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Passé Composé: IMPARFAITS, #2
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Livre électronique300 pages4 heures

Passé Composé: IMPARFAITS, #2

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À propos de ce livre électronique

Parfois, tourner la page est la meilleure chose à faire.

 

Samantha a appris à ses dépens que tout le monde n'a pas droit à une seconde chance en amour. Son cœur brisé en est la preuve.

 

Cependant, lorsque le destin lui fait croiser à nouveau le chemin de Mugwaneza, elle se demande si cette fois sera la bonne pour tous les deux. Mais avant de pouvoir se retrouver, le couple doit affronter non seulement leurs ennemis du passé, mais aussi leurs propres démons.

LangueFrançais
ÉditeurAKY Len
Date de sortie25 mars 2022
ISBN9782982004429
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    Aperçu du livre

    Passé Composé - Weli Sane

    1

    Samantha


    — N ubian, pas si vite ! m’écrié-je derrière ma fille qui gambade joyeusement entre les différents rayons du magasin.

    J’avise l’heure en consultant ma montre. Nous avons dû faire un détour par le centre commercial. Nubian a égaré son élastique à cheveux, et malheureusement pour moi, elle ne peut jouer au violon avec la touffe indomptable sur sa tête. Je soupçonne un tic nerveux qu’elle a développé dès qu’elle a commencé à jouer des concerts. Pour avoir un œil sur elle, je presse le pas. Je la rejoins aussitôt dans un des rayons du magasin. Son regard figé sur un cadre photo m’interpelle. Une photo de famille : un père, une mère et une jeune fille du même âge que Nubian sourient. Mon cœur tombe dans ma poitrine. Les remords remontent. J’ai essayé de lui donner une famille… de contacter son père. En parlant de ce dernier, elle ne parle jamais de lui. Des années plus tôt, elle demandait après Jacques. Et puis, plus rien. Le vide total. Mon incapacité à connaître les sentiments de ma fille à cette époque me ronge encore. D’après la psychologue et les éducatrices à la garderie, Nubian ne présente aucun problème de développement émotionnel. Son regard obnubilé par cette photo de famille m’intrigue.

    — Maman ?

    — Oui, mon amour.

    — Penses-tu que tonton Patrick aimera ce cadre ?

    J’expire un grand coup. Afin que nous nous regardions droit dans les yeux, je m’agenouille devant elle.

    — Voudrais-tu qu’on l’appelle en vidéo et on le lui demande ?

    — Oui, j’adorerais cela, me répond-elle de sa voix fluette avec un sourire qui illumine son visage rond.

    Je lance l’appel vidéo, et c’est Lorna, la femme de Patrick qui répond.

    — Ah, Sammy ! C’est toi ?

    — Euh oui. Nubian voulait demander quelque chose à Pat. Est-ce que tout va bien ? l’interpellé-je à la vue de sa mine renfrognée.

    Elle soupire et jette un coup d’œil derrière elle. Puis, elle nous demande de rappeler plus tard. Elle explique que Patrick dort à poings fermés. Un quart de travail nocturne et mouvementé aurait eu raison de lui. Connaissant ma belle-sœur, je doute fort bien de cette histoire de quart de travail. Néanmoins, Nubian et moi ne pouvons pas nous éterniser trop longtemps au téléphone. Je raccroche et je décide de prendre le cadre posé sur l’étagère.

    De gros bisous, j’inonde le visage de ma fille. La petite de cinq ans comprend très vite mon petit jeu et me chatouille aussi. Je peine à retrouver mon sérieux. Mon corps tressaille lorsque j’entends une voix familière. Même si je fais tout pour cacher mon trouble, Nubian s’aperçoit de mon changement d’humeur. Plus elle grandit, plus notre rapport devient fusionnel, en plus du départ de Jacques qui n’a fait que renforcer notre lien. Elle est mon monde, ma vie, mon souffle.

    — Samantha, c’est bien toi ?

    Je me relève et je me retourne avec une lenteur délibérée. Je cache ma fille derrière moi, car je refuse qu’elle assiste à cette scène.

    — Bonjour, je réponds, le visage crispé.

