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La RECEVANTE
La RECEVANTE
La RECEVANTE
Livre électronique357 pages5 heures

La RECEVANTE

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À propos de ce livre électronique

Un roman qui frappe fort, très fort !

Une histoire bouleversante, une fin percutante!

Chaque femme est le résultat de son histoire.
Tout dépend de ce qu’elle aura compris.

Margot Savard, journaliste sans frontières, revient dans Charlevoix, sa terre natale, pour refaire sa vie et écrire ses mémoires afin de partager son expérience de vie à titre de correspondante de guerre dans les plus grandes zones de conflit du monde. Ayant vécu dans l’ombre de son conjoint, auteur et journaliste de réputation internationale grandement encensé, Margot tente de clore la boucle d’une vie plus grande que nature.

Son parcours bucolique dans Charlevoix est ébranlé par de sérieux chocs post-traumatiques qui la plongent au cœur d’une intrigue déchirante. Comme un miroir brisé, elle tente de réunir les tessons pour combattre ses démons. Ceci l’amènera à retourner en Afrique, où son métier l’avait jadis conduite, pour y rencontrer des messagères, ainsi que des femmes ayant joué un rôle marquant dans le passé de son conjoint. Ceci l’amènera à retourner en Afrique, où son métier l’avait jadis conduite, pour y rencontrer les femmes qui ont joué un rôle marquant dans le passé de son conjoint.

Ce qu’elle découvrira là-bas dévoilera sa fragilité, autant comme femme que comme journaliste, elle qui toute sa vie, s’est battue pour défendre les droits des femmes et des enfants. Comme une trahison, le passé ressurgira et ravivera de vieilles blessures. Outrepassant la volonté et la raison, Margot se joindra à un groupe composé de Congolaises pour dépister la vie disparate de son homme. C’est à ce moment que la vérité éclatera pour mettre un terme au mal qui a hanté la vie de toutes ces femmes.

Mais est-ce que Margot, la femme blanche privilégiée, sera en mesure de recoller les tessons de son miroir et de s’y regarder pour la première fois? Parfois, les femmes sont plus fortes lorsqu’elles s’arment de leur vulnérabilité.  
LangueFrançais
Date de sortie20 avr. 2023
ISBN9782925178736
La RECEVANTE
Auteur

Suzanne Rhéaume

Originaire d’Ottawa, Suzanne Rhéaume, qui habite aujourd’hui à Saint-Irénée, un petit village situé dans la région de Charlevoix, a œuvré en communications aux Archives publiques du Canada, au sein d’un cabinet ministériel fédéral et au Conseil du Trésor. Elle a par la suite enseigné la littérature au niveau secondaire et universitaire. Ses voyages en Asie, en Europe et dans les Amériques l’inspirent dans ses histoires où la vie confronte ses personnages à un questionnement sincère qui nourrit l’énergie vitale positive. Auteure, nouvelliste et blogueuse, elle a publié des articles dans des revues populaires et gouvernementales, ainsi que dans divers autres médias. Outre pour l’écriture, elle se passionne pour la peinture et la musique.

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    Aperçu du livre

    La RECEVANTE - Suzanne Rhéaume

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    Table des matières

    Remerciements

    Une bouteille à la mer

    Chapitre 1

    Chapitre 2

    Chapitre 3

    Chapitre 4

    Chapitre 5

    Chapitre 6

    Chapitre 7

    Chapitre 8

    Chapitre 9

    Chapitre 10

    Chapitre 11

    Chapitre 12

    Chapitre 13

    Chapitre 14

    Chapitre 15

    Chapitre 16

    Chapitre 17

    Chapitre 18

    Chapitre 19

    Chapitre 20

    Chapitre 21

    Chapitre 22

    Chapitre 23

    Chapitre 24

    Chapitre 25

    Chapitre 26

    Chapitre 27

    Chapitre 28

    Chapitre 29

    Chapitre 30

    Chapitre 31

    La Recevante

    Suzanne Rhéaume

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    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Titre: La Recevante / Suzanne Rhéaume.

    Noms: Rhéaume, Suzanne, 1953- auteur.

    Identifiants: Canadiana (livre imprimé) 20220027447 | Canadiana (livre numérique) 20220027455

    | ISBN 9782925178712 | ISBN 9782925178729 (PDF) | ISBN 9782925178736 (EPUB)

    Classification: LCC PS8635.H44 R43 2023 | CDD C843/.6—dc23

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) ainsi que celle de la SODEC pour nos activités d’édition.

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    Conception graphique de la couverture: Jim Lego

    Direction rédaction: Marie-Louise Legault

    ©  Suzanne Rhéaume, 2023 

    Dépôt légal  – 2023

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Tous droits de traduction et d’adaptation réservés. Toute reproduction d’un extrait de ce livre, par quelque procédé que ce soit, est strictement interdite sans l’autorisation écrite de l’éditeur.

    Imprimé et relié au Canada

    1re impression, mars 2023

    À ma famille, vous êtes ma lumière.

    In Memoriam

    À la mémoire de Jocelyne, ma première lectrice, celle qui était toujours là pour m’encourager, enlever les cailloux et arracher les mauvaises herbes de mes textes. Une femme de cœur, intelligente et forte, mais surtout aimée. Tu n’as pas eu la chance de voir la publication de La Recevante, mais ce beau roman voit le jour parce que tu étais là dès le début. Tu as toute ma reconnaissance émue.

    Pour toi, quelques mots doux d’une grande femme que nous aimons…

    Il restera de toi…

    Il restera de toi ce que tu as donné.

    Au lieu de le garder dans des coffres rouillés.

    Il restera de toi de ton jardin secret,

    Une fleur oubliée qui ne s’est pas fanée.

    Ce que tu as donné, en d’autres fleurira.

    Simone Weil

    Remerciements

    Un merci du fond du cœur à ma fille, Marie-France Vary, pour sa patience, son intelligence et ses enseignements précieux sur l’Afrique et les femmes fortes qui émanent de ce continent.

    Un petit mot au sujet de La Recevante

    La Recevante est une maison qui existe et qui a servi d’inspiration pour ce roman. Elle possède un cachet spécial et figure au nombre des plus belles propriétés de Saint-Irénée, dans Charlevoix, Québec.

    Les belles âmes arrivent difficilement à croire au mal, à l’ingratitude, il leur faut de rudes leçons avant de reconnaître l’étendue de la corruption humaine.

    Honoré de Balzac

    Si elle joue tant avec le feu, c’est parce qu’elle s’est déjà brûlée. Et que, malgré la douleur, elle a aimé la danse de la flamme dans son cœur.

    Myra Eljundir

    Une bouteille à la mer

    Par Marguerite Savard

    12 ans

    Saint-Irénée, Québec

    Je suis née avec la lumière et l’eau. Elles ne me demandent rien. Elles ne font que me guider, car elles savent où aller. Le soir, elles conjurent les lucioles pour éclairer mes pas dans le foin salé qui mène au fleuve. Je n’ai pas peur. L’incroyable légèreté de l’eau me soulève avec elle jusqu’à la Voie lactée, où toutes les étoiles du monde dansent autour de moi.

    Le fleuve m’attend. Mes pas frôlent le courant. Je marche sur les vagues laissant des sillons. Je vois l’autre côté de la surface de l’eau, où les bélugas, illuminés par les tourbillons de planctons lumineux, deviennent couleur d’émeraude tout en nageant dans leur dimension moelleuse. Sans tarder, la Voie lactée frémit au chant des baleines. Tout est vibration, pour moi, la fille d’eau et de lumière.

    En plongeant ma main dans le fleuve, je confie à la mer ma bouteille qui renferme mes rêves sur un papier taché de mon alphabet. Les bélugas, messagers du fleuve, apporteront mes rêves là où finissent les côtes rocheuses de mon pays. Les courants marins transporteront ma bouteille où j’irai un jour la reprendre sur une terre autre que la mienne. Au bout de mon envol, je glisse doucement le long des fils de l’aurore boréale, jusqu’à la terre rocheuse de Charlevoix.

