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Addictions
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Livre électronique170 pages2 heures

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À propos de ce livre électronique

Fervente adepte de télé-réalité, Mélanie décide de tenter sa chance en participant à l’émission Secret Story. Dix-sept ans plus tard, mariée et maman de deux enfants, elle se lance dans une carrière d’influenceuse, mettant en scène sa famille sur les réseaux sociaux. Cependant, tout bascule lorsque sa fille Fanny tombe gravement malade. Réussira-t-elle à concilier la gestion de son image en ligne et assumer pleinement son rôle de parent ?

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Très tôt attiré par les livres, Eddy Delarive a toujours vu en la littérature une manière de pénétrer le monde. Pour lui, elle est un moyen de découvrir des modes de vie et de comprendre les mécanismes psychologiques des personnages.
LangueFrançais
Date de sortie8 mars 2024
ISBN9791042216825
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    Aperçu du livre

    Addictions - Eddy Delarive

    Partie I

    Elle sortit son smartphone de sa poche. Après avoir nettoyé la lentille de la caméra, elle le plaça en bout de bras, puis ajusta le point de mire sur son visage, qu’elle inclina légèrement. Ensuite, sourire en coin, œil mi-clos, elle appuya sur le bouton flash. À l’aide d’un filtre, elle hâla son teint, affina ses lèvres, donna du volume à ses cheveux torsadés, ajouta de l’éclat à ses pupilles ; elle espéra ainsi grignoter deux mois sur ses dix-sept ans.

    Elle publia sa story, après l’avoir titrée : « Endemol, me voilà ! ».

    Elle anticipait déjà, ravie, les réactions étonnées de ses amis d’Instagram et de Facebook. Des likes, des émoticônes, des encouragements peut-être. Mais elle imaginait surtout les interrogations silencieuses, celles que l’on n’osait pas poser. Elle avait envisagé de partager un réel. Finalement, elle avait opté pour une photo et une brève légende : elle entendait susciter la curiosité de ses quelques abonnés.

    Elle ne fit pas attention aux passants qui la toisaient, interloqués. La démarche sûre, elle poussa la porte vitrée de l’imposant immeuble de la société de production.

    — J’ai rendez-vous à 10 h 30, dit-elle à la réceptionniste.

    — Et c’est pour ?

    — Un casting à Secret Story.

    Et vous êtes ?

    Mélanie Latour.

    — J’ai été agressée sexuellement.

    — C’est pas vendeur, répliqua immédiatement le producteur.

    Jusqu’ici, l’enthousiasme colorait sa voix. Sébastien, jusqu’ici, amène et doucereux, adopta un ton péremptoire.

    — Pour cette nouvelle saison, on veut quelque chose de positif, avec des messages forts, des messages qui font du bien. Il faut des secrets à la fois intrigants et touchants, il faut que le public s’identifie facilement aux candidats. Donc, les secrets qui parlent d’agressions, c’est touchy : le public risque de décrocher, hein Sarah ? ajouta-t-il en se tournant vers la directrice de casting, qui acquiesça silencieusement.

    — Je me suis dit, marmonna Mélanie, la tête basse, que parler des agressions sexuelles ou des viols dans une émission de divertissement, ça pouvait révolutionner le genre, faire avancer les choses…

    — Tu n’y es pas du tout !

    Sébastien bondit de sa chaise. Il posa ses poings sur ses hanches et fixa Mélanie d’un œil pénétrant. Au bout de quelques instants, il se détourna. Avec un mélange de curiosité et de crainte, Mélanie l’observait faire les cent pas derrière son bureau en faux marbre où figuraient une plante artificielle et un dossier de candidature.

    — Comprends bien que nous sommes désolés de ce qui t’est arrivé, hein Sarah ? Enfin, si c’est vraiment arrivé.

    — Ça pourrait être un bon secret…

    — Non ! Que ce soit avéré ou pas, les téléspectateurs ne veulent pas voir ça. Pas tous les jours, pas pendant quatorze semaines. Pour caricaturer un peu, il faut de la légèreté, de la diversité, des choses qui fassent revenir les téléspectateurs tous les soirs à 18 h. Par exemple, ils peuvent voter pour tel ou tel candidat. Et toi, pardon de te le dire comme ça, mais avec un tel secret, tu dégages dès le premier prime ! Parce qu’ils ont de la pitié pour toi, parce qu’ils ne s’identifient pas assez à toi, parce qu’ils estiment que ta place n’est pas ici. Et on ne veut surtout pas susciter de la compassion. Notre programme n’est pas calibré pour ça. Mais Sarah et moi, on croit en toi : on t’a contactée parce qu’on sent que tu es joueuse. On le voit sur tes stories. C’est cet aspect de toi qu’il faudra montrer dans la Maison des Secrets.

    — Et donc, ça veut dire que je suis reçue ?

