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Entre alliance et secrets
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Livre électronique352 pages5 heures

Entre alliance et secrets

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À propos de ce livre électronique

La suite de Lumière au bout du Charon

Certains cauchemars sont plus tenaces que d’autres!

La claustrophobie et l’incertitude règnent en ce début de pandémie mondiale, et un cambriolage inhumain est perpétré au musée d’archéologie de Pointe-à-Callière, à Montréal. Le sergent-détective Malcolm Villeneuve est prêt à tout pour arrêter les responsables, mais plus d’une ombre plane sur son enquête. Dès lors, lui et son amie Zoé Comptois se voient projetés au milieu d’un conflit sanglant qui oppose des autochtones à un individu dangereux connu seulement sous le nom de Windigo. Le retournement de situation les forcera à se lancer eux aussi à la recherche d’un inestimable manuscrit disparu depuis des siècles, ce qui leur fera prendre conscience bien malgré eux qu’il est difficile de tracer une ligne entre la paix et la guerre, la vérité et le mensonge, tout comme entre la vie et la mort.
LangueFrançais
Date de sortie30 nov. 2023
ISBN9782925178996
Entre alliance et secrets
Auteur

Normand Pineault

Infographe, critique de cinéma et... écrivain. Né en 1980 à Buckingham (dans l'Outaouais, et non pas le palais !) Normand Pineault habite Montréal et travaille comme infographiste, photographe, et critique de cinéma à ses heures. Amateur d'art, d'histoire et de jeux vidéo, c'est plutôt à travers l'écriture qu'il découvre sa vraie passion, celle-là même qui lui permet aujourd'hui de nous offrir son tout premier roman: Lumière au bout du Charon. Inspiré par la richesse culturelle de la ville de Montréal, il jongle entre l'histoire et la fiction, puis entre la réalité crue et l'aventure. Dans ce récit, il dépeint un besoin d'espoir abandonné, dissimulé dans la grisaille de notre mode de vie moderne qui tente parfois de nous le dérober.

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    Aperçu du livre

    Entre alliance et secrets - Normand Pineault

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    Table des matières

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    Entre alliance et secrets

    Normand Pineault

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    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre : Entre alliance et secrets / Normand Pineault.

    Noms : Pineault, Normand, auteur.

    Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20230060609 | Canadiana (livre numérique) 20230060617

    | ISBN 9782925178972 (couverture souple) | ISBN 9782925178989 (PDF) | ISBN 9782925178996 (EPUB)

    Classification : LCC PS8631.I522 E53 2023 | CDD C843/.6— dc23

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) ainsi que celle de la SODEC pour nos activités d’édition.

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    Conception graphique de la couverture : Normand Pineault

    Crédit photo : Geneviève Hamel et Samuel Charron

    Direction rédaction : Marie-Louise Legault

    ©  Normand Pineault, 2023 

    Dépôt légal  – 2023

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

    Imprimé et relié au Canada

    1ere impression, novembre 2023

    1

    Montréal, Québec – lundi, 6 avril 2020

    L'appel de renforts sortit Montréal de sa torpeur de ville fantôme dans laquelle elle résidait depuis des jours. Dès qu'il l'entendit sur le canal des urgences, le sergent-détective Malcolm Villeneuve abandonna son premier café de la journée. Son travail lui donnant le droit de déroger au confinement général alors en vigueur, il courut à travers les rues désertes et abandonnées, en direction de l'incident qui venait de se produire à moins d'un kilomètre de chez lui. Il se demandait ce qu'il allait bien pouvoir faire puisque tous les services alertés convergeraient comme lui vers cet endroit. Mais il fit vite de chasser cette pensée, convaincu qu'il pourrait sûrement aider et qu'il aurait une chance de rétablir sa réputation. L'adrénaline qui commençait à le surcharger lui fit même croire qu'il trouverait au moins du réconfort dans toute l'incertitude qu'avait fait naître la pandémie de Coronavirus ces trois dernières semaines.

    Consterné par le vacarme qui se rapprochait de plus en plus, Malcolm arriva cinq minutes plus tard devant le complexe muséal d'archéologie et d'histoire de Pointe-à-Callière où se déroulait le branle-bas de combat. Il s'immobilisa derrière l'une des voitures du SPVM, curieux et aux aguets, au milieu des autres patrouilleurs déjà présents sur les lieux.

