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Les Malgré Nous
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Livre électronique330 pages3 heures

Les Malgré Nous

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À propos de ce livre électronique

Au cours de la deuxième guerre mondiale, trois adolescents, jeunes fuyards poursuivis l’un par la gendarmerie vichyste et l’antisémitisme français, l’autre par la milice française et le troisième par l’armée allemande se réfugient dans une cabane à l’abandon. Roger est juif, Christian est catholique, Samir est musulman. Ils forgent un lien solide en découvrant que chacun d’eux se trouve dans une précarité semblable et que leurs trois religions ont plus en commun qu’ils ne l’auraient imaginé. Ensemble ils parviennent à rejoindre la Résistance, avec laquelle ils participent jusqu’à la libération à des opérations contre les occupants. À la libération, tous trois se perdent de vue. Bien des années plus tard, au hasard d’une rencontre dans un café, deux d’entre eux se retrouvent et font le bilan de leurs expériences. Bien que ce soit un ouvrage de fiction, ce récit est basé sur des faits historiques: la mutinerie d’un bataillon musulman de Waffen SS à Villefranche de Rouergue en septembre 1943.
LangueFrançais
Date de sortie17 févr. 2014
ISBN9782312020228
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    Les Malgré Nous - Jean-Pierre Angel

    cover.jpg

    Les Malgré Nous

    Jean-Pierre Angel

    Les Malgré Nous

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    Vous pouvez contacter l’auteur : jpangel01@gmail.com

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02022-8

    A Corinne Angel, ma mère qui a su me guider

    et me garder sa confiance, de près comme de loin.

    À Andrea Leers, qui toujours m’inspire, me soutient

    et étend mon horizon.

    Villefranche-de-Rouergue est une bastide moyenâgeuse du XIIIe siècle, campée entre Rodez et Cahors, au bord de la rivière Aveyron. C’est une sous-préfecture bourgeoise du sud-ouest qui a su conserver, tout l’attrait de son architecture médiéval. Le centre de la bastide est un réseau d’étroites ruelles en pente qui descendent jusqu’à l’Aveyron

    Le cœur de la petite ville est la place Notre-Dame. L’impressionnant clocher fortifié de l’église que l’on nomme la Collégiale domine la place. Il surplombe les toits de tuile de la ville et toute la région environnante. La place est encadrée d’arcades surmontées de demeure de style gothique flamboyant ou Renaissance. Le jeudi, jour de marché, l’endroit résonne des accents chantant du sud, des conversations en occitan des fermiers, et des gloussements de volailles.

    Une suite de boulevards sur l’emplacement des anciens remparts forment un tour de ville. Deux ponts de pierres enjambent la rivière pour atteindre la place de la République et la gare du chemin de fer.

    La région du Rouergue était alors un pays rural et pauvre, imprégné de traditions rustiques. La mentalité aveyronnaise, bien qu’individualiste et conservatrice, était principalement catholique. Au moment de l’armistice, en juin 1940, on y a choisi de faire confiance au maréchal, puis la vie a repris.

    Pendant l’exode, la petite ville de 9,000 habitants s’est vue soudain enfler de plus de 2,000 replacés, comme on appelait alors les réfugiés. Il y avait parmi ceux-ci, des juifs qui se cachaient en cherchant à faire oublier leurs origines.

    Avec le gouvernement installé à Vichy, la religion catholique avait retrouvé la place d’honneur d’où elle avait été détrônée par la poursuite de la laïcité. L’enseignement religieux refaisait partie de l’enseignement public. Aux côtés de la photo du maréchal, le crucifix réapparaissait aux murs des classes, et des bâtiments publics. Comme ailleurs, on rejetait le blâme des effets de l’occupation sur les communistes, les juifs et les francs-maçons. On accusait aussi les instituteurs, ces défenseurs farouches de la laïcité. Il n’était plus question de liberté, d’égalité et de fraternité. La nouvelle devise du gouvernement de Pétain, qui voulait imposer ses idées étroites était : Travaille, Famille, Patrie. On affirmait que la principale cause du manque de natalité était l’insuffisance de religion. Les lois sur l’avortement et contre le divorce étaient renforcées de manière outrancière. L’adultère n’était plus un motif qui obligea un juge à prononcer le divorce. On guillotinait les faiseuses d’anges, ces femmes qui pratiquaient des avortements clandestins. Les pères de familles nombreuses étaient cités en exemple, on dénonçait l’égoïsme des couples sans enfants.