    La jeune dame ne semble pas vouloir comprendre le message, encore moins laisser ma fille tranquille, puisqu’elle se penche pour la fixer du regard. Un éclair de surprise balaie son visage. Ses yeux curieux passent de ma fille à moi.

    — Tu… tu… mais… mais…

    Maintenant, celle qui trouvait toujours son mot à dire dans ma relation avec Mu, notre rupture, ma tentative de réconciliation avec lui, subitement, a perdu la parole. Des personnes aussi viles et commères, je n’en veux pas auprès de Nubian. Si j’ai réussi à limiter mes rapports avec ma mère au strict minimum, ce n’est certainement pas pour finir victime des personnes telles que Mutoni. Je choisis d’ailleurs de l’ignorer et je dirige toute mon attention vers Nubian.

    — Tu viens, mon amour. Nous devons nous dépêcher pour arriver à temps pour ton récital.

    — Un récital ? Joues-tu de la musique ? interroge Mutoni en se penchant vers Nubian.

    Ma petite luciole m’adresse un regard interrogateur. Je hoche la tête pour lui donner mon accord.

    — Oui, je joue du violon, répond Nubian de sa petite voix fluette.

    — Et nous sommes en retard, alors tu devras nous excuser, conclus-je.

    Mais Mutoni me retient par la main et, d’un air suppliant, elle me demande d’attendre.

    — Maman, est-ce que tout va bien ? s’inquiète Nubian en glissant sa paume de main dans la mienne.

    — Je me le demande aussi, dis-je en foudroyant Mutoni du regard. Veux-tu faire plaisir à maman, mon amour ?

    Ma princesse hoche la tête. Après avoir retiré mon téléphone de mon manteau d’hiver, je soupire d’agacement quand je m’aperçois qu’une fois de plus, j’ai oublié mes écouteurs à la maison. Du coin de l’œil, je vois Nubian retirer son casque d’écoute de son sac-ourson. Je choisis sa musique préférée du moment pendant qu’elle installe son casque.

    — Beaucoup de choses ont changé depuis… tout ce temps.

    Tout ce temps… Mutoni veut sans doute parler de six ans. Six longues années à attendre un appel, une voix, un courriel… peu importe. Six ans pour comprendre que les gens changent si bien qu’ils deviennent méconnaissables. Six ans pour comprendre que les secondes chances, c’est pour les autres. Six ans pour comprendre que la vie n’est pas un conte de fées. La vie, on se lève, on marche, on court. On fait avec ce qu’on a.

    — Je me suis mariée…

    — Mes félicitations, la coupé-je, agacée.

    — Je suis désolée d’avoir été si dure envers toi. Je pensais juste à protéger mon frère, tu comprends…

    — Nous sommes en retard. Passe une belle journée, Mutoni.

    Elle écarquille les yeux comme si elle venait de comprendre quelque chose. Elle se place devant moi, me bloquant ainsi le passage.

    — Je sais que nous ne nous sommes jamais bien entendues, mais peut-être serait-ce une occasion pour toutes les deux de commencer sur de nouvelles bases ? ajoute-t-elle en lançant un regard vers ma fille. Atisha est très malade. Elle est actuellement internée à l’hôpital juif. Elle serait très heureuse de faire la connaissance de son arrière-arrière-petite-fille. Nubian est bien la fille de Mugwaneza, n’est-ce pas ? Ne penses-tu pas qu’elle devrait rencontrer sa famille paternelle aussi ?

    Un sursaut de sang jaillit dans mes veines. Comment ose-t-elle ? Je crispe légèrement la mâchoire. J’évite ainsi de lui proférer des méchancetés. Plusieurs années plus tôt, j’avais appelé et laissé des tonnes de messages. Un nombre incalculable de fois… à son frère, et pas que ! Sur toutes les plateformes inimaginables, en vain. Les messages étaient lus et laissés en vue. Même Assim, le meilleur ami de 3M, celui qui m’avait dit à Dubaï qu’il serait là pour moi, même lui, je lui avais écrit. Aucune réponse, rien. Le néant absolu. Ni lui ni son ami n’a donné suite à mes multiples tentatives. Pas le moindre retour. Zéro, nada, niet ! Et elle, Mutoni, cette fille qui m’a détestée pendant tout le temps qu’a duré ma relation avec 3M. C’est elle qui veut me faire culpabiliser en me parlant de famille paternelle. Où étaient-ils tous six ans plus tôt ? Pourquoi pense-t-elle que ma fille voudrait les rencontrer ?

    — Est-ce vraiment le bon moment pour en parler ? Avec ma fille à côté ?

    Je l’interpelle d’une voix énervée.

    — Non… je ne… enfin, je… bégaye-t-elle.

    — Ah, Muto ! Tu es enfin là, déclare un quinquagénaire s’avançant vers nous.

    Il enlace Mutoni par-derrière et lui baise la tempe. Sans doute son mari.

    — Maman, on y va ? s’impatiente Nubian.

    — Oui, mon amour, confirmé-je d’un ton doux et maternel.

    Encore déstabilisée par cet échange imprévisible et détestable, je fais fi de ma colère. Je me baisse et porte ma fille dans mes bras. J’ai besoin de la sentir tout près de moi pour être sûre qu’elle ne s’en ira pas, qu’elle ne se volatilisera pas, que personne ne me l’arrachera. Ces pensées si étranges affluent dans mon esprit au point de donner raison à Lorna. Cette dernière prétend que je ne referai jamais ma vie si je ne coupe pas le cordon dès maintenant.

    — Attends, je t’écris l’adresse de l’hôpital et le numéro de la chambre sur un bout de papier, s’exclame Mutoni qui refuse de lâcher prise.

    Et voilà que son mari se met également à fixer Nubian du regard. Une chose est sûre, cette dernière me posera plein de questions ce soir à l’heure du coucher. Aurai-je seulement la force de tout lui raconter ? J’en doute. Je récupère le bout de papier que me tend Mutoni et je me dirige vers la caisse, d’un pas pressé, les mâchoires crispées.

    Tout au long du trajet, je pense aux paroles de Mutoni. Les relations que j’ai entretenues avec mon père ont toujours été très difficiles pour ne pas dire quasi inexistantes. Mais ai-je le droit d’empêcher Nubian de connaître son père de peur qu’elle vive le même désarroi ? Si mes rapports avec le mien sont chaotiques, les siens pourraient être différents. Cependant, je devrai pallier ce sentiment d’amertume causé par l’absence volontaire de Mu, d’Assim et de tous les autres. Nubian a toujours été ma priorité, dès les premiers battements de son cœur, dès que j’ai su que je la portais en moi. Nubian a toujours été ma priorité, et ceci, quoi qu’il arrive, et ce n’est pas près de changer.

    Je la guette à travers le rétroviseur et je vois ses petits doigts épouser des notes imaginaires. Son regard capturé par le paysage enneigé qui défile sous nos yeux. Un sourire illumine mon visage. Elle révise ses notes musicales.

    Quand elle avait à peine quelques mois, mes collègues et moi découvrions un petit génie de la musique. Ayant à peine pris un congé maternité, Nubian, je l’emmenais partout avec moi.

    Le temps passe tellement vite, ce constat m’effraie. J’aimerais tant que l’aiguille s’arrête de bouger afin de profiter de chaque minute, chaque seconde de cette petite fille enjouée, drôle et aimante. Mais envisager cela serait totalement égoïste de ma part. Être parent, c’est savoir laisser partir quand vient le temps. Je me surprends à penser cela. Un appel entrant de Lorna interrompt mes pensées. Je jette un coup d’œil au tableau de bord et je décroche l’appel.

    — Oui Madame ! Pourquoi c’est noir comme ça ? Je ne te vois pas !

    — Nubian doit avoir mon téléphone dans son ourson en peluche, remarqué-je, c’est elle qui appelait pour parler à son oncle… à propos d’un cadre photo qu’elle voulait lui offrir.

    — Parce que toi tu ne peux pas m’appeler, n’est-ce pas ? Allô ? Allô ? Mais la fille Douala ¹-ci même est où ?

    — Je suis là, je conduis… enfin je cherche une place de parking.

    — Ta voix est bizarre, qu’est-ce qui se passe ? Dis-moi tout !

    — Après le récital si tu veux bien, conclus-je en garant la voiture en parallèle.

    — Hum ! Ça dure combien de temps d’abord ? En tout cas, juste après, je te récupère pendant que Patrick s’occupera de ses enfants. Nous, on va aller causer quelque part pas loin.

    — Vous venez finalement ?

    Je demande d’un ton surpris.

    — Youpi ! jubile Nubian à l’arrière.

    Je remarque que cette dernière nous entend via le système Bluetooth de la voiture puisque l’appel entrant de Lorna a coupé la lecture de la playlist sur mon téléphone. La petite peut donc nous entendre.

    — Anti Zambeu Wam ² ! Ne gâte pas mon nom, anh ! L’enfant de qui ? Et ses parents ne viennent pas. Façon dont j’ai emballé mes dombolos ³ là. C’est ça qui a failli nous mettre en retard. Quelqu’un dit que je dois changer mes vêtements jusqu’à utiliser son tomawok sur moi. Mais un gars de New Bell ⁴ peut faire quoi devant une fille de Kondengui ⁵ ? Anh ? J’ai même d’abord tué son pilon là sur le son de Coco Argentée. Tu vois la chanson qui parle de Kondengui là, non ?

    Coco Argentée, parle-t-elle de la chanteuse ? L’actualité camerounaise m’est si étrangère que Lorna me perd parfois avec ses discours.

    — Arrête ta sauvagerie et le bavardage. Tu vas les mettre en retard pour rien, menace mon frère, Patrick, dont la voix me ramène à la conversation.

    — Sam, on se capte, ajoute-t-il. Je te fais signe dès qu’on entre dans la salle. C’est bien Wilfried-Pelletier ?

    — Oui, confirmé-je.

    — Une fille ne peut plus faire son kongossa ⁶ dans la paix du Seigneur.

    — Éteins le téléphone là, j’entends mon frère crier en arrière-plan.

    — Bisous, bye ma chérie.

    Nubian et moi débarquons de la voiture, ensuite nous nous précipitons vers l’arrière-scène. Nous sommes arrivées trente minutes avant le début du concert. Je ne me rappelle pas avoir roulé aussi vite pour éviter d’arriver en retard. À deux, nous faisons l’inventaire : tout le nécessaire dont elle aura besoin pendant son concerto. À force, j’ai compris qu’il s’agit d’un autre mécanisme de défense qu’a développé Nubian pour réduire son anxiété au minimum. Une fois terminé, je la laisse au soin du maestro et je me retire vers les sièges de la salle Wilfrid-Pelletier. Patrick, Lorna et leurs enfants me rejoignent juste à temps, avant le lever de rideau.


    Les acclamations fusent dans la salle. L’ambiance est survoltée. Les applaudissements ne cessent. J’en profite pour me frayer un chemin vers l’arrière-scène afin d’emmener Nubian. Lorna et moi avions préalablement décidé de nous retrouver sur le boulevard De Maisonneuve Ouest. Elle souhaitait qu’on aille fêter le succès du récital dans un restaurant. Nous hésitions entre NYKS et Cadet. Dix minutes plus tard, je réussis à extirper Nubian des félicitations des autres membres de l’orchestre et de certains spectateurs VIP dont le ticket leur garantit un accès à l’arrière-scène.

    Nous cheminons vers la sortie. Très heureuse et comblée de joie, ma petite fée sourit de toutes ses dents. Cette félicité, j’aimerais qu’elle la garde à vie. Son regard inquisiteur — puisqu’elle fronce les sourcils — quitte mon visage pour se poser droit devant elle. La gaieté saisit à nouveau ses traits. Elle lâche ma main et court se jeter dans les bras de Patrick, son oncle, mon grand frère. Il la soulève et la fait tournoyer dans les airs. Elle glousse de joie. Mes neveux me rejoignent et plongent dans mes bras. Quelques minutes d’embrassade. Ensuite Lorna me tire par le bras et me demande où est garée ma voiture. À peine ai-je le temps de répondre, qu’elle se tourne et lance à son amoureux qu’on reviendra sous peu. Le froid nous pousse à marcher plus vite. Ce matin, à la radio, ils annonçaient -25 °C. Souvent, je me demande ce qui m’a motivée à venir m’installer dans cette ville où les températures rivalisent avec celles de l’antarctique. Je déverrouille la voiture, et Lorna se précipite à l’intérieur. Je la rejoins, j’allume le moteur, puis je me frotte les mains pour les réchauffer.

    — L’heure du kongossa a commencé au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, sermonne Lorna.

    Mon regard quitte le pare-brise pour se poser sur mes doigts gelés. Depuis la naissance de Nubian, personne n’a jamais su qui était son père, et ceci, malgré l’insistance de certains. Pour la protéger, j’avais fait le choix de taire les informations sur son père et sur cette nuit qui m’avait apporté le plus beau cadeau de ma vie. Parler de ma rencontre avec Mutoni, c’est parler de cette nuit, de lui, de ma peine. Je n’arrive pas à y croire. Non, je n’y arrive pas. Malgré toutes ces années passées, cet homme réussit toujours autant à baiser mon code, à foutre le bordel dans mon cœur, dans ma vie, dans mon esprit. Je me sens encore prisonnière de lui, de nous, de notre passé.

    — C’est bien la première fois que je te vois si calme, observe Lorna qui coupe court à mes pensées. La situation doit être grave…

    — Il s’agit du père de Nubian, finis-je par lancer dans un souffle.

    Les mots sortent de ma bouche sans que je m’en rende compte.

    — Oh ! s’exclame-t-elle. Tu ne parles jamais de lui.

    — Je sais, parce que c’est un sujet trop douloureux en soi. Et puis, Nubian n’a jamais demandé après son père. J’avais donc cette latitude de ne rien révéler, de ne pas en parler.

    — Qu’est-ce qui a changé ?

    Un rire triste s’échappe de mes lèvres et surprend ma fausse quiétude externe. Depuis ma rencontre avec Mutoni, un vrai tourbillon d’émotions comprime ma poitrine. Je reviens un peu à moi lorsque Lorna pose chaleureusement sa main sur la mienne.

    — On en parlera quand tu te sentiras prête. Allons manger avant que ton frère ne me fasse la tête.

    Un courage indescriptible s’empare de mes sens, et je décide de me lancer. C’est connu. Tout ce qui concerne Mu, Mugwaneza, 3M, — l’homme qui baise mon code — je perds mes moyens. Mon cerveau s’en va en veille ou pire encore s’éteint tout seul. Je soupire et je décide de lui parler de la cause de mes tourments.

    — J’étais heureuse avec lui, vraiment heureuse. Mais certaines personnes dans ma famille voyaient cette relation d’un mauvais œil puisqu’il est rwandais et tanzanien. Moi, Camerounaise bamilékée de surcroît Dschang. Alors, j’ai dû… j’ai dû le quitter pour faire plaisir à mes parents, pour faire plaisir à tout le monde sauf moi. Je me suis mariée avec un homme Dschang, le choix de mes parents. Mon mariage était… comment dire : une vraie merde. Quand j’ai enfin divorcé, je me suis envolée pour Dubaï. Je comptais célébrer là-bas mon divorce. Au lieu de ça, mon cœur s’est arrêté de battre, mes sens ont de nouveau repris vie. Mes yeux s’étaient posés sur Mu dans cette boîte de nuit. Une nuit avait suffi et Nubian est le fruit de cette nuit.

    — Waouh !

    — Quand j’ai su que j’étais enceinte, j’ai tout fait pour le rejoindre pour le lui dire. Toutefois, il n’a jamais fait signe malgré les nombreux messages laissés en vue, les appels insistants à lui, à son meilleur ami enfin, à toutes les personnes pouvant être en contact avec lui.

    — Mais peut-être que personne ne lui a transféré tes messages…

    — Oh ! J’y ai pensé, vraiment pensé. Mais que dire des tonnes de messages que je lui laissais sur ses messageries privées sur les réseaux sociaux ? Non, ajouté-je, dépitée, en secouant la tête.

    Même si le temps est passé, cette douleur fait toujours aussi mal. J’essuie des larmes qui s’échappent de mes yeux.

