cela faisait bien longtemps que Marthe avait compris qu’elles devraient se passer de toute affection maternelle !

    ─ Dans de l’eau sucrée, oui, je veux bien, répondit Jeanne en sortant une petite langue gourmande afin d’humecter sa petite bouche affamée.

    Le petit logement insalubre était meublé du strict minimum, à savoir une table, quatre chaises bancales, un vieux bahut dont un pied manquant était remplacé par un vulgaire morceau de bois. Un évier taillé dans la pierre évacuait ses eaux sales à l’arrière de la maison, dans un couderc jamais entretenu et dont la végétation se satisfaisait largement de ses arrosages impromptus bénis des hommes !

    L’eau, il fallait aller la chercher à la fontaine de la petite place du village, une eau claire et fraîche, mais si lourde à porter pour les fillettes qui devaient s’acquitter aussi de cette tâche. Quand la mère avait décidé de sortir enfin de son lit, il ne devait rien manquer.

    ─ Vous croyez que je vais vous élever gratuitement ? Faudrait voir à faire tourner cette bicoque, j’en ai assez à me casser le popotin pour essayer de vous nourrir moi ! hurlait Marie dans ses mauvais jours, quoique bien plus nombreux et répétitifs que les bons.

    Alors les fillettes assuraient l’eau, le ménage, les repas, si on peut parler de repas, plutôt de grignotages de bonne fortune.

    ─ Il n’y a plus rien à manger, maman, signifia prudemment l’aînée.

    ─ C’est pas le travail que tu fais qui doit te donner faim pourtant, ironisa la mère.

    Elle leur jeta quelques pièces gagnées dans la nuit qui roulèrent juste devant leurs pieds.

    ─ Allez chez la Léone prendre des oeufs, un chèvre frais et un pain, ça devrait vous nourrir pour quelque temps, et j’ai faim moi aussi, grouillez-vous !

    Les fillettes, tout en salivant à l’avance, coururent à la petite épicerie, le seul commerce du village qui pouvait vendre aussi bien à manger comme à bricoler, en passant par un modeste bougeoir à une poupée poussiéreuse. Cette jolie poupée, comme Jeanne aurait aimé s’en occuper et la câliner…

    ─ Tu sais ma Jeannou, un jour, tu l’auras cette jolie pépette !

    ─ C’est vrai Marthe ? Oh, je veux bien, et je l’appellerai Mirette !

    ─ Mirette ?

    ─ Oui, parce qu’elle a de grands yeux comme ça ! mimant la poupée tant convoitée.

    La commerçante avait de la peine pour ces deux petites livrées à elles-mêmes. Elle leur offrait à chaque passage un petit bonbon au miel.

    ─ Merci madame Léone, répondirent-elles en coeur.

    Comme c’était délicieux de sentir couler au fond de sa gorge ce sucre candi si doux et si parfumé ! Les fillettes en fermaient les yeux pour mieux en apprécier le goût.

    Madame Leone souriait tendrement de sa générosité, rien qu’au plaisir de voir ses deux petites filles apprécier ses friandises ! Sûr que lorsqu’elles reviendront, elles pourront savourer un autre bonbon…

    Le lendemain en fin de journée, il y eut une visite terrifiante pour les deux petites. Mademoiselle Inserguet, l’institutrice de l’école des filles, rendit une visite au domicile de Marie.

    ─ Que me vaut votre visite, m’dame ? Marie essuya ses mains sur le bas de sa robe avant de la lui tendre.

    Mademoiselle Inserguet, une vieille fille d’une quarantaine d’années, lui saisit le bout des doigts précautionneusement, craignant d’attraper une quelconque maladie honteuse !

    ─ Ma foi, je viens pour votre Marthe qui devrait fréquenter notre institution. Savoir lire, compter, apprendre les travaux d’aiguille, les approches d’hygiène, enfin, bien autre chose encore, feront de vos filles des demoiselles respectables, insista l’institutrice, certaine de son effet.

    Marthe, tout d’un coup, eut le coeur qui battit la chamade, ses joues lui chauffèrent, sa bouche devint sèche, il lui sembla même entendre un brouhaha dans ses oreilles. Elle secoua furtivement la tête afin d’en éloigner ce bruit désagréable.

