Femmes, nation et nature dans le cinéma québécois
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À propos de ce livre électronique
Une fine analyse politique et féministe, qui éclaire le cinéma sous un angle inédit et rafraîchissant, avec à l’appui les théories des Gender Studies anglo-saxonnes et de l’écoféminisme.
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Aperçu du livre
Femmes, nation et nature dans le cinéma québécois - Julie Ravary-Pilon
JULIE RAVARY-PILON
FEMMES, NATION
ET NATURE DANS
LE CINÉMA QUÉBÉCOIS
Les Presses de l’Université de Montréal
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Ravary-Pilon, Julie, auteur
Femmes, nation et nature dans le cinéma québécois
(Champ libre)
Comprend des références bibliographiques.
Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).
ISBN 978-2-7606-3868-6
ISBN 978-2-7606-3869-3 (PDF)
ISBN 978-2-7606-3870-9 (EPUB)
1. Femmes au cinéma. 2. Cinéma - Québec (Province) - Histoire. 3. Écoféminisme. I. Titre. II. Collection: PUM.
PN1995.9.W6R38 2018 791.43’6522 C2018-940546-5
C2018-940547-3
> Mise en pages et Epub: Folio infographie
Dépôt légal: 3e trimestre 2018
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
© Les Presses de l’Université de Montréal, 2018
www.pum.umontreal.ca
Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
REMERCIEMENTS
Comment expliquer, en quelques mots, l’importance du soutien qu’on reçoit lors de l’écriture de son premier livre? On ne peut qu’essayer.
Tout d’abord, je voudrais remercier Gérard Bouchard, Jean Pierre Lefebvre et Catherine Martin d’avoir accepté de me rencontrer. Leurs propos, leurs opinions et leurs histoires sont de véritables points de lumière dans cet ouvrage.
Je tiens aussi à souligner le soutien financier des institutions suivantes: le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, la Film Studies Association of Canada, le Réseau québécois en études féministes ainsi que le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises. Je remercie également les Presses de l’Université de Montréal qui ont largement contribué à la qualité de la publication. Merci à Michèle Garneau pour son encadrement et sa générosité durant mes recherches. À Mathieu, que je sais pudique, mais à qui je ne peux qu’exprimer ma plus sincère reconnaissance pour son soutien bien senti.
Finalement, mes derniers et plus grands remerciements vont à ma mère, Suzanne Pilon, et à ma grand-mère, Yvette Pilon. Aux racines de cette recherche se trouvent ces deux grandes femmes, deux mères. Leur histoire a été une véritable inspiration pour ma fibre féministe.
«[…] en tant que femme, je n’ai pas de pays. En tant que femme, je ne veux pas de pays. En tant que femme, mon pays est la terre entière1.»
Virginia Woolf, Three Guineas (1938)
1. «[…] as a woman, I have no country. As a woman I want no country. As a woman my country is the whole world.» Notre traduction.
INTRODUCTION
Il n’est pas superflu, dans ce contexte, d’évoquer brièvement un autre lieu commun de la symbolique occidentale, celui qui assimile la femme à la terre. Cette thématique est particulièrement frappante dans le roman québécois. L’équivalence femme/pays est trompeuse parce qu’elle traduit un glissement du particulier au général qui s’opère aux dépens de la femme. Celle-ci n’existera plus en tant qu’être humain autonome. Elle sera devenue le symbole d’un mythe collectif ou d’une réalité culturelle.
Lori Saint-Martin, «Mise à mort de la femme
et libération
de l’homme: Godbout, Aquin, Beaulieu» (1984)
En 2008, lors d’un entretien accordé dans le cadre de la série documentaire Cinéma québécois (Télé-Québec, 2008), on invite le réalisateur Denis Héroux à revenir sur son expérience de création du film à succès Valérie (1968). En blaguant avec l’intervieweur hors champ, Héroux explique son choix de faire de son personnage principal une danseuse à go-go: «Elle [Valérie] se cherche un job. Elle ne trouve pas d’emploi et elle exploite ses ressources naturelles, encore une blague avec ce qui se passait dans les années 60 2.» Le cinéaste fait ici référence au fait que la jeune Valérie utilise son corps comme un moyen d’obtenir des ressources financières, tout comme le faisait le Québec avec ses atouts naturels en nationalisant l’électricité québécoise, un projet mené au début de la Révolution tranquille par René Lévesque, alors ministre des Richesses naturelles (1961-1966). Le cinéaste crée explicitement un parallèle entre son personnage et la situation socioculturelle de l’époque. Valérie est un corps-nation. Cette rhétorique qui associe le corps déshabillé du personnage principal féminin d’un «film de fesses» à l’histoire nationale du Québec est grossière et sexiste, et a été dénoncée par plusieurs dès la sortie du film, notamment Jean Pierre Lefebvre dans le premier long métrage de fiction féministe québécois3, Q-bec my love en 1969, une colère dirigée directement contre ce succès au box-office de l’époque. Malgré le caractère simpliste de la mise en scène du corps de Valérie personnifiant un Québec qu’on souhaite censément émanciper, ce récit recèle l’une des symboliques les plus persistantes associées aux corps féminins dans l’imaginaire national: le grand symbole de la Terre-mère. Des adaptations cinématographiques des romans de la terre aux œuvres contemporaines écoféministes, nous souhaitons ainsi offrir un carnet de voyage à cette figure du cinéma québécois des années 1940 à aujourd’hui, cherchant à en comprendre les mutations et les enjeux au gré des fictions nationales qui ont raconté les liens imaginés unissant les corps féminins et la terre.
Au fil du temps, dans chaque culture, les humains se sont raconté des histoires et ont pensé des mythes sur la fécondité de la femme. Ce lien a donné naissance à plusieurs figures associant les corps féminins à une terre féconde: des déesses gréco-romaines Gaïa, Rhéa et Déméter jusqu’à l’anthropomorphique motherland des États-nations (la Marianne des Français, la Germania des Allemands, la Ériu des Irlandais, la Bharat Mata des Indiens, etc.).
Cette association entre femme et terre inspire également depuis des siècles de nombreux artistes visuels qui mettent ainsi en relation le corps féminin et le territoire, comme en témoigne la gravure de William Hole sur la couverture du célèbre poème topographique Poly-Olbion (1622) de Michael Drayton.
Cette figure représentant l’Angleterre s’inspire du travail des cartographes, qui avaient pour objectif d’offrir une carte détaillée du royaume. Dans cette gravure, la disproportion entre le torse et les jambes du personnage féminin obéirait en fait au désir de reproduire les lignes et les proportions du territoire britannique. Un sein dénudé, un cornet de fruits à la main, la femme représentée ici serait une personnification de la nation généreuse. On peut penser également à Europa as Queen of the World, une carte réalisée par Sebastian Münster en 1544. Contrairement à Poly-Olbion, où la morphologie de la femme est adaptée aux dimensions du royaume britannique, Europa as Queen of the World montre les géographies nationales s’unissant pour suivre les contours du corps d’une reine.
Dans son livre Bella Caledonia: Woman, Nation, Text (2008), Kirsten Stirling laisse entendre que c’est le pouvoir reproducteur que partagent la terre et la femme qui aurait provoqué la féminisation des cartographies:
Le paysage féminin genré a plusieurs objectifs. Il nous permet de situer la personnification abstraite de la nation dans la spécificité d’un paysage distinctif et la relie, comme dans le cas de l’image Poly-Olbion ou du portrait d’Elizabeth Ire de Ditchley, aux limites géographiques de la nation. Cependant, le parallèle esthétique entre l’apparence extérieure de la figure féminine et la forme visible du paysage se déploie facilement vers un parallèle entre le corps féminin et le territoire lui-même, fondé non pas sur des considérations esthétiques mais sur leur potentiel de reproduction partagé4.
Après le continent européen d’Europa, l’Amérique est à son tour représentée comme une Femme-continent. Une des œuvres emblématiques de l’arrivée des Européens en Amérique est sans doute le dessin America (1575) de Jan van der Straet, qui montre une femme amérindienne nue dans une forêt luxuriante, accueillant l’Européen. L’historien Michel de Certeau interprète ainsi cette scène:
Amerigo Vespucci le Découvreur arrive de la mer. Debout, vêtu, cuirassé, croisé, il porte les armes européennes du sens et il a derrière lui les vaisseaux qui rapporteront vers l’Occident les trésors d’un paradis. En face, l’Indienne Amérique, femme étendue, présence innommée de la différence, corps qui s’éveille dans un espace de végétations et d’animaux exotiques. Scène inaugurale. Après un moment de stupeur, sur ce seuil marqué d’une colonnade d’arbres, le conquérant va écrire le corps de l’autre et y tracer sa propre histoire. Il va en faire le corps historié – le blason – de ses travaux et de ses fantasmes. Ce sera l’Amérique «latine»5.
De son côté, Kirsten Stirling perçoit la disposition du corps de la femme dans le dessin de Van der Straet comme une barrière à franchir, un portail à pousser pour atteindre le Nouveau Monde.
Son hamac est suspendu entre deux arbres qui encadrent la scène du territoire encore inconnu derrière elle: son corps est donc la porte vers le Nouveau Monde. Pour avancer, l’explorateur devra traverser son corps. Ici, le territoire féminisé invite à la domination. Dans une fantaisie de soumission féminine, la nation féminine est imagée s’offrant volontairement et avec passion, et cela ouvre la porte à une longue histoire de l’Amérique mythologisée comme une «terre vierge» en attente d’être découverte et pénétrée par la science masculine6.
Ce type de personnification du continent américain en tant que femme amérindienne était une pratique répandue à l’époque chez les artistes. Bien que cette rencontre érotique entre le conquérant masculin et le territoire féminin fasse partie de l’imaginaire culturel occidental depuis longtemps, cette association entre femme et terre, terroir, nation ou nature est le fruit d’une construction et non d’une essence; une association qui en dit moins sur le corps de la femme et davantage sur la régie d’un corps par l’inscription d’un discours historique et culturel spécifique.
Des questions s’imposent alors: d’où vient cette personnification répandue des femmes comme un territoire corporel à conquérir? Quelle est l’histoire de cette association entre femme et terre née de leur pouvoir fécond partagé? Si on considère cette association comme le fruit d’une construction socioculturelle, alors les fictions nationales constituent le point de départ idéal d’une analyse approfondie. Plusieurs études ont recensé les représentations de ce qu’on a appelé la Terre-mère, la motherland en peinture, en littérature et en sculpture, mais qu’en est-il pour le cinéma? Comment le cinéma a-t-il participé à la construction de la figure féminine7 de la Terre-mère?
Les fictions, l’imaginaire et la nation
Le concept de «fictions nationales» se distingue de celui, fort répandu, d’«imaginaire national» que propose Benedict Anderson dans son ouvrage canonique de la théorie des nations, Imagined Communities (1983). Dans son livre, l’auteur défend l’idée qu’une communauté fondée autour d’une appartenance nationale prend racine, se construit et surtout s’entretient dans l’imaginaire de ses citoyens:
Elle est imaginaire (imagined) parce que même les membres de la plus petite des nations ne connaîtront jamais la plupart de leurs concitoyens: jamais ils ne les croiseront ni n’entendront parler d’eux, bien que dans l’esprit de chacun vive l’image de leur communion8.
Selon Anderson, ces liens seraient renforcés entre autres par le recours à des productions artistiques et des représentations médiatiques. C’est par ces représentations que les individus incarneraient et transformeraient leur conception de ce qu’a été, de ce qui est et, surtout, de ce que devrait être leur identité nationale. Pour penser ces représentations médiatiques