    C’est à Villefranche que le destin devait occasionner ma rencontre de deux jeunes gens, chacun de culture, de religion et d’origine différentes. Chacun dressé contre les autres ou poursuivi pour en finir à se dissimuler de peur d’être saisis par les autorités et d’être condamnés et peut-être mis à mort.

    L’un de ces trois fugitifs était Samir Sulčić, jeune musulman Croate enrôlé de force dans la Waffen SS, qui devait devenir mon ami le plus proche ; Christian Pucheu le second, était un jeune catholique français, enrôlé dans la Milice vichyste et deviendrait mon compagnon de misères ; et enfin moi-même, Roger Weil, jeune juif cachant ses origines de crainte d’être arrêté par les polices françaises ou allemandes et envoyé dans un camp de concentration puis vers une destination alors inconnue.

    **

    *

    Samir – Villefranche de Rouergue, 18 Septembre 1943

    Au collège de Villefranche où les recrues croates récemment arrivées sont cantonnées, on a entendu au milieu de la nuit des coups de feu venant de l’extérieur. Inquiets, les soldats eurent du mal à se rendormir. Aux premières lueurs de l’aube, un des jeunes soldats s’est précipité dans le dortoir où dormaient Milan, Samir et les autres. Il a annoncé en criant :

    – Ils ont tué les officiers ! On est libre ! Faut partir, mais faut faire vite !

    Surexcité, le nouvel arrivant explique, que les officiers allemands qui logeaient à l’hôtel Moderne, avaient été assassinés dans la nuit par un petit groupe de soldats croates.

    Perplexes, les troufions se regardent, et la tête encore embuée de sommeil, ils s’efforcent d’analyser la situation. Que faire : Attendre ici ? Partir, mais pour aller où ? Les hommes se sentent embringués dans une sale histoire. Ils débattent du pour et du contre. Il y a ceux qui sont d’avis qu’il faut attendre pour voir comment les événements vont se développer. Ils soulignent que portant l’uniforme allemand et ne parlant pas le français, il vaut mieux ne pas bouger.

    – D’autres officiers allemands vont venir de Millau pour s’occuper de nous. Raisonnent ceux-ci. Et puis, l’iman, qui loge à l’hôtel est sûr de venir nous dire ce que nous devrons faire.

    D’autres veulent se sauver.

    – Si on reste, on va payer ! Les responsables sont déjà loin, dit l’un. Il faut s’enfuir.

    – C’est vrai, renchérit un autre. De la manière dont ils nous traitent, ils vont s’imaginer qu’on est de mèche avec les meneurs et se venger sur nous. Ils vont tous nous tuer !

    Un petit groupe se prépare déjà à s’enfuir.

    –. J’ai fait la connaissance d’un français, dit l’un, On faisait des signes pour se parler, il était sympa. Je vais lui demander de me cacher.

    Milan et Samir se concertent.

    – Tuer un officier est passible de la peine de mort ! Dit Milan. Il suffit qu’un seul officier ait été tué et nous y passons tous. Allez, prépare-toi, on file !

    Quelques uns parmi les jeunes enrôlés SS ont déjà gagné la cour. Les deux amis les observent à travers les carreaux. Ils les voient se glisser à l’extérieur par une fenêtre du rez-de-chaussée sans qu’ils ne soient importunés. Il est encore trop tôt pour que la sentinelle de garde ne prenne son poste. Samir et son ami s’habillent en vitesse. Ils n’emportent que quelques effets sous le bras et s’aventurent prudemment jusqu’au dehors du collège. L’avenue est déserte. Ils prennent à droite, la direction opposée à celle de l’hôtel Moderne. Ils pressent le pas en baissant la tête. Leur intention est de gagner la campagne. Ils ont peur. Le jour commence à poindre au dessus des toits.

    Les deux garçons s’engagent dans une rue déserte. Ils se mettent à courir lorsqu’ils entendent des pas. Ils se glissent dans une ruelle étroite où les maisons s’agglutinent les unes aux autres. Ils essayent une porte puis une autre. Elles sont verrouillées. Une troisième cède. Ils s’y engouffrent et se dirigent à tâtons dans l’obscurité. C’est une cage d’escalier qui par derrière donne sur une courette. Les deux garçons s’y engagent. Des barils sont empilés contre un mur. Les deux amis s’accroupissent entre les tonneaux. Mais ils ont fait du bruit, une fenêtre s’ouvre à l’étage. Une voix de femme appelle à plusieurs reprises :

    – Qu’est-ce que c’est ? Y’a quelqu’un ?

