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La maison des Alizés
La maison des Alizés
La maison des Alizés
Livre électronique251 pages3 heures

La maison des Alizés

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À propos de ce livre électronique

"Aristide m'avait dit un jour que la vie est un fusil à un coup sans savoir quelle est la bonne cible à atteindre et que la balle tirée lorsque l'on naît suit la ligne que la mire a tracée pour se ficher là où elle doit aller ; et que, même si l'on atteint le mille, l'on n'a pas forcément gagné. Mais, après m'avoir laissé d'abord et comme d'habitude dans un abîme de perplexité où il me plonge à chaque fois qu'il m'assène une telle sentence, il ajouta, dans son accoutumé grand rire, que, certes, si la trajectoire de la balle est inflexible, la cible elle peut bouger – pas facile à suivre, non ? –. Il avait raison : Alizé était la nouvelle cible de ma vie."

 

La Réunion, terre de tolérance et d'équilibre, sera-t-elle la terre de rédemption et de renaissance des protagonistes de cette histoire ? Car si le destin est le leurre de ceux qui n'attendent rien de leur vie, la destinée est pour d'autres ce qu'ils font de la leur ? Parce que seuls ces derniers peuvent entrer dans la maison des Alizés...

LangueFrançais
Date de sortie4 sept. 2023
ISBN9798223191926
La maison des Alizés
Auteur

Didier Voyenne

Après ses diplômes à l’ESSEC et au CNAM, où il a enseigné depuis en parallèle, Didier Voyenne a exercé une vie professionnelle intense dans diverses entreprises industrielles ou de services, dans les domaines comptables et financiers. Il a également co-écrit sur cette matière des ouvrages techniques. Pendant plus de vingt ans, il a pratiqué les échecs en compétition. Cependant, le théâtre, le cinéma et la littérature sont ses centres d’intérêts personnels, et l’écriture son envie profonde. Il a écrit trois romans et deux pièces de théâtre.

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    La maison des Alizés - Didier Voyenne

    Table des Matières

    La maison des Alizés

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    Didier Voyenne

    La maison des Alizés

    Roman en deux époques

    AlterPublishing

    Photo de couverture :

    Toute reproduction interdite – Photo déposée par l’auteur

    ––––––––

    Ce récit est une œuvre de pure fiction. Par conséquent, toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

    ––––––––

    © AlterPublishing, 2023 – 1re édition

    ISBN : 979-8859359981

    Quiconque est bien dirigé, n'est dirigé que pour lui-même.

    Quiconque est égaré, n'est égaré qu'à son propre détriment.

    Nul ne portera le fardeau d'un autre...

    Le Coran, « Le Voyage nocturne », XVII, 15

    Table des matières

    Époque 1

    Le toit bleu

    La tempête

    Sotto il sole d’Italia

    Vento del sud

    Vendetta

    Ritorno

    Pluie tropique

    Tango

    Époque 2

    L’arbre du voyageur

    Rêve....................................

    Le passage des baleines

    Sur les pentes du volcan

    L’âne et le puits

    Memento mori

    Et le bonheur va

    Aimons en restant vivants

    Vivons en restant aimants

    Épilogue

    ––––––––

    Époque 1

    ––––––––

    Le toit bleu

    C’est une maison bleue, adossée à la colline, on y vient à pied...[1]

    Son toit est bleu. Moi j’aurais aimé qu’il fût rouge mais, après le passage du dernier cyclone, on s’arrachait sur l’île les tôles ondulées, et les stocks de la couleur que j’aurais souhaitée avaient été vite épuisés, comme les vertes d’ailleurs, ce qui aurait été mon second choix. Je m’y suis fait. En réalité, c’est plutôt cette kaz[2] au toit bleu qui m’a fait ou plutôt, devrais-je dire, qui m’a refait. Et, quoi qu’il en soit, c’était avant que je ne la découvre.

    À quoi bon refaire ce qui est ? Se refait-on soi-même quand, après avoir vécu un cataclysme dans sa vie, on veut, on doit repartir ? Si l’on était brun, pourquoi devenir blond ? Si l’on naît petit, à quoi sert de se faire par quelque artifice plus grand ? Si l’on aime les roses, pourquoi se forcer à apprécier les tulipes ? N’être que ce que l’on est n’est-il pas suffisant ? Peut-on se refaire soi-même, d’ailleurs ? Doit-on s’y essayer ?

