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L’océan en bouteille
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Livre électronique178 pages2 heures

L’océan en bouteille

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À propos de ce livre électronique

En 1978, une vague de révolte écologique secoue les océans, propulsant sur le devant de la scène des acteurs majeurs de ce mouvement à l’échelle mondiale. Dans le même temps, deux inconnus se sauvent la vie sans jamais se rencontrer, amorçant ainsi une correspondance mystérieuse où leurs identités restent soigneusement dissimulées. Leur destin se trouve alors étroitement lié à celui d’un navire qui s’apprête à marquer l’histoire à jamais.


À PROPOS DE L'AUTRICE

Fortement touchée par la cause des animaux, Estelle Thibeaud choisit de prendre la parole et d’utiliser sa plume pour les défendre, car pour elle, ce sont eux qui en ont le plus besoin. Dans cette lutte inégale pour le droit à la vie, elle se pose en défenseuse charismatique des êtres les plus vulnérables de la nature.
LangueFrançais
Date de sortie6 mai 2024
ISBN9791042228347
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    Aperçu du livre

    L’océan en bouteille - Estelle Thibeaud

    Dix ans plus tôt

    Festin funeste

    Dans cette famille, on ne manque jamais une occasion pour faire la fête. Un grand festin avait été organisé. C’était l’anniversaire de Trévin. Du haut de ses dix ans, il était le fils aîné de la famille Rochefer. De nombreux préparatifs exécutés la veille avaient donné lieu à cet honorable banquet.

    La famille entière s’était déplacée pour l’évènement.

    Le logement, situé entre deux gros rochers, était difficilement visible pour celui qui n’en connaissait pas les lieux. Dissimulé derrière une lourde végétation épaisse, la porte d’entrée, ainsi que ses ouvertures étaient difficilement discernables pour un œil novice.

    La maison étroite et peu profonde se composait de deux pièces au rez-de-chaussée et d’un grand dortoir à l’étage, où l’ensemble de la famille dormait agglutinée les uns contre les autres, à la nuit tombée.

    Contrairement à la salle à manger, la cuisine presque vide se trouvait sur le derrière de la maison. Le contenu retiré de son ventre, seule une marmite encore bouillante trônait par terre. Le salon, assombri par la foule, bouillait de vie, grouillait de monde. Une longue table divinement montée aux couleurs harmonieuses promettait un souper luxueux. Une vingtaine de chaises, toutes occupées par leur convive respectif, se perdaient dans la pénombre de la pièce.

    Des bougies avaient été allumées pour l’occasion. À mesure que les flammes s’élevaient lentement, elles éclairaient toutes choses d’une lumière aquarelle. Cette ponctuation de loupiottes, semblable à une pluie d’automne, dévoilait peu à peu dans un jeu d’ombre et de lumière, le festin exposé sur la grande table. Les légumes entassés dans de grands réceptacles éclataient maintenant de leurs couleurs contrastées. Du vert noyé des poivrons, au rouge éclatant des tomates, au jaune doré du citron, jusqu’aux notes plus pâles du navet, toutes les couleurs se mariaient. Les salades ouvertes laissaient leurs cœurs embraser le reste. L’abondance était de mise. Hâte que le repas commence, un petit enfant tapait des mains devant ce spectacle.

    À mesure de l’arrivée des convives, le brouhaha ne cessait de s’intensifier. On leur servait l’apéritif à tour de bras, pourvu que les verres ne soient jamais vides. Si tel était le cas, chacun attendait la prochaine vague en levant haut le bras pour exposer le cristal évidé. Ce jour-là, le vin blanc et le rosé coulèrent à flots. Chacun y allait de son pronostic, quant à la durée d’attente, avant de pouvoir s’installer pour déguster ce mets tant désiré. Pour les faire patienter, de petits feuilletés à la viande et des amuse-gueules avaient été servis copieusement dans l’argenterie et la porcelaine disposées sur le buffet familial. À peine dressé, que de grosses mains avides venaient les expédier dans de grandes cavités cariées.

    Finalement, le signe tant attendu de s’asseoir arriva par la maîtresse des lieux et tous prirent place sans se faire prier autour de la tablée. Très vite, le bruit des tintements des couverts en argent claqua sur la porcelaine. Dès lors, ce bourdonnement fit accueil à l’arrivée des douceurs sur la tablée. C’est quand les invités virent par l’entrebâillement de la porte de cuisine, la marmite fumante, qu’une clameur rauque, à en faire trembler la toiture, envoûta la maison.

    Posée soudainement au centre de la table, la sauce coulait sous le couvercle. Au milieu de l’impatience qui redoublait, certains firent craquer leur chaise sous le poids de l’excitation pendant que d’autres, battant des bras sous le nez de leur voisin, tentaient d’approcher au mieux leur écuelle du réceptacle central pour être servi en premier.