    ─ T’entends ça la Marthe, une dame respectable !

    La mère partit dans un éclat de rire qui sembla bien vulgaire à la personne rigide qu’était l’enseignante.

    ─ Pourquoi riez-vous ainsi ? Vos enfants ont un droit d’instruction et nous comptons bien la leur donner, s’acharna encore mademoiselle Inserguet. C’est même un devoir, chère madame, que de les scolariser !

    ─ Vous comptez la leur donner ? Bin ça alors ! Et vous leur donnerez aussi le gîte et le couvert ? Parce que moi sinon, j’ peux pas travailler ! Mes gamines, j’en ai besoin ici, pardi !

    Les deux fillettes se tenaient les mains si fermement, que la jointure de leurs petits doigts maigres devenait blafarde. Marthe se mordait la lèvre si fort qu’un goût de sang lui humecta son palais trop sec. Petite Jeanne se dandinait d’un pied sur l’autre, retenant une envie d’un pipi nerveux.

    ─ Préférez-vous que ce soit monsieur le maire qui vienne vous l’expliquer ? Dans ce cas, je m’en vais de ce pas le lui demander, l’institutrice faisant mine de partir.

    ─ Le maire, le maire, on n’ira pas jusque-là, l’a bien d’autres chats à fouetter c’t homme-là ! Pour l’école, faudra voir à prendre les deux, la Jeanne est bien trop petiote pour se garder toute seule !

    ─ Je crains que ce ne soit possible, elle n’a pas encore six ans cette jolie poupée, souriant chaleureusement à cette enfant si petite, si frêle, à l’aspect si… maladif ! Mais vous pouvez vous en charger vous-même, vous êtes disponible la journée, me semble-t-il ?

    Qui ne savait pas au bourg que la Marie vivait la nuit et dormait le jour, et surtout, du comment elle gagnait ses quelques sous ! Si les gens fermaient les yeux, c’était surtout pour les deux petites pauvrettes, ça leur saignait le coeur de les voir crever la faim et manquer de tout, surtout d’amour !

    ─ Marthe, tu veux y aller toi à l’école ? demanda Marie en levant les yeux au ciel.

    ─ Oui maman, je le souhaite vivement, j’ai déjà du retard pour mon âge ! répondit une Marthe prête à exploser de joie.

    ─ C’est bien ma grande, répliqua gentiment l’enseignante, et je vois que tu t’exprimes déjà fort bien, ton retard devrait être vite rattrapé… Je t’attends donc dès demain à partir de 9 heures, et ce, jusqu’à 16 heures. Ah, prévois une gamelle pour ton midi et un sac pour y ranger tes affaires scolaires, précisa-t-elle, heureuse du dénouement.

    ─ Mais je n’en ai pas de sac moi ! osa Marthe, les yeux humides de honte.

    ─ Alors, nous en fabriquerons un en tissu, cela fera un très bon apprentissage de couture ! Allez, jeune fille, ne t’inquiète pas pour ça, juste ta gamelle, ça ira !

    Marie jura toute la soirée après cette institutrice « de ses deux » comme elle l’appela… une pucelle de bénitier, une lèche-bottes du maire, une emmerdeuse de première, jusqu’à ce que la nuit arrivât, lui faisant quitter le logis et oublier ce déboire ! Ses habitués devaient déjà l’attendre chez l’Emile, le café de la place où à cette heure-ci, seuls les assoiffés et les fêtards commençaient leur vie nocturne !

    Ses filles resteraient encore seules toute la nuit, le ventre vrombissant de faim, la nuit éveillant les craintes…

    Mais ce soir-là fut particulier, plus doux pour Marthe. Elle allait enfin pouvoir aller à l’école !

    Pour la petite Jeanne par contre, ce fut une nouvelle qui affecta sa nuit par de vilains cauchemars…

    Ce serait la première fois qu’elle se retrouverait seule sans sa grande soeur, sa petite maman !

    C’est ainsi que Marthe put enfin rejoindre les bancs de l’école publique, avec le bonheur et une grande soif d’apprendre, mais avec aussi, le sentiment tortueux d’abandonner sa petite soeur.

