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Deuil et célébration: JUIF, ORTHODOXE ET GAI PASSÉ ET PRÉSENT
Deuil et célébration: JUIF, ORTHODOXE ET GAI PASSÉ ET PRÉSENT
Deuil et célébration: JUIF, ORTHODOXE ET GAI PASSÉ ET PRÉSENT
Livre électronique305 pages4 heures

Deuil et célébration: JUIF, ORTHODOXE ET GAI PASSÉ ET PRÉSENT

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À propos de ce livre électronique

L’auteur évoque un ancêtre, Yankle, juif gai et religieux comme lui, mais vivant en Pologne dans les années 1860. Après avoir été surpris avec un autre homme en train de faire l’amour, Yankle se voit forcé d’épouser une femme. Il préfère alors s’enfuir. Considéré mort par sa famille et excommunié de toutes les communautés juives, Yankle se réinvente en tant que musicien itinérant. Il retrouve brièvement l’amour et la paix de l’âme à travers sa musique. En conclusion de certains chapitres, le protagoniste discute avec l’auteur, comparant les conditions sociales de son temps à celles des sociétés occidentales d’aujourd’hui.
LangueFrançais
Date de sortie3 janv. 2022
ISBN9782898311192
Deuil et célébration: JUIF, ORTHODOXE ET GAI PASSÉ ET PRÉSENT
Auteur

K. David Brody

Ex-Londonnien, K.David Brody a travaillé à Radio-Canada, puis a été traducteur pigiste. Il a fondé un groupe juif gai à Montréal. En 1994, avec deux autres hommes gais, il a gagné en cours, le droit à la pension du survivant contre le gouvernement québécois. Son livre primé, Deuil et célébration, raconte l’histoire d’un juif gai des shtetls.

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    Aperçu du livre

    Deuil et célébration - K. David Brody

    Prix décernés

    Gagnant, General Fiction category, Hollywood Book Festival, 2010

    Mention honorable,Writer’s Digest International, 2010

    New England Book Festival, 2010

    Los Angeles Book Festival, 2010

    Finaliste Best Self-Published Book, Shelf Unbound Writing Competition, 2012

    Recommandations

    « David Brody a écrit une histoire avec grâce et sensibilité sur un sujet que certains d’entre nous, encore à ce jour, ne peuvent même pas murmurer : l’homosexualité. Ce récit profondément touchant sur un homme qui tente de trouver sa place dans un monde qui n’en a pas pour lui est en soi un triomphe. En écrivant ce livre, l’auteur a rendu cette histoire humaine et personnelle. Il est désormais impossible pour nous d’ignorer ou d’éviter les gais et les lesbiennes. Depuis les cent dernières années, nous voyons à quel point nous avons changé en acceptant d’inclure l’orientation sexuelle dans les structures sociales et religieuses. Malheureusement, ce livre trace aussi le chemin qu’il reste à parcourir. Ce roman transcende les barrières des dénominations religieuses en détruisant ces barrières. Ce n’est pas seulement un livre pour la foi juive, mais pour toutes les religions. David Brody a écrit cette histoire avec honnêteté et amour, et j’étais très touchée par cela. »

    Cary Lawrence, actrice, Montréal, Canada

    « Bien écrit avec sensibilité. Un plaisir, quoique déchirant, parce qu’il raconte l’ignorance du passé qui a cédé la place à l’acceptation et aux points de vue libéraux de nos jours. Bien que j’aie terminé le livre, le tourment de Yankl continue de hanter mon esprit. »

    Irene Chipchase, lectrice, Cambridge, Royaume-Uni

    « David Brody dans son nouveau roman, Deuil et Célébration, recrée efficacement le monde juif d’Europe de l’Est au XIXe siècle avant sa décimation par l’Holocauste. Avec une authenticité qui nous rappelle Isaac Bashevis Singer, il interpelle les lecteurs par son récit. Brody retient leur intérêt en posant les questions suivantes : Un problème que nous considérons comme nouveau et moderne a-t-il effectivement existé depuis plus longtemps qu’on le croit ? Comment les gens qui ne pouvaient pas entrer dans les sociétés traditionnelles d’autrefois trouvaient-ils leur place dans le monde ?

