72 lions dans le ciel
Par Thomas Da Rovaré
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À propos de ce livre électronique
Entre expérience de mort imminente et voyage initiatique, « 72 lions dans le ciel » nous emmène sur les chemins sinueux de notre propre existence où la réalité de ce que nous sommes n’est pas toujours celle qu’on imagine.
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Aperçu du livre
72 lions dans le ciel - Thomas Da Rovaré
72 lions dans le ciel
Thomas Da Rovaré
72 lions dans le ciel
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2018
ISBN : 978-2-312-05845-0
À mes deux pères,
L’un pour sa lumière,
L’autre pour sa crinière.
Prologue
Étrangement, je me souviens mieux de ma seconde naissance que de ma mort. Il me semble qu’il faisait beau ce matin-là quand je suis rentré à l’hôpital, mais je n’en suis pas certain. Je ne suis plus certain de grand-chose, à dire vrai. Des détails me reviennent mais je sais que les informations importantes ont disparu à tout jamais de ma mémoire. Sauf la douleur. Je me vois attendre dans une petite salle sombre, seul, assis sur une inconfortable chaise métallique. Bleue, je crois. Au bout d’un long moment, une femme aux traits sévères a surgi d’une porte, l’air grave, et s’est approchée de moi un papier à la main.
– Angelo Conti ?
Je me suis levé et j’ai vaguement souri en acquiesçant.
– Suivez-moi, s’il vous plaît.
Nous avons déambulé dans les couloirs du service ORL. Mon oreille droite me faisait terriblement souffrir mais j’entendais néanmoins les râles derrière les portes. Je n’aimais déjà pas les hôpitaux et ça n’a pas changé. Une histoire d’odeur, peut-être. La femme en blouse blanche devant moi me parlait en lisant sa feuille, certaine que je la suivais comme un chien docile. Ce que je faisais.
– Donc, vous allez vous faire opérer aujourd’hui. Tympanoplastie… oreille droite… d’accord… vous êtes bien à jeun ?
– Oui madame.
– Bien. Vous avez des problèmes d’oreille depuis longtemps ?
– J’ai toujours fait des otites quand j’étais petit…
– Perforantes ?
– Oui, parfois.
– Et bien visiblement, cette fois-ci la perforation est trop importante pour que ça cicatrise tout seul… Ah, nous y voilà.
Nous sommes rentrés dans une chambre vide et froide, il n’y avait qu’un lit sur lequel un sac plastique était jeté, un fauteuil, et c’est tout. Je suis resté là sans bouger pendant que la femme continuait de lire mon dossier. Au bout d’un moment, elle s’est retournée et m’a regardé pour la première fois.
– Bon, vous vous déshabillez complètement, vous enfilez la chemise stérile qui est dans le sac sur le lit et on viendra vous chercher. Bonne journée.
Et elle a disparu sans un sourire.
Je me suis exécuté et me suis assis sur le fauteuil, les fesses collées sur le skaï. J’avais froid et la chambre empestait un mélange acide de détergent et d’urine. Au bout d’un temps infini, la porte s’est ouverte et deux hommes ont fait leur apparition. L’un des deux a regardé la fiche qu’il tenait à la main.
– Monsieur Conti ?
– C’est moi.
– Vous êtes prêt ? Allez, on y va. Allongez-vous sur le brancard, on vous descend au bloc.
Et on est donc descendu au bloc. Dans la salle, il y avait de la lumière partout et tout le monde semblait très occupé. Les deux hommes m’ont transféré sur la table d’opération avant de disparaître et un grand type avec un calot vert enfoncé sur la tête et un masque sur la bouche s’est approché de moi. Je ne voyais que ses yeux très clairs.
– Bonjour Monsieur ! Je suis le professeur qui va vous opérer, je vous explique un peu ce qu’on va faire en attendant que tout soit prêt ?
– D’accord.
– Donc, votre tympan est multi-perforé, ça veut dire qu’il y a un gros trou. En fait, il y en a même trois. D’après les mesures, il ne reste que la moitié de la surface totale de la membrane et elle ne va pas cicatriser si on ne l’aide pas un peu. Donc on va faire une greffe. Je vais découper un petit morceau de cartilage, juste là, au bord de votre oreille, et je vais reboucher tous les trous en faisant de la couture, comme une grand-mère !
Il avait l’air content de sa blague.
– C’est une opération bénigne, ne vous inquiétez pas. Je fais ça tous les jours. Donc vous, vous dormez tranquillement, pendant ce temps moi je fais ma petite couture et quand vous vous réveillerez vous aurez un tympan tout neuf et vous pourrez de nouveau entendre parfaitement. Ça vous va ? On est parti ?
J’avais le choix, vraiment ?
– C’est parfait, ai-je murmuré.
On m’a placé un masque sur le visage, j’ai inspiré à fond et j’ai sombré.
D’après ce que j’en sais, l’opération s’est bien passée. Je me souviens m’être réveillé doucement, tout était calme et au bout d’un long moment, une infirmière est venue me voir et m’a dit qu’on allait me remonter dans ma chambre. Je ne souffrais pas mais j’avais froid. J’ai vaguement senti qu’on me remettait sur un brancard et j’ai en revanche une vision assez nette des néons au plafond qui défilaient lorsqu’on m’a dirigé vers l’ascenseur. Un des types qui poussaient le chariot a appuyé sur un bouton et il a continué sa conversation avec son collègue. Il y a eu une petite sonnerie et les portes se sont ouvertes, je m’en souviens clairement parce que c’est exactement à cet instant que j’ai ressenti quelque chose d’étrange. Comme une grande vague à l’horizon qui approchait à toute allure. Une vague d’une hauteur vertigineuse. J’étais calme, mais je savais qu’elle allait tout dévaster. Puis j’ai entendu des gens crier au loin, j’ai revu les néons dans l’autre sens, et plus rien.
J’imagine que c’est à peu près à cet instant que je suis mort.
PREMIÈRE PARTIE :
Des lions dans le ciel
Chapitre 1
Quand je me suis réveillé, bien vivant, dans ma chambre d’hôpital, je n’ai pas ouvert les yeux tout de suite. J’ai juste entendu sa voix.
– Angelo, tu m’entends ? Regarde-moi.
Valentina était là. C’est la première personne que j’ai vue. Ses grands yeux verts, ses cheveux nattés d’un noir d’ébène, sa peau mate et sa silhouette élancée, elle rayonnait dans la pièce. J’ai vaguement esquissé un sourire et j’ai lentement tourné la tête. Cette fois, mon sourire s’est agrandi.
– Papa !
Luna a pris ma main et l’a pressée contre sa petite bouche. Elle l’a embrassée mille fois, comme elle faisait avec son doudou préféré. Les deux femmes de ma vie étaient là, à mon chevet, et j’ai senti une douce chaleur m’envahir. J’ai refermé les yeux. Valentina s’est approchée et m’a embrassé doucement sur le front.
– Angelo, mon amour, te revoilà enfin.
J’ai avalé ma salive et j’ai réussi à murmurer :
– Que s’est-il passé ?
– Tu as fait un malaise en te réveillant, rien de grave, rassure-toi. Tout va bien maintenant, il faut juste que tu te reposes un peu. Comment te sens-tu ?
– Ça va, ça va. Je suis un peu dans la brume mais j’imagine que c’est normal. Je suis heureux que vous soyez là.
Luna a voulu me faire un bisou et Valentina l’a portée jusqu’à ma joue. J’ai immédiatement reconnu son odeur et la douceur de sa peau. Cet enfant était ma merveille.
– Quand est-ce que tu reviens à la maison Papounet ?
– Luna, laisse papa se reposer un peu. Il rentrera quand il sera de nouveau en forme, je te l’ai déjà expliqué. D’ici quelques jours peut-être. Ne commence pas à le harceler de questions !
J’ai souri.
– Ce n’est pas grave mon amour, laisse-là. Ça me fait du bien de vous voir. Tu connais la suite de mon programme ?
– Pas vraiment. Ils m’ont juste dit que le médecin passerait te voir dans l’après-midi et qu’ils allaient te garder un peu en observation. On ne peut hélas pas rester longtemps car ils ont dit que tu étais fatigué. Je voulais juste qu’on soit là quand tu ouvrirais les yeux.
– Vous êtes adorables.
– Allez, repose-toi, je suis passée au marché ce matin et j’ai acheté tout ce que tu aimes, alors je vais gentiment commencer à préparer un festin pour ton retour. Luna, embrasse papa, nous reviendrons le voir demain matin.
Ma fille s’est approchée, a déposé un baiser sur la paume de ma main et a murmuré :
– À demain, mon papa de l’amour. Repose-toi et reviens vite à la maison. Je t’aime fort comme les étoiles !
Valentina m’a embrassé à son tour avec une grande douceur, je me souviens de ses lèvres chaudes sur les miennes. Elle m’a caressé le visage, m’a souri, et elles sont sorties. C’était un beau réveil, vraiment.
Le médecin, un grand type chauve à la peau mate et aux yeux très clairs, est effectivement passé un peu plus tard et ne m’a pas appris beaucoup plus que ce que Valentina m’avait dit. L’opération s’était bien passée et j’avais donc effectivement fait un malaise lorsqu’ils m’avaient remonté dans ma chambre. Rien d’alarmant. Ils avaient fait tous les examens de contrôle nécessaires mais ils préféraient, par précaution, me garder un jour ou deux en observation. Il était juste possible que je sois confronté à de légères pertes de mémoire qui se dissiperaient en quelques jours.