    Les fuyards restent muets. Des pas se font entendre dans l’escalier puis quelqu’un frappe sur une porte. On entend des chuchotements. Quelqu’un ouvre la porte sur la rue et sort en courant. Samir a le temps d’entrevoir une femme enveloppée dans une robe de chambre. Un instant plus tard elle revient accompagnée d’un homme. Sans un mot, ils fouillent la cour. L’homme surprend le regard noir et apeuré des deux soldats qui, accroupis au sol, le fixent des yeux.

    – Ben qu’est ce que vous faites là ? demande l’homme.

    Les deux soldats se relèvent en silence.

    – Monsieur, commence Samir en un français maladroit et fortement accentué. Nous sommes Croatie. Pas allemands, il faut des habits, s’il te plait monsieur.

    Des coups de feu éloignés retentissent. L’homme se retourne. Il réfléchit un instant.

    – Suivez-moi ! dit l’homme en se dirigeant vers la ruelle. La main sur la bouche la femme les regarde sans bouger. Au dehors, l’homme déverrouille une porte voûtée attenante à la maison. Il fait signe aux garçons de se glisser dans le trou noir de la remise. Puis, sans un mot il referme la porte à clé et s’éloigne. Dans la rue, les coups de feu ont reprit, suivis d’appels et de bruits de course.

    – Et s’il était parti nous dénoncer ? demande Milan.

    – Y’a rien qu’on puisse faire. Faut attendre.

    – Allah Akbar ! Psalmodie Milan.

    Au bout de quelques minutes, le bienfaiteur est de retour. Il porte dans ses bras un paquet de vêtements qu’il jette à terre.

    – Voilà ! C’est tout ce que j’ai trouvé.

    Les jeunes gens échangent en silence leurs uniformes pour les vêtements. Les effets sont trop amples, mais il faut faire aller.

    – Vous ne pouvez pas rester ici, dit l’homme, il faut partir, vous cacher, campagne ! D’accord ?

    Les deux déserteurs hochent la tête. L’homme ouvre doucement la porte et regarde au dehors. Puis il se tourne vers les garçons et leur fait signe de la tête pour indiquer que la rue est déserte. Les deux garçons partent en courant. Il fait maintenant plein jour. Des pas se rapprochent. Ils se dissimulent dans un recoin. Une fois les passants éloignés, ils s’aventurent hors de leur cachette, et s’éloignent en prenant un air nonchalant. Ils traversent le boulevard de Haute Guyenne en courant. Ils grimpent quatre à quatre les marches jusqu’à la promenade du Languedoc. Ils prennent, un peu au hasard une petite route bordée de maisons. Des crépitements de mitraillette se font encore entendre. Ils émanent du bas de la ville, près de la rivière. Lorsqu’un bruit de moteur se rapproche, ils se glissent entre deux maisons et se retrouvent dans une cour encombrée de machines agricoles et de matériel de toute sorte. Des bottes de paille sont entassées sous un préau. Lorsqu’un chien se met à aboyer, les jeunes soldats s’accroupissent derrière les balles de fourrage. Un homme sort de la maison attenante. Il lance un regard d’un côté puis de l’autre avant de lancer son chien qui se dirige tout droit vers le préau. L’homme le suit.

    – Qui êtes-vous ? demande t’il dès qu’il aperçoit les fuyards.

    – Pas Allemands. Croatie. Nous partir loin. Dit Samir, pointant le chemin du doigt. Les Allemands : Critch ! Et il ponctue son interjection d’un geste de son pouce d’un côté de sa gorge à l’autre.

    – Partir ? Mais c’est pas l’moment, répond l’homme. Les Allemands sont passés sur la route y’a pas un quart d’heure. Ils fouillent les maisons. Ils vont partout. Leurs officiers ont été assassinés, alors vous pensez bien ! Moi j’peux rien pour vous. Attendez qu’j’aille voir un peu, dit l’homme en arrangeant la paille autour des fugitifs avant de repartir. Il revient avec du pain et des oignons.

    – Prenez ça en attendant. J’peux pas vous laisser entrer dans la maison, parc’que si y vous y trouvent, y m’descendent aussi. Au cas où y reviennent, moi j’dirai que j’savais pas qu’vous vous cachiez là. Y faut qu’vous restiez sans bouger jusqu’à c’que ça s’calme un peu. Peut être au soir. Voilà, c’est tout.

    Et les garçons voient leur ange gardien s’éloigner. Samir s’applique à traduire pour son ami ce qu’il a perçu de la conversation. Il pense avoir compris qu’ils peuvent rester dans leur cachette. Ils mangent et parlent à voix basse. Chaque fois qu’une voiture passe devant la maison, ils enfoncent la tête dans les épaules et prêtent l’oreille en silence, pour reprendre leur discussion dès que le véhicule s’éloigne.