    Aujourd’hui, nous sommes habitués à voir des homosexuels dans tous les domaines et nous supposons que c’est quelque chose de nouveau et de caractéristique de notre époque. Si les gais ont su trouver une place pour eux-mêmes dans la société depuis des siècles, comment s’y sont-ils pris ?

    Ce sont les questions auxquelles Brody a répondu avec une histoire qui est magnifiquement conçue et superbement écrite. »

    Rabbi Howard Handler, École Solomon Schechter de Westchester, New York

    « Un vieux survivant de l’Holocauste a un jour partagé avec moi qu’alors qu’il était garçon, son père l’a emmené à la shoul lors d’une célébration du Yom Kippour, et dans la dernière rangée des bancs, il a vu un certain nombre d’étrangers, des hommes sans châles de prière en larmes. Il a demandé à son père qui étaient ces hommes et celui-ci répondit : "Ils sont des reshoim, des hommes mauvais. Le portrait de ce qu’était la vie des hommes gais juifs dans les années 1930 en Pologne m’a donné faim des histoires comme celle de David Brody. Nous avons besoin de ce genre d’histoires, celles qu’on ne découvre pas en effectuant de la recherche. David a brisé ce silence avec la première des histoires qui peuvent seulement être imaginées.

    Le rabbin Steven Greenberg, directeur du projet de la diversité et enseignant principal pour CLAL (National Jewish Center for Learning and Leadership), boursier en résidence pour Hazon, une organisation environnementale juive, et pour Keshet, une organisation dédiée aux GLBT (gais, lesbiennes, bisexuels et transgenres) et à leur inclusion dans la communauté juive en général.

    « Je suis sûr que Deuil et Célébration sera un grand succès. L’histoire est magnifique et brillamment conçue. Il a à la fois une signification et un message pertinent aujourd’hui. »

    Lily Frank, ancienne vice-présidente directrice nationale, Hadassah canadien/WIZO

    « Cette histoire est un aperçu intelligent et attendrissant d’un monde en conflit dont la plupart d’entre nous ne pouvaient même pas imaginer l’existence. C’est une histoire de douleur et d’exploration, et c’est une histoire dans laquelle les combats les plus profondément humains sont tragiquement intemporels. Je considère l’auteur comme un ami et un visionnaire qui nous fait voir ce que le monde pourrait être quand les désirs émotionnels profonds ne sont plus obstrués par le jugement moral. »

    Rabbin Adam Scheier, Congrégation Shaar Hashomayim, Westmount, Québec, Canada, le rabbin de la congrégation de l’auteur

    « Ce livre est vraiment un cadeau offert à ses lecteurs. On ne peut qu’être reconnaissant à l’auteur pour sa générosité d’esprit dans le partage d’un voyage si rarement révélé. L’amour nous propulse à travers le temps et la tradition, tout en exigeant un prix terrible pour des personnages merveilleusement attachants. J’ai lu ce livre très lentement. Je ne voulais pas que ça se termine. »

    Pauline de Waele, administratrice, Services de santé, Montréal, Canada

    « Danny (le rabbin Daniel Sperber, mari de Chana) et moi sommes vraiment impressionnés par votre écriture. L’histoire est si puissante et touchante, racontée sensiblement en un anglais exquis. J’espère voir Yankl à l’écran bientôt. Ce serait incroyable et une vraie mitsvah en tant que film. »

    Chana Sperber, conseillère auprès des parents d’hommes homosexuels et de lesbiennes, Tel-Aviv, Israël

    « J’ai lu ce livre avec un plaisir extrême et un grand intérêt. J’admire la chaleur et la dignité de l’écrivain s’exprimant si bien sur un thème avec lequel il est si familier. »

    Muguette Myers, traductrice et poète publiée, Montréal, Canada

    « Dans Deuil et Célébration, David Brody a tenté de remplir l’un des nombreux silences de l’histoire gaie et lesbienne et, ce faisant, en écrivant un récit émouvant qui peut ouvrir les cœurs. Brody imagine un contrepoint à lui-même : un jeune homme dans le shtetl dont l’amour est nié par les conventions et les restrictions de son temps, et nous appelle à méditer sur des milliers, voire des millions, de personnes qui sont pareillement liés aujourd’hui. Comme le film Trembling Before G-d, ce livre donne une forme humaine à leur lutte. »

    Jay Michaelson, directeur général, Nehirim (États-Unis) : Jewish GLBT Culture and Spirituality et auteur de Everything is God : The Radical Path of Nondual Judaism