    J’avais tout liquidé en France où il me semblait que plus rien, ni personne, ne voulait de moi. J’y avais laissé les femmes dont j’avais mal divorcé. Les enfants qu’elles m’avaient faits ‒ ou que je leur avais faits. Pourquoi dit-on cela dans un sens ou dans l’autre comme pour distinguer une sorte de responsabilité, voire de culpabilité, de la mère ou du père selon le point de vue et les circonstances ? ‒ qui, tel qu’il se doit, m’avaient oublié. Les amis qui vivaient encore bien une vie que moi je vivais mal, enfin ils en donnaient l’apparence. Les maux que j’avais commis, vivaces encore, tout autant que les bienfaits procurés, oubliés certainement. Les biens matériels que j’avais réalisés. Je n’avais emporté que l’argent que ceux-ci m’avaient procuré et les souvenirs que ceux-là m’avaient forgé et qui ne me lâchaient pas malgré mes efforts, sans oublier mon pauvre corps fatigué et mon âme meurtrie dont je n’avais pu me débarrasser ‒ l’aurais-je fait, que serait-il resté de moi ? ‒.

    Et je suis tombé devant cette maison. Je veux dire au sens propre, un gadin style soleil, car l’astre du même nom m’avait aveuglé, et je n’avais pas vu une racine d’arbre qui s’était entiché du grand air alors que le sous-sol est son royaume. Et, du coup, j’étais tombé dessus au sens figuré, dessus je veux dire sur la maison dont le barreau[3] était largement ouvert, signe d’une invitation peut-être. Une dame entre deux âges, c’est-à-dire entre le deuxième et le troisième, s’était précipitée aussitôt vers moi.

    –  Georgette, se présenta-t-elle rapidement, en regardant aussitôt si j’étais blessé.

    Puis constat fait que oui, elle repartit dans la maison d’où elle ressortit aussitôt avec un linge propre et une petite bassine d’eau. Elle nettoya mon genou noir de terre et dégoulinant de sang, ainsi que font toutes les mères à leur enfant de huit ans.

    –  Aïe ! dit mon moi-enfant alors que depuis longtemps plus rien n’osait me faire souffrir.

    –  Ou sa là mal mon zenfant ? demanda-telle en souriant, jouant sans le vouloir un rôle de mère face à un môme de cinquante ans.

    –  Oui, là, mentis-je en désignant mon genou comme un vieux gosse qui veut encore se faire dorloter.

    Son sourire s’élargit ; je tombais bien pour elle qui aspirait probablement à se rendre utile.

    La maison était au centre d’une dispute familiale. En tombant devant elle, j’étais devenu, sans m’en rendre compte, le catalyseur d’une réaction chimique qui ne voulait pas prendre jusqu’ici. Moi, j’eus envie de cette maison à l’instant où j’avais crié « Aïe ! » et les membres de la famille, qui ne voulaient rien lâcher si cela devait être au profit exclusif de l’un d’entre eux, s’étaient accordés sur moi qui ne voulait rien d’autre que la laisser debout, telle qu’elle était. Georgette, qui était l’une des héritières majeures, mais la moins virulente dans cette affaire, avait eu à cœur de l’entretenir pendant cette période de discorde tout en interdisant qu’on l’occupât, sauf elle-même, car disait-elle : « Na pwin pèrson’ lé kapab fé sa »[4].

    Georgette avait une poitrine plus qu’aguichante et à moitié découverte, dont sa robe fleurie et colorée mettait en valeur sa peau caramel. Je ne pouvais m’empêcher de la regarder au-delà de toute convenance. Elle s’était aperçue bien sûr de mon intérêt pour ses avancées mammaires qu’elle ne se privait pas, d’ailleurs, d’exposer, les faisant gigoter au rythme de je ne sais quelle musique intérieure qu’elle devait en permanence se chanter. Elle se mit à rire !

    –  Agard koté toué nana gro tété déor ! dit-elle dans son créole alizéen.

    –  Oh oui ! répondis-je hypocritement penaud, mais réellement subjugué.

    –  Y a du monde au balcon, insista-t-elle en français, Et aussi à la terrasse ! Oh, oui, ajouta-t-elle en se retournant et en me montrant, à la base de son dos cambré, son postérieur tout aussi proéminent sur lequel elle donna une bonne claque pour bien me faire comprendre qu’il était vigoureux.

    Même en parlant français, elle gardait les intonations et la mélodie de sa langue natale. Moi qui venais de débarquer, cela me changeait du parler parisien à la fois arrogant et blasé qu’une musique banlieusarde a, de surcroît, perverti.

    Un salon traversant donne sur deux terrasses, une plutôt large à l’avant de la maison et l’autre plus étroite à l’arrière. Sur la première, que l’on appelle ici varangue[5], donnent également la cuisine, qui est grande et ouverte, et un bureau. Sur la seconde, s’ouvrent les deux chambres, accessibles comme le bureau par un couloir partant du salon et séparées par la salle d’eau, l’une derrière la cuisine et l’autre derrière le bureau. Un appentis à l’extérieur me sert de remise. Autour, c'est-à-dire sur les trois-quarts de la maison, l’arrière et les côtés, un jardin touffu et luxuriant forme un écrin de verdure et un écran solaire. On y trouve l’arbre à pain[6] aux fruits généreux, mais aussi le prétentieux arbre des voyageurs[7] avec son éventail haut perché ; les flamboyants servent de frondaison à un tunnel de verdure formé par ces arbres ; des orchidées laissées par Georgette poussent désormais à leur gré et mettent çà et là des touches d’indécence en tirant leur langue, d’autres diraient leur sexe. La façade tournée sud-sud-ouest, en direction de la mer, donne sur une large surface dégagée plantée d’un gazon des Mascareignes, qu’un Anglais dénommerait faux gazon mais qui a l’air d’un vrai, coupée en deux par une allée pavée de pierres plates et blanches. Ainsi exposée, la maison s’offre aux vents dominants, qui ainsi l’aèrent et surtout la font vivre d’une âme forte et changeante, qui s’apaisent le soir venu, sauf au temps des tempêtes et des cyclones.

    Moi, au milieu de toute cette beauté simple, je ne me sens guère plus que le frêle colibri qui vient ici cueillir le nectar des fleurs et, par un léger vrombissement, signifier quand même qu’il existe, qu’il vivra ici ce qu’il devra vivre, puis disparaîtra laissant les choses en l’état, à la Nature, notre mère à tous et qui seule survivra. Zonzon ! J’aime ce nom que les Cubains lui donnent, célébrant ainsi sa marque d’existence par l’onde sonore qu’il émet dans l’air de ses battements d’ailes si rapides lui permettant aussi de s’y tenir en suspension ou de le parcourir telle une fugace mais bonne fille de cet élément. Trrrri ! Coa, coa ! Clac, clac, clac ! Pifuit, pifuit ! Crreucrreu ! Oiseaux-lunettes verts[8], crapauds, margouillats[9], insectes dont je ne connais pas le nom et que je ne vois pratiquement jamais, vous habitez avec moi ces lieux que nous partageons. C’est bien ainsi ! Vous m’avez accepté alors même que je ne sais pas si je vous apporte quelque chose. Vous apporté-je quelque chose, d’ailleurs, ou, pire, vous prends-je ce qui vous appartient ? Vous vous en moquez sûrement et encore plus de mon interrogation ! C’est bien ainsi.

    §§§

    Je suis ici depuis trois ans, désormais. Qu’y cherchais-je au début, qu’y cherché-je encore ? Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que pour être sûr d’y arriver, j’avais décidé d’aller nulle part pour ne rien trouver de ce que j’espérais. Il est tellement plus facile de voyager quand on n’a pas de destination et pas d’endroit où l’on vous attend. Il suffit d’ouvrir la porte et de marcher, pas forcément droit devant, tout simplement au hasard vers un lieu que l’on ignore. Et il est aisé d’y parvenir alors même que l’on ne l’a pas fixé par avance, car on arrive toujours quelque part. C’est pourquoi il avait été normal, car par pur hasard, plutôt pure errance, que j’arrivasse devant cette maison au toit bleu qui était au bout de l’horizon de mes pérégrinations sans but. Je sais, je sais, l’horizon a cela de particulier que l’on ne peut jamais l’atteindre. On avance, il recule ; on pense le saisir, il nous échappe. Il n’est jamais qu’une ligne entre ciel et terre qui n’existe pas, qui est imaginaire et pourtant que l’on voit partout et tout le temps. J’ai enfin compris que, comme la perfection, il ne fallait jamais songer à l’atteindre, simplement l’avoir en ligne de mire, pour enfin vivre ce qui nous est donné et pour ce que cela vaut. L’horizon file entre nos doigts quand on veut le saisir. Il faut le laisser là où il est et, quand on est arrivé là où on ne savait pas que l’on allait, le laisser devant soi à borner notre regard sans se demander ce qu’il y a au-delà.

    Probablement, prosaïquement, je fuyais. Je fuyais l’impolitesse – bonjour, merci, pardon, un sourire ne coûtent rien et sont pourtant difficilement dispensés – ; les propriétaires de chiens qui laissent leurs déjections – celles du chien, quoique... – en faisant semblant de ne rien voir ; les conducteurs pressés zigzagant sur l’autoroute de la file de gauche à la file de droite et de la file de droite à la file de gauche à toute allure pour prendre, quelques centaines de mètres plus loin, la sortie ; les hypocrites, les menteurs ; ceux qui ne tiennent pas leur parole ; ceux qui vous marchent sur les pieds et regardent ailleurs ; ceux qui puent parce qu’ils ne se lavent pas ou ne se changent pas ; ceux qui fument dans la rue près de vous ; ceux qui posent un problème général pour que l’on traite leur cas particulier ; ceux qui travaillent au noir et s’étonnent de ne pas avoir de retraite ; ceux qui paient en liquide pour ne pas payer la TVA et qui parfois le perdent ; ceux qui hurlent quand ils ont tort croyant ainsi imposer leur raison ; ceux qui se garent sur votre bateau et vous empêchent de rentrer chez vous ; ceux qui procrastinent et ceux qui prévoient tout ; ceux qui parlent fort au téléphone dans les transports et vous agressent quand, avec politesse, on leur demande de baisser le ton ; ceux qui râlent sur les défauts des autres sans se poser de questions sur les leurs... la liste pourrait être infinie. Bref, je ne voulais plus d’un ordinaire que la société nous sert à chaque instant. Pour être clair, je fuyais les autres, tout ce qui m’avait déplu en eux et que je n’avais pas eu le courage de leur dire. Et parmi ceux-ci, moi-même ! Enfin, l’autre que j’étais avant et qu’un jour j’avais décou-vert avec effroi, insupportable. Je n’avais qu’une hâte : m’en débarrasser en recommençant à zéro, effacer ses échecs, lui refaire une virginité, renaître à partir de ses cendres.

    Cependant, pour couper le cordon ombilical, non celui qui unit à la mère et qui, lui, ne se délie jamais, mais celui que l’on crée et qui unit à la femme, à toutes les femmes qu’on ait à les connaître ou non, il faut des ciseaux aiguisés et tranchants. La coupure doit être nette et sans bavures, l’action brève et irrémédiable. Ces ciseaux ne sont pas faits de métal mais de gestes et de mots, d’attitudes et de regards. Il faut être odieux et abject, au-delà de ce que l’on est capable et de ce que, dans le pire des cas, on pouvait imaginer. Il faut couper sans état d’âme, sans espoir de réparer, de rabouter. Ou même casser plus que trancher, car plus brusque, plus sale et imparfait, et donc sans retour, sans possibilité de réparer. Être sordide plus qu’odieux ; on ne vous pardonne pas la première attitude alors qu’on absout la seconde. Ne pas laisser à l’autre le moindre regret et surtout pas la haine qui est un lien si fort qu’il demeure quoi qu’il arrive et qui continue donc de lier l’un à l’autre. Il faut être l’orage qui lessive, ravine, creuse, détruit, emporte, déforme, envahit et laisse derrière lui une telle désolation que quiconque renoncera à jamais à reconstruire ce qu’il a ravagé. Et il faut faire tout cela, surtout si l’on aime, je veux dire si l’on aime encore. Aimer est forcément une déception tôt ou tard, on en attend trop et on attend encore quand il n’existe plus. Il n’y a pas d’autre issue au bout du compte que de ne plus aimer. Moi, ça a toujours été tard, trop tard. Sauf une fois où j’ai réussi une renaissance sans génitrice qui m’a conduit ici. Enfin, c’est ce que je crois, ce que je veux croire.