    On pouvait maintenant assister à la lueur des rayons de la lune à un spectacle bien déconcertant. Sans l’ombre d’un frisson, ou d’une quelconque prise de conscience, comme on étale un gros gibier sur l’étalage, un homme récemment mort gisait au milieu de la table. L’homme, abandonné dans sa souffrance, en position fœtale, laissait dépasser du couvercle, sa tête ou une tignasse noire de cheveux crépus apparaissait. L’homme avait été choisi grand pour satisfaire l’estomac de tous. Et la matinée avait été rudement occupée à faire cuir tous les sacs de ces moules qui flottaient elles aussi dans ce grand plat plein de sauce. Des cris de joie retentirent à la vue de la viande rouge. Comment une famille habituellement si éduquée, pouvait oublier toute retenue à l’odeur de la chair ? Nous nous serions crus dans une foire. On vidait le plat à grand coup de pelle, tachant la nappe au passage de grandes alvéoles noirâtres.

    Dans des craquements sourds, on détachait les mains du malheureux, on se disputait le morceau le plus garni. Certains voulaient du ventre et de l’épaule, d’autres s’attaquaient à la tête, faisant craquer la mâchoire pour l’extraire, tout en certifiant que les joues étaient savoureuses. La bouche tordue, et les cheveux, maintenant éparpillés en motte sur la table, en quelques minutes seulement, le malheureux devint totalement démembré et n’avait plus aucune similitude avec son apparence initiale. La peau rougie par le feu, une plaisanterie au goût douteux le compara à une écrevisse.

    Quand enfin les dames furent servies, les hommes se précipitèrent sur les louches afin de remplir au maximum leurs assiettes de sauce aux moules.

    Dans la salle à manger, il y a des hommes qui chantent pendant que gît un marin.

    L’un se servait les oreilles, pendant que d’autres exprimaient une joie effrayante à imiter les pleurs entendus récemment lorsque ce jeune marin agonisait.

    Le linge de la nappe s’ensanglantait à mesure que les mains graisseuses venaient s’essuyer dessus.

    Un peu à l’écart, son assiette restée vide, une jeune femme éprouvait un vif pincement au cœur à chaque seconde qui s’écoulait. Elle était incapable de prendre part aux festivités. Ses pensées, infiniment tristes, ne pouvaient faire taire le bruit sourd de ces hommes affamés qui se languissaient, de tant de cruauté.

    — Donnez-le-moi ! Donnez-le-moi, vous dis-je de ce bout d’épaule, je n’en ai pas eu assez !

    Devant le reste de la dépouille de l’innocent, la jeune fille se fit le serment que ce serait le dernier. Elle éprouvait une vive honte pour ses frères et sœurs.

    La troupe se levait et se rasseyait dans des aller-retour incessants pour remplir leur verre de liqueur tel des cannibales dansant en rond autour de leur prisonnier. Leurs dents luisaient maintenant au clair de lune et on parlait des enfants qui bouillaient encore pour le dessert, dans la marmite, sans en avoir l’air désolé. Bientôt, dans un tonnerre d’applaudissements, ceux-ci seraient également servis à table. Les portes de la cuisine s’ouvriront et la cuisinière des lieux apportera de nouveau, dans un bruit assourdissant de tempête, le reste de ce festin funeste.

    La jeune femme retenait maintenant ses larmes. Elle paraissait souffrir profondément et éprouvait une sincère pitié pour ce jeune homme, qu’elle voyait… inerte. Et comme elle le regardait, seuls, deux grands yeux vides la fixaient, témoignant silencieusement des conditions d’abatage difficiles, dont il avait été la victime.

    Une fois les bambins engloutis, les ventres des invités s’arrondirent. C’est quand la digestion vint à peser que le bruit des discussions s’estompa. Leurs grosses mains raclaient leurs auges pour ne laisser aucun reste. Chacun frappant sa panse d’une lourde main sans vergogne, ils riaient en rotant. Aucune retenue, aucun regret. Les convives ne tarissaient pas d’éloges sur la nature de leur prise et tous, la savouraient maintenant silencieusement. Dans un murmure, elle était parfois jugée savoureuse, délicieuse, juteuse. Il ne resta bientôt plus rien sur la table. Ni enfant ni marin. Même les os avaient été méticuleusement rongés.

    Les cages thoraciques des poitrines avaient été vidées de toutes leurs entrailles et gisaient piteusement aux côtés des têtes qui n’avaient plus aucun reste de peau. Tous endormis, les convives rassasiés ronflaient maintenant à gorge déployée.