    « David Brody a écrit une histoire puissante et sensible sur l’amour humain tel qu’il était et est expérimenté par les hommes homosexuels avec une spiritualité façonnée par les traditions de la foi juive. Dans une façon des plus imaginatives, David crée une rencontre entre lui-même aujourd’hui et un juif hassidique nommé Yankl qui a vécu plus d’un siècle plus tôt. L’histoire de Yankl de sa lutte avec les conventions de son époque, avec les attentes de sa famille et avec les exigences de sa foi orthodoxe, tout en refusant de nier ses propres penchants sexuels, est fictive, mais totalement crédible et émouvante. Et David Brody a ses propres réflexions contemporaines en tant qu’homme gai et juif pratiquant qui démontrent que, à bien des égards, la lutte continue. Bien qu’écrit d’un point de vue juif, Deuil et Célébration révèle des idées d’une grande valeur pour quiconque, gai ou hétéro, qui a du mal à rester fidèle à lui-même et à la tradition spirituelle à laquelle il peut appartenir. »

    Le révérend Donald F. Bell, ministre de l’Église unie du Canada, Toronto, Canada

    Aux milliers d’âmes sans voix dont l’angoisse ne pouvait monter qu’aux cieux

    Préface

    L’auteur et moi avons fréquenté la même école. Il me semblait être un individu quelque peu reclus, mais aussi un pianiste très talentueux. Je n’avais aucune idée de l’angoisse personnelle qu’il vivait. À cette époque, j’avais peu ou pas de connaissances en la matière, et il l’avait apparemment bien cachée.

    Les temps ont changé, et même parmi les Juifs orthodoxes, il y a une compréhension croissante de la situation tragique dans laquelle un homosexuel religieux se trouve. Il y a une plus grande volonté de voir le phénomène avec sympathie, plutôt que de faire en sorte que la personne gaie soit un exclu, un paria aux yeux de sa communauté.

    Cette nouvelle compréhension est le résultat direct de « l’affirmation » de la part de la « victime » quant à sa souffrance, l’« injustice » et le mensonge auxquels il est condamné. La révélation franche d’une telle condition, courageuse et publique, est un élément nécessaire dans la réévaluation de l’homosexualité dans la société juive et la société en général. La loi juive orthodoxe doit faire face à de nouveaux défis, qui peuvent paraître insolubles, mais certainement évoque, non mandate, l’empathie et la gentillesse, et l’inclusion complète dans la communauté.

    Il faut beaucoup de courage pour sortir du placard, et pour documenter les épreuves et des tribulations personnelles le long de ce chemin périlleux. Cela jouera un rôle majeur dans la réparation des torts causés à ce groupe socialement incompris.

    Nous devrions être vraiment reconnaissants à l’auteur d’avoir ouvert une fenêtre sur sa vie, et peut-être involontairement de nous faire sentir coupables de notre propre manque de sensibilité.

    Rabbin Daniel Sperber, professeur

    Président

    Institut Ludwig et Erica Jesselson d’études avancées de la Torah

    Université Bar-Ilan, Ramat Gan

    Israël

    Avant-propos

    L’écriture de Deuil et Célébration a été une expérience fascinante. Ce travail puise son origine dans deux sources : une prise de conscience de soi et une réponse à un dilemme historique qui, à ce jour, n’a pas été résolu : la place des homosexuels au sein de la communauté juive orthodoxe.

    Les personnages de mon livre illustrent bien ce dilemme. Et dans le processus d’écriture, ils semblent avoir pris possession de mon imagination pour émerger d’eux-mêmes, ma voix ne leur servant que de porte-parole pour les présenter et suivre leur vie.

    En me lançant dans ce projet, j’avais plusieurs objectifs. D’abord, je voulais me servir de cette histoire pour refléter le sentiment d’aliénation ressenti par un jeune homme gai qui a vécu sa jeunesse dans une communauté fermée. Bien que de nos jours, du moins dans le monde occidental, il y ait plus d’ouverture et d’acceptation de l’homosexualité, être différent et la cible de l’intimidation, notamment à l’école, peut mener au suicide chez les jeunes. Je relate un tel événement dans ce roman où la pression pour se marier a eu comme conséquence une tragédie.