    Jeanne pleurait ce matin-là de voir partir son aînée.

    ─ Je veux venir Marthe moi aussi, je serai sage, je ne bougerai pas et je ne dirai rien du tout !

    ─ Je t’ai expliqué hier soir Jeannou, que tu étais encore trop petite, mais bientôt, on ira toutes les deux, ensemble, comme mes doigts de la main, levant cette dernière en serrant l’index et le majeur. Ne pleure pas, ce ne sera pas tous les jours, il y aura les vacances, les jeudis et dimanches, puis tu viendras m’attendre pour seize heures ! Et chaque soir, je te montrerai tout ce que j’aurai appris, comme ça, tu sauras tout quand ce sera ton tour !

    Alors Jeanne se consola de cette promesse, imaginant sa soeur lire chaque soir en lui apprenant les lettres, les chiffres, lui montrant ses beaux livres d’écoles.

    Oui, c’était entendu, elle l’attendrait chaque après-midi sur la place du village à 16 heures pétantes !

    Marthe fut accueillie chaleureusement. Elle connaissait une grosse partie de la quinzaine de filles entre six et treize ans présentes dans la classe. La maîtresse la présenta à haute voix en déclinant ses nom et prénom et l’invitant à prendre place à une table libre au deuxième rang.

    Son bureau sentait bon la cire et quelques taches d’encre bleue avaient résisté à la paille de fer. Marthe caressa le bois lisse et brillant, se jurant de ne jamais l’abîmer par des rayures ou des souillures intempestives.

    ─ Aujourd’hui, nous allons aider Marthe à fabriquer un sac en toile. D’abord choisir le tissu, ensuite le patron et nous coudrons, précisa l’enseignante cordialement.

    Le coeur de Marthe se gonflait de joie. Un objet pour elle, rien qu’à elle. Surtout, il lui fallait bien regarder pour savoir en faire un pour sa petite Jeannou quand viendra son tour d’aller à l’école.

    L’euphorie fut contagieuse, chacune des filles voulant à qui mieux mieux démontrer ses talents de couturière. Le sac à bandoulière entièrement doublé pour en être que plus solide, au rabat fixé par un gros bouton noir, était magnifique. Marthe avait choisi une toile épaisse à rayures grises et noires, lui rappelant celle d’un matelas de laine. Une bandoulière noire fut réalisée avec trois gros cordons de coton tressés et solidement fixés, et pour finir, une jolie petite poche en tissu noir fut élégamment fixée sur le devant, faisant de ce sac un vrai chef-d’oeuvre aux yeux de l’élève. Une petite journée en atelier avait suffi à le confectionner. Elle remercia chaleureusement toutes les élèves l’ayant aidé.

    Comme elle était heureuse, Marthe, et tellement désireuse de vite apprendre à faire de belles choses…

    La fin de journée arriva bien trop vite, même si Marthe pensa plusieurs fois à sa petite soeur qui avait dû s’ennuyer et tourner en rond dans la maison.

    « Comment sa mère se sera-t-elle comportée avec sa petite dernière ? Qu’aura-t-elle mangé ? Quelles corvées lui aura-t-elle infligées ? », pensait secrètement Marthe.

    Ce fut mademoiselle Inserguet qui la tira de ses pensées alors que la cloche venait d’être tirée par une élève, ce qui signifiait que la journée était terminée.

    Chaque matin, l’institutrice désignait, à tour de rôle, une responsable pour sonner l’heure de rentrée, de sortie, ainsi que les récréations. On devait tirer énergiquement six fois de suite sur la longue chaîne reliant une cloche de taille moyenne, mais d’une sonorité abasourdissante, fixée à l’extérieur de la porte de service.

    Comme il tardait à Marthe d’être bientôt affectée à cette tâche !

    ─ Marthe, ma petite, accorde moi cinq minutes, j’ai des choses à te donner veux-tu ?

    ─ Bien mademoiselle, prenant son sac vide et approchant du bureau.

    Les filles sortirent en rang calmement, n’omettant pas de saluer maîtresse et élève au passage.

    ─ Alors cette première journée Marthe, tu as l’air épanouie !

    ─ Oh

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