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P.E.R.D.R.E: Entre l'ombre et le chaos
P.E.R.D.R.E: Entre l'ombre et le chaos
P.E.R.D.R.E: Entre l'ombre et le chaos
Livre électronique477 pages4 heures

P.E.R.D.R.E: Entre l'ombre et le chaos

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À propos de ce livre électronique

Survivant d’Immémoria, qu’on appelait jadis la planète Terre, Masaki Fukuda est capturé par des agents secrets aux pouvoirs surnaturels. Cette organisation du nom de P.E.R.D.R.E., sous la gouverne de SQUAME, une Intelligence artificielle qui carbure aux Essences humaines, discerne chez lui un haut potentiel qui n’attend qu’à être éveillé et exploité.

Marie-Soleil, agente au pouvoir de réparer les Essences endommagées et de former les recrues perdiennes, est mandatée pour convaincre Masaki de se joindre à l’Organisation. L’Intelligence artificielle SQUAME ne réussit pas à saisir toute la complexité de l’Essence de Masaki étant donné que l’émanation de celle d’Alexis Kane, traître de P.E.R.D.R.E., perturbe ses circuits.

Masaki est-il l’élu qui mettra fin à la guerre télépathique qui perdure depuis plus d’un siècle ? Se laissera-t-il convaincre de quitter sa « non-existence » et de faire renaitre la Terre de ses cendres ?
LangueFrançais
Date de sortie18 sept. 2022
ISBN9782897756796
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    Aperçu du livre

    P.E.R.D.R.E - Amélie Carrier

    Chapitre 1

    Immémoria

    Masaki Fukuda/Immémorien

    En 2170, jour du Solstice immémorien de mes 16 ans, ma vie s’arrêta : je devins ce fantôme, animé d’une « non-existence ». J’étais assis sur un carton, le regard embué de fatigue tourné vers la baie vitrée, le corps recroquevillé, la main sur l’inhalateur de mon masque à oxygène. Les traits de mon visage effilé que j’aperçus dans le reflet de cette vitrine étaient ceux d’un adolescent au teint jaunâtre quelque peu blafard, encadré par une chevelure noire clairsemée par endroit. Mes yeux bridés, noirs aussi, étaient éteints.

    « Pourquoi me battais-je déjà pour vivre ? » pensai-je comme tous les matins que je me levais depuis son départ… Je toussai. J’avais beau aspirer de grandes bolées d’air, j’étouffais : une crise d’asthme, kuso¹ ! Je ne sais pas pourquoi, mais ce matin, je m’étais ainsi réveillé, le souffle court, la gorge nouée. Intuitif de nature, je sentais que quelque chose se préparait… Pourtant, quand je regardais dehors, je ne voyais que les rafales de cendre et de sable habituelles balayer ce funeste décor composé de carcasses de tôles ou de morceaux de tissus noués servant d’abris pour les quelques survivants « rangés » dans cette zone sécurisée de ce que nos ancêtres appelaient apparemment le Japon. En fait, c’est ce que papa m’avait raconté, un soir, quand j’étais petit, à l’époque où nous étions tous ensemble dans la zone Niponienne-A. Ça m’apparaissait si lointain comme souvenir que j’en venais à penser que je l’avais imaginé. 

    Entre les bourrasques, au loin, j’apercevais l’ombre de la grande palissade grisâtre, haut perchée, constituée de plusieurs branches qui se terminaient chacune par des miroirs ceinturant les lieux pour être certains que nous ne nous aventurions pas à « l’extérieur dans le monde sauvage ». Ces plateformes réfléchissantes tournoyaient dans un grincement qui nous rappelait que nous étions constamment épiés par la Police des VIVRES, ces policiers qui étaient responsables de gérer nos quotas alimentaires, hygiéniques et de rationnement de bouteilles d’oxygène. Car, en haut de ces tourelles, y patrouillaient constamment des individus, en habit jaune urine, coiffés d’un casque aussi jaune vif que leur combinaison. Ce dernier était recouvert d’une visière vitrée, laissant transparaitre des yeux lumineux qui, lorsque nous commettions l’erreur de les croiser, nous donnaient l’impression d’être scrutés de part en part, comme s’ils pouvaient lire dans nos pensées. Personne n’avait envie de se faire prendre dans un trafic de gaz illicite ou de dépasser ses quotas du mois de peur d’être vu comme de la vermine. Personne ne savait d’où venait cette guérilla, mais tous les habitants d’Immémoria savaient qu’il fallait les écouter au doigt et à l’œil en ce qui concernait nos quotas, à moins de passe-droits, mais ils étaient très rares, il fallait se le dire ! Ces policiers étaient sans pitié. Tous savaient que négocier avec eux risquait de leur couter la vie. Quand un interrogatoire se finissait mal entre un Immémorien, enfermé dans l’une des tourelles, et un policier, personne ne savait quel sort lui était réservé. Beaucoup avaient essayé de s’imaginer des scénarios les plus rocambolesques les uns que les autres entre : « les policiers nous faisaient manger le prisonnier dans nos rations alimentaires » jusqu’à spéculer qu’ils mangeaient son cerveau et transformaient le prisonnier en boite de conserve pour nous surveiller du haut de la palissade. Ce serait des raisons à envisager sur le fait qu’il y avait plus de policiers pour surveiller un Immémorien qu’il y avait de survivants sur ces terres stériles…

