L'université du futur: Idées et réflexions à l'intention des professeurs de demain
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À propos de ce livre électronique
Cet ouvrage collectif rassemble une dizaine de textes qui, sous des angles tout aussi diversifiés que complémentaires, proposent des réflexions sur l’avenir de l’université. On y aborde notamment des thèmes comme l’insertion professionnelle, l’équité entre les genres, les frontières entre les disciplines, la collaboration, le bien-être et la persévérance dans les études, la place du numérique et de l’intelligence artificielle, etc.
Nous reprenons la formule éprouvée dans le cadre d’un précédent ouvrage collectif, à savoir un format d’écriture décontracté, en comparaison avec le classicisme des articles de recherche.
Le présent ouvrage se veut une invitation à l’intention particulière de la relève professorale, mais concerne évidemment toute personne intéressée par le futur de l’université. Il propose des jalons pour alimenter échanges et débats sur les finalités qu’on devrait y poursuivre ainsi que les modalités pour les atteindre. Le tout, espérons-le, dans une conviviale collégialité.
En savoir plus sur Stéphane Allaire
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Aperçu du livre
L'université du futur - Stéphane Allaire
Introduction
Frédéric Deschenaux et Stéphane Allaire
1 / Une mise en contexte
Institution millénaire plutôt stable, l’université est marquée depuis nombre d’années par des tendances qui en accélèrent le changement. Pensons, par exemple, à la transformation de la recherche ainsi qu’à la démocratisation et à l’accessibilité des connaissances. Aux préoccupations relatives à la liberté universitaire et à son autonomie. Aux défis financiers qui, notamment, mettent une pression accrue sur le recrutement d’étudiants. À l’essor du numérique, de l’intelligence artificielle et à leurs conséquences sur plusieurs plans. À la diversification des effectifs étudiants et de leurs besoins, tout comme celle des modes de formation.
La situation est telle qu’à la demande du gouvernement, une vaste consultation¹ a été déployée au Québec en 2019. Un groupe de travail sous la responsabilité du scientifique en chef du Québec, Rémi Quirion, a dévoilé un rapport sur l’université du futur, organisé autour de trois grands enjeux :
Collaborer tous azimuts pour optimiser les apports novateurs à la société ;
Captiver pour réussir la formation ;
Orchestrer savoir et société.
Ces enjeux touchent l’ensemble de la communauté universitaire, mais plus particulièrement les recrues dans la carrière professorale ou encore les aspirantes ou aspirants professeurs. En effet, leur statut de nouvel entrant dans le champ universitaire leur confère une place privilégiée, aux premières loges de la transformation de l’université.
C’est pourquoi nous avons souhaité reproduire une démarche déjà éprouvée dans un autre ouvrage collectif destiné à la relève professorale (Allaire et Deschenaux, 2022). Au début de l’année 2023, un appel de textes a circulé dans divers réseaux universitaires, dont principalement celui des Fonds de recherche du Québec. Des textes à propos des trois enjeux mentionnés précédemment ont été sollicités et une vingtaine de propositions ont été reçues. Elles ont été évaluées à partir de différents critères, dont la diversité des thématiques et des champs disciplinaires, la diversité d’expérience en milieu universitaire (début, milieu et fin de carrière), tout en ayant en tête de diversifier le rattachement institutionnel et le genre des auteures et auteurs. Les dix textes retenus répondent à ces critères.
2 / Les objectifs de cet ouvrage
Cet ouvrage collectif vise à partager des idées et des réflexions sur l’université du futur à l’intention particulière des aspirantes et aspirants à la carrière professorale, des nouvelles et nouveaux professeurs, mais pourquoi pas aussi à l’ensemble de la communauté universitaire ? Après tout, devant le changement, ne redevenons-nous pas tous un peu apprentis ? En suivant le même objectif que notre précédent ouvrage (Allaire et Deschenaux, 2022), nous souhaitons offrir des occasions de réflexion pour aider le public cible à développer un regard critique sur les importants enjeux qui définissent l’université du futur.
3 / Une présentation des textes et des clés de lecture pour la relève professorale
Présentons ici les textes qui composent cet ouvrage en se demandant ce qu’on peut en retenir pour la relève professorale.
Le premier texte, celui d’Hébert, s’inscrit dans une logique différente des autres, car nous l’avons sollicité afin qu’il porte un regard critique sur la définition de l’université à travers des essais publiés ces 30 dernières années qui traitent de cette vénérable institution. À la suite de son analyse, Hébert note un rapprochement avec les principes de gouvernance des entreprises et leurs conséquences délétères pour, notamment, la collégialité. En effet, qui est le patron des professeurs d’université ? Les recrues dans la carrière professorale peuvent en avoir une vision faussée. Elles peuvent penser qu’elles ne sont que des employées parmi d’autres s’inscrivant dans une hiérarchie identique à celle que l’on trouverait dans une entreprise. Or, cette conception managériale laisse en plan la collégialité, qui constitue pourtant – ou devrait constituer – la pierre angulaire de la vie universitaire. En somme, après avoir porté un regard rétrospectif sur l’université, la table est mise pour discuter de l’université du futur.
Ainsi, le premier bloc de textes issus de l’appel à contributions aborde des considérations générales à propos de l’université.
Le texte de Beaulieu et Nolla traite de l’insertion dans la carrière professorale en abordant l’idéalisation et le désenchantement que cette transition professionnelle peut impliquer. En effet, ils explorent différentes facettes de la carrière professorale, en mettant en lumière l’idéalisation initiale de la profession, le choc de la réalité et les défis auxquels les nouveaux professeurs et professeures peuvent être confrontés lors de leur insertion professionnelle.
Puis Moreau et Dumouchel abordent la question de l’équité entre les genres à l’université, en discutant notamment des critères utilisés pour juger de la performance des professeures et professeurs. Encore ici, la question de la collégialité s’invite dans la discussion. En effet, les critères d’évaluation de la tâche professorale ou de la qualité des projets de recherche dans les demandes de subvention doivent être définis de façon collégiale, mais surtout, utilisés en collégialité. Qu’est-ce que cela veut dire, concrètement ? Cela signifie qu’un critère jugé discriminatoire devrait être discuté entre les membres du corps professoral et que les membres des comités d’évaluation devraient pouvoir discuter entre eux de la signification de ces critères et de la façon de les appliquer. En fait, les critères et exigences des concours ne devraient pas être perçus comme immuables. Ils relèvent d’une décision qui peut être revue. Ainsi, quand elle s’exerce adéquatement, la collégialité offre une prise sur leur réalité aux membres des comités ou des assemblées départementales. Ainsi, les perspectives énoncées dans le chapitre de Moreau et Dumouchel nous semblent pouvoir se concrétiser, tout au moins en partie, sans attendre une intervention extérieure de l’Université, avec une lettre majuscule.
On enchaine ensuite avec des textes qui abordent le premier enjeu du rapport sur l’université du futur, soit « Collaborer tous azimuts ».
Le texte de Montreuil aborde un enjeu qui semble faire partie intégrante de la définition de l’université, soit les frontières entre les disciplines. Il prend l’exemple de la science du social pour discuter du dépassement disciplinaire exposé dans le rapport sur l’université québécoise du futur. En effet, pour collaborer, il faut parler le même langage et reconnaître les mêmes enjeux afin d’arriver à dépasser les frontières disciplinaires. Des initiatives comme les concours de subvention qui obligent à l’interdisciplinarité constituent un pas dans la bonne direction, mais pourrait-on se demander, de quelle manière cet enjeu concerne-t-il précisément la relève professorale ? En parlant de ce concept, Bourdieu (2021) souligne que les derniers acteurs entrés dans un champ l’investissent avec de nouveaux idéaux, de nouvelles pratiques et, ce faisant, viennent bouleverser l’orthodoxie du champ. Sans ajouter une pression supplémentaire à la relève professorale, peut-on néanmoins penser que de nouvelles pratiques de recherche interdisciplinaires pourraient infléchir certaines pratiques en apparence immuables ?
Ensuite, le texte de Tremblay, Trépanier et Banville met en évidence l’apport des cégeps dans l’accès à l’université et la nécessité de les inclure dans la réflexion sur l’université du futur. L’exemple d’une collaboration féconde entre deux établissements d’une même région en constitue une bonne illustration. La relève professorale gagnerait à garder en tête que le réseau collégial peut fournir d’excellentes occasions de partenariat, tant en recherche qu’en enseignement, voire que le réseau collégial peut s’avérer un levier privilégié pour le développement des universités sises en région.
Le texte de Nadeau-Tremblay et Thériault aborde une autre forme de collaboration, soit celle entre les professeurs et les personnes chargées de cours. En s’appuyant sur leur collaboration, les autrices arrivent à dégager des principes à valoriser afin de favoriser l’émergence de collaborations fécondes en enseignement, et ce, peu importe le statut des personnes impliquées. Ce texte n’est pas sans rappeler l’apport indéniable des personnes chargées de cours à l’enseignement universitaire.
Par la suite, les textes abordent le deuxième enjeu du rapport sur l’université du futur, soit « Captiver pour réussir la formation ».
Le chapitre de B-Lamoureux, Samson, Martin-Jean, Duchaine et Laforme présente un caractère inédit, car il est écrit par et pour les étudiantes et les étudiants. Il aborde la question du bien-être et de la persévérance étudiante en soulevant des pistes de réflexion pour une université du futur plus inclusive et équitable. À plusieurs égards, ce texte semble utopique tant les éléments qui y sont discutés apparaissent ancrés dans les mentalités universitaires, comme la compétition. Or, l’utopie n’est pas inutile dans une réflexion sur l’université du futur. Pour reprendre les propos d’Eduardo Galeano que cite Baby (2017) dans l’avant-propos de son ouvrage : « L’utopie est à l’horizon. Je fais deux pas en avant, elle s’éloigne de deux pas. Je fais dix pas de plus, elle s’éloigne de dix pas. Aussi loin que je puisse marcher, je ne l’atteindrai jamais. Alors à quoi sert l’utopie ? À faire avancer. » Les changements souhaités par ce collectif d’auteurs ont très certainement le mérite de soulever des enjeux réels qui demandent des réponses de la part des universités, certes, mais également des individus qui les composent, notamment les membres actuels des corps professoraux.
Le texte de Davidson et Charbonneau traite de l’intelligence artificielle générative, un sujet fort d’actualité. Cette avancée technologique pose des enjeux et des défis, mais ouvre également de multiples possibilités jusqu’ici inenvisageables. La relève professorale devra sans conteste composer avec cette nouveauté qui bouleverse plusieurs pans de l’université. Et ce n’est sans doute que le début…
Le texte de Myre-Bisaillon prend la forme d’une réflexion personnelle basée sur une vingtaine d’années d’expérience en enseignement universitaire. Elle y décrit un certain désengagement à l’égard de la technologie, qui viendrait nuire à la construction du lien social nécessaire pour un enseignement épanouissant. Elle y prodigue à l’égard de la relève professorale des conseils qui semblent audacieux en cette ère où la productivité et l’innovation sont très valorisées, dont celui-ci qui semble subversif : « ralentir ».
Finalement, les derniers textes concernent le troisième enjeu du rapport sur l’université du futur, soit « Orchestrer savoir et société ».
Le texte de Duplàa cadre la réflexion dans le contexte de la quatrième révolution industrielle provoquée notamment par le développement de l’intelligence artificielle, des réseaux informatiques et des nouvelles formes d’énergie pour aborder plus précisément l’enjeu du financement des universités, de la massification de l’évaluation et de la différenciation pédagogique. Ces enjeux touchent inévitablement la relève professorale, qui devra composer avec ces réalités en accélération.
Le texte de Point prend le contre-pied de ceux qui abordent la question de l’intelligence artificielle en discutant du tournant numérique qu’a pris l’université en réponse à la pandémie de COVID-19, laquelle a entraîné le confinement et la fermeture des universités. Il en développe de manière détaillée les enjeux sous l’angle de la philosophie en valorisant l’importance des espaces physiques d’échange entre les membres de la communauté universitaire. Il propose des réflexions qui semblent incontournables face au virage numérique des universités qui pourrait s’accélérer. Dans ce contexte, la relève professorale devra se positionner sur ces enjeux et établir des façons de faire qui tiennent compte autant du développement des technologies que de leurs aspirations personnelles et professionnelles dans ce qui constituera alors leur réalité professionnelle.
En conclusion, nous reprenons le clavier pour rapporter ce que les outils d’intelligence artificielle générative ont à dire sur l’université du futur. Cet exercice conclusif se termine sur la présentation de quelques réflexions, humaines cette fois-ci, tirées des textes, mais également de notre expérience d’universitaires à la mi-carrière.
Bibliographie
Allaire, S. et Deschenaux, F. (dir.) (2022). Récits de professeurs d’université à mi-carrière : si c'était à refaire… Presses de l’Université du Québec.
1
Chapitre 1 /
Malaise dans l’institution
Les « essais » sur l’université québécoise (1995-2023)
Pierre Hébert
L’université est un lieu où se pensent l’humain, la nature, la société ; mais elle est aussi le lieu où elle peut et doit se penser elle-même. Institution séculaire, elle a pour première responsabilité de… se maintenir. François Ricard avance cette fonction inusitée : « l’université, avant d’être au service du savoir ou de la société, est au service d’elle-même et de sa propre conservation. Elle est à elle-même sa propre fin » (Ricard, 1985, p. 83). Or une telle exigence lui impose de se tenir à distance de la rumeur publique. Mais est-ce bien le cas ? « L’université n’accepte plus le dépaysement. Elle veut tout au contraire coller au présent, quand ce n’est pas carrément le devancer. […] Au lieu d’être le lieu du retrait et de la conservation qu’elle fut, elle est devenue une gigantesque machine qui épouse sans discrimination le rythme et les modes de l’ensemble de la société » (Tanguay, 2008). Propos judicieux, éclairants ? Ou nostalgiques, ringards ? Plus largement, comment l’institution universitaire se pense-t-elle ? Je propose de brosser son portrait au moyen d’une lecture critique des « essais universitaires », c’est-à-dire des ouvrages qui prennent pour objet l’université elle-même.
1 / Par où commencer ?
Depuis ses balbutiements au XIXe siècle, l’université québécoise n’a cessé d’exercer son cogito. Il s'agit de consulter L’idée d’université (Corbo, 2001), recueil de textes de 1770 à 1970, pour mesurer la permanence de ce discours autoréférentiel, mais aussi la diversité, voire la confrontation de multiples points de vue. Dans ce chapitre, je souhaite me concentrer ici sur la période contemporaine ; mais où, justement, en fixer le début ?
Le tournant de l’an 2000 marque un virage critique pour l’université québécoise. Placée dans une situation de faiblesse à la suite de coupes budgétaires draconiennes au milieu des années 1990, elle a dû troquer une part de son autonomie en faisant succéder à ces coupes une dénaturation de sa fonction :
Au lieu d’un réinvestissement dans le financement de base des universités accompagné d’une révision en profondeur de la formule de financement […], nous avons eu droit aux « contrats de performance » et à la création de divers programmes ciblés et d’organismes de soutien à la recherche, selon une optique d’excellence, de compétitivité et de commercialisation, tels que les Chaires de recherche du Canada, la Fondation canadienne pour l’Innovation, Valorisation-Recherche Québec, etc. (Lebuis, dans Syndicat des professeurs de l’Université du Québec à Montréal [SPUQ], 2006, p. 58).
L’université a connu son « bogue de l’an 2000 », annoncé quelque cinq ans plus tôt. Se sont amorcées pour elle les « Trente douloureuses » ; voici pourquoi.
2 / Corpus dolorosus
La quantité d’essais universitaires parus au Québec depuis 1995 est impressionnante : 49 en tout¹. Cette abondance d’ouvrages, qui deviendrait innombrable si l’on ajoutait les articles de revues, de journaux, les mémoires, rapports, etc., témoigne assurément d’un malaise dans l’institution universitaire.
Est-il possible de classer ces essais, de faire saillir des tendances ? Leur distribution chronologique (tableau 1.1) jette un premier éclairage.
TABLEAU 1.1 / Distribution des essais rédigés sur le milieu universitaire depuis 1995
On relève trois temps forts : 1999-2001 (7 titres en 3 ans) ; 2011-2015 (14 titres en 5 ans) ; et 2019-2023 (13 titres en 5 ans). Autrement dit, 69 % des titres paraissent sur 44 % de la période 1995-2023.
Ce triptyque correspond à des « moments historiques » importants :
1 1998-2002 : Création des Chaires de recherche du Canada, des bourses du millénaire et des contrats de performance ;
2 2011-2016 : Printemps érable ;
3 2019-2022 : Liberté universitaire.
Au départ, je m’étais proposé de voir comment les ouvrages abordaient ce triptyque. Après réflexion, il m’a semblé plus pertinent d’adopter une approche diachronique avec l’intention de répondre à cette question : y a-t-il des thèmes que la majorité des essais traitent en grande partie, voire en totalité, entre 1995 et 2023 ? J’en ai identifié trois : 1) les rapports entre l’État et l’université ; 2) la gouvernance et la vision entrepreneuriale ; 3) l’université comme service public.
3 / Les rapports entre l’État et l’université
J’ai dit plusieurs fois que, dans l’Université catholique que j’ai connue au début de ma carrière de professeur, les interventions des autorités religieuses, réelles bien sûr, étaient cependant minimes et limitées en comparaison de ce que nous connaissons aujourd’hui de la part des organismes étatiques (Rocher, 1999, p. 6).
Que cette observation nous décille les yeux : offres de subvention ciblées, partenariats avec des ministères, politiques de recherche émanant d’un ministère à vocation économique et chaires de recherche structurant l’espace intellectuel ne sont que quelques-unes des interventions qui ont désormais établi la norme.
Au pouvoir depuis 1995, le Parti québécois entreprend sa croisade en vue d’atteindre le déficit zéro en l’an 2000. Concrètement, le corps professoral passe en moins de trois ans de 9 000 à 8 000 personnes, comme si l’Université du Québec à Montréal (UQAM) tout entière était disparue. Toutefois, à la fin des années 1990, le dollar revient