    Tous alanguis, la scène semblait maintenant immobile à l’exception de Trévin. Trévin était un petit garçon de nature toujours très discrète. Il parlait peu et se montrait très timide avec les siens. Il pouvait se montrer totalement muet avec les personnes qu’il ne connaissait pas. Sa chevelure blond vénitien et sa maigreur sans pareil lui donnaient l’aspect d’un petit épouvantail. Ce petit garçon, dont la bouche fine et la peau encore délicate annonçait la jeunesse, avait l’air fragile. Ce soir-là, pourtant, dans le salon, le jeune garçon dansait, tournait et virevoltait. Son haleine lourde traduisait une mauvaise conduite. À son âge, il buvait sans vergogne plus que de raison et ramenait son vice jusqu’au paroxysme de l’indécence. Il s’alcoolisait, à la santé de leurs prochaines victimes, qui viendraient d’ici et d’ailleurs, garnir sa table pour ses prochains anniversaires.

    Personne ne jeta un regard, sur cette jeune fille triste qui se levait et prenait congé des lieux. Longeant silencieusement ces grappes d’hommes endormis, elle se dirigea lentement vers la porte. Le cœur lourd, la gorge nouée et le ventre empli de spasmes tant elle avait pleuré, dans l’indifférence la plus totale. Elle n’en pouvait plus. Lentement et pour la dernière fois, elle les dévisagea dans une grimace douloureuse, avant de ne plus se retourner. C’est quand un terrible orage claqua qu’elle prit congé et passa le seuil pour la dernière fois. Elle ne parvenait plus à supporter ce spectacle. Des hommes mangeant des hommes…

    Quand la nuit tomba et que l’air se vida, de toute chaleur, l’obscurité se creusa et il lui fallut une véritable raison pour continuer à avancer. Si on n’aperçoit pas au fond du tunnel, la lumière de l’espoir, pour vous guider, une lueur mourante causera votre perte. Pour cette jeune fille, ce fut tout le contraire. Poussée par une force qu’elle n’avait jamais soupçonnée, elle brûlait d’impatience de trouer l’ombre obscure des ténèbres. Personne n’avait fait attention à son ombre silencieuse, qui disparaissait. Pour ne pas garder en mémoire le souvenir de ce qui ne serait plus, elle s’était promis de ne plus jamais se retourner… Elle était surprise, de voir, avec quelle facilité, elle parvenait à exaucer cette promesse. Le cœur battant ardemment vers l’inconnu, elle savait avoir fait le bon choix. Il est certain que quelque chose de meilleur, de plus beau, l’attendait. Après avoir laissé tant de choses sordides derrière elle, il ne pouvait en être autrement. À mesure que les mètres et la distance se déroulaient sous elle, elle sentait l’éloignement d’une emprise. Pour commencer, sa respiration devenait plus sereine, moins saccadée. Elle respirait maintenant à plein poumon, sans aucune douleur. Sa gorge, qui était depuis la veille nouée, commençait à lui faire moins mal. Loin des siens, ELLE REVIVAIT. Sans savoir où elle allait, sa vie commençait à nouveau, enfin !

    La famille qu’elle fuyait était dirigée par Zirios, secondé de sa femme Téréna.

    Elle n’était que leur fille adoptive depuis maintenant trop longtemps. C’est à son arrivée au sein de cette famille, qu’elle fut prénommée Li-na. Dictée à la hâte, par la nécessité de se soumettre à ce lien de parenté, imposé par la perte de sa mère quelques mois plus tôt, elle savait que la distance l’aiderait à briser celui-ci. Exiger d’elle de se présenter comme leur fille était une souffrance mille fois pleurée.

    Zirios et Téréna avaient eu un fils, Trévin. L’enfant roi par excellence, à qui on ne formule aucun refus, de peur d’attiser sa houle colérique. Trévin se comportait avec son entourage comme un roi avec ses sujets. Parfois, en véritable tyran, il savait mener son monde comme il le souhaitait. Beaucoup avaient tenté diverses méthodes, en vain. Rester calme, lui faire accepter son sentiment de frustration, lui fixer des limites claires, tenter de changer son point de vue en lui montrant d’autres exemples… Rien n’y fit. En un mot, Trévin refusait l’autorité, ce qui lui valut une certaine distance avec les autres enfants de son âge qui ne supportaient pas ce comportement. Non loin de le mettre en porte à faux ; cette solitude le conforta dans l’illusion d’être seul au monde. L’égoïsme, par excellence et dans toute sa splendeur.

    Dans cette famille adoptive, Zirios était incontestablement le maître des lieux. Épaulé religieusement et de façon assidue par Téréna, sa fidèle épouse, il était craint et respecté

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