    Un bruit de verre cassé me fit sursauter. Je tournai mon regard vers ma mère, Sophie. Affalée sur une table en bois, ses cheveux bruns clairsemés et crasseux en vadrouille, elle venait de faire rouler la je-ne-sais-combientième consommation provenant des revendeurs qu’elle fréquentait la nuit durant. Elle murmurait des paroles inaudibles, quelque part entre l’éveil et le sommeil, la main posée sur une nouvelle bouteille. La nuit avait été très courte pour elle. Pauvre elle, le départ de papa depuis un an la détruisait à petit feu. Où était-il parti ? Pourquoi m’avait-il abandonné à mon sort ? Pourquoi nous avait-il laissés derrière ? Et puis… Était-il encore vivant ? Akihiko avait toujours l’habitude de surgir de nulle part au moment où nous n’espérions plus son retour. Alors, j’imaginais bien que oui.

    Cette scène habituelle me fit soupirer.

    Vous l’aviez compris, qui oserait faire ce genre d’infraction ? Bien, il y avait ma mère et moi mais, étrangement, depuis un an, nous n’étions pas trop surveillés et pourtant… Notre cabane n’avait rien de subtil et faisait des envieux. Je pris le pendentif autour de mon cou entre mes doigts et je retournai mon regard vers la fenêtre.

    Je revoyais Akihiko, mon père, marchant à mes côtés, sa longue chevelure couleur jais attachée en une tresse sur son épaule qui battait sur son dos au gré du vent. Il tenait dans ses bras Sophie ma mère qui, dès qu’il l’avait soulevée contre lui, s’était endormie mystérieusement. Déjà à cette époque, elle n’était pas très solide sur ses jambes. À notre sortie de la zone Niponienne-A, un policier des VIVRES nous avait arrêtés, mes parents et moi, mais dès que papa avait passé son matricule devant ses yeux, ce policier s’était figé et avait dit d’une voix morne à ses confrères en haut des tourelles : « Ouvrez la porte, droit de passage. » On avait alors pu passer les tourelles sans trop d’embarras. Puis, nous avions passé la palissade. Jamais de ma vie je n’aurais cru que cela puisse être possible. Allions-nous être attaqués dans ce monde sauvage ?

    Mon cœur battait la chamade. Ma mère, elle, demeurait endormie, blottie dans les bras d’Akihiko alors qu’il s’aventurait dans ce monde hostile. La réconfortait-il donc à ce point ?

    Dans un silence de plomb, je l’avais suivi, tirant ma bonbonne d’oxygène en augmentant le débit pour supporter l’effort de ce périple aux conditions plus que difficiles : le vent était brulant et les débris qu’il transportait étaient suffocants. Nous avions marché jusqu’aux abords de la prochaine zone sécurisée que je présumais être celle Niponienne-B. Je reconnaissais ces zones à sécurité optimale, ceinturées par des tourelles et palissades grisâtres. Arrivés là-bas, nous avions été encerclés par les policiers des VIVRES, mais quand papa avait de nouveau passé son bras, où son numéro de matricule brillait intensément, devant leurs yeux, le groupe de policiers avait figé autour de nous, et l’un d’eux avait entonné : « Droit de passage », d’une voix monocorde alors que ni ma mère ni moi n’avions montré notre matricule… Nous avions pu passer facilement par la grande porte centrale une fois encore.

    Nous avions ainsi marché parmi les tentes installées au sol et les caravanes et ramassis de tôles servant de lieux de résidence.

    Mon père avait freiné notre cadence devant une grande cabane toute de blanc immaculé. Elle était si blanche que mes yeux furent aveuglés par la luminosité qui s’y réfractait. Papa avait donné un coup de tête pour que je le suive jusqu’au parvis. La main en visière, je lui emboitai le pas. Il tapota alors sur une structure violette accrochée à la porte de l’entrée.

    Après avoir papilloté des yeux quelques fois, je remarquai qu’il s’agissait d’un fermoir composé de huit tiges métalliques violettes aux pourtours pointus et symétriques.

    « Cette fleur de lotus va vous protéger », souffla papa de son ton énigmatique à mon oreille, je m’en souvenais très bien…

    Tenant maintenant maman d’un seul bras, il attrapa ma main de la sienne, qu’on aurait dite teintée de rouge : j’étais fou. J’avais été alors propulsé vers l’avant et il avait déposé ma main sur le loquet qui s’était mis à briller. J’ouvris grand les yeux.

    Puis, il ferma les yeux. Mon cœur battait la chamade alors que je sentis le fermoir se décrocher. La porte s’ouvrit. Il déposa le corps de maman à mes pieds, qu’est-ce que ?

    « C’est chez vous ici. Masaki, mon cher fils, maintenant, tu es l’homme de la famille, veille sur elle pour moi, et, en échange, je négocierai avec nos anges gardiens pour qu’ils vous préservent, vous êtes mes trésors. Si vous suivez mes directives, vous ne manquerez de rien… Cette cabane est faite de matériaux ininflammables, hydrofuges et qui sont remplis de la lumière divine même de la Grande Nitescence qui protègera vos pas », poursuivit-il sur le même ton envoutant.

    Je n’avais pas bien compris toutes ces explications farfelues, et ce, même si Akihiko et moi parlions le même langage, soit le vieux niponien, un dérivé très ancien de la langue universelle, soit l’immémorien – que je connaissais très peu, étant incapable de lire ou d’écrire quoi que ce soit.

    Mais j’en avais assez compris pour saisir qu’il nous abandonnait encore une fois… J’avais répondu dans un souffle : « Nous ne voulons pas de tes cadeaux empruntés à je ne sais quelle force angélique… C’est ta présence que nous voulons. Maman se meurt sans toi. Elle dort sans cesse et se noie dans n’importe quelles substances. Amène-nous avec toi, s’il te plait. » À quoi Akihiko avait aussitôt répliqué à mon intention, me prenant par les épaules et murmurant à mon oreille : « Ce n’est pas encore l’heure pour vous de les rencontrer, vous avez encore des choses à vivre ici, ensemble, avant de pouvoir me rejoindre, mais je vous promets que vous vivrez ici en paix, enfin, quelque temps… »

    C’est alors que, l’espace d’un moment, j’avais cru apercevoir à nouveau cette lumière rougeâtre entourer son corps en entier ; mon regard s’égara alors vers le lointain. Le temps que ma pupille noire revienne vers lui, son corps avait disparu, laissant derrière lui quelques étincelles bleutées aveuglantes. Que venait-il de se passer ?

    Les départs précipités de papa ressemblaient souvent à ça et laissaient derrière eux une tonne de questions. C’est le lendemain seulement, quand quelques exilés de la zone Niponienne-A qui avaient fui l’extradition arrivèrent en masse dans la zone que nous habitions, que j’avais compris notre chance. Akihiko savait ce qui arriverait avant que les policiers nous en informent ? Hum… Probablement.

    Ma mère et moi, ce jour-là, avions pu nous fondre dans la mêlée et recevoir la mise à jour de notre numéro de matricule en lien avec notre nouvelle vie ! Pas question de vivre dans le passé. Poser des questions sur des évènements antérieurs était proscrit par la Charte immémorienne. Ainsi, mon père et ma mère m’avaient prénommé Masaki Fukuda mais, en fait, pour la police, j’étais, depuis cet exil, le matricule niponne-b-80/6, désignant la zone dans laquelle je résidais, mon poids en livres lors de ma dernière pesée et la cote de viabilité de ma condition physique générale selon les mises à jour de leurs analyses. Cette inscription était gravée sur mon bras droit. À chaque exil dans une nouvelle zone sécurisée, une nouvelle inscription s’ajoutait. Ma mère en était recouverte, preuve que les exils sur Immémoria ne dataient pas seulement de ma génération : ma mère avait déjà fui avec Akihiko avant qu’il rencontre ses anges et disparaisse, je présume. Pendant que moi, je commençais ma collection.

    Je soulevai les quelques filaments du tissu rapiécé brunâtre – qui recouvraient mon corps jusqu’à la taille, trop petit pour mon bras droit – et je fixai un moment cette marque gravée dans ma peau au fer rouge.

    On cogna à la fenêtre, ce qui me fit sortir de mon songe éveillé, sursautant. L’Immémorien en question clama alors : « S’il vous plait, laissez-nous entrer, nous jurons que nous nous ferons tout petits. Nous avons des enfants, ils sont affamés et déshydratés, nous manquons de quotas pour les aider, vous n’êtes pas des monstres comme les policiers ? » Je lançai un regard vers le carton où je plaçais nos rations dans ce qui nous servait de « cuisinette ». Sa voix fut alors étranglée par le bruit de grands coups de bâtons contre la porte ; me prouvant le contraire des paroles de celui qui essayait de me faire croire qu’il voulait entrer pour discuter paisiblement avec nous et partager nos denrées. Non, la vérité, ils pilleraient tout… Je connaissais la chanson. Cette cabane était spacieuse et contenait de la nourriture en quantité suffisante pour la survie d’une famille pendant un an et même plus. Cette réserve, cette mine d’or, cachait même aussi des sachets d’eau comprimée, produit très rare en cette époque de grande sécheresse sur Immémoria, où la majorité des citoyens des zones devait recycler leur urine pour subvenir à leurs besoins vitaux… Cette cabane faisait vraiment l’envie de plus d’un, mais faire confiance était dangereux, on ne savait jamais ce qu’on pourrait y laisser…

    Qu’est-ce qu’Akihiko avait donc offert aux policiers des VIVRES, lui qui était un fin orateur doté d’une ruse sans bornes, pour ainsi les corrompre et… obtenir plus de passe-droits pour nos deux pauvres âmes qu’à Immémoria dans son entier – même si j’ignorais jusqu’où elle pouvait s’étendre ? Akihiko présumait que c’était la Nitescence même qui lui avait donné le matériel nécessaire à la construction de notre cabane, construite avec des matériaux faits par synthèse par « ses bons contacts angéliques », qui veilleraient sur nous pendant son absence.

    Je me levai d’un bond, allant à la porte d’entrée pour vérifier que la fleur de lotus métallique aux pétales violets tenait le coup sous les assauts répétés des pillards.

    Cette fleur qui veillait sur notre protection n’ouvrait ses pétales que lorsqu’elle sentait ma main se déposer sur elle… Je frôlai le fermoir et retirai rapidement ma main. À chaque coup porté contre le fermoir, il se durcissait, dégageait une chaleur qui fit rougir mes joues et devenait de plus en plus bleu foncé et brillant… La fleur sentait l’intrusion potentielle et voulait nous préserver.

    J’entendis alors la foule de gens hurler : « Ah, qu’est-ce que c’est que ce parfum infect et… » Les voix se brisèrent au même moment que je vis par la fenêtre une pluie d’étincelles bleutées. Je touchai le fermoir, il était redevenu froid, d’un indigo plus pâle et d’une texture moins rigide. J’ouvris grand mes yeux et soupirai : « Encore… » Ce n’était pas la première fois que ce genre de phénomène se produisait.

    Puis, je courus vers la fenêtre et, quand l’homme, qui tremblait maintenant de la tête au pied, vit mon regard, il hurla : « Monstre ! Qu’est-ce que tu leur as fait ? » Il partit en courant, bravant le sable qui se levait sous une rafale.

    Ainsi, comme chaque fois où des gens essayaient de s’introduire dans notre demeure, ils disparaissaient mystérieusement, ne laissant derrière eux qu’une tonne d’étincelles et un silence de mort. Mon regard se figea un moment sur ces rafales, savourant le silence… Il fut de courte durée.

    Un bruit de déflagration me fit sursauter à nouveau. Est-ce que l’homme aperçu à la fenêtre plus tôt était revenu avec de nouveaux arguments de taille malgré le sort que notre cabane avait réservé à ces autres Immémoriens ?

    La Police des VIVRES cria au porte-voix central de la zone « sécurisée » Niponienne-B :

    « Produits hautement toxiques trouvés sur les lieux brouillant l’œil divin de la Grande Nitescence ! Vous avez jusqu’au son de la sirène pour quitter les lieux, tout sera rasé ! »

    Cette année de calme relatif avait été trop belle pour être vraie. Je me doutais que cette tranquillité n’était pas réelle. Et cette fois, j’étais l’homme de la situation apparemment.

    C’était l’extradition annuelle, le jour du Solstice immémorien, comme la Police des VIVRES en avait l’habitude. Je ne sais pas encore pourquoi je ne m’y habituais pas, peut-être avais-je encore l’espoir vain qu’on nous laisserait tranquille ? Je murmurai : « Bonne fête Masaki. Faut croire que la police aime te voir courir chaque fois que tu vieillis. »

    L’alarme centrale s’était déclenchée. Je voyais les quelques survivants de la zone dans laquelle on résidait dans notre cocon hors du temps tanguer à gauche et à droite vers la palissade, n’étant plus que l’ombre d’eux-mêmes et encore là, les nuages étaient si denses dans le ciel que des ombres, personne ici ne pouvait dire en avoir déjà vues, sauf peut-être à la lueur d’un feu d’explosion d’extradition ou d’une chandelle pour les chanceux comme nous qui avaient « des anges gardiens » qui veillaient sur notre survie. 

    Et puis, de toute façon, à quoi bon, devaient se dire ces gens : où iraient-ils se réfugier ? Dans la zone Niponnienne-C ? Cette zone existait-elle au moins ou existait-elle encore et dans quelle direction pouvions-nous l’atteindre ? Cette fois, pas d’intervention « magique » de nos « soi-disant » anges gardiens ? Pfff… La vérité était que la planète se mourait, elle ne voulait plus de nous, c’était évident. Pourquoi se forcer encore à fuir ? Partout, c’était du pareil au même. Nous étions du bétail qui nourrirait éventuellement la terre immémorienne. Tous le savaient, nous étions de l’engrais sur deux pattes.

    « Papa, qu’est-ce que tu ferais toi ? Y a-t-il encore quelque chose qui nous attend, là, dehors ? Quand reviendras-tu, je t’attends… Nous t’espérons… »

    Nouvelles explosions ; le sol remua sous nos pieds, des éclats commencèrent à nous tomber dessus. Ce domicile, supposément ininflammable et hydrofuge, serait bientôt du passé : il devrait être rayé de la carte comme tout le reste de la région : il serait en cendre comme nos os, si on ne se pressait pas…

    Je relevai la tête, je serrai les poings, puis je pris en trombe mon baluchon, qui était toujours prêt en cas de similaires fuites urgentes, ma bonbonne d’oxygène et la poignée de la brouette, aux roues entravées par un mécanisme rouillé, et je soulevai la tête de maman encore couchée contre la table, un mince filet pestilentiel coulant du creux de ses lèvres. Elle avait encore été malade et elle me fixait de ses yeux bruns éteints de vie. Elle, elle n’espérait plus rien de la vie, c’était évident… Mais c’était la seule compagne qui me restait sur ces terres immémoriennes, je ne voulais pas finir seul, ce poids serait encore plus lourd que de trainer cette carcasse encore mue d’un soubresaut de vie.

    Mettant ma main sur la bonbonne qu’elle inhalait – contenant je ne sais quelle substance illégale –, j’entourai ma main autour de sa taille pour la prendre dans mes bras et l’asseoir dans la brouette et je murmurai, me mordant la lèvre inférieure pour ne pas la sermonner : « Partons. Nous ne sommes plus en sécurité. » Elle repoussa alors ma main en me la claquant mollement et me répondit en se levant d’un bond – avant de tomber à la renverse :

    « Elle pense encore que papa va vraiment revenir… Ça fait un an qu’il ne s’est pas pointé le bout du nez. Même s’il se dit puissant, il est mort, je le sens, je le sais ! On ne peut confronter la Police des VIVRES comme ça sans conséquences… »

    Mon regard se brouilla, ma voix tremblotait. Je craquais rarement, laissant peu transparaitre mes émotions, mais la pression était trop lourde. Maman devait se faire une raison… Akihiko avait beau nous promettre qu’il reviendrait pour de bon, mais ces paroles étaient aussi solides qu’une rafale de vent. La magie n’existait pas et tout ce qu’il nous avait fourni depuis un an frôlait la folie. Il avait trempé dans quelque chose de pas net, je serais prêt à en mettre ma main au feu et le jurer.

    « Produits hautement toxiques retrouvés sur les lieux qui brouillent l’œil de la Grande Nitescence ! Vous devez quitter les lieux immédiatement, tout sera rasé ! » Ces mots se répétaient inlassablement au porte-voix central. Nouvelle explosion ; nouvelles rafales de poussières qui me firent suffoquer. J’appuyai sur l’inhalateur de ma bonbonne, dernière bolée, kuso², pas maintenant ! Je devais fuir et trouver un bar à oxygène dans une prochaine région et vite, sinon, je suffoquerais.

    Je pensai alors à une ruse – je retenais de mon père pour ce genre de tactiques d’amadouement – et je lui répondis sur le coup :

    Le temps que ma phrase parvienne à son esprit embrumé, anticipant une crise nerveuse, je l’attachai solidement avec le câble de mon inhalateur à oxygène qui ne servait plus à rien. Toutefois, je gardai le masque pour connecter une prochaine bonbonne et protéger mon système respiratoire. Sur le coup, je suffoquai davantage, mes yeux de plus en plus embrouillés par la poussière et mon souffle court depuis ma crise d’asthme du matin…

    Évidemment, elle se débattit, me gifla, mais engourdie par le gaz qu’elle avait inhalé, elle ne frappait pas aussi fort qu’habituellement. Je finis par réussir à la faire tenir dans la brouette. Je frottai ma joue sur laquelle la main de ma mère était imprimée en belle marque rouge… Ça faisait longtemps que j’avais fait le deuil de son amour, un amour qu’elle ne me donnait plus depuis… le premier départ d’Akihiko qui avait obscurci son cœur. Puis, reprenant mes esprits, je pris la poignée de la brouette et me dirigeai vers l’entrée sous les vociférations et crachats de ma mère qui, au moins, me suivait… Aux grands maux, les grands remèdes.

    J’envisageai le fermoir à l’entrée, y déposai ma main, attendant que ses pétales s’ouvrent et nous laissent passer. La fleur resta fermée, cette fois, à mon passage. De plus, elle était devenue aussi dure que tout à l’heure quand les pillards avaient voulu forcer l’entrée et affichait la même couleur indigo brillante, allant jusqu’à émettre des étincelles. Elle réagissait comme si nous étions des étrangers ! Un parfum, à la fois végétal et fleuri : ce n’était pas le parfum habituel de flammes qui brulaient tout dehors. Un poison ? Les derniers visiteurs avaient fini par la casser ? L’odeur sucrée végétale devint de plus en plus forte à un point tel que mes yeux se mirent à couler, et je me mis à tousser. Mon regard s’obscurcit. Au moins, j’avais encore un masque, mais sans bonbonne et au rythme auquel le poison s’infiltrait, je tomberais bientôt.. Je me mordis la lèvre, lançant un regard vers ma mère qui semblait être incommodée aussi par le poison et sortit de sa poche un mouchoir rouge en soie à fleurs blanches qu’elle gardait en « mémoire de son amour ». Elle avait encore de l’esprit… Elle se le noua sur sa bouche et ferma les yeux.

    Qu’est-ce qu’Akihiko ferait dans une telle situation ?

    Se concentrer, Akihiko n’était pas là, mais il devait nous avoir laissé un indice de ce qu’on devait faire en cas d’agression du genre ?

    Le verrou nous forçait à être emprisonnés et à exploser. Papa ne nous avait pas dit que ce serait autant notre havre de protection que notre tombeau ! Était-ce le plan de ces « anges gardiens » depuis le début ? La raison pour laquelle la Police des VIVRES ne réagissait pas aux multiples infractions que nos simples vies impliquaient ?

    « Produits hautement toxiques trouvés sur les lieux brouillant l’œil divin de la Grande Nitescence ! Lancement des premiers missiles de décontamination ! »

    La sirène sonna alors ; des explosions à l’extérieur : une fumée blanche épaisse entra, ce mur « soi-disant » indestructible vola en éclats ; je me jetai au sol pour protéger mon visage.

    La luminosité indigo prit de l’expansion et enveloppa la pièce qui s’embrouilla devant mes yeux aveuglés ; les poutres se fracassèrent au sol, et ma mère geignait dans son lit de fortune sur roulette. Le silence se fit en moi l’espace de quelques secondes qui me semblaient en dehors du temps. Tout s’écroulait, mais plus un bruit, plus un crépitement, plus une explosion, plus un cri, tout était calme. C’était doux, c’était apaisant, où étais-je ? Était-ce ça… mourir ? Pas déjà, pas de cette façon ?

    —      Masaki… Tu n’es pas seul, rejoins-moi et tout ira bien… souffla une voix grave veloutée. 

    J’étais fou… J’essayai de

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