    Cinq véhicules de police formaient un barrage à l’angle des rues de la Commune et de la Place D'Youville, et encerclaient la façade du bâtiment plus communément appelé l'Éperon. L'horloge qui couronnait son architecture moderne faite de pierres grises indiquait à peine 7h30. À cette heure, le musée aurait normalement dû être fermé, surtout en raison du confinement, mais ses alarmes criaient, et des coups de feu résonnaient de l'intérieur. Malcolm soupçonnait qu'il devait s'agir d'un cambriolage qui avait mal tourné. Tout autour, les agents s'activaient à fermer le secteur à l'aide du ruban orange qu'ils étalaient jusqu'à la Place Royale sur leur droite. À même ce périmètre, six membres du groupe tactique d'intervention descendaient de leur camion blindé, vêtus de leurs combinaisons pare-balles, fusils d'assaut en main. Dans cette scène aux allures infernales, même le nouveau supérieur de Malcolm s'agitait. Le lieutenant-détective Francis Smith se tenait près des tacticiens et semblait à tout prix vouloir s'octroyer le titre de responsable de l’opération. Au milieu des sirènes stridentes, il criait après tout le monde pour se faire entendre, comme s'il donnait des instructions.

    Cela surprit Malcolm. La division des crimes majeurs dont ils faisaient tous les deux partie ne détenait aucun pouvoir sur le terrain. Il savait très bien que Francis n'avait pas du tout l'autorité nécessaire pour diriger de telles opérations ce matin-là. L'idée que la promotion récente de son supérieur lui montait à la tête lui effleura l'esprit, comme si Smith tentait de prendre des responsabilités bien au-delà de ce qu'il pouvait se permettre.

    La réflexion de Malcolm s'interrompit et s'éclipsa en une fraction de seconde lorsqu’il fut saisi par l'attaque inattendue et désespérée qui déferla dans ce périmètre à peine défini.

    Un premier suspect se rua tout à coup hors des portes de l'entrée de Pointe-à-Callière en lâchant un cri de guerre déchirant. Habillé d'un jean délavé et d'une veste noire, ses cheveux crasseux encadrant son visage émacié par la rage et son couteau tiré vers l'avant, il chargea vers les policiers les plus près avec l'intention de les poignarder. Cette agression bestiale inquiéta les membres du GTI, qui se préparèrent rapidement. Sans tarder, ils braquèrent leurs armes vers le criminel. Une rafale de projectiles percuta ce dernier de plein fouet avant même qu’il ne puisse blesser qui que ce soit. Fauché à maintes reprises, il mourut en même temps que son cri. Il s'effondra instantanément sur les marches en ciment devant l'Éperon, tandis que l'écho de cette salve d'exécution se répercuta entre les édifices du Vieux-Port de Montréal, pour s'évanouir en quelques instants comme un souffle dans le vent.

    Désemparé par la réaction subite du groupe tactique, Malcolm se tétanisa derrière le véhicule de police. Croyant rêver, il ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Il essaya d’exprimer sa désapprobation aux agents qui l’entouraient, mais rien ne sortait de sa bouche tellement il était dégoûté.

    Le cambrioleur venait à peine de s'effondrer au sol que les six membres du groupe d'intervention passèrent à l’étape suivante. Deux par deux, ils passèrent de part et d'autre de la dépouille. Fusils semi-automatiques dressés, ils s'avancèrent vers le musée, prêts à ouvrir le feu à nouveau. Lorsqu'ils s’apprêtaient à y entrer, forts d'une concentration à toute épreuve, un autre mouvement, plus loin, attira l'attention de Malcolm. Un deuxième suspect sortait du Pavillon Québecor, situé plus à l'arrière du complexe, avant de s’immiscer à l’extérieur par la porte de secours, à l’insu des policiers. Habillé de façon rudimentaire, il jeta un coup d'œil vers le barrage, puis tenta de s'enfuir en douce par la place de la Grande-Paix-de-Montréal. Aucun des autres agents ne le vit, puisqu'ils regardaient tous la scène qui se déroulait devant l'Éperon.

    Dans un dilemme d'émotions, seul Malcolm le repéra. Sans réfléchir, il pointa le fuyard et s'exclama haut et fort :

    — Halte ! Arrêtez-vous !