    – Il faut rester ici jusqu’à la nuit. Après, nous devrons nous séparer, dit Samir. On risque trop ensemble. On aura plus de chance chacun de son côté. Inch Allah ! Si Dieu le veut.

    Milan mormone quelque chose entre ses dents. Il récite des versets du Coran.

    Une heure plus tard, ils décèlent un bruit de moteur suivit d’un crissement de freins devant la maison. Une portière de voiture claque. Des pas et des voix se rapprochent. Les deux garçons se recroquevillent derrière la paille.

    Deux hommes s’avancent. L’un porte un uniforme allemand, l’autre celui de la gendarmerie française. Le propriétaire de la maison va au devant d’eux :

    – Qu’est-ce que c’est ?

    L’Allemand entre dans la maison sous les aboiements du chien à l’intérieur. Il est suivit du propriétaire. Le gendarme, lui, fouille la cour. Il passe près des bottes de paille et aperçoit la tête et les épaules des deux fuyards accroupis sans bouger. Leurs regards se croisent un instant. Sans dire un mot, le gendarme s’éloigne et continue son inspection. Lorsque l’Allemand ressort de la maison il crie :

    – Personne ! Puis tous deux repartent. Le silence retombe. Les heures passent lentement. Mais soudain Milan est prit de panique. Il s’agite. Il dit craindre que leurs poursuivants ne reviennent.

    – Le gendarme nous a vu, il est allé chercher du renfort. Ils vont revenir en force.

    Il n’entend pas les paroles de Samir qui tente de le raisonner.

    – Allah Akbar ! Dieu est grand. Lance Milan. Il se lève brusquement et s’éloigne en courant vers la route. Le bienfaiteur se précipite hors de la maison en gesticulant après Milan qui disparaît.

    – Attendez, c’est pas raisonnable ! Samir lui, reste derrière la paille pendant que l’homme retourne dans la maison. Au loin, des voix appellent et les coups de feu se renouvellent. Ils sont plus proches, cette fois. L’homme ressort sur le pas de la porte et écoute, en battant des bras. Puis il rentre à nouveau. Samir demeure prostré dans sa cachette. Le jour baisse. Le brave homme revient lui apporter de l’eau un restant de soupe froide et un morceau de pain. Samir mange goulûment. Entre chaque lampée il jette de ses yeux rougis, des regards inquiets vers son protecteur, d’un air de dire : Et maintenant, quoi ? Ses traits sont tirés. Son regard est celui d’un enfant épouvanté.

    – La Gestapo est partout en ville. Dit encore le brave homme. On les a vus passer le pont sur l’Alzou. Ils vont revenir ici, c’est sûr. Faut pas rester ici, faut partir. Campagne !

    Soudain résolu, Samir hoche la tête et se lève. Il sait que son protecteur a raison. Celui-ci sort une vieille carte de sa poche et l’étale sur le mur devant Samir. Du doigt, il indique le chemin le plus direct pour gagner la campagne. Puis il replie la carte et la tend à Samir.

    Le fuyard sert la main de l’homme et s’éloigne sur le chemin. Samir s’arrête presqu’aussitôt. Une auto blindée allemande est arrêtée à cent mètres en travers au bout de la route.

    **

    *

    Roger - Villefranche de Rouergue

    Je me rends à l’imprimerie ce vendredi matin là, lorsque j’entends des coups de feu. À l’atelier on me confirme : On a entendu des décharges d’armes. On en ignore la cause.

    – Ça a commencé vers cinq heures ce matin ! Annonce Bernard Chassagne, le contremaitre de l’imprimerie où je suis apprenti.

    – Ça venait du bas de la ville. Je les ai entendu de ma fenêtre.

    Vers dix heures, un voisin entre dans l’imprimerie.

    – Il y a eu un accrochage en face de la mairie. Surtout ne vous en approchez pas ! dit l’homme.

    Le père Hulard, le propriétaire de l’imprimerie et mon bienfaiteur, part aux nouvelles et revient une demi-heure plus tard.

    – C’est à l’hôtel Moderne. Des officiers allemands ont été tués par leurs soldats. On dit que ce sont des croates. Il y a eu des coups de feu aux alentours du pont des consuls. Faites très attention !

    **

    *

    Samir - Zagreb 1942

    Samir Sulčić n’avait pas compris ce qui lui était arrivé. Tout s’était passé si vite ! Il se rendait à la bibliothèque à la sortie de l’université de Zagreb, lorsqu’il fut arrêté pour un contrôle d’identité sur l’Avenija Slavonska par des hommes en uniforme Oustachi. C’était chose courante, ces temps-ci. On disait qu’ils recherchaient les déserteurs.