J’ai bien dormi cette nuit-là et je me sentais de mieux en mieux. Mon oreille ne me faisait plus souffrir et j’avais recouvré l’ouïe presque instantanément. Je bénissais ce professeur. En fin de matinée, les filles sont repassées me voir. Luna était excitée comme une puce, elles avaient croisé un interne en arrivant qui leur avait annoncé que je pourrais en fait sortir dès le lendemain. Nous avons passé un bon moment, plein de joie, Valentina m’a parlé de la maison, de notre petit jardin, du repas de gala qu’elle organisait pour mon retour et Luna m’a raconté sa journée d’école. Elles sont parties vers midi et je me suis assoupi.
Je me suis réveillé en milieu d’après-midi. Il faisait assez chaud et j’ai essuyé mon front recouvert d’une fine pellicule de sueur. Le soleil brillait dehors mais les persiennes étaient tirées et il faisait sombre dans la chambre. Tout était calme dans les couloirs. Je me suis assis dans mon lit et j’ai observé cette chambre relativement spacieuse et haute de plafond. Visiblement, elle venait d’être refaite et tout un mur était recouvert d’une belle laque violette. D’élégantes moulures couraient sur les arrêtes du plafond et un bouquet de fleurs fraîches trônait fièrement sur la petite table près de la fenêtre. Un tableau de grande taille ornait le mur en face de moi. C’était une huile qui semblait assez ancienne et sur laquelle on voyait la place la plus connue d’Italie, et sur le ciel azur se détachait la grande colonne de granit surmontée du lion de bronze de Saint-Marc. Ma merveilleuse Venise. Finalement, toute la chambre était assez belle et chaleureuse. J’ai froncé un sourcil et me suis fugacement souvenu que ce n’était pas exactement ce que j’avais ressenti en arrivant.
Quelques pertes de mémoire, avait dit le médecin.
Chapitre 2
Je suis donc rentré chez moi le lendemain. Valentina et Luna sont venues me chercher et ma fille a absolument voulu qu’on chante tous ensemble dans les rues vénitiennes. Elle adorait que les gens nous regardent en souriant. Valentina s’est faussement fâchée, arguant que mes oreilles étaient encore fragiles, mais les supplications feintes d’un enfant de cinq ans sont des armes imparables. Au bout de dix minutes, nous hurlions à tue-tête un vieux tube de U2 en nous tenant la main. Nous avons traversé quelques canaux, nous nous sommes faufilés dans les ruelles étroites et vingt minutes plus tard, nous avons atteint la maison. J’ai reconnu au loin le bleu brillant de la porte que j’avais repeinte peu de temps avant mon opération et le heurtoir en forme de lion qui brillait en son centre. J’étais un peu fatigué mais terriblement heureux de reprendre ma vie.
Valentina a ouvert la porte d’entrée et nous avons pénétré dans la cour. Notre petit jardin intérieur était toujours parfaitement entretenu et j’ai pris quelques instants pour aller renifler les brins de lavande qui y poussaient. J’ai caressé l’écorce du bel olivier comme si je le touchais pour la première fois. Je ne sais pas pourquoi mais tout semblait avoir une couleur nouvelle, tout me paraissait brillant. Le médecin m’avait prévenu que les troubles passagers de ma mémoire pourraient entrainer quelques sensations inhabituelles et c’était effectivement un peu étrange, mais plutôt agréable. Il me semblait redécouvrir mon environnement de manière aigüe et certains détails insignifiants revêtaient à présent une importance capitale. Par exemple, un petit caillou noir était posé sur le bord de chaque marche de l’escalier qui montait au salon. J’ai trouvé chacun d’entre eux merveilleux, sans bien savoir pourquoi. J’aimais leur forme et leur couleur, leur emplacement et la cordée qu’ils formaient jusqu’au sommet de l’escalier. Ils me procuraient un sentiment d’harmonie presque enivrant. Valentina, du haut des marches, s’est retournée, m’a souri et s’est gentiment moquée :
– Monsieur Angelo Conti, je vous rappelle que vous êtes en conflit avec votre fille unique depuis des mois pour qu’elle jette cette hideuse collection de cailloux qui risque de nous faire trébucher à chaque marche !
Je l’ai regardée bêtement.
– C’est vrai ?
Elle a ouvert de grands yeux et est partie d’un rire qui a dévoilé toute ses dents blanches.
– Mais oui, enfin, Angelo ! Mais