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Un destin chamboulé
Un destin chamboulé
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Livre électronique265 pages3 heures

Un destin chamboulé

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À propos de ce livre électronique

Nous sommes quelques années après la Révolution française. Théophile Croissandeau, l’Abbé de l’église Saint-Michel du village de Terres-Plates exerce son sacerdoce normalement, malgré les évènements consécutifs à la Révolution. Sans que cela puisse s’expliquer, il a été complètement ignoré des autorités révolutionnaires, lui évitant ainsi les contraintes dont le clergé fait l’objet depuis la Constitution civile du clergé. Étant sans instructions de son autorité ecclésiastique, défaillante pour cause de maladie, cela lui a ainsi permis de poursuivre son activité comme si de rien n’était.
Un jour, une missive officielle lui est adressée l’informant de la venue d’un Représentant en mission, commissaire politique, envoyé extraordinaire de l’Assemblée législative, mandaté pour veiller au maintien de l’ordre et à l’application des lois dans les départements et les armées.
Se doutant qu’il devra maintenant faire face aux obligations liées à cette Constitution civile, il se résout à demander conseil au Comte, le châtelain du village chez qui il est invité régulièrement. Il entretient d’excellentes relations avec le Comte et la Comtesse qui ont toujours montré une attitude humaniste et altruiste, pratiquant un mode de vie discret et effacé vis-à-vis des autorités révolutionnaires, loin des fastes supposés de la noblesse.
Malheureusement, avec son épouse, ils ont perdu leur fille Apolline à l’âge de 15 ans de la rougeole et ne s’en sont jamais remis.
À l’occasion d’un dîner se présentant judicieusement, l’Abbé évoque auprès du Comte ce courrier laconique et reçoit ses conseils sur les conséquences éventuelles de cette visite.
LangueFrançais
Date de sortie25 janv. 2023
ISBN9782312130972
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    Aperçu du livre

    Un destin chamboulé - Daniel Coutanceau

    cover.jpg

    Un destin chamboulé

    Daniel Coutanceau

    Un destin chamboulé

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2023

    ISBN : 978-2-312-13097-2

    « Pour pouvoir contempler un arc-en-ciel, il faut d’abord endurer la pluie »

    Proverbe chinois

    Chapitre I

    Messidor, Prairial, Frimaire, Ventôse, Decadi, Sextidi, Sanculotide, ah ! mais vraiment, qu’est-ce que ça signifie ! s’écria-t-il ? Comment des gourdiflots pareils ont-ils pu inventer de telles sottises !

    L’Abbé de Saint-Vincent-du-Pré ne cessait de pester de la sorte. Il ne pouvait toujours pas comprendre pourquoi tant de bouleversements ne cessaient de se produire depuis ces événements « révolutionnaires ». Encore pouvait-il concéder et assimiler qu’une certaine évolution soit nécessaire, appelée « Régénération » par certains, « Révolution » par d’autres. Mais pourquoi changer les mois et jours de l’année et surtout supprimer le dimanche, le « jour du seigneur », synonyme de repos pour beaucoup. De plus, le village de « Saint-Vincent-du-Pré », en raison de sa connotation religieuse avait été renommé en « Terres Plates » ce qui n’était vraiment pas compréhensible, plutôt dévalorisant même. A ce point que le gentilé devenant « Terreplatins et Terreplatines », était considéré comme largement péjoratif par les villageois !

    Mais que vont-ils encore imaginer ces soi-disant « révolutionnaires » ! pensait-il presque tout haut.

    Théophile Croissandeau avait été nommé Prieur depuis près de trois ans, en remplacement de l’austère Curé Antoine Nouvellon. Celui-ci, soudainement atteint d’une maladie inconnue et vraisemblablement incurable s’était retrouvé cloué au lit, entièrement paralysé du corps et des membres. Malgré les soins attentifs prodigués par sa fidèle gouvernante, l’évêque s’était résolu à le déplacer vers l’hospice du diocèse sans nourrir de grand espoir de guérison selon les praticiens consultés.

    Notre nouveau Prieur avait bien eu connaissance de la Constitution civile du clergé du 12 juillet 1790, décrétant les nouvelles dispositions imposées à l’Église et ses serviteurs. Cependant, aussi étrange que cela puisse paraître, aucune autorité supérieure n’était venue l’informer d’une modification quelconque de son statut et c’est ainsi qu’il poursuivait son sacerdoce comme d’ordinaire.

    Toutefois, il se méfiait tout spécialement du Comité de surveillance révolutionnaire nouvellement créé dont le président, un dénommé Liphard Courtemanche, fieffé anticlérical se décrivant lui-même comme « curophage » lorgnant vers plus de responsabilités au sein du canton et même sûrement plus haut encore.

    Notre nouveau Prieur n’avait pas encore atteint la trentaine, bien que les traits de son visage affichassent sa jeunesse encore proche, on pouvait y discerner une évidente autorité associée à une humanité qui se confirmait dans son approche et son écoute des autres. Le regard paisible de ses yeux bleus charmait ses interlocuteurs, sa voix douce, posée mais assurée imposait le respect et il savait toujours trouver les mots justes pour ses paroissiens. D’ailleurs, bien que son arrivée à la paroisse soit encore relativement récente, il avait su très rapidement se faire apprécier. Ses conseils, jugements étaient fortement estimés et sollicités. Ses sermons n’étaient jamais provocants, hostiles ou donneurs de leçons, ses fréquentes références religieuses ou historiques démontraient une culture et une érudition qui prouvaient non seulement son instruction mais aussi son humanisme. Il savait les rendre intelligibles, les adapter à l’époque présente, résolument transformée par tous ces évènements récents et les paroissiens fréquentaient assidûment l’église en très grand nombre à chaque occasion, non seulement pour la messe, mais notablement pour les écouter et s’y conformer.

    Il était déjà midi et demie passé. Il avait fini de ranger ses missels destinés au catéchisme, suivi ce matin comme toujours par la quasi-totalité des enfants concernés, à part deux ou trois dont les parents désiraient s’affranchir totalement des contraintes religieuses ou craignant quelques représailles de la part des responsables du Comité révolutionnaire. Il s’apprêtait à gagner le presbytère quand il perçut le grondement approchant de la malle-charrette qui s’engageait vers la route du lac. Avec la brume qui ne s’était pas encore levée, il pouvait l’entendre mais ne la distingua seulement quand elle fut à une centaine de pieds. Elle s’arrêta devant l’Abbé et depuis sa position élevée sur le cheval de gauche, le postillon l’apostropha en lui lançant de sa voix rocailleuse :

    – Hé Monsieur l’Abbé, il y a une missive pour vous ! Pas le temps de m’arrêter mais vous la donnerai à l’auberge. Dépêchez-vous, ça paraît important à ce qu’on m’a dit !

    La malle-charrette reprit instantanément son chemin à destination de l’auberge des « Quatre pinsons », halte imposée, où le postillon avait ses habitudes de fréquentation, notamment pour y déguster quelque vin local accompagnant un repas frugal. Il était déjà très en retard sur l’horaire de passage habituel, devant repartir au plus vite vers la destination suivante à près d’une dizaine de lieues de là.

    L’Abbé ne finit même pas de ranger ses missels, désireux de se rendre au plus vite à l’auberge, tellement impatient et surtout intrigué par ce mystérieux courrier. Il prévint rapidement sa gouvernante, Madame Champenois, qu’il devait partir en urgence et déjeunerait plus tard, ce qui provoqua la colère à peine refoulée de cette dernière car le repas était prêt depuis quelque temps.

    L’auberge se trouvait à quelque distance du presbytère, demandant malgré tout une bonne demie-heure de marche.

    En effet, paradoxalement, l’église et son presbytère étaient éloignés d’une demie-douzaine de lieues du village, ce qui était plutôt exceptionnel et inaccoutumé quand on sait qu’une église est toujours située au centre d’un village.

    Un phénomène impondérable et effroyable en est la cause. Comme cela se produisait malheureusement trop régulièrement, une forte épidémie de peste survint en l’an 1670, décimant la quasi totalité des habitants du village de Saint-Michel. Les efforts de désinfection des maisons qui furent dispensés à l’aide de fumigation furent sans résultat. De même, à l’aide d’autres remèdes de l’époque, en brûlant des cornes de bêtes, d’ongles, de vieux cuirs de poils, d’herbes odoriférantes et même de poudre à canon, rien n’y fit, la peste était toujours présente. Pour preuve, la majorité des pauvres non contaminés rescapés qui avaient regagné leurs demeures ne purent échapper à une infection fatale.

    N’étant pas en mesure d’éradiquer totalement la maladie, il fut alors décidé de brûler toutes les maisons du village, de les détruire et de les raser afin de n’en laisser aucune trace. Toutefois, nul n’osa prendre la responsabilité de mettre le feu à l’église et de l’abattre à ras de terre. Ainsi elle resta seule et isolée sans aucune habitation autour, habitée par le curé de l’époque, seul survivant de cette catastrophe.

    Concomitamment, il se trouve que le village le plus proche, celui de Saint-Vincent-du-Pré distant d’à peu près cinq lieues n’avait plus d’église depuis cette épidémie de peste.

    En effet, subissant les mêmes dévastations, son église fut transformée en hospice, celle-ci étant assez vaste pour y accueillir les nombreux malades.

    Prenant exemple sur les moyens de protection utilisés à Londres lors de la grand peste de 1665, des braseros furent allumés autour de l’église afin de purifier l’atmosphère des miasmes de la maladie. Par malchance, un soir de vent violent, des braseros furent renversés, mettant le feu à l’église. Fort heureusement, la plupart des malades purent être sortis et évacués dans plusieurs granges, mais l’église brûla entièrement, laissant le village sans lieu de culte.

    Par la force des choses, une fois l’épidémie passée, les habitants du village, sans moyens immédiats pour reconstruire une autre église, choisirent tout naturellement de fréquenter celle de Saint-Michel, malgré son éloignement.

    Après sa marche rapide, inquiet de découvrir les termes de la missive, l’Abbé arriva enfin à l’auberge. La malle-charrette était arrêtée, les trois chevaux, buvant dans l’abreuvoir en bois placé sur la placette à droite de l’auberge.

    Celle-ci était tenue par un couple de cultivateurs qui amélioraient ainsi leurs maigres revenus. Elle était assez renommée à la ronde car expressément recommandée par de nombreux voyageurs non seulement pour l’excellence de sa cuisine mais aussi pour son gîte confortable. Elle était même régulièrement mentionnée dans un de ces manuels de conseils aux voyageurs que consultaient les itinérants de passage aisés et amateurs de bonne chère.

    L’Abbé entra dans l’auberge, lui qui ne la fréquentait jamais, d’une part n’en ayant pas la nécessité et surtout en raison d’une réputation de lieu de mauvaise vie colportée par certaines commères du village, mais qui, pour certains, restait toutefois à prouver. De nombreux habitués étaient présents et une bonne odeur de cuisine renseignait sur la qualité des mets.

    La tenancière de l’auberge, Madame Tardin fut toute surprise de voir l’Abbé franchir la porte de son établissement.

    – Eh bien ! Nom d’un petit bonhomme, Monsieur le Curé, on ne vous voit pas trop souvent ici, c’est-y que vous venez nous confesser ?

    La surprise de la tenancière n’était pas feinte, jamais l’Abbé ou quiconque de ses prédécesseurs ne s’était hasardé à fréquenter l’auberge, ne fut-ce que pour se désaltérer pendant les chaudes journées estivales. Ce n’est pas que l’envie lui ait manqué. Il aurait pu indubitablement y rencontrer certaines de ses ouailles et apprendre ou discuter des derniers potins du village, ce qui est toujours instructif, ne serait-ce que pour étayer le contenu de ses sermons. Cependant, il redoutait surtout les potins qui n’auraient pas manqué de circuler sur ses fréquentations, en raison des caquetages sur ces rencontres féminines tarifées, qui, tout comme la cuisine roborative de Madame Tardin, auraient été singulièrement appréciées par une partie de la clientèle.

    L’auberge était assez sombre, de petites fenêtres ne laissant passer qu’une faible lumière venant de l’extérieur. La salle était essentiellement composée de tables et bancs en bois dont certains demandaient à être changés ou tout aux mieux réparés, tant ils avaient du mal à supporter la moindre personne, l’entraînant irrémédiablement dans une chute en arrière. A ce qui se disait dans le village, c’était une sorte de jeu où il fallait trouver le banc en bon état, un peu comme au jeu des chaises musicales, laissant les meilleures places aux plus forts ou rapides.

    A peine était-il entré sans répondre à la remarque de Madame Tardin, qu’il distingua parmi les convives le postillon attablé près de la cuisine, buvant avec un plaisir non dissimulé un grand verre de vin rouge.

    Vu l’heure avancée, l’auberge commençait à se vider, ne manquant pas malgré tout de conserver certains clients oisifs ou non dont certains joueurs de cartes qui restaient parfois tout l’après-midi, au grand plaisir de Madame Tardin qui les incitaient à consommer davantage. De plus, il se disait aussi que les cartes utilisées conservaient encore leurs symboles de l’ancien régime, sceptres, couronnes ou fleurs de lys, aucune carte ne comportant de symboles révolutionnaires comme des bonnets phrygiens, chapeaux à plumes ou encore des glands ou lauriers, ce qui était contraire au décret de la Convention, mais dont personne ne semblait y prêter attention, volontairement ou non.

    – Holà Monsieur l’Abbé, vous venez déjà chercher votre missive, c’est-y que ça doit être important ! Tout en cherchant l’enveloppe dans sa sacoche il ajouta :

    – Ça vient de Paris et on m’a recommandé de vous la donner en mains propres. Elles sont propres au moins ? se hasarda-t-il à plaisanter.

    Mais l’Abbé qui n’était pas vraiment pas d’humeur à badiner ne voulut répondre.

    – Ça doit être vraiment important répéta le postillon, cherchant à en savoir plus, c’est ben la première fois de ma vie que l’on insiste tant pour s’assurer que je remets bien la lettre au destinataire !

    Sans trop vouloir montrer sa curiosité, l’abbé ne jeta qu’un coup d’œil furtif à l’enveloppe cachetée de cire jaune qui semblait être très officielle, puis prit rapidement congé.

    – Merci mon brave, bonne fin de repas et au plaisir. Adieu Madame Tardin ! ajouta-t-il en ayant déjà quasiment franchi le pas de porte.

    – Vous ne voulez pas boire un p’tit coup rajouta le postillon, le Bon Dieu ne vous en voudra pas !

    – Non vraiment, sans façon, merci beaucoup, je suis pressé et ai beaucoup de tâches à accomplir encore.

    Il sortit en marchant d’un pas rapide, sans consulter l’enveloppe, bien qu’en mourant d’envie, mais il se doutait être observé et ne voulait pas dévoiler sa curiosité.

    Au bout d’une marche quasiment au pas de course d’une vingtaine de minutes, il arriva enfin au presbytère, informant sa gouvernante qu’il prendrait son repas plus tard, ce qui lui donnait une fois de plus l’occasion de ronchonner et de pester contre l’Abbé. Il s’empara d’un couteau en s’asseyant rapidement sur une chaise, s’essuyant rapidement le front transpirant abondamment après cette marche rapide, puis défit le cachet. L’enveloppe ne mentionnait pas d’expéditeur, mais s’adressait simplement au « Citoyen Croissandeau », sans rien de plus, sa fonction de curé ayant été omise vraisemblablement volontairement. Il ouvrit donc avec appréhension l’enveloppe et consulta fébrilement la lettre. Elle émanait du Comité de Salut Public à Paris et l’informait, en termes neutres qu’une inspection allait être menée par un « Représentant en mission » dans les prochains jours.

    Bien sûr, il avait entendu parler de ce Comité de Salut Public sur lequel circulaient des rumeurs de prises en main de tant de sujets et surtout d’un nombre vraisemblablement très important de personnes non seulement arrêtées mais aussi exécutées à la suite d’un pseudo jugement sans défense aucune. Et aussi de ces Représentants en Mission, députés chargés de faire régner l’ordre révolutionnaire en escamotant les pouvoirs et responsabilités des représentants locaux.

    Il savait bien que depuis cette date du 2 novembre 1789, les biens de l’église pouvaient maintenant être saisis et mis à la disposition de la Nation, que le sort de nombreux prêtres était modifié, pour ne pas dire bouleversé, chamboulé. On évoquait même la déchristianisation et le mariage forcé ! A commencer par prêter serment à la Constitution civile du clergé, mais personne ne le lui avait encore demandé, l’aurait-on oublié, aurait-on considéré cette paroisse comme inexistante, mais cela ne semblait à présent plus être le cas !

    Il s’était posé la question de nombreuses fois, comment pourrait-il réagir face à cette situation imprévisible il y a encore quelques mois et qui maintenant se concrétisait.

    Déjà, il y a quatre mois environ, il avait appris fortuitement qu’un tel bouleversement s’était produit dans une paroisse relativement éloignée, contraignant le prêtre à s’engager solennellement dans le cadre de Constitution civile du clergé, Constitution réorganisant le clergé séculier et instituant une nouvelle Église dite « Église constitutionnelle ». Ne voulant prêter serment, ainsi considéré comme réfractaire ou insermenté, il fût condamné à l’exil et partit se réfugier en Espagne, non sans difficulté.

    Alors, considérant les risques encourus, il pesait le pour et le contre et pour le moment, cela ne le préoccupait que la nuit lui provoquant quelques insomnies, se disant malgré tout qu’il aviserait si un jour il devait faire face à cette situation.

    Voilà qu’à présent, avec cette maudite missive, c’était son tour, c’était à lui de prendre sa décision et de ne pas tarder à la prendre, car bien que la lettre ne mentionnât pas de date précise, il fallait être prêt à affronter cet entretien avec ce « Représentant en mission ». Dans un premier temps, il avait songé consulter l’évêque en titre, mais celui-ci avait démissionné ne voulant pas s’assujettir, c’était pour lui une échappatoire, d’autant plus qu’il était assez âgé et malade et préférait ainsi baisser les bras plutôt que de se battre contre ce système moralement vicié pour lui.

    L’Abbé n’avait donc personne à qui ou se confier ou demander conseil. Toutefois, en y réfléchissant bien, il reconnaissait que peut-être le Comte pourrait donner un avis lui permettant de prendre sa décision en toute connaissance de cause.

    Le Comte de la Destrelaye de Cavagnac habitait sobrement un petit manoir localisé à quelques lieues sur le domaine de Villemars agrémenté d’un grand parc et quelques terres, cultivées par divers métayers. Ce manoir était relativement modeste en comparaison avec ses homologues régionaux. Avec son épouse, le Comte avait été relativement épargné par les évènements révolutionnaires, les habitants du village ne lui cherchant pas querelle en raison de son titre, reconnaissant implicitement qu’il s’était toujours comporté honnêtement sans discrimination particulière envers quiconque. Son petit château, confortable et sans prétention, abritait son couple sans fastes ni dépenses inutiles ou somptuaires. Tout juste pouvait-on y voir certains autres nobles proches voisins y être invités pour chasser quelque cerf ou sanglier dans le simple but d’agrémenter l’intendance.

    Le Comte était un homme affable et assez réservé, altruiste mais toujours discret vis-à-vis des habitants du village, ne manquant pas de se faire respecter en étant à la fois juste et droit dans ses actes et ses opinions. Malgré tout, il avait dû donner le change vis-à-vis des autorités locales en leur démontrant qu’il respectait les nouvelles réglementations décidées par le nouveau pouvoir révolutionnaire tout en évitant le plus possible de s’y conformer avec ses faibles moyens.

    L’Abbé était fréquemment reçu au Château, notamment pour y dîner et participer aux discussions intellectuelles qui s’en suivaient. Car, bien que le Comte ne fût pas un catholique pratiquant outre mesure, il appréciait la compagnie et entamait de longues conversations avec l’Abbé sur de nombreux domaines, ayant remarqué que ce dernier possédait un esprit acéré d’analyse et une vue intelligente et objective sur les sujets de préoccupation du moment. Ce qui n’était pas pour lui déplaire ainsi qu’à la Comtesse, femme discrète et d’apparence réservée mais très érudite et cultivée, sachant donner judicieusement son avis pour conseiller positivement son mari.

    De surcroît, l’Abbé qui était gourmet et gourmand, bien que sa gouvernante lui mijotât de bons plats, appréciait considérablement ces invitations de dîners délicatement et finement cuisinés, de plus accompagnés d’excellents vins, le Comte étant un amateur avisé et reconnu.

    De ce fait, lorsqu’une invitation à un prochain repas lui fut communiquée en fin d’après-midi par l’intermédiaire du régisseur du Comte, l’Abbé accepta d’emblée. Le régisseur était un charmant garçon d’une trentaine d’années du nom de Zéphyr Gendrault qui s’était reconverti de ses occupations de tailleur de pierres, après avoir été remarqué par le Comte pour sa vivacité d’esprit et son contact humain. L’Abbé pensa que le hasard faisait bien les choses avec cette invitation consécutive à la réception de la missive officielle et en profita pour demander qu’on vienne le chercher avec un peu d’avance.

    Nous étions jeudi et l’invitation était fixée au lundi suivant. L’Abbé ne pût s’empêcher de prier pour que ce « Représentant en mission » ne se présente avant cette date. Judicieusement, le hasard était toujours protecteur, aucun visiteur ne se présenta avant que l’Abbé ne se rende au dîner du Comte.

    Le jeudi, le régisseur vint chercher l’Abbé au presbytère avec la carriole, arrivant ainsi avec une légère avance sur les autres invités et il fut immédiatement accueilli par le Comte. Pour l’Abbé, cette rencontre, d’habitude peu formelle, revêtait aujourd’hui une importance décisive. Le Comte était quelque peu surpris par son arrivée prématurée : – La Comtesse ne va pas tarder Monsieur l’Abbé. Tout va bien mon cher ? questionna-t-il, ayant vraisemblablement pressenti une certaine gêne chez l’Abbé et informé plausiblement par le régisseur de son désir d’arriver avant les autres invités.

    – Mais tout va bien Monsieur le Comte, toutefois, si cela vous est possible, j’aimerais obtenir votre avis, votre opinion sur une question importante.

    Le Comte était déjà curieux du sujet qui pourrait être évoqué :

    – Bien entendu mon cher. Et si nous en parlions après le dîner, voulez-vous ?

    – Assurément Monsieur le Comte, reprit l’Abbé, conforté de pouvoir exposer son problème au Comte.

    Les autres invités du Comte ce soir-là étaient des châtelains voisins, le Baron et la Baronne de la Blavetière du Château de Voilançais, le Comte et la Comtesse de Chevémont habitant la Chartreuse du Tabuleau à Montigny-le-Bouffrat, Monsieur de la Préhaudière du Domaine de Filarveau, membre de la généralité provinciale ou des notables locaux, Edmond Tissandier fermier communal chargé de la récolte des impôts au bourg de Margicourt et Sigismond Poujol instituteur primaire communal du village voisin de Bousseron-la-Rivière accompagné de sa femme également

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