    — D’abord, tu dois remplir cette fiche.

    Du bout de son index, il fit glisser le dossier de candidature. Mélanie le parcourut rapidement. Citez trois qualités. Citez trois défauts. Qu’avez-vous accompli dans votre vie ? Quels sont vos loisirs ? Avez-vous un rêve en particulier ? Avez-vous déjà été dans une émission ? Pourquoi voulez-vous participer à Secret Story ?

    — N’oublie pas la charte, c’est important.

    Effectivement, au verso, en une dizaine de paragraphes en petits caractères, se trouvait une clause de confidentialité, qu’elle signa sous le geste hâtif du producteur.

    — Suis-nous.

    Ils l’emmenèrent dans une salle attenante, fortement éclairée, équipée d’une caméra sur trépied en face d’un tabouret.

    — Instagram, c’est bien, commenta Sébastien. Mais est-ce que tu es télégénique ? Dans Secret Story, pas de filtre ; tu pourras pas régler les angles ou les prises de vue. D’où la vidéo que tu vas nous faire.

    Il désigna le tabouret, et Mélanie, légèrement prise au dépourvu, s’y installa.

    — Présente-toi.

    — Qu’est-ce que… Comment… Enfin, balbutia-t-elle.

    — Quels sont tes hobbies ? Est-ce que t’as une passion ? Quelles sont tes motivations ?

    Mélanie ne parvenait pas à démarrer. Les doigts crispés sur ses cuisses, elle tentait de mettre de l’ordre dans ses idées. Des hobbies, des passions… Comment se lancer sans tomber bêtement dans le cliché ?

    — J’aime beaucoup les animaux. J’ai d’ailleurs un chat de deux ans, il s’appelle Mowglie. Je souhaite devenir vétérinaire.

    Incitée par les hochements de tête vigoureux de Sébastien et Sarah, elle se détendit ; et, tandis que sa langue se déliait, elle songea aux millions d’yeux qui visionneraient sa présentation. Elle gagna ainsi en aisance ; par souci de spontanéité, elle transforma ses hésitations en pauses agrémentées de sourires, où elle paraissait réfléchir.

    — Pour moi, Secret Story est une aventure humaine. Mais ce sera aussi un jeu, et je suis très joueuse.

    Elle se leva. Elle se visualisa mentalement à l’écran : un corps svelte aux déhanchements marqués dans un jean déchiré aux genoux, des traits fins où se peignait le mystère, sur un fond de musique entraînante.

    — Non, non, reste assise, lui enjoignit Sébastien.

    — Je ne reculerai devant rien, car je n’ai qu’un objectif : gagner. Je plains le candidat qui essaiera de m’arrêter, car il n’y arrivera pas…

    — C’est très bien, interrompit-il, en se plaçant devant l’objectif et en éteignant la caméra. On va soumettre ta candidature à la chaîne et on te tiendra au courant, mais à mon avis… ça passe, hein Sarah ?

    La directrice de casting se fendit d’un sourire timide, puis ouvrit la porte.

    — On te rappellera.

    Allait-on la rappeler ? Elle consultait souvent son compte sur les réseaux sociaux. Des dizaines de commentaires accompagnaient sa dernière publication, tout en question, auxquels elle ne réagissait pas. C’est que, au fil des jours, s’étiolait l’espoir d’être retenue ; la flamme devenait flammèche. Elle s’était donnée tout entière, selon elle, conformément aux exigences du casting. Elle avait apporté sa pierre à l’édifice en proposant un secret ; même s’il avait été balayé, elle s’était montrée joueuse avant le jeu ! Devant la caméra sur trépied, elle s’était libérée du joug de la gêne ! Mais les dés étaient jetés, elle n’avait plus qu’à attendre.

    Un après-midi d’orage, alors qu’elle s’apprêtait à signaler son renoncement sur Instagram, elle reçut un coup de fil de Sébastien.

    — Bonne nouvelle pour toi, Mélanie ! s’exalta le producteur. Tu es prise !

    — Sérieux ?

    — Le plus sérieux du monde ! Prépare tes valises, tu embarques pour l’aventure !

    Elle s’éjecta de son lit, courut vers la fenêtre, qu’elle ouvrit largement. Un vent estival s’engouffra dans sa chambre. Au loin, le tonnerre grondait sourdement comme s’il se retenait ; des gouttes de pluie s’écrasaient mollement sur les sentiers chauds.

    — Attendez, mais comment… ?

    — Tu plais au directeur de la chaîne ! Il t’adore !

    — Une minute, j’ai du mal à…

    Mélanie éloigna son smartphone de son oreille. Elle aspira une grosse bouffée d’air. Une douleur pulsait au niveau de ses tempes au rythme de ses battements de cœur, une onde de chaleur irradiait tout son corps.

    — Tu es là ?

    — Oui. C’est juste que je réalise pas…

    Elle le fit parler, pour s’assurer qu’elle n’hallucinait pas.

    — Qu’est-ce Amazon Prime a apprécié chez moi ?

    — C’est un tout ! Ta personnalité, ton cran. Et puis, tu en veux, ça se voit !

    Un nouveau silence.

    — Cette année, poursuivit-il, le concept va prendre un tout nouveau tournant, et…

    Un bref instant, Mélanie crut déceler dans le ton du producteur une forme de peine, mais elle fut bientôt convaincue qu’il s’agissait d’un simple effet de son imagination, car lorsqu’il reprit la parole, sa voix s’en trouvait surexcitée.

    — Tu dois être là, avec nous ! C’est bon pour nous ? On t’enverra un SMS, on t’indiquera la marche à suivre. Sois prête à embarquer dans le courant de la semaine prochaine.

    Mélanie acquiesça, oubliant que le producteur ne pouvait la voir. Perdue dans ses pensées, elle imaginait la suite : l’annonce de sa participation sur les réseaux, la préparation à l’émission, la rencontre avec les autres joueurs, l’entrée dans la Maison des Secrets. Et puis…

    — Au fait, j’aurai quoi comme secret ?

    — Tu le sauras en temps voulu.

    — C’est quoi, ce nouveau tournant ?

    — Ça, c’est la surprise.

    Elle se tut. Elle comprit qu’on ne lui fournirait pas toutes les réponses : il fallait conserver une part d’inconnu dans tout ce gigantesque processus.

    — Dernière chose, reprit le producteur. La procédure veut que tu passes un entretien avec notre psychologue attitrée. Pour qu’elle valide ta candidature, ne lui parle pas surtout d’agression sexuelle ou de je ne sais quoi.

    Avant de devenir la mère de Mélanie, Hélène Marchand souhaitait faire carrière dans la cuisine. C’était, d’après elle, le seul modèle de réussite professionnelle proposé aux jeunes femmes de Tournan en Brie, quartier où elle avait grandi. Mais elle s’était entichée de Lucien Latour, un plombier qui s’était empressé de l’engrosser et qui lui passa alors la bague au doigt. Chez les Marchand, un mariage et un enfantement constituaient l’accomplissement ultime et une brillante conclusion dans la trajectoire d’une jeune femme ; Hélène faisait ainsi la fierté des Marchand. Mais, une fois ce cap franchi, ses rêves d’émancipation financière s’évanouirent ; ce qui s’apparentait à un solide projet de vie se réduisait à des écharpes de brume flottant dans les méandres de sa conscience. Elle dut abandonner ses études en CAP cuisine, dans lesquelles elle se débrouillait pourtant, elle dut consacrer ses journées à l’entretien du foyer, elle dut se priver de permis de conduire. Elle s’aligna sur les désirs du futur père, lequel les exprimait souvent, plus ou moins imbibé d’alcool. Qui allait s’occuper de l’enfant, lui qui travaillait douze heures par jour ? Quel intérêt de porter un maquillage, elle qui n’avait plus personne à qui plaire ?

    Hélène Latour détestait-elle son époux pour autant ? Il cochait toutes les cases : ses infidélités n’étaient plus à prouver ; certains collègues s’en amusaient ou l’en félicitaient au bistrot de la gare de Tournan. Il lui arrivait même d’être cru dans ses propos vis-à-vis de sa femme, surtout quand il avait bu, c’est-à-dire tous les soirs. Le peu d’amies qu’elle côtoyait – sous l’œil désapprobateur de son mari – lui recommandait bien de « tout plaquer » : mais, rétorquait-elle, partir pour aller où ? Elle ne voulait pas non plus que sa fille, encore toute petite, vive seule avec un père ivre ou sans père, dans un logement qui exhalait le tabac, où le papier peint se décollait des murs, où les carreaux étaient sales. Alors elle restait, peu importe qu’elle aimât Lucien ou pas. Dès lors, ses matinées s’enchaînèrent, plates comme des crêpes : elles consistaient en de longues promenades entre des bâtiments sinistres, dans une quiétude quasi mortelle ; et lorsqu’elle rentrait, l’après-midi, elle s’affalait sur le canapé, la tête bouillonnante de questions. Parfois, elle sanglotait, percluse d’une souffrance silencieuse. Comment plaire de nouveau à son volage de mari ? Comment assurer l’éducation de sa fille ? Alors, elle allumait la télévision : les émissions de cuisine, de coaching et de mode répondaient avec constance à toutes ses interrogations. Aussi, grâce à ces programmes, se sentait-elle moins seule : des milliers de femmes au foyer étaient confrontées aux mêmes problèmes. Les solutions figuraient dans leur réfrigérateur ou dans leur garde-robe. Rien de plus simple que de faire appel à une personnalité qui, le temps d’un tournage, prodiguait des conseils ! Avec Un

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