    Mon premier objectif serait que Deuil et Célébration représente l’homosexualité comme une simple variation de la condition humaine, et non une déviance, et qu’il serve à susciter la reconnaissance et la compréhension de ce fait. Pour le reste, des esprits bien plus savants que le mien pourront s’intéresser à l’application de cette nouvelle attitude d’acceptation. Je l’espère sincèrement, et mes prières accompagnent ce souhait.

    Un autre objectif est de décrire et de démystifier, particulièrement pour les lecteurs non juifs, la beauté de plusieurs rituels judaïques, dont bon nombre sont encore pratiqués par des familles et dans les synagogues. Dans les années récentes, il y a eu une recrudescence de l’antisémitisme, or plusieurs des instigateurs ignorent la vraie nature de cette religion. Sans prétention, j’espère que mes mots pourront, même marginalement, aider à défléchir ces attitudes hostiles.

    Finalement, j’ai fait bien attention pour ne pas juger les positions prises par les parents et les rabbins dans ce roman. Notre regard sur le monde évolue selon l’environnement social dans lequel nous vivons. Je ne sentais pas que j’avais le droit de juger des comportements qui seraient considérés comme déséquilibrés selon nos critères d’aujourd’hui. Une des valeurs encore pertinentes de nos jours qui est cultivée et tenue en estime par les rabbins du temps de Deuil et Célébration est le respect des autres et de leur bien-être, peu importe l’environnement moral de l’époque.

    Pour bien comprendre les mots en yiddish et en hébreu, ce qui est essentiel à la compréhension du récit, j’ai ajouté un glossaire qui définit chaque mot ou expression après sa première mention dans le livre.

    Je voudrais reconnaître avec beaucoup de gratitude les gens qui m’ont aidé dans mon travail. Tout d’abord, mes sincères remerciements au clergé, aux professionnels et aux amis qui ont bien voulu offrir leur appréciation de mon livre, que vous avez lue dans les pages précédentes. Je leur suis des plus reconnaissants pour leur temps et leurs encouragements.

    Les commentaires continus et constructifs du Creative Writing Group de Westmount, au Québec, dirigé par Alexina Scott-Savage, ont été très appréciés et ont eu un effet majeur sur la forme de mon roman.

    Un mot de remerciement également aux nombreux amis qui ont lu mon roman avant que je décide de le « rendre public », et qui ont fait des suggestions qui ont grandement amélioré le récit.

    Finalement, un grand « merci » à mon traducteur, Denis-Martin Chabot, pour avoir adapté mon œuvre dans un français impeccable. On pourrait dire que Deuil et Célébration a été conçu dans la langue de Molière.

    Enfin, un souhait : j’espère que vous aimerez lire ce livre presque autant que j’ai aimé l’écrire ! Je vous remercie.

    K. David Brody

    Première partie

    Prologue

    « Hé, madame, attrapez celle-là ! » lança un garçon blond arrogant. Il était accompagné de deux camarades de classe qui observaient la scène d’un regard moqueur. Il avait fait rebondir une balle de tennis très fort sur le sol, son jeu de tambour sur l’asphalte étant un défi violent en soi. Il s’est tourné vers ses amis.

    « Je vais le faire tortiller, ce petit pédé », s’exclama le garçon blond.

    « Oui, frappe-le là où ça compte », poursuivit celui qui souffrait d’acné sur tout le visage.

    « Ouais, déclara le troisième membre du trio. Où ça compte. »

    « Allez ! Attrape-le si tu peux », cria le garçon blond avec tout son mépris.

    Il feignit de lancer sa balle de tennis sur sa cible effrayée à quelques mètres de lui dans la cour d’école, puis la lança de toutes ses forces. Moi, l’objet de son venin, j’eus à peine le temps de me détourner avant que la balle de tennis ne me frappe violemment sur l’omoplate gauche. Je grimaçai de douleur. Dans les moqueries de mes bourreaux, je m’éloignai. Une fois de plus les dommages causés à ma dignité étaient plus douloureux que l’ecchymose au dos.

    Je me rappelle l’incident chaque fois que la question de l’intimidation à l’école est mentionnée dans les journaux télévisés ou à la radio ou encore dans des articles des quotidiens. C’est si loin dans le passé et pourtant de tels souvenirs grotesques me reviennent à l’esprit et me font revivre ces terribles moments lorsque je me souviens de mon surnom blessant. Avec une aversion pour le sport et un sentiment d’horreur à l’idée même de la compétition — le sport et la rivalité étant les fondements de la culture des lycées dans le Londres des années 1950 — j’ai été surnommé « Lady » de façon humiliante.

