Moi, Sarah
Par Katla Raphaëlle
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
C’est en essayant de comprendre l’histoire vécue par sa famille maternelle et les traumatismes muets laissés par la Shoah que Katla Raphaëlle déchiffre les stigmates identitaires transmis au fil des générations. Ce premier ouvrage, Moi, Sarah, représente la transposition du rêve et de la réalité dans les yeux de l’enfant cachée qu’a été sa grand-mère pendant la guerre.
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Aperçu du livre
Moi, Sarah - Katla Raphaëlle
Préface
Un texte, un récit qui fait retour sur des évènements douloureux. Un texte de prime abord déconcertant pour l’historienne qui traque les traces géographiques. Mais on se laisse prendre par la musique des phrases, par cette mise en scène qui s’attache aux détails avec des mots particuliers pour chacune des situations. Le poème devient symphonique et met de l’ordre dans le désordre des émotions : la peur, la séparation, l’amour paternel, l’abandon, la culpabilité, la faute, l’attente, l’interdit de futur, le cauchemar récurrent. Allers-retours chronologiques avec des indices posés comme des petits cailloux blancs pour ne pas perdre le fil. « Naître, survivre et mourir », un triptyque d’inégale longueur pour se retrouver. On apprend qu’il existe une petite boîte en fer où l’on peut enfermer les souvenirs trop douloureux de la « vie d’avant » justement pour se permettre d’aller de l’avant : « Tu dois grandir avec le soleil de son souvenir et non avec l’ombre de sa disparition », lui écrit sa mère avant d’être arrêtée, à propos de l’amour de son père. Tu dois vivre, et elle vécut !
Sarah Fajfer, dite Suzanne après la guerre, est la grand-mère de l’auteure. Le récit imaginé colle à la réalité, celle de milliers d’enfants, ballottés, cachés, traqués dès le début de la guerre, emmenés en « zone libre » par l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE), une œuvre médico-sociale juive née à Saint-Pétersbourg en 1912. En l’occurrence, ils vont dans un bel endroit au bord de la mer, « la villa Mariana » dans le Var, une charmante maison dans la verdure qui devient rapidement surpeuplée, puisqu’elle accueille une quarantaine d’enfants de 6 à 14 ans. Sarah n’a pas le temps d’en profiter. Elle n’était pas là lorsqu’on lui a volé son père adoré arrêté lors de la convocation du « billet vert » le 14 mai 1941 comme 3 700 autres jeunes juifs étrangers envoyés à Beaune-la-Rolande ou à Pithiviers, puis à la mort. En revanche, elle était là auprès de son petit frère Henri, emporté par une maladie aussi mystérieuse que soudaine. Elle était là pour s’en occuper et remplacer une mère absente, malade du cœur et qui n’arrive jamais à joindre les deux bouts. L’OSE suit la traque des Juifs, Sarah suit l’OSE toujours plus loin vers la zone d’occupation italienne. Elle va connaître deux autres maisons d’enfants en Savoie, « les Lutins » à Moutiers-Salins, une jolie villa avec un jardin sur la route de Brides-les-Bains, puis « La Chaumière » à Saint-Paul en Chablais. Après la mer, la montagne. Ils sont heureux, les enfants de l’OSE dans ces maisons. « Mais ils riaient le jour et pleuraient la nuit », selon une éducatrice. Et puis un jour, il a fallu se cacher pour de bon, abandonner sa poupée, oublier son vrai nom, cacher que l’on est juive. Heureusement, il y a le dessin et ce fut son fidèle compagnon avant, pendant et après la guerre. Elle est en sécurité, la toute jeune fille aux cheveux courts et au regard volontaire, comme les quelque 2000 enfants cachés dans le réseau Garel, le circuit clandestin de l’OSE. Elle est chez une veuve de guerre de l’Isère et s’appelle désormais Simone Fabert. L’errance s’arrête là, mais reprendra après la guerre.
Reconstruire une communauté en lambeau, réparer la misère sociale, telle est la mission de l’OSE après la guerre. Elle est en capacité d’ouvrir 25 maisons d’enfants. Sarah arrive dans l’une d’entre elles à Ferrière-en-Brie chez les Rothschild. Le décor est grandiose mais la réalité différente, tout manque sauf la vermine. Elle connaîtra ensuite Corbeville, Champfleurs, Le Vésinet et Saint-Germain-en-Laye, quatre maisons en quatre ans, difficile de faire mieux. La jeune fille est de plus en plus volontaire, avec ses longues nattes, elle regarde devant elle et veut mordre à la vie. Sa mère est toujours vivante, mais vit dans une chambre d’hôtel. L’OSE accompagne Sarah jusqu’à son mariage en 1952. Elle a tout juste 20 ans.
Katy Hazan, historienne à l’OSE
« Survivre
Ne pas mourir lors d’un évènement qui aurait pu être mortel ;
Demeurer en vie après une autre personne ;
Vivre encore après la perte de ce qui était important dans sa vie ».
1
« Suzanne ! Réveille-toi ! »
Je me redresse sur le petit lit qui m’a été aménagé dans un coin de la grange, près de ceux des autres enfants.
J’ouvre les yeux difficilement, mes cheveux me collent au visage, et je sens encore l’empreinte d’un coussin sur ma joue gauche, chaude et endormie.
J’écrase une mèche longue et bouclée derrière mon oreille et enfouis ma tête dans ma poupée chiffonnée.
« Vite ! Il faut partir ! »
Je suis bien, comme ça, le nez dans la douceur plissée et rassurante de ma poupée.
Je la serre fort. Je ne veux rien d’autre que continuer à dormir. Je referme les yeux… voilà… si je me replie suffisamment sur moi-même, je parviens à ne plus les entendre.
J’arrive à ne plus entendre les cris, les secousses, les pleurs.
J’arrive à ne pas sentir le froid et les mouvements agités autour de moi.
« N’emportez rien ! On n’a pas le temps ! »
Je suis à présent assise au bord du lit.
« Mais enfin Suzanne, dépêche-toi ! »
Mes pieds nus touchent à peine le