    Son cri alarma tous les membres de l’escouade qui retournèrent leurs armes vers lui, sans savoir s'il s'adressait à eux. Quelques patrouilleurs s’écartèrent aussitôt de Malcolm pour ne pas être pris dans cette altercation, tandis que seulement deux des membres de l'escouade osèrent regarder dans la direction pointée par le détective. Celui-ci comprit toutefois son erreur lorsqu'ils repérèrent le fuyard à leur tour, et qu'ils le mirent immédiatement en joue.

    Avant que le suspect ne s'échappe, mais surtout avant qu'il ne se fasse abattre lui aussi comme du gibier, Malcolm réagit en un éclair. Il dégaina son Glock 19, le brandit vers l'avant, et appuya sur la gâchette.

    La détonation surprit tout le monde, et le projectile atteignit sa cible avant même que les deux tacticiens ne puissent eux-mêmes ouvrir le feu. Atteint au mollet droit, l'homme lâcha un cri de douleur, puis s’écroula plus loin au milieu de la rue, incapable de poursuivre sa course.

    — Qu’est-ce que tu fous ? cria Damien Rainguille, le plus costaud des six membres qui dévisagèrent aussitôt le détective. Range ton arme !

    — C'était une diversion, se défendit Malcolm en continuant de pointer la direction du doigt. Vous en avez un autre, là-bas…

    — Range ton arme, j'te dis !

    — Villeneuve, restez hors de ça ! renchérit le lieutenant-détective Francis Smith qui se tenait près du camion blindé. Laissez faire l’escouade, c’est un ordre !

    Dans la confusion, les deux membres au fait de la situation brisèrent leur formation, puis accoururent vers le blessé pour le neutraliser. Les quatre restants gardèrent leurs armes braquées sur Malcolm en attendant qu'il finisse par obéir. Au même moment, la porte vitrée principale du musée s’ouvrit à la volée, ce qui fit que l'attention de tous se porta immédiatement sur la quinquagénaire qui apparut dans l’embrasure, vêtue d’une jupe noire et d’un chemisier blanc. Le visage en pleurs, les cheveux noisette en bataille, elle avança péniblement, suivie de son ravisseur.

    Dès qu’il aperçut la victime en détresse, Malcolm jura entre ses dents. Faisant fi des recommandations de son supérieur, il avança jusqu'au-delà de la voiture derrière laquelle il se trouvait, son pistolet pointé vers la scène afin d'avoir lui-même un meilleur angle de tir.

    Accoutré d'un T-shirt noir et d'un jean, le malfaiteur se dissimulait derrière sa victime pour se protéger des balles. Il plaquait son bras gauche contre la gorge de la femme et pointait le canon de son revolver sur sa tempe.

    — Reculez, ou je la butte ! menaça-t-il. Ôtez-vous de mon chemin.

    Il tituba hors du cadrage en poussant devant lui la victime aux yeux exorbités de terreur. Non sans peine, il essaya de rejoindre les cinq marches en béton où gisait le corps de son comparse abattu. Aucun des quatre membres de l’escouade tactique ne quitta le pavé qui se trouvait pourtant juste devant lui. En lieu et place, ils continuèrent de lui barrer la route en hurlant.

    — Lâche ton arme ! cria Damien Rainguille. Tu n’as nulle part où aller…

    — Dégagez, je vous dis ! riposta le ravisseur.

    Plusieurs patrouilleurs vinrent appuyer Malcolm et le GTI afin d’arrêter l'individu, mais ce dernier maintenait sa prise sur l’employée. Agité et paniqué, il jeta un regard anxieux sur le corps sans vie à ses pieds, puis sur les armes pointées dans sa direction. Il brusqua la femme pour l'empêcher de bouger. N’ayant visiblement pas l'intention d'obtempérer aux ordres des policiers, il demeura là, comme s'il tenait à ce que toute l'attention soit sur lui. Il ouvrit la bouche pour s'exprimer à nouveau lorsque les insultes et les cris de douleur de son autre complice retentirent plus loin derrière, en provenance de la place de la Grande-Paix-de-Montréal. Piqué de curiosité, il se permit un rapide coup d'œil dans cette direction. Deux agents appréhendaient et menottaient son comparse qui avait essayé en vain de s'enfuir.

    De là où il était, Malcolm pouvait voir la déception se peindre sur le visage du kidnappeur, qui semblait prendre conscience que son plan avait échoué et que sa démarche avait perdu toute pertinence. Pris au dépourvu, son affolement se métamorphosa peu à peu en désespoir, alors que ses yeux bouffis et rougis regardèrent dans tous les sens afin d'analyser la situation. C’était à se demander s’il entendait Damien Rainguille qui continuait de vomir ses ordres en face de lui.

    Malcolm commençait à craindre la tragédie qui se dessinait sous ses yeux. Malgré l'interdiction de son supérieur, il s'avança d'un pas, et leva la main en l'air pour inciter le kidnappeur à se calmer. Or, ce dernier ne le remarqua même pas. L'air perdu, il cessa de s'affoler, puis lança distraitement :

    — Vous ne comprenez pas. Nous devons les avertir. Rateriiohsherawá :nen… c'est pour lui. Et c'est pour nous que nous le faisons.

    L'homme inspira profondément, toujours bien caché derrière la femme en sanglots. Il tourna la tête, et s'écria :

    — Ronaterí :ios ! On s'est fait avoir. Il n'y avait rien.

    Cette fois, il avait l'air de crier dans le vide, de s’adresser à quiconque voulait bien l'entendre. Guère intimidé, Damien Rainguille restait bien concentré, son arme braquée sur sa cible.

    — Laisse-la partir ! insista-t-il.

    L'avertissement agaça le kidnappeur, qui reporta son attention sur l'escouade. Sans lâcher l'employée, il détourna le canon du revolver afin de montrer le papier qu'il tenait, froissé dans sa main qui tenait la crosse.

    — Rien du tout, je vous dis. On nous a menti…

    Damien Rainguille n'attendait que cela. Dès que l'arme ne fut plus tournée vers l'otage, il visa en vitesse et tira. Le kidnappeur ne vit rien venir, et le projectile éclata la partie latérale droite de son crâne. Le visage de la femme fut éclaboussé de sang, puis la pauvre arrêta net de gémir. Elle devint de marbre quand le corps du suspect retomba inerte sur le sol derrière elle, abattu d'une balle à la tête.

    Tous durent se secouer pour se remettre de la scène, Malcolm y compris. Les yeux toujours braqués sur la dépouille du kidnappeur, le détective abaissa son pistolet pendant que deux des membres de l'escouade portèrent secours à la femme en état de choc. La stupéfaction empêcha à nouveau Malcolm de dire le moindre mot. La seule question qui lui vint en tête à ce moment était : quelle démence pouvait bien générer une telle situation ? Dans cette folie, il se demandait même comment il parviendrait à arrêter qui que ce soit pour tenter de retrouver un peu de sa réputation perdue.

    2

    Dans l'incompréhension, Malcolm constata à quel point l'intervention avait dégénéré lorsqu'il rangea son pistolet dans l’étui rattaché à sa ceinture. Il envisageait déjà de devoir faire face aux conséquences de ses actes lorsque le tacticien Damien Rainguille prit l'initiative de s'en charger.

    — Qu'est-ce qui te prend ? demanda ce dernier.

    Cette réprimande vint avant même que la femme ait été écartée vers l'une des deux ambulances. Rainguille abaissa son fusil de marque Heckler&Koch, et s’amena d'un pas ferme vers le détective.

    — C'est quoi ton problème de nous tirer dans le dos comme ça ?

    — Il allait s'enfuir, et vous ne l'aviez pas vu.

    — On s'en chargeait parfaitement, comme tu peux voir.

    Damien se planta devant Malcolm, et remonta ses lunettes de protection sur son casque. Ses yeux gris fulminaient. Ses dents serrées ensemble procuraient à sa mâchoire déjà musclée une crispation digne de celle d’un robot.

    — Ça, c'est notre travail, indiqua-t-il en désignant le cadavre du kidnappeur.

    — Eh bien, votre travail, c'est une vraie boucherie ! répliqua Malcolm. Ce n'est ni éthique ni professionnel.

    — Si tu n'aimes pas notre boulot, va voir ailleurs. De toute façon, tu n'as rien à faire ici !

    — Si on veut savoir ce qui se passe, ils doivent rester en vie. Nous, on n'interroge pas les morts !

    — Ah ouais ? Ce n'est pas ce que j'ai entendu dire. N'est-ce pas toi, justement, qui chasses un fantôme depuis six mois ? Et tu as le culot de venir me dire quoi faire ? Tu sais, tu devrais vivre dans le monde réel, un peu. Le sale boulot, il doit se faire aussi au cas où tu ne le saurais pas.

    Damien agrippa le manteau d'hiver de Malcolm et tira dessus pour intimider le détective.

    — Alors, descends un peu de ton monde d'illusions, et parle-moi face à face si tu as quelque chose à me dire.

    — Apparemment, je ne parle pas assez le connard moderne pour que tu comprennes quoi que ce soit.

    Malcolm soutint la bousculade et saisit à son tour le gilet pare-balles du tacticien, question de ne pas se laisser faire. Tous deux se déstabilisèrent, jusqu’à ce que le lieutenant-détective Francis Smith les surprenne et s'amène vers eux.

    — Ça va. Ça suffit, beugla-t-il.

    Furieux, il voulut les pousser de côté pour les séparer, mais en vain. Sa stature frêle et maigrichonne ne faisait pas le poids contre eux. Il plaqua donc la main sur le torse du tacticien, et ordonna à Malcolm de reculer.

    — Arrêtez, j'ai dit ! Damien, retourne en formation. Immédiatement ! Le reste de l’immeuble est encore à inspecter à ce que je sache. Go on, now !

    À contrecœur, Damien lâcha Malcolm. Sans tarder, il rabaissa ses lunettes de protection, s'empara de son fusil d'assaut, et rattrapa le reste du groupe d'intervention qui s’apprêtait à franchir les portes du bâtiment. Dès qu’ils entrèrent à l'intérieur du musée pour en finir l'inspection, le lieutenant-détective n'en resta pas là et exigea de Malcolm qu'il le suive hors du périmètre de sécurité.

    La journée n'augurait rien de bon, tout le monde s'en rendait bien compte. Cette scène ne faisait que rajouter de la consternation en ces temps de pandémie mondiale de Coronavirus. Les agents avaient de la difficulté à gérer les événements ; en arrivant devant le complexe muséal de Pointe-à-Callière, aucun ne s'était imaginé avoir à faire face à une bande de voleurs kamikazes. Deux d'entre eux escortèrent le fuyard blessé à la jambe vers l'une des ambulances pour y être soigné, les mains menottées dans le dos. Dans la seconde garée tout près, deux infirmiers s’occupaient de l'employée du musée. Le choc post-traumatique qu'elle vivait convulsait à ce point les traits de son visage, qu’il ne fallut que quelques instants avant que les soigneurs n'exigent qu'elle soit transportée d'urgence à l'hôpital. Les portes arrière du véhicule se refermèrent, et celui-ci s'éloigna en faisant retentir ses sirènes.

    Trois agents en retrait couvrirent au plus vite les corps ensanglantés des voleurs qui gisaient sur le pavé. Ils les cachèrent à l’aide de grandes bâches en plastique noir en attendant l’arrivée des techniciens de l'identité judiciaire. Ils les dissimulèrent aussi aux yeux de la poignée de civils qui commençaient à s'agglutiner derrière le cordon de sécurité orange. Cellulaire à la main pour tout filmer, les badauds se moquaient des recommandations de l'Organisation mondiale de la santé et des restrictions imposées par le gouvernement du Québec pour tenter de freiner la pandémie. Malcolm se réjouissait tout de même de ne pas voir de journalistes, même s’il savait que leur présence ne tarderait pas. Il préférait par contre ne pas penser à ce détail pour l'instant, puisqu'il avait de plus gros soucis en tête, obligé qu’il était de suivre le lieutenant-détective Francis Smith jusque derrière le barrage de police.

    Maintenant qu’ils étaient plus en retrait pour discuter, le lieutenant, les mains posées sur ses hanches, expira comme un buffle. La retenue dont il fit preuve lui conféra un air beaucoup plus grave qu'à l'ordinaire.

    Malcolm s'attendait à essuyer un reproche d'insubordination, voire même à un manquement aux procédures. Cela n’allait que s'ajouter à la longue liste d'arguments qu'ils avaient l'un contre l'autre depuis des semaines. C'est pourquoi il ne réagit presque pas lorsque le lieutenant-détective s’écria :

    — C'est quoi, ça ? Vous prenez-vous pour Dirty Harry, ou quoi ? Depuis quand pensez-vous pouvoir faire partie des interventions tactiques ?

    — Il allait s'échapper, plaida Malcolm pour sa défense. Vous l'avez vu comme moi…

    — Félicitations, vous l'avez arrêté. Mais, vous n’êtes que détective, Villeneuve. O.K. ? Vous n'aviez pas à vous mêler de ça. Ce que vous avez fait était inutile et dangereux…

    — Inutile ? Au moins, il est en vie, non ? On pourra l'interroger, lui.

    — Ce n'est même pas votre district, sergent. Ça, c'est l'affaire du centre-ville.

    — Eh bien, ils ne pourront que me remercier. D'ailleurs, je vous rappelle que j'ai fait une demande de transfert pour être affecté à leur équipe…

    — Qui n'a toujours pas été approuvée, souligna Smith, ce qui fait que pour l'instant, vous travaillez toujours avec nous. Vous n'avez donc rien à faire ici.

    — Vous non plus, il me semble.

    Smith se renfrogna, et leva un doigt d'avertissement vers Malcolm en disant :

    — Pour ma part, il s’agit de mon ancienne équipe. Je travaillais avec eux il y a à peine quelques semaines de cela. Je les connais, ces gars-là. J’étais des leurs avant de devenir lieutenant de votre district. Je suis venu ce matin pour les aider.

    — Que pensez-vous que je fais ? rétorqua Malcolm en montant le ton. J'ai aussi entendu l'appel de renforts, et comme j'habite à côté, je suis venu. J'aurais dû rester chez moi à me tourner les pouces ?

    Francis Smith dévisagea l’inspecteur. Ses yeux pairs se paraient du voile brumeux du réveil, comme s'ils n'étaient en permanence que des trous d'eau au fond vaseux. La grisaille avancée de ses cheveux peignés au gel, de même que son long imperméable beige pour contrer l'air frais de cette journée d'avril, lui donnait l'apparence d'un fonctionnaire aigri fraîchement entré dans la cinquantaine. Plusieurs agents le surnommaient d'ailleurs Columbo, persuadés qu’il rivaliserait un jour avec le célèbre détective de la série télévisée. Seulement, Malcolm savait très bien qu'il s'agissait en réalité d'une remarque ironique à l'estime de soi trop élevée dont faisait preuve le lieutenant. Cela devint flagrant quand, muet durant un instant, Smith finit par soupirer et relever le menton pour s'exclamer :

    — Écoutez, je sais que les choses sont difficiles, ces temps-ci. Je sais aussi que vous convoitiez ce poste. C'est dommage que le choix du commandant Laferrière se soit arrêté sur moi, et je compatis. Mais, vous devez avouer que c'est normal que…

    — Ça n'a rien à voir avec…

    — Je suis conscient que vous souhaitez regagner la confiance du service après ce qui s'est passé. Mais là, ce n'est pas le moment, surtout avec ce foutu microbe qui nous tourne autour comme un charognard. Vous voulez contribuer pour aider, et c'est bien. But, bloody hell ! Ce n'est pas une raison pour tomber dans le chaos et faire tout ce que vous voulez. Je sais que c'est chiant, mais ne soyez donc pas comme ces demeurés qui se sont rués dans les épiceries. Croyez-moi, je me sentirais mieux, moi aussi, si j'avais pu faire mes réserves avant que ces imbéciles ne s'approprient tout le papier de toilette de la ville comme s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort. Je ne serais pas tout le temps rendu au poste juste pour aller aux chiottes.

    Malcolm s'efforça de se détendre, sachant qu’il serait inutile de s'obstiner. Pour un peu, il voulut presque donner raison au lieutenant pour ce qui est de leur position et de leur frustration au beau milieu de cette pandémie. Il se résolut toutefois d'y aller d’une simple remarque pour exprimer sa propre déception.

    — Ouais… Si j’avais su, moi, je n'aurais pas vendu ma maison pour aller m'enfermer avec des inconnus dans une tour à condos du centre-ville.

    — Yes. Tough luck, we have.

    La fausse sympathie que le lieutenant lui démontrait laissa Malcolm froid, si bien qu'il préféra l'ignorer. Smith parut faire de même, leva le regard au-delà du barrage, et redevint aussitôt grave.

    — D'ailleurs, on nous a donné le feu vert hier pour émettre des contraventions à ceux qui ne respectent pas les consignes, dit-il en désignant le ruban orange qui délimitait le périmètre. Tous ces gens devraient s'en retourner et rester chez eux s'ils ne veulent pas recevoir une amende. Si vous tenez tant que ça à collaborer, sergent, allez donc aider à les disperser avant que l'Identité ne soit prête. Nous reparlerons de ça plus tard.

    Sans laisser le temps à Malcolm de répondre, Smith tourna les talons et continua de gérer la scène de crime. Le sergent-détective ne s'en offensa pas, opina de la tête, et s'en retourna sans se presser vers le cordon de sécurité.

    En dépassant les bâches en plastique qui recouvraient les deux corps des voleurs abattus, Malcolm se demanda encore ce qui avait bien pu se passer. Il se convainquit qu'il allait peut-être réussir à obtenir des éclaircissements de la part du fuyard, qui gémissait de douleur à l'intérieur de l'ambulance. Deux agents le maintenaient sur la civière afin de l'empêcher de bouger pendant qu'il se faisait soigner. Malcolm se félicita de l'avoir épargné, même s'il semblait être le seul à comprendre la nécessité de son geste. Sans accorder trop d'importance au jugement hâtif de ses collègues, il bifurqua vers la rue de la Commune où six personnes, debout sur la pointe des pieds, tentaient de discerner ce qui se passait à l'intérieur du périmètre. Malcolm reconnut tout de suite l'une d'elles.

    — Monsieur Tchang, lança-t-il en marchant vers le ruban orange derrière lequel l'homme se trouvait. Vous ne devriez pas être ici.

    — Détective ! s'exclama l’homme. Gros matin, on dirait ? Vous savez ce qui se passe ?

    Le Japonais dans la soixantaine s'anima à la vue du sergent-détective. Il affichait un large sourire comme s'il s'adressait à un membre de sa famille. Habillé d'un tablier blanc noué autour de la taille, Hito Tchang portait encore sur son épaule son linge à vaisselle, preuve qu'il venait de sortir en catastrophe de son restaurant. Malcolm connaissait bien cet endroit, situé à une centaine de mètres plus loin sur la rue de la Commune, puisqu'il s'y rendait souvent.

    — Vous avez raison. Très gros matin, même, lui répondit-il. Mais je n'ai rien à vous partager pour l'instant. J'ai bien peur que vous deviez repartir. Vous devriez suivre les restrictions et le confinement.

    — Ne vous en faites pas. Nous sommes en train de vider les cuisines du restaurant. Passez tout à l'heure, lorsque vous en aurez terminé ici. Je vous concocterai votre dîner préféré.

    — C'est gentil de votre part. Mais, votre resto devrait être fermé. Il ne faut pas plaisanter.

    — Allez ! Venez faire un tour, insista Tchang d’un air attristé. Une dernière fois…

    Malcolm se tut devant l'expression du restaurateur. Il allait malheureusement lui redemander de partir, mais ce dernier sourit à nouveau.

    — Nous étions déjà serrés à la gorge, ce qui fait qu’en devant fermer, eh bien…

    Tchang hésita, un peu gêné. Ses sentiments honnêtes déstabilisèrent légèrement le détective.

    — Ce virus provoquera notre faillite, d'une manière ou d'une autre. Nous ne pourrons pas garder le resto. Nous avons donc décidé d'ouvrir une dernière fois pour vider nos cuisines avant de mettre la clé dans la porte. C'est dommage, car j'aimais bien ce petit coin. Je vous offre le repas, si cela vous dit, en souvenir du bon vieux temps. Promettez-moi d’y penser…

    Quelque peu décontenancé par la nouvelle, Malcolm acquiesça et remercia son interlocuteur. Il voulut lui serrer la main pour lui souhaiter bonne chance, mais se retint, peu habitué aux nouvelles règles sanitaires en vigueur qui interdisaient de tels gestes.

    — J’irai, monsieur Tchang, promit-il en le saluant. Faites attention à vous.

    Il s'efforça de retrouver son sérieux quand le Japonais retourna à son restaurant en empruntant le trottoir de la rue de la Commune. Il s'adressa ensuite aux cinq personnes toujours présentes le long du cordon pour leur réitérer l’ordre de se disperser et de quitter les lieux, mais sans se montrer

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