    Tout ce que je voulais, c’était rester en paix, et la seule forme de compétition que je cherchais était de surpasser mon propre passé. En expulsant de ma conscience ce souvenir importun, je réfléchis à la façon dont les circonstances ont changé au cours de ma vie. Ma jeunesse avait été caractérisée par un sentiment d’aliénation par rapport à la société et par les valeurs dans lesquelles j’avais grandi. J’étais de la deuxième génération de Juifs à être née à Londres, en Angleterre. Mes grands-parents paternels étaient originaires de Pologne et mes grands-parents maternels d’Ukraine. La vie avait été une lutte pour mes parents et pour leur génération, née dans la pauvreté, mais ils avaient réussi à améliorer leur sort grâce à leurs efforts, prenant même des risques calculés pour se mettre dans une situation de confort relatif. Pourtant, les valeurs de ghetto de mes grands-parents avaient résisté aux pressions économiques et sociales les incitant à réussir matériellement : ce qui importait le plus, c’était la famille et la pratique du judaïsme orthodoxe.

    Dès l’âge de neuf ans, j’ai su que j’étais différent. À l’âge de douze ans, j’ai réalisé quelle était la différence. Avec peur et horreur, je me suis avoué être attiré par les personnes de mon propre sexe. Je désirais les garçons. J’avais le béguin pour les gars. Pourtant, je me sentais plus à l’aise avec des filles avec qui il n’y avait pas de tension sexuelle ni de peur d’être exposé. En même temps, j’avais peu de points communs avec elles. L’isolement et la solitude étaient la seule option.

    Pire encore, c’était la terreur d’être découvert, sans parler des grandes attentes de mes parents envers moi. Comment réagiraient-ils ? Comment pourrais-je jamais réaliser leur plus grand espoir pour moi — le mariage et les enfants ?

    Il y aurait aussi peu de chance d’être accepté par les autres pour ce que j’étais, un homosexuel. À l’école, j’ai été persécuté pour ma différence et pour mon allure un peu féminine. J’ai fait de gros efforts pour changer mes maniérismes en pratiquant ce que je considérais comme une cambrure masculine. En fait, j’ai réussi à un point tel qu’à l’âge adulte, je projette l’image d’un homme typiquement hétérosexuel. Je suis un homosexuel dans le placard — une pensée qui me fait plisser le visage.

    En laissant de côté les mauvais souvenirs, je me rends compte que j’ai vraiment réussi à changer ma vie. En 1968, j’ai quitté mon pays natal pour m’installer à Montréal en émigrant au Canada. Je me suis enfin libéré. Pendant de nombreuses années, je fus heureux avec mon amoureux et j’ai connu un certain succès professionnel et financier. Il faut ajouter qu’au cours de ma vie, les attitudes ont changé, passant de l’oppression et de la suspicion envers les homosexuels à une quasi acceptation. Un peu comme pour les juifs, il y a des années, qui ont été soumis au même processus : du ghetto à l’émancipation, au moins dans la vie quotidienne. Désormais, de façon superficielle être juif est accepté socialement malgré un certain antisémitisme sous-jacent. Donc, être gai n’a presque pas d’importance de nos jours. C’est juste une caractéristique personnelle, une réalité acceptée comme faisant partie de la vie normale, en particulier dans la province de Québec.

    Parfois, je me demande quel genre de personne j’aurais été si j’étais né à un autre moment et dans un autre endroit. Je suis tout à fait sûr de ne pas être le premier à poser la question, mais cela ne rend pas l’hypothèse moins intrigante. En fait, bien que mes parents soient des Juifs nés à Londres, s’ils avaient été des Indiens hindous, comment aurais-je grandi et évolué ? Ou des Indiens mayas ? Ces sociétés acceptent-elles un homme homosexuel ? Complètement homosexuel ? Les possibilités sont infinies : une famille de Laponie ? Inuit ? Chinois ? Ensuite, il y a la considération du temps. Dans le pire des cas, le fils unique d’un chef viking qui aurait été obligé de perpétuer le nom de famille. