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Demain sera si belle
Demain sera si belle
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Livre électronique218 pages3 heures

Demain sera si belle

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À propos de ce livre électronique

« Sur le papier, Benjamin Valéri n’était qu’un simple aide-soignant. Rien de péjoratif dans cette affirmation ; il s’occupait des patients, leur apportait à manger, faisait la causette, s’assurait qu’ils avaient pris leurs médicaments ou changeait leur couche. Benjamin Valéri remplissait des tâches, parfois ingrates, parfois non. »
Benjamin a vingt-neuf ans, il est aide-soignant en gériatrie. Loin d’être exalté par son quotidien, le jeune homme cache sa sensibilité derrière une épaisse carapace de cynisme et se contente d’une vie fade.
Quand un nouveau service est créé, il est contraint de choisir : travailler avec les enfants malades ou prendre la porte.
Petit à petit, la carapace se fissure, chaque jour devient un nouveau défi.
Peut-on apprendre à vivre en étant confronté au pire ?
LangueFrançais
Date de sortie24 oct. 2022
ISBN9782312121703
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    Aperçu du livre

    Demain sera si belle - Milena Bouchu

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    Demain sera si belle

    Milena Bouchu

    Demain sera si belle

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2022

    ISBN : 978-2-312-12170-3

    PREMIÈRE PARTIE :

    Obscurité

    Chapitre 1

    Sur le papier, Benjamin Valéri n’était qu’un simple aide-soignant. Rien de péjoratif dans cette affirmation ; il s’occupait des patients, leur apportait à manger, faisait la causette, s’assurait qu’ils avaient pris leurs médicaments ou changeait leur couche. Benjamin Valéri remplissait des tâches, parfois ingrates, parfois non. Sans se plaindre vraiment lorsque l’octogénaire du quatrième appelait pour la cinquième fois de la nuit, afin de vérifier si la sonnette fonctionnait, ou bien lorsque le père hypocondriaque du gamin de la 201 et ses grands discours moralisateurs l’empêchait d’arriver à temps pour emmener aux toilettes la mère Vichy avant qu’elle ne se fasse dessus. Il ne se plaignait pas plus si ses supérieurs lui supprimaient brusquement un week-end, ni s’ils le rappelaient un 31 décembre. Benjamin Valéri avait vingt-neuf ans et comme n’importe quel autre soignant, il s’occupait de ses patients. Avec un peu moins d’entrain peut-être. Et si ses collègues lui avaient posé la question, il aurait simplement répondu qu’il s’estimait bien heureux d’avoir un emploi et d’aider son prochain même si, au fond, les vieux lui donnaient la migraine, et ses supérieurs, la nausée.

    – Encore à rêvasser Valéri ? Je vous signale que vos patients n’arrêtent pas d’appeler.

    « Code Bleu en 403 »

    – Secouez-vous un peu Valéri. Mais ne tuez personne !

    Le supérieur en question semblait se trouver hilarant lorsqu’il partit pour le code bleu, les épaules secouées par des spasmes de rire. Ben soupira avant de se redresser et entra dans la première chambre d’où provenait une sonnerie stridente. Ce bruit le poursuivait jusque dans ses rêves, surtout dans ses cauchemars, ce qui rendait ses nuits insupportables. Mais il ne supportait plus grand-chose de toute façon.

    – Eh bien enfin ! Savez-vous depuis combien de temps j’appuie sur ce fichu bouton ? J’aurais pu mourir d’un infarctus sans que personne ne réagisse !

    – Bonjour madame Meunier, comment allez-vous aujourd’hui ? Je vous l’ai déjà répété, vous ne pouvez pas avoir de jus de fruit avant l’anesthésie. Peu importe le nombre de fois où vous m’appellerez.

    L’aide-soignant aida sa patiente à s’asseoir, arrangea son oreiller et jeta un œil à la sonde. Il referma ensuite la porte sur ses talons sans écouter les jérémiades débitées à présent d’un ton mielleux par la vieille madame Meunier. Ils étaient tous pareils.

    La porte à peine fermée, Ben sentit une main sur son épaule et sursauta.

    – Valéri, le DRH te veut dans son bureau. Tout de suite.

    Regard compatissant du collègue infirmier. Hochement de tête.

    Alors ça y est, il allait se faire renvoyer ? Au fond, il ne pouvait pas dire qu’il était étonné. Sans jamais arriver en retard, Ben ne risquait pas de recevoir la médaille de l’employé du mois. Tout le personnel du service le pensait dépressif, et lui-même ne s’en défendait pas. Il s’isolait, ne parlait pas et n’était pas non plus apprécié des patients. Il effectuait seulement ses tâches, d’une manière quasi mécanique.

    Surpris par un pincement au cœur, Ben pensa qu’il allait regretter son métier actuel. Compte tenu du marché du travail, le jeune homme allait certainement devoir manger un peu plus de pâtes et un peu moins de plats livrés les prochains mois. De toute manière, les gens continueraient de tomber malade, il retrouverait vite un emploi.

    – Entrez monsieur Valéri.

    Ton condescendant.

    – Monsieur.

    Pas vraiment une salutation non plus, à peine ironique, un geste de défiance assurément.

    – Asseyez-vous s’il vous plaît. J’ai une ou deux petites choses à régler avec vous.

    Ben le détailla à peine du regard. La trentaine, costume-cravate, tout juste sorti de son master de gestion des ressources humaines. Et aussi mal à l’aise qu’une gamine larguant son premier flirt de lycée. Il retint un sourire moqueur et prit place.

    – Comme vous le savez, nos services font actuellement face à divers plans de restructuration. Vous savez ce que c’est…

    Seule touche de décoration, un tableau agrémentait les murs nus aux blancs passés. Une coupe dessinée des ventricules du cœur et un gros plan sur une aorte. Malade l’aorte. Ben avait instantanément décroché. Ce n’était pas la première fois qu’il se faisait virer, il commençait à connaître la chanson. « Lent », « crise budgétaire », ou encore « mou », « manque d’enthousiasme manifeste » revenaient souvent. Tout un champ lexical.

    – … flagrant besoin de l’hôpital de ce nouveau service. J’espère que vous comprenez donc pourquoi nous vous transférons là-bas.

    Décharge et retour à la réalité. Attendez, comment ça transféré ?

    Ben tombait des nues. Et dire qu’il se voyait déjà chez lui dans une petite heure, affalé devant une série. Il en était presque déçu. Retour de l’air désapprobateur du DRH, il avait dû s’apercevoir que Ben ne suivait pas.

    – Comme je vous le disais, vous serez affecté à notre nouveau service de suivi de nos jeunes patients les plus atteints. L’aménagement du nouveau bâtiment est terminé depuis un mois. Vous commencerez lundi.

    C’était sans appel. Ben comprit ce que le DRH lui taisait, mais que les petits yeux perçants lui criaient : « Vous commencerez lundi, ou ne revenez pas ».

    Gé-nial, c’était génial. Sa bouche s’assécha immédiatement. Il n’en revenait toujours pas. Il se faisait transférer. Avec des enfants. Très malades, les enfants.

    Splendide.

    En fait, il allait seulement échanger les vieux gâteux contre de jeunes légumes en sursis. Court, le sursis.

    Est-ce qu’il avait le droit de préciser qu’il était allergique aux enfants ?

    D’après le regard glacial qui le transperça, Ben opta pour un non.

    Et encore, « allergique » faisait figure de doux euphémisme : il ne savait tout bonnement pas y faire avec les enfants. Devenir la baby-sitter attitrée des plus malades d’entre eux, se coltiner les proches en attente d’un miracle… non, vraiment, ce serait bien au-dessus de ses forces.

    A l’instant où Ben ouvrait la bouche et s’apprêtait à prononcer les mots, le visage du DRH se fendit d’un sourire affable. Se levant, celui-ci lui tendit la main. Coupé dans son élan et plongé dans une sorte d’état second, Ben ne se vit même pas tendre la sienne en retour. Ce n’est qu’en sortant de la pièce en se massant le dos de la main qu’il s’aperçut de la vigueur du geste. Un broyage de main dans les règles de l’art, rien de moins qu’une mise en garde.

    Bien sûr, il aurait pu démissionner, mais la perspective de la nouvelle recherche d’emploi ne lui parut plus si attrayante. Se confronter encore à l’administration française, les papiers, Pôle Emploi, tout cela le fatiguait d’avance. Et il fallait bien reconnaître que malgré ses aspects négatifs, sa situation présentait un confort non négligeable. Le jeune homme n’avait pas le choix, ce serait donc les enfants.

    Chapitre 2

    Déjà six semaines que Ben avait pris son nouveau poste. Le temps de connaître chacun des onze dossiers qu’on lui avait assignés sur le bout des doigts. Le temps de se créer une nouvelle routine, à peu de choses près, une nouvelle vie.

    Pourtant rien n’avait changé au fond. Les malades étaient toujours plus malades, les repas toujours aussi fades et la vie, absurde. Un léger changement cependant, le service était neuf et l’organisation s’en révélait déplorable. Le personnel ne se composait que de vacataires qui ne restaient jamais plus de quelques jours avant de réintégrer le bâtiment principal. Ben n’avait même plus d’efforts à fournir pour simuler une entente cordiale entre collègues. Les enfants n’étaient pas aussi désagréables qu’il l’aurait cru, et apporter un livre ou un jeu vidéo à un gamin de dix ans s’avérait somme toute moins pénible que les jérémiades ou encore l’incontinence. Bien sûr, il y avait encore des accidents, des draps à changer et des pyjamas à laver, mais même l’odeur âcre de l’urine semblait un peu plus supportable ici. Il était sans doute malade, se dit-il un jour.

    Ou alors, il allait bien.

    Les enfants s’habituent vite aux nouveaux visages. Ces enfants-là restaient méfiants. Les premiers temps, ils n’accordèrent guère d’attention à leur nouveau soignant. Ceux qui pouvaient se mouvoir, à peine la moitié d’entre eux à vrai dire, préféraient s’occuper seuls en salle de jeux. L’autre moitié était trop faible et malade pour se déplacer, à peine assez consciente pour gémir de douleur entre deux prises de médicaments.

    Les journées de Ben, bien que très remplies et nécessitant qu’il soit toujours par monts et par vaux pour vérifier que personne ne manque de rien, lui procurait une sorte de réconfort. La routine, en définitive, le soulageait. Le soignant se contentait d’enfiler sa blouse en arrivant le matin, il visitait ensuite ses patients durant plusieurs heures. Il réglait les petits problèmes courants et achevait bien souvent la matinée par un peu de paperasse. Il prenait ensuite son déjeuner dans le self, le parc ou à l’extérieur au gré de ses envies. Sa pause se terminait à l’instant même où débutait celle des infirmiers de bloc. Une grande agitation s’élevait alors des tables de la cantine du personnel. Les anesthésistes et autres assistants de chirurgiens s’approchaient avec leurs plateaux en plastique bleu et tentaient de s’installer dans l’espace déjà comble. Tout ce petit monde mangeait dans un état de fébrilité et de hâte que les activités respectives de chacun et le tableau des opérations, qui ne désemplissait pas, leur imposait.

    Après le bal des internes clôturant la fac de médecine, le personnel hospitalier tout entier se livrait à présent à un autre genre de danse au rythme tout aussi effréné.

    Les après-midi commençaient chaque jour sur les chapeaux de roue : il y avait les visites à superviser, les examens auxquels conduire les enfants, les rapports à rédiger, les traitements à préparer, ou encore les collations à distribuer. Ben avait pratiquement arrêté de fumer, faute de temps pour les pauses clope. A croire qu’il ne s’ennuyait plus assez pour voir une échappatoire salutaire dans les cinq minutes durant lesquelles il s’abîmait les poumons. Parfois, sa journée prenait fin à dix-sept heures, parfois à vingt-et-une. Et de temps à autre, il prenait son service de nuit. Ces heures-là s’avéraient être les plus calmes, c’en était en réalité un peu pénible.

    Ben dormait approximativement sept heures par nuit, mangeait tout à fait correctement, ne sortait quasiment pas et ne buvait qu’en de très rares occasions. Sa vie ne laissait que très peu de place à l’imprévu et la seule folie que le jeune homme s’accordait consistait à télécharger illégalement une fois par semaine musiques, séries et films pornos. Ce qui, cela va sans dire, lui procurait une légère sensation de malaise – pression sociale oblige – très vite occultée par l’envie sourde créée par les craquements tardifs mais néanmoins réguliers du sommier du lit de sa voisine, une jeune étudiante en astrophysique charmante et très portée sur les plaisirs du corps, toutefois nullement aussi célestes que ceux qu’elle était censée étudier.

    Curieuse notion que le temps. On dit qu’il est un « vieillard doué de la malice des enfants{1} ». Il file entre les doigts pressés, immatériel et impalpable. Il n’a jamais suspendu son vol et ce, malgré les plus véhémentes suppliques et les plus grands poètes{2}.

    Ou alors, il ralentit, enfer sur Terre au sournois nom d’ennui, faisant passer chaque seconde pour une éternité. De damnation.

    Que c’est long l’éternité, songea Ben, les yeux fixés sur l’horloge analogique accrochée au mur du couloir. Il attendait la fin de son service, sursautant à chaque fois que l’aiguille avançait, comme surpris qu’elle soit finalement parvenue à sauter l’espace blanc entre ces deux petits traits noirs. C’était une course pour laquelle Ben se passionnait tout particulièrement. Aussi silencieusement que l’horloge était bruyante, il encourageait son poulain – une simple tige noire de plastique, avec bien plus de ferveur qu’un turfiste dans les gradins d’un parcours hippique. Il avait hâte de rentrer, n’aspirant qu’à plonger dans un sommeil bien mérité après la journée qu’il venait de passer. C’est qu’il n’avait déjà pas très bien dormi la veille, taraudé comme il l’avait été par les pensées les plus saugrenues, telles que le poids des nuages{3}, le son du silence{4} ou encore la couleur de l’âme des anges{5}.

    Il y aurait sombré depuis longtemps, dans le sommeil, si ce n’est qu’à chaque seconde qui passait, un désagréable tic se faisait entendre. Rien qu’un écho qui rebondissait sur les murs du couloir vide jusqu’à parvenir à l’orée de ses oreilles, vite remplacé par celui d’un tac, tout aussi déplaisant.

    Dieu qu’elle était bruyante cette horloge, et lui fatigué. Ben s’aperçut qu’il jurait beaucoup.

    Aujourd’hui, il s’était fait remonté les bretelles. Le savon n’avait pas été si sévère, juste assez pour le contrarier et lui faire ruminer des idées noires pour le restant de la journée. Ce n’était quand même pas sa faute si Charlotte ne contrôlait toujours pas sa vessie à onze ans bien tassés. Certes, sa ronde quotidienne lui avait pris un peu plus de temps qu’à l’accoutumée, à cause de l’inondation survenue la veille tard dans la nuit. Elle avait nécessité la fermeture d’une portion de couloir ce matin, obligeant désormais Ben à emprunter les escaliers, parcourir un autre couloir avant de monter à nouveau. L’exercice nécessitait trois bonnes minutes de plus que les cinq secondes normalement requises.

    Service neuf et toujours pas très au point. Ben devait traverser ce couloir des dizaines de fois par jour. Tant pis pour son timing. Il aurait un peu de retard mais des cuisses plus musclées. Quel dommage en revanche, que les irascibles parents de la petite Charlotte aient choisi pile ce jour-là pour rendre visite à leur chère et incontinente progéniture. Car lorsque Ben, pantelant après plusieurs allers-retours effectués au pas de course, prit appui sur la rambarde afin de reprendre son souffle à mi-chemin entre les deux étages, il entendit un bruit sourd. Le choc d’un objet un peu lourd que l’on avait malencontreusement laissé échapper, ou bien d’un gamin tombé de son lit. Et zut. Ben tourna les talons et se dirigea en courant vers les pleurs stridents qui ne manquèrent pas de suivre. Chambre 006, Jules évidemment. Un brin turbulent pour ses quatre ans et que sa récente opération de l’estomac n’arrêtait pas. Il s’était penché pour récupérer son doudou à terre, comprit Ben entre deux sanglots, avant de glisser et d’entraîner dans sa chute tout ce qui se trouvait sur sa table de chevet. Sa tête n’avait pas heurté le sol, heureusement, et Jules fêta bientôt ses retrouvailles avec la peluche. Plus de pleurs que de mal, mais Ben attendit néanmoins que le bambin se calme. Il vérifia ses bandages, au cas où, et s’assura également qu’il ne bougerait plus avant l’arrivée de ses parents en lui mettant des dessins animés. Ensuite seulement il était reparti au pas de course, après avoir échangé quelques mots avec une des infirmières de l’étage. D’ordinaire, il était le premier à voir Charlotte tous les matins et il l’emmenait approximativement à la même heure chaque jour faire sa toilette. Lorsqu’il arriva ce matin, la porte béait. En voyant les deux visages fulminants tournés vers lui, Ben présuma qu’il aurait dû laisser quelqu’un d’autre s’occuper de Jules et de son malheureux doudou. Il jeta un discret coup d’œil à sa montre ; ah oui, c’est vrai qu’il avait un peu de retard.

    – Mais enfin vous êtes complètement inconscient ? Ma fille est dans cet état depuis au moins une demi-heure ! C’est inconcevable, lui hurlait-on après.

    Autrement dit, la petite barbotait dans son urine depuis déjà trois bons quarts d’heure.

    Les parents ne sont jamais rationnels en ce qui concerne leurs bambins. Inutile donc d’essayer de faire entendre raison aux parents d’un enfant malade. Ben se contenta de s’excuser platement, de jurer que l’incident ne se reproduirait plus, tout en s’entendant dire qu’il y aurait une plainte à ses supérieurs. Prostré dans un mutisme forcé tandis qu’il lavait

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