    Mais à vrai dire, il importait au gouvernement d’enrôler un certain nombre de recrues réclamées par les exigences allemandes. Les jeunes appelés croates étaient envoyés en Allemagne pour une formation militaire. On affirmait qu’à leur retour en Croatie ils iraient combattre les communistes et autres opposants du régime. Mais la rumeur publique prétendait qu’il en était tout autrement. Ils seraient dirigés directement sur le front russe. On ajoutait en outre, que s’ils étaient faits prisonniers par les Russes, ils étaient considérés comme des francs-tireurs et exécutés sur place.

    Mais Samir ne s’inquiétait pas outre mesure. Bien qu’il ait atteint l’âge du service militaire, son sursis était en règle. Grâce aux efforts de son père, il avait déjà échappé à deux vagues successives de mobilisation.

    Quand Samir avait exhibé l’attestation de sa dispense, les militaires sur l’Avenija Slavonska avaient regardé le jeune homme avec méfiance. La carte d’identité en main, le soldat oustachi s’était éloigné pour conférer avec deux de ses acolytes qui se tenaient à l’écart. Tous les trois avaient délibéré tout en dévisageant Samir à distance. Puis ils s’étaient rapprochés. Ils lui avaient ordonné de s’asseoir dans le fourgon militaire parqué sur l’avenue, et d’attendre. Samir avait bien demandé des explications, mais les soldats l’avaient ignoré. Une heure plus tard Samir, et deux autres hommes dont les papiers n’étaient pas en règle, avaient été conduits à la prison du district de Zagreb. Samir insistait sur le fait que ses papiers étaient conformes au règlement. Il demandait à téléphoner à son père. Rien de ce que disait le jeune homme ne semblait impressionner les soldats. On lui disait d’attendre, et on l’ignorait.

    Une section de la prison était réservée au quartier allemand et à la Feldgendarmerie. L’autre était gouvernée par les croates et affectée aux délits de droit communs. C’est là que Samir et les autres suspects se retrouvèrent. Ils furent réunis dans un long couloir où d’autres hommes arrêtés dans la journée attendaient déjà. Certains des prévenus paraissaient peu recommandables. Les autres se trouvaient là simplement parce qu’on contestait la légalité de leurs papiers. Samir supposa que son arrestation était le contrecoup d’un excès de zèle de la part des oustachis. Il s’impatientait, il se demandait combien de temps il faudrait avant qu’ils révisent ses papiers et le relâchent.

    **

    *

    Samir Sulčić poursuivait une double licence en littérature arabe et en philosophie à l’université de Zagreb. Le sursis d’étudiant obtenu par le jeune homme lui permettait en temps normal de reporter son service militaire jusqu’à la fin du cycle de trois ans d’études. Mais les temps n’étaient pas normaux, bien au contraire. D’ailleurs, quand l’avaient ils été ? Cela faisait des siècles que la Croatie était tiraillée de part et d’autre, en constante effervescence au sein des Balkans. L’arrivée des nazis n’avait fait que compliquer davantage la situation.

    La population croate se divisait en deux confessions majoritaires bien distinctes : Les catholiques, et les musulmans. La population de la Serbie voisine étant également catholique, les pressions et les malentendus exacerbaient les passions de part et d’autre de la frontière. Émotions patriotiques aussi bien que religieuses. Ajoutant au conflit interne, les serbes rêvaient d’une nation qui engloberait ses voisins. Ils s’opposaient à ceux parmi les croates qui rêvaient d’indépendance : les croates musulmans qui s’imprégnaient chaque jour davantage d’un lourd ressentiment envers les prétentions serbes. Croates et serbes s’engagèrent alors dans une guerre civile sans merci. Des massacres furent perpétués de tous côtés.

    Une fois de plus, la vie changea du tout au tout pour les croates lorsque les forces de l’axe conquérir et divisèrent la Yougoslavie au printemps 1941. Après la capitulation inconditionnelle de la Croatie, un état fantoche fut créé et Ante Pavelić le leader du mouvement oustachi depuis les années trente fut installé à la tête de l’état indépendant de Croatie. La culture cosmopolite et tolérante de Zagreb fut soudain anéantie par l’armée allemande et les forces fascistes des oustachis lorsque celles-ci s’empressèrent de signer un pacte tripartite avec l’Allemagne, l’Italie et le Japon. Les oustachis proclamèrent que le nouvel état devait être nettoyé de ses juifs, de ses serbes et autres indésirables.

    Il fallait se méfier de tout. Kasim Sulčić, le père de Samir, craignant de voir

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