    — Oh, Sammy, je suis tellement désolée.

    — Il ne faut pas. Quand il s’agit de cet homme, je perds tous mes moyens. Et là, il a fallu que je tombe sur sa sœur et qu’elle m’annonce que leur arrière-grand-mère est hospitalisée. Elle veut que j’y aille avec Nubian pour que les deux se rencontrent. Et si je tombe sur lui, que vais-je dire à Nubian ? Tu ne le sais peut-être pas, mais ses yeux verts, elle les tient de lui, son père. Elle ne pose peut-être jamais de questions sur l’identité de son père, cependant elle n’est pas naïve non plus. Et s’il la voit, il voudra faire partie de sa vie, comment vais-je pouvoir avancer, accepter cela dans ma vie ? Nubian commencera l’école en septembre. Je vends déjà notre maison, car elle a été acceptée à l’école primaire Arthur-Vaillancourt. Et puis là, il y a l’histoire avec son père. Même pour moi l’adulte, je trouve que ça fait beaucoup de changements en si peu de temps, que dire d’une petite fille de cinq ans.

    — C’est sûr que tu es la mieux placée pour prendre une décision concernant notre fille à tous, mais pense à elle en premier, à son bonheur avant tout. Penses-tu qu’il ferait un mauvais père, le gars là ?

    — Non, bien sûr que non, j’admets en posant la tête sur l’appuie-tête. C’est l’homme le plus doux, le plus patient, le plus… sincère qu’il m’ait été donné de rencontrer. Mais notre rupture, ma trahison, l’a beaucoup affecté. J’aurais dû m’en rendre compte à Dubaï, mais j’étais trop heureuse de l’avoir dans mes bras pour me soucier de ce gros détail. Alors, je ne suis plus sûre de rien.

    — Tu ne sauras rien non plus si tu ne te décides pas à le rencontrer. Par contre, il ne s’agit pas de vous deux, mais de Nubian, de son bonheur. Et je sais que tu sauras prendre la bonne décision la concernant.

    Nous sursautons lorsque Patrick nous surprend avec des tocs répétés sur ma vitre. L’expression de son visage change dès que nos regards se croisent. Dès que je finis de baisser la vitre, il m’observe, puis se contente de nous informer que les enfants s’impatientent et qu’ils crient famine. Lorna et moi écourtons nos séances de kongossa, et je conviens avec Patrick que je les suivrai jusqu’au restaurant avec ma voiture en file indienne.

    2

    Samantha


    Lorsque Mu, le père de Nubian, et moi formions un couple, son arrière-grand-mère tenait une place importante dans sa vie. Il la consultait pour chaque décision importante. Cette proximité, cette chaleur qu’il entretenait avec Atisha, je voudrais que Nubian en profite également. Je sais que cette rencontre fera du bien à ma fille. Découvrir de nouvelles personnes, échanger avec elles, apprendre de celles-ci, voilà les activités favorites de Nubian à part bien sûr ses cours de musique. Peut-être est-ce le moment pour elle d’apprivoiser son côté paternel. Mugwaneza s’est enfin décidé à assumer ses responsabilités, malgré son silence pesant six années plus tôt. Je refuse d’être celle qui constituera un frein à l’épanouissement de ma fille.

    Ayant demandé à sortir plus tôt du travail, je prends la route de l’hôpital. Malgré la circulation dense causée par une déneigeuse en plein travail, j’arrive assez rapidement à destination. À l’intérieur de l’hôpital, assise sur une chaise dans le couloir, je n’ose pénétrer dans la chambre de la malade souffrant de pneumonie. Je suis figée, inexistante, peureuse. Je me demande si cette visite est vraiment une bonne idée. Les éclats de voix provenant de la chambre d’Atisha me font comprendre qu’elle n’est pas seule. Je fixe du regard le petit paquet cadeau que j’ai acheté sur le chemin en venant ici. Je prends la décision de partir. Je me lève donc et me dirige vers la sortie. Mutoni, qui sans doute m’a aperçue m’en aller, m’interpelle. Je me tourne vers elle et je remarque qu’elle cherche Nubian du regard. Je lui explique que sa nièce est à

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