    Pour en finir avec cette histoire ‒ ces histoires ‒ d’avant, en quelques mots, je suis venu ici surtout pour fuir ce qu’autrefois on appelait le « commerce » des femmes. Ce mot de commerce me paraît bien pertinent car tout semble se monnayer avec elles. L’argent, directement ou indirectement, en est un vecteur évidemment privilégié, mais aussi le temps, les sentiments. Rien n’est avec elles ne me semble gratuit, tout est mesuré, compté, déséquilibré. Donner, donner, donner sans rien attendre en retour, poncif bien-pensant et rarement vérifié, c’est ce qu’elles souhaitent des hommes mais qu’elles ne pratiquent pas en réciproque. Toutes ne sont pas ainsi, bien sûr, et beaucoup d’hommes le sont, d’ailleurs. Une majorité des êtres humains attendent une contrepartie à ce qu’ils offrent et se font prendre tout autant à ce jeu intéressé, de dupes en fin de compte. Car on veut croire qu’il convient de donner pour recevoir alors que pour la plupart il est nécessaire, voire évident, de recevoir pour donner, et encore ! Même l’aumône est un investissement pour celui qui est « charitable », quelques pièces pour une éternité supposée. Ici, j’ai l’impression que l’on peut s’en passer car la mer, le vent, la roche se donnent et reçoivent sans le savoir, ni le vouloir, et suffisent au bonheur. Avec ces éléments, la séduction n’est pas de mise. Eux se donnent ou se prennent, tel que vous le sentez, vous reçoivent ou vous absorbent, tel que vous le consentez, vous accueillent ou vous rejettent, tel que vous êtes et vous le ressentez. En fait, pour eux vous n’existez pas et, eux-mêmes, un instant ils étaient, un instant ils ne sont plus. Eux n’existent qu’un bref moment ; toujours présents, ils ne sont jamais les mêmes, chaque moment les fait vivre et les fait mourir pour mieux renaître et mourir de nouveau. Eux n’attendent rien. Chaque jour, ils changent sans évoluer, constants dans leur retour à eux-mêmes ; chaque jour, ils oublient ce qu’ils étaient. Eux ne vous attendent pas, ni personne d’autre. Que ne sommes-nous pareils ! Ils sont les choses de l’instant. Ce qui vient d’arriver n’est plus, et ce qui arrivera n’est pas encore. Pourquoi regretter hier et espérer demain et ainsi mal vivre le présent. Et que vaut ce qui arrive ? Eux sont, voilà tout, à un instant, à un instant seulement. Même quand ils sont menaçants, ils ne savent rien de leur méchanceté car ils ne sont pas cruels. Et quand ils sont accueillants, ils n’exigent rien de quiconque, aucune récompense, aucune reconnaissance, aucun retour, aucun paiement, car ils ne sont pas généreux, ils ne sont pas pingres. Ils sont ce qu’ils sont. Les femmes comme les hommes se croient leurs supérieurs, leurs maîtres même car se pensant le but ultime de la Création, alors que ce sont ces objets inanimés ou ces éléments insaisissables, inaliénables qui les gouvernent et les contraignent. Au mieux, les unes sont l’eau et les autres le feu, ou l’inverse, eau et feu qui de toute façon ne se marient pas dans la Nature. Alors pourquoi vouloir être plus forts que celle-ci, unir ce qui ne peut pas l’être ? Et, après tout, peut-être que les femmes valent plus que les hommes ! Ou que les femmes comme les hommes ne sont guère appréciables ! Quelle importance, d’ailleurs ? Quoi qu’il en soit, pour faire du commerce, le plus sordide ou le plus noble soit-il, il faut être deux, un vendeur et un acheteur qui doivent s’entendre. Et comme aujourd’hui je ne suis plus ni l’un, ni l’autre, tout ceci n’a plus pour moi aucun sens.

    Le bonheur est ennuyeux, seul le désir du bonheur peut rendre heureux. On ne désire pas ce qui est bon, est bon ce que l’on désire. Le chemin vers la destination est bien plus agréable que l’atteinte de celle-ci. Tant que l’on a faim, on a envie de manger, une fois rassasié, on n’a plus rien à satisfaire. J’ai cherché à être heureux sans y parvenir. Le faut-il d’ailleurs ? Ici, je n’ai que le désir et, peut-être, celui d’exister. D’aucuns disent que l’on n’existe que dans le regard des autres. Du moins, c’est ce que je croyais avant d’arriver ici. Depuis lors, j’apprends à exister par moi-même et pour moi-même avant que de vouloir exister pour les autres. L’altruisme ne peut se concevoir sans une bonne dose d’égoïsme. Tel un bouddhiste, j’apprends à m’aimer moi-même pour aimer les autres, rejetant l’amour-propre, fait d’orgueil, pour l’amour de soi, fait d’humilité. Je

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