    Toute ma vie est dans cette bouteille. Tous les rêves d’une fille de 12 ans qui s’appelle Marguerite Savard, de Charlevoix.

    P.-S. Je préfère le nom Margot. Margot tout court.

    Chapitre 1

    L’écrit ça arrive comme le vent, c’est nu, c’est l’encre, c’est l’écrit et ça passe comme rien d’autre ne passe dans la vie, rien de plus, sauf elle, la vie. 

    Marguerite Duras

    Carnet de notes no 8 de Margot Savard, Presse canadienne

    Nord-Kivu, République démocratique du Congo

    Je tiens la bouteille dans ma main droite comme si ma vie en dépendait. Au fait, ce n’est pas loin de la réalité. L’eau potable est rare, ici. Je la conserve jalousement en prenant de petites gorgées à la dérobée, juste assez pour humecter ma bouche. L’eau a toujours été ma force salutaire, celle qui a une mémoire, et qui me relie à elle constamment à différents moments de ma vie. L’importance de l’eau ne m’échappe jamais, même quand elle s’accroche aux activités les plus banales pour donner un sens à tout. L’eau est partout en moi, et moi partout en elle.

    Toutes les vibrations du monde m’ont amenée au cœur d’une guerre oubliée par l’Occident, au pied des collines au Nord-Kivu en République démocratique du Congo. Tout est en suspension. L’aube fugitive plane comme si elle hésitait à s’y déposer. La nuit respire son souffle chaud en frôlant ma joue avec sa main curieuse. Je suis en terre étrangère, en périphérie de ce qui a déjà été humain.

    Le conflit armé a laissé une paix haletante, sans fond. Les rebelles et les milices se sont retirés dans le noir. C’est un silence bavard ponctué des sonneries de cellulaire des journalistes de la presse internationale qui prennent la relève. Les militaires se mobilisent pour maintenir la paix fragile. Le théâtre des opérations se transforme en défi humanitaire pour recevoir ceux qui restent après les combats. Les survivants iront à l’hôpital ou dans une clinique de fortune. Le personnel médical s’affaire au point de triage. Tout est dans l’attente. C’est la nuit qui portera conseil, qui séparera ce qui est obscur de la noirceur, qui vivra et qui périra.

    Toute cette tragédie est du déjà-vu pour moi. J’ai toujours cherché à dénoncer ceux qui banalisent le mal. J’ai compris le désespoir aux prises avec la plus grande tragédie humaine, de ce qui meurt en nous. C’est un état d’âme qui va au-delà de la crainte de l’obscurité pour avoir peur de la lumière. C’est aussi sentir dans nos os le brouillard d’une impuissance devenue indifférence. Le décompte a commencé pour moi. Mon passeport, mon billet, un sac à dos rempli de calepins et une bouteille d’eau sont tout ce qui reste. Je respire l’air du Congo comme si j’avais peur de me noyer. Ce sera ma dernière fois. Je rentre chez nous. La Recevante m’attend.

    De l’autre côté du centre de triage, j’observe mes collègues qui transmettent leurs dépêches aux différentes salles de nouvelles. Je viens de signer mon dernier reportage qui sera diffusé avant même que je ne quitte le terrain. Un immense fardeau s’enlève de sur mes épaules. Dans quelques heures, je serai enfin en transit pour retourner au Canada après une absence de plus de trente ans, afin de retrouver les miens. L’odeur ici n’est plus la mienne. C’est plus facile de partir. Il me reste à obtenir l’approbation du médecin qui veille sur moi depuis une semaine.

    ***

    —Margot. Ça va? s’enquit le médecin en regardant la femme étendue sur un grabat couleur kaki.

    —Oui, ça va. Vous avez mes papiers?

    —J’ai vos papiers. Écoutez, Margot, vous devez donner suite à notre discussion concernant votre état. Ils sont prêts à vous accueillir à l’Hôpital Montfort d’Ottawa.

    —Je vais m’y rendre. Mes papiers?

    —Vous savez, Margot, je ne suis pas convaincu que vous suivrez mes conseils. Vous comprenez la sévérité de votre condition, mais vous semblez présumer que vous pourrez vous en sortir par vous-même. Croyez-moi, ce ne sera pas le cas. D’autres ont réagi de la même façon et ont fini par s’écrouler. Je ne veux pas vous décourager, mais nous avons déjà eu cette conversation et sincèrement, au risque de paraître insistant, je vous demande une dernière fois de poursuivre fidèlement les soins prescrits.

    —J’ai bien compris. Je veux simplement m’en aller. Ma famille m’attend. Je ne serai pas seule.

    —Ce fut un honneur de vous rencontrer, Margot. Ce n’est pas tous les jours que nous pouvons croiser une personne comme vous. Je suis heureux que vous retourniez auprès de votre famille. Pour ce qui est de l’aspect médical, je ne peux pas vous forcer à entreprendre des démarches contre votre volonté. Bon retour à la maison.

    Le médecin tendit la main à sa patiente, que celle-ci saisit avec aigreur. Margot avala sa dernière gorgée d’eau, et serra la bouteille contre sa poitrine. Ladite bouteille avait une importance vitale accrochée à deux souvenirs; celui de toutes les bouteilles à la mer qu’elle avait lancées dans le fleuve alors qu'elle vivait à Charlevoix, et celui d’une aïeule, l’une des femmes qui lui avaient rendu la vie plus supportable au cours des derniers mois dans le camp de réfugiés. Lorsque cette dame avait terminé son quart de travail, elle prenait son dernier thé de la journée avec Margot. Ensuite, elle avait l’habitude de renverser la tasse vide en la déposant sur la table de la cuisinette de fortune, avant d’aller se coucher. Pour elle, tourner la tasse à l’envers sur la table signifiait non pas la fin de la journée, mais bien la fin de sa vie. Or, au matin, elle se levait pour constater qu’elle était encore en vie, que ses yeux pouvaient voir, que ses oreilles pouvaient entendre et qu’elle pouvait ressentir la vie par les pores de sa peau. Ensuite, elle allait vers la table et retournait la tasse à l’endroit. Ce simple geste signifiait qu’une nouvelle vie commençait et qu’elle était prête à l’accueillir. Pour Margot, la bouteille collée contre sa poitrine avait la même signification. La tasse était tournée. Demain, elle commencerait sa nouvelle vie après avoir quitté celle qu’elle avait conjurée dans les bouteilles à la mer, sur la plage de Saint-Irénée, dans Charlevoix. La prophétie de Margot tout court allait se réaliser.

    Rentrée au bercail, cette dernière reverrait La Recevante, la maison de son enfance qui appartenait à ses grands-parents et qui se trouvait à Saint-Irénée. Elle pourrait enfin décrocher toutes les rêveries qu’elle avait suspendues aux arbres pour les ranger dans les mémoires et les romans qui attendaient sa plume. La vie reprendrait une fois qu’elle quitterait Nord-Kivu et sa carrière de correspondante étrangère. Deux heures après sa dernière consultation avec le médecin, deux brancardiers vinrent chercher Margot, qui s’était finalement assoupie après 48 heures de vigilance.

    ***

    Margot relut le texte qu’elle venait de transmettre à son éditeur. Bien que l’armée congolaise ait chassé les groupes rebelles des positions qu’ils occupaient dans les montagnes, la région, à quelques kilomètres du centre de réfugiés, était loin d’être pacifiée. Dans cette zone où la primauté du droit n’existe plus, des affrontements violents survenaient constamment avec les groupes rebelles. La volonté de mettre fin aux attaques des anciens génocidaires du Rwanda, maintenant relocalisés au Congo, apportait une paix suspecte et engourdie. Les comptes rendus de massacres aux atrocités inimaginables parvenaient au camp de réfugiés de la bouche des survivants qui décrivaient ces crimes délibérés et prémédités contre l’humanité. Les chiens de guerre, ces meutes sauvages de soldats, étaient laissés pour compte par l’effondrement de la guerre et du comportement civilisé. L’impuissance généralisée de la population écrasait la vie des innocents, surtout des femmes et des enfants. L’indifférence devenait complice. Il ne restait que la corruptibilité des forces congolaises.

    Plus loin, dans les montagnes du Congo, une autre horreur existait dans la noirceur. La science et le commerce continuaient à réclamer des dépôts importants de minerai au profit des multinationales. La traçabilité disparaissait dans le dédale d’embargos sur les trafiquants d’armes. Ici, tout est exploité pour le coltan, le minerai que l’on retrouve dans nos cellulaires, les consoles de jeux, les portables et les voitures électriques. La vie est sacrifiée pour la technologie des temps modernes. Ici, dans les mines du Congo, c’est le Moyen Âge. Rien n’est mécanisé. Des formes humaines creusent à la pelle pour trouver les cailloux de coltan que l’on casse à coups de masse pour libérer un minerai contenant du tantale et du niobium. Le tantale crée un métal d’une très grande résistance à la corrosion, mais qui ne résiste pas à la corruption.

    L’enquête de Margot l’avait transportée au pied de ces collines où elle avait vu des enfants creuser dans la carrière. La région avait connu un éboulement, alors qu’une colline entière avait cédé et enterré des enfants. Cette exploitation éhontée existait parce qu’on envoyait les enfants plus jeunes dans les trous de creusage. La scène était surréelle. Pendant que les bambins disparaissaient dans les trous, les femmes continuaient de creuser en allaitant les plus jeunes attachés à elles. Il s’agissait d’un travail à la chaîne. Un travail dangereux. Les conflits alimentés par la pauvreté extrême et l’isolement faisaient en sorte que l’on ne comptait plus les décès. C’était une sélection naturelle. La loi du plus fort. Celle qui nourrissait les marchés étrangers, loin de la misère des enfants et des femmes de cette région.

    Margot était venue faire un reportage sur l’exploitation des femmes et des enfants pour la presse canadienne. Comme les diamants du sang, le coltan engendrait les conflits. Les entrevues de la journaliste avec Médecins sans frontières établissaient le lien direct entre l’exploitation des mines et celles des êtres humains. Les dirigeants de la mine avaient refusé une entrevue sous prétexte qu’ils manquaient de temps pour planifier la visite. La guerre pouvait continuer à vendre sur les marchés mondiaux.

    Habituée aux subterfuges en guise de stratégie, Margot s’était dissimulée pour parler aux femmes. La réalité froide était suffocante: soit leurs enfants s’enrôlaient dans l’armée, soit ils travaillaient à la mine. Les solutions de rechange n’étaient pas nombreuses. La réponse puissante demeurerait toujours l’éducation, un luxe inabordable pour les creuseurs. Plusieurs jeunes travaillaient à la mine pour payer leur scolarité. Plusieurs ne revenaient pas, ou manquaient à l’appel. Les écoles étaient désertes. Les travailleurs affamés creusaient pour dénicher du coltan, même sous les écoles qui glissaient tranquillement dans les ravins creusés à la main.

    L’impunité régnait. Même si la loi interdisait l’embauche d’enfants dans les mines, les politiciens s’en lavaient les mains. Les gardiens tiraient à balles réelles sur les creuseurs. Tout fonctionnait sous peine de menace de mort. Le gouvernement n’imposait aucune sanction. Le coltan se vendrait encore après que Margot eut quitté l’Afrique à la suite de son dernier reportage. La seule façon de mettre un terme à cette exploitation consistait à punir économiquement ces compagnies minières. En écrivant et en dénonçant ce fait dans la presse, il y avait toujours une étincelle d’espoir, de compassion ou d’intelligence voulant que le reportage suscite la désapprobation du grand public et qu’une guerre économique soit lancée pour arrêter cette folie inexplicable. Margot avait fait son devoir. Il ne restait que l’écho de ses mots dans le vide. Le monde ne changerait pas du jour au lendemain.

    ***

    La reporter enleva ses lunettes et frotta ses yeux avec le revers de sa manche. La noirceur dans le camp rendait la lecture de ses notes impossible. L’attente était tangible. Des sinistrés avaient marché la nuit durant tout en restant aux aguets, par crainte d’une embuscade ou d’une prise d’otages. Un long mirage de formes humides, des âmes sans papier, arrivait à la barrière. Les enfants pleuraient et cherchaient le sein de leur mère. Des chèvres insouciantes broutaient paisiblement dans la noirceur. Une seule d’elles portait une cloche au cou. Tout était bleu profond. Le bleu qui devrait être la couleur du ciel et de la mer. Le bleu mélangé au rouge du sang et au vert de la forêt dense. Le bleu devenu noir luisant sur la peau tendue tel le bleu minéral des creuseurs dans la mine.

    Le chauffeur apparut au bout de la civière de Margot. Perplexe, il se demanda si cette dernière serait en mesure de se rendre au véhicule. Un bruit le fit sursauter. Il observa des silhouettes qui allaient retrouver les militaires débarder les camions chargés d’aide humanitaire. L’air chaud du climat collait aux dents et bloquait les narines. Margot avait de la difficulté à respirer. Une brise bousculait les feuilles de son carnet pour annoncer l’heure du départ. La page voulait tourner. Ce moment était tout ce qui appartenait à la Québécoise. Il n’y avait rien d’autre.

    —Vous êtes Marguerite Savard de la presse canadienne? s’enquit le chauffeur.

    —Oui, confirma Margot, en lui rendant un formulaire. Ne vous inquiétez pas, je peux marcher.

    Le chauffeur du Jeep reçut finalement l’autorisation de quitter le camp. Ils seraient seuls, Margot et lui. En route pour l’aéroport, la journaliste taponna son cahier de notes.

    —Vous aimez votre métier? questionna le chauffeur.

    —Oui, beaucoup.

    —Je ne comprends pas les femmes qui font comme les hommes. Vous n’avez pas peur?

    —Peur de quoi?

    —Les femmes n’ont-elles pas peur de se faire enlever, de se faire violer?

    —Le danger est le même pour un homme. Ce ne sont pas seulement les femmes qui sont sujettes à la violence.

    —Un homme peut se défendre.

    —Une femme aussi.

    Le chauffeur jeta un regard furtif vers sa passagère afin de l’examiner.

    —Vous avez écrit au sujet de la guerre? Des mines?

    —En effet.

    —Croyez-vous que les gens comprendront?

    —Que voulez-vous dire?

    —Qu’ils vont comprendre la racine de tout ce mal?

    —Pouvez-vous me l’expliquer?

    —Répondez-vous toujours aux questions par des questions?

    —Désolée, c’est une vieille habitude. Je pose les questions pour obtenir les réponses. Ce n’est pas de moi que les réponses doivent venir. Si vous voulez vraiment le savoir, je viens de terminer un reportage sur le conflit au Nord-Kivu et l’exploitation minière qui alimente ce conflit. Je l’ai transmis hier. C’est le dernier article que je signe.

    Le chauffeur se tut, satisfait d’avoir pu faire parler la Canadienne.

    En route, Margot regarda au loin. Le bras sorti du véhicule, elle laissait sa main planer sur le courant d’air chaud. Les idées l’amenaient loin. Le chauffeur avait raison. En tant que journaliste, elle cherchait toujours la racine du mal qui ne reste pas à la surface, mais qui creuse dans la profondeur moite de l’inconnu. Ce qu’elle avait trouvé coup sur coup était une vieille vérité, à savoir que la réalité se remplit d’espaces vides et que pour la comprendre, il faut la colmater par le pouvoir et l’innocence. Que l’intelligence sans l’instinct valait moins que la sagesse. Que la plus grande certitude pour une correspondante de guerre soit la solitude de l’esprit quand vient le temps de dénoncer l’injustice dans le monde. Quand on vit entre la précarité et la noirceur, la solitude de celle qui écrit ne peut s’appuyer que sur elle-même.

    Les atrocités dont Margot avait été témoin la hanteraient pour toujours. Toutefois, deux constats l’encourageaient. Premièrement, que la beauté collatérale, celle qui se cache, existe malgré les pires atrocités. Les femmes seront toujours les porteuses de vie et les enfants seront toujours porteurs d’espoir. Deuxièmement, que le temps n’est pas linéaire, mais élastique et vivant. Le temps passe à travers nous comme le vent du large qui vient du fleuve Saint-Laurent dans Charlevoix. Lorsqu’il passe, il emporte les vestiges de la peur cachés dans l’espace entre notre peau et nos os. C’est lui qui assigne la valeur à tout. Le temps n’est pas une illusion. Il n’est pas une lutte. Margot se souvenait qu’à 12 ans, elle écrivait des lettres et que l’univers n’avait jamais répondu à la myriade de questions et de souhaits qu’elle avait confiés aux nombreuses bouteilles jetées à la mer. Enfant, elle connaissait déjà la réponse: que le temps est un don de la nature et qu’il nous transporte comme les occasions qui se présentent au long de sa course. Nous ne pouvons pas reprendre le temps perdu. Nous devons vivre pleinement le temps qui reste, car c’est lui qui, par l’expérience, nous révèle la valeur de nos choix.

    Drôle de jeu de mots. Margot reprit son stylo et ouvrit son cahier. Elle avait envie d’écrire sur la différence entre la preuve et l’épreuve. La quête de la preuve avait toujours été le fondement de son instinct de journaliste. Le rôle de la preuve était basé sur la raison. Affirmer sans preuve voulait dire que l’on pouvait nier sans preuve. Margot préférait les belles preuves au lieu des belles paroles. La nature était un fait et non une opinion. C’était là le mystère de la nature humaine.

    Pour ce qui était des épreuves, la journaliste connaissait leur juste valeur une fois qu’elle les avait traversées. Pour elle, le séjour prochain au centre hospitalier à Ottawa serait une dure épreuve à surmonter. Celle-ci constituerait aussi un nouveau départ. Chose certaine, la vie ne serait plus comme avant.

    Chapitre 2

    Aéroport international de Goma, Goma, République démocratique du Congo.

    —Margot…

    —Stella? Ça fait du bien d’entendre ta voix. Le cellulaire va peut-être couper. Je suis à l’aéroport de Goma. Je rentre au Canada.

    —Margot, je vais te rencontrer à l’aéroport d’Ottawa. Viens chez nous pour quelques jours avant d’aller dans Charlevoix.

    —Je resterai à Ottawa un certain temps. J’ai des rendez-vous médicaux. De plus, les locataires qui avaient loué la maison de ma grand-mère au Ruisseau-Jureux sont partis le mois dernier.

    —Tu vas demeurer dans la maison de ta grand-mère? Tu en as de la chance! J’ai toujours aimé La Recevante. C’est une maison qui a un bon karma. Je suis heureuse pour toi. Il y a de la place pour Lola et moi?

    —Il y aura toujours de la place pour toi et ta belle danoise. Il n’y a rien comme la présence de ton énorme chien dans une maison remplie d’antiquités. Je te taquine. Tu pourras m’aider. J’ai beaucoup à faire pour mettre toute ma paperasse en ordre.

    —Ton tapuscrit pour la maison d’édition?

    —Il ne me reste que des notes gribouillées distraitement dans une série de calepins numérotés. Au fait, ce sont mes mémoires. Nous en sommes rendus là. J’ignore si ce sera la romancière ou la journaliste en moi qui écrira ce livre. Ce que je sais, c’est que tous les mots ne sont pas égaux, que toutes les idées ne donnent pas refuge et que toutes les joies usées demeurent usées. Je n’ai aucun destin à corriger. Comme dirait ma collègue Greta, journaliste pour le Toronto Globe and Mail: Believe that you are enough. Elle a raison.

    —Tout dépend des souvenirs qui nourrissent ta réflexion. Ce sont tes mots, un brave résultat de toutes les circonstances que tu as vécues.

    —Tu as raison. Malgré la misère que j’ai témoignée au cours des années, je veux me souvenir des heures savoureuses. Je ne changerais rien. Je ne suis pas une victime. Je ne veux pas avoir ce ton dramatique dans mon roman. J’ai choisi mon métier et je l’ai fait avec passion. Ces mots que je défroisse avec une patience joyeuse vont raconter ma vie. J’ai divisé mon récit en quatre périodes, donc quatre carnets intimes, un prologue et un épilogue. Du moins, c’est l’entente que j’ai avec l’éditeur. Je verrai. J’ai encore le temps d’y réfléchir. Avant de m’y plonger, je dois me rendre au campus hospitalier d’Ottawa. La maison d’édition devra attendre.

    —C’est une lourde tâche, Margot. Tu seras la seule lectrice compatissante de ton ébauche. C’est un grave inconvénient. Je peux t’aider. L’autofiction est souple et malléable. On lance les premiers mots et l’on attend pour l’écho. Dans ton roman, tu seras un personnage au vent de ton inspiration. Ce sera une aventure captivante que j’aimerais vivre avec toi.

    —Je l’espère. Je veux tellement repartir à zéro et pourtant, ce n’est pas mon style d’effacer l’ardoise pour tout recommencer. En écrivant, je me libèrerai de tous ces démons. Au fond, je ne sais pas qui en moi prendra la plume. Soit que je vais suivre mon cœur de romancière, soit je vais y aller avec mon instinct de journaliste. Tout ce vécu, ces moments tumultueux de la nature humaine et de l’histoire moderne se murent en moi. La correspondante étrangère extrait la réalité fugitive où l’intimité est interdite. Ce n’est pas une opinion, c’est un témoignage stoïque. C’est ainsi que j’écris et que la guerre devient anonyme et objective. Ce qui ne correspond pas à notre réalité personnelle n’atteint pas sa pleine valeur. Je me suis souvent demandé à quoi pensait le lecteur à la fin de mon récit. Tout est dans la perception d’un instant et de qui nous sommes. Je dois me répéter que je ne suis plus une correspondante de guerre. Tout est derrière moi. C’est le temps chaleureux qui m’attend. Donc, je viens de répondre à ma question. Je choisis la romancière en moi. Tant pis si les lecteurs veulent connaître uniquement mon expérience sur le terrain. À leur grande déception, ce ne sera pas la correspondante de guerre qui écrira ce livre. Je l’écrirai avec mon cœur.

    —Écris tes certitudes.

    —Écrire a deux tranchants, deux certitudes. On ne peut pas toucher la même eau deux fois. Ce qu’on écrit reste. La deuxième certitude, c’est que le soleil ne se salit jamais. Le conflit entre le bien et le mal existe. J’ai vu des bêtes grotesques sortir de la noirceur. Les atrocités de la guerre ne mentent jamais. La violence est un choix démesuré. Voilà le plus grand danger. Ne pas voir ce qui nous guette.

    —Margot, tu n’as jamais eu l’insouciance comme source d’inspiration. Avec ces mémoires, ce sera la première fois que l’on te verra au complet. Depuis que je te connais, tu as toujours voulu voir la planète et l’expliquer. Maintenant, c’est toi qui vas expliquer Marguerite Savard, ou Margot tout court. 

    —Je souris, car je revois la fille qui se cache sous la galerie de notre maison dans Charlevoix pour écrire. L’écriture était un refuge où je disparaissais entre les lignes de mes récits. Je rêvais d’être une correspondante étrangère. J’ignorais alors le poids de la rançon et maintenant que je le sais, je le ferais encore. Je n’ai pas de regret.

    —J’ai l’impression que le personnage dans ton autofiction sera une femme à la recherche de l’anonymat pour observer la société et la transcrire sans distiller, sans perturber ou en devenir son miroir. Tu as toujours su te taire pour observer le silence des autres. J’ai souvent dit à mes étudiants qui m’interrogeaient à ton sujet que ta perception du métier de journaliste était unique. L’objectivité et la subjectivité sont bien campées en toi. Tu n’avais qu’à choisir le contexte et le moment. Ta réputation à titre de correspondante étrangère n’est plus à faire. Tes romans connaissent un succès enviable. Tu peux te concentrer sur ta carrière d’autrice, maintenant.

    —Tu parlais de moi à tes étudiants? Merde!

    —Oui, je me souviens qu’ils aimaient tes

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