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Toronto, je t'aime
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Livre électronique189 pages2 heures

Toronto, je t'aime

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À propos de ce livre électronique

Raymond quitte le Bénin et arrive à Toronto, la ville reine, avec pour seul contact un ami d’enfance. Il y rencontre des « frères » de circonstance, pour qui les rapports à l’intégration et l’adaptation sont très nuancés. Heureusement qu’il y a Toronto, qu’il
aime, cette ville aux parfums qui lui sont si familiers, mais si lointains par moments aussi.
Toronto, je t’aime, est un magnifique roman aux accents et aux couleurs diversifiés, à l’image de cette ville dont l’auteur a su, dans une langue et un style bien ficelés, en tracer les contours physiques et sociologiques.
LangueFrançais
Date de sortie27 mars 2024
ISBN9782925133193
Toronto, je t'aime
Auteur

Didier Leclair

Didier Leclair, de son vrai nom Didier Kabagema, est né en 1967 à Montréal, au Canada, de parents rwandais. Il grandit dans différents pays d’Afrique francophone, notamment en République du Congo, au Togo, au Gabon et au Bénin. En 1987, il revient dans son pays de naissance et choisit de s’installer à Toronto pour poursuivre ses études universitaires. Didier est l’auteur de plusieurs romans dont Toronto, je t’aime qui a remporté le prix littéraire Trillium 2000. Ce titre est réédité plus de vingt ans après sa parution et vient d’être traduit en anglais par un éditeur torontois.

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    Aperçu du livre

    Toronto, je t'aime - Didier Leclair

    1

    Première impression

    La première impression que j’eus quand je la vis fut une sensation dense et haute en circonférence. Ce qui me frappa n’était pas ses yeux ou ses jambes ou encore sa démarche. Ceci pour la simple raison qu’elle a plusieurs yeux et qu’au sein d’elle se meut une multitude de vies. Elle me fascina du premier coup d’œil. Son image juvénile était une architecture ancrée dans la terre. Elle semblait avoir proliféré de façon vertigineuse et monumentale. Là, sous mes pieds, partait cette attraction de lignes, de courbes. Et je scrutai ce charivari de charpentes urbaines avec l’intensité et la préoccupation d’une âme sur le point de chavirer. Certes, je ne la connaissais pas encore, cette inconnue, et elle m’effrayait bien un peu. Mais tous les coups de foudre ont quelque chose de risqué. Ce fut une raison de plus pour tomber amoureux d’elle. Sans rien savoir d’elle, je l’imaginai telle que je voulais le faire, en lui collant des images présupposées qui lui allaient à ravir. Des images de films américains et de revues occidentales gravés à jamais dans ma mémoire. Les reflets du soleil sur elle me suggéraient une sorte de sanctuaire où ma vie allait mûrir. Il est vrai que tout ce qu’on écrit ou qu’on imprime est généralement en sa faveur. Les cartes postales, les publicités à la radio et à la télé sont toutes de son côté. Mais ce n’était pas seulement cet aspect exotique qui me conquit. Toronto m’absorba dès que j’y mis les pieds en m’enrobant violemment de ses vapeurs grisâtres d’usines, de ses arbres survivant en plein cœur d’elle-même. Cette ville nord-américaine savait que le tumulte de ses millions de vies claironnantes dans leur combat à polir leur existence me captiverait. Elle m’inséra si brutalement en elle qu’elle me séduisit sans que je sache ce qui m’attendait. Dès les premiers instants, Toronto me donna la mesure d’elle-même avec ses édifices grattant le ciel. Elle m’offrit son profil en pâture. C’était une sorte de gigantisme sauvage au milieu d’une mosaïque de couleurs.

    Les gazons des villas qui pullulent dans les banlieues, les fruits en bordure de trottoir, la blondeur satinée des femmes et bien d’autres bijoux d’un autre monde séduisirent mon regard affamé de tout.

    Je sais qu’aujourd’hui, ça peut paraître fou d’être amoureux d’une ville, vu qu’elles se copient toutes et se banalisent. Mais je ne peux le nier, j’aime Toronto. Je suis également averti que cela n’a pas de sens comparé à l’amour qu’un être a envers un autre.

    Mais du sort qui est le mien, je suis une victime consentante.

    Juillet 1995, j’arrivais enfin à Toronto, Canada. Ce n’était pas un jour splendide. Il faisait quelque peu maussade. Mais me trouver en Amérique du Nord me comblait de joie. Le sourire vague, la valise légère, je déambulais dans les allées de l’aéroport Pearson sans vraiment savoir où j’allais. Les Torontois étaient, à première vue, exactement comme je m’y attendais : un ensemble de diverses origines. Il y avait des gens en tenues costume-cravate ou turban-étoffe de soie ou encore rastas-bonnet bariolé. Je m’attendais à ce genre d’habillements à cause des nombreuses revues canadiennes que j’avais lues à Cotonou, au Bénin.

    Être l’un des milliers d’immigrants reçus fut un cadeau du ciel pour moi qui n’avais pas un sou. Ça voulait dire pouvoir manger trois repas par jour jusqu’à la fin de ma vie. Ça voulait dire aussi que je n’allais pas devenir un de ces métèques qui, refoulé par toutes les polices, rentre chez lui la faim au ventre et la honte dans les yeux. S’il y a une hantise qui habite tout voyageur allant vers une terre promise, c’est celle de ne jamais pouvoir s’y installer. Il est impossible, après, d’opérer un demi-tour. La terre d’origine n’est jamais plus ce qu’elle était. C’est comme si elle se doutait que vous aviez essayé de la déserter. J’en ai vu tellement de ces âmes qui échouent sur les côtes de pays prospères pour être refoulées comme le courant emporte l’épave ! Ces naufragés ont tous dans le regard ce voile déchiré par le caprice d’un vent qui déteste les rêves. Après l’expulsion, ils perdent le goût de vivre. Ils ne s’enflamment que pour des discussions qui leur rappellent des images volées de leur grande aventure avortée. J’eus pendant longtemps la phobie de finir avec cet air de bois sec qu’ont ces téméraires que les agents de l’immigration rejettent à tour de bras. Heureusement, ce ne fut pas mon cas.

    J’avais choisi Toronto, car je voulais revoir Eddy Kpatindé, un ami de longue date. Je lui avais envoyé une lettre annonçant mon arrivée. Ça faisait deux ans qu’il ne m’avait plus écrit et je n’étais plus sûr qu’il habitait encore dans cette ville. Mais j’avais décidé de tenter ma chance. Malheureusement, ce jour-là, je ne vis pas d’Eddy à l’aéroport Pearson. Je composai son numéro de téléphone et une voix étrangère me confirma qu’Eddy habitait toujours à la même adresse. Mais il était parti à Montréal pour une semaine. La voix masculine ajouta qu’ils étaient au courant de mon arrivée et qu’ils viendraient me chercher dans une trentaine de minutes.

    2

    En route pour la ville

    J’étais dans une Toyota blanche roulant à vive allure vers une destination inconnue. Complètement hébété par la circulation folle des automobilistes, j’avais un mal incroyable à cacher mon dépaysement aux deux personnes qui étaient venues me chercher. Je dus plusieurs fois me mordre les lèvres pour ne pas laisser sortir de ma bouche des cris d’étonnement et d’admiration. Le bitume, le béton et le verre. Tous ces éléments du modernisme et si imposants dans les villes d’Amérique du Nord forçaient mon respect par leur volume et leur fixité. Mais les feux synchronisés, les autobus vrombissants, la cohue des moteurs déchaînés sur l’autoroute finirent par m’abrutir quelque peu.

    Le conducteur de la Toyota n’avait pas dit un mot. Tandis que l’autre, à côté de lui, n’arrêtait pas de parler. Il m’est difficile de me souvenir de son long soliloque, car je n’y faisais pas attention. Joseph Dorsinville parlait pendant que mon esprit groggy était peu à peu hypnotisé par les tresses du chauffeur. Elles se tortillaient au moindre coup de frein. Joseph était plutôt grand de taille, imberbe et ses yeux marron clair contrastaient avec le noir mat de sa peau. Il semblait rieur et débonnaire et donnait l’air d’être sorti du Bronx avec son t-shirt de Malcolm X.

    Mes yeux quittèrent le dehors plein de vie et de mouvements pour fixer les cauris qui parsemaient la chevelure du chauffeur. Il ressemblait à un satellite illuminé convoyant vers une destination inconnue.

    Une grande fatigue s’abattit sur moi et j’eus du mal à voir ce qui m’entourait. Tout devenait flou et les mots de Joseph n’avaient plus vraiment de sens, juste un rythme, une intonation antillaise. Cet assoupissement fut le premier depuis mon départ. Mon état d’excitation avait atteint ses limites. Mes yeux se rouvrirent une dernière fois sur des affiches publicitaires. Elles avaient des couleurs vives, mais je ne gardai qu’une myriade d’étoiles accrochées à l’obscurité de mon sommeil.

    3

    L’arrivée chez Eddy

    La rue Finch, que je ne connaissais pas encore, eut sur moi un effet de retour à la réalité dans son aspect peu reluisant et insalubre. Des espaces ouverts laissaient voir un ciel nu comme la tête d’un roi sans couronne. Ils étaient parsemés de tours grisâtres et maussades. J’avais l’impression de voir des mâchoires édentées prêtes à se refermer sur moi. Il y avait, sur d’immenses aires de stationnement, des enfants qui couraient dans tous les sens. Ils s’accrochaient à un chariot de supermarché volé sûrement à un grand magasin des alentours. Nous nous garâmes dans la cohue des gamins excités. Je levai la tête pour scruter le sommet de l’immeuble devant lequel la voiture venait de stationner. C’était une tour immense et kilométrique. Entourée de quelques autres non loin, elle infligeait à ceux qui la regardaient le sentiment d’être des petits Poucets. Les balcons étroits se suivaient d’une façon rectiligne et continue dans une descente abrupte vers le sol. La peinture de ces immeubles s’écaillait à grands pans, ce qui me permit d’avoir une idée de ce qui m’attendait à l’intérieur.

    En fait, l’arrivée dans ces lieux tristes ne me coupa pas vraiment de mon enchantement d’être à Toronto. La pauvreté et les lieux misérables n’ont jamais su me surprendre. Ce qui me choqua était qu’Eddy, artiste talentueux et ambitieux, vive dans un endroit aussi démuni. La simple idée qu’il n’avait pas encore fait fureur dans le monde du cinéma me scandalisait. Bel homme, extroverti et très entreprenant, Eddy avait toujours été à mes yeux le prototype de celui qui irait loin. Il est vrai que je n’avais pas eu de nouvelles de lui depuis deux ans. En réalité, cette peur de le voir échouer n’était qu’un moyen de cacher ma terreur. Je me voyais déjà moisir dans un trou du même genre ! La hantise de mon propre échec augmentait à mesure que je marchais vers l’entrée de l’immeuble avec mes deux escortes. Juste avant de disparaître dans le couloir sombre, happé par le bâtiment monstrueux, j’aperçus des têtes hirsutes au bord des balcons étroits. Leurs yeux sans vie m’observaient avec la curiosité de locataires oisifs.

    Il grouillait beaucoup plus de monde à l’intérieur. C’était une fourmilière aux parois fines. On entendait aisément les voix discordantes des résidents au milieu d’activités domestiques. Les murs des corridors étaient tapissés d’un rouge bordeaux. La lumière glauque permettait à peine de voir le visage des gens qui défilaient dans ces couloirs étroits.

    On me fit entrer dans un appartement au septième étage. Joseph m’accompagna jusqu’à ma chambre. Dans la pièce, je remarquai qu’il y avait déjà les affaires d’une autre personne.

    — Voilà, tu fais comme chez toi, dit-il sans plus.

    C’était une chambre à un lit. Le désordre était si grand qu’on aurait pensé au passage récent d’un ouragan. Un archipel d’affiches tapissait les murs et leurs positions éparpillées, sans aucune notion de l’envers et de l’endroit, augmentaient l’esprit paranoïaque de la chambre. Voyant mon air ahuri, Joseph crut bon d’ajouter :

    — Ah ! C’est la chambre de Koffi. Tu peux utiliser le lit, il ne rentre que très tard le soir ou à l’aube. On verra après !

    Quand la porte se referma, je m’assis sur le petit lit. Je me demandais comment Eddy connaissait ces gens. Peut-être étaient-ils tous des artistes. De toute façon, je n’avais pas l’intention de me creuser la tête avec cette fatigue au corps. Je me couchai tout doucement en entendant encore le sifflement de mon avion dans les oreilles. J’avais été éprouvé par ce long trajet. Je sentais un vide en moi. Il m’était impossible de savoir ce que je faisais dans cette pièce. Mon esprit était aussi embrouillé que le désordre qui régnait dans la chambre. Cette immense sensation de n’appartenir à personne, d’être dans un no man’s land me troublait énormément. J’avais quitté le Bénin, mais j’étais convaincu de ne pas être encore tout à fait au Canada. Il y avait une partie de moi que je ne repossédais pas encore. Ce sentiment d’insécurité créa un abysse dans ma poitrine. J’eus des frissons sur ma peau comme des éclairs furtifs arrachés à la nuit. Je me mis à suffoquer et je sentais qu’au sein de mon torse, de lourds nuages gris s’étaient formés. Tout doucement, en attendant que je me retrouve entièrement, une pluie de larmes courut sur mes joues, traçant des lignes folles à l’affût d’une éclaircie.

    4

    Les héros de koffi

    À mon réveil, je restai quelques minutes étendu à écouter la rumeur de la grande rue venant de la fenêtre. Je passai en revue également les affiches de la pièce où je me trouvais. Martin Luther King figurait sur l’une d’entre elles avec cet air revendicateur que semblent avoir hérité tous les prédicateurs noirs américains. Malcolm X était aussi présent avec un doigt accusateur pointé sur l’objectif du photographe. Il y avait des slogans militants sous chaque photo couvrant les murs de la chambre. Bob Marley était contre le plafond et souriait, la guitare à la main. À gauche, on voyait Toussaint Louverture sur un cheval ; à droite, Lumumba en costume-cravate, Amilcar Cabral, et la liste continuait sur le moindre carré disponible. La brise acheva de me réveiller et je n’avais pas la moindre idée de l’heure qu’il était. Le jour avait l’air de ne pas vouloir laisser place à la nuit. Pour atteindre la fenêtre, il fallait contourner des piles de journaux au sol. Malgré la vitre ouverte, je sentis une odeur âcre. C’était une senteur de tabac qui me forçait à me racler la gorge tout le temps. En jetant un coup d’œil à la fenêtre, j’eus un choc. La hauteur était saisissante. Toronto était un immense territoire à perte de vue, sous des escadrilles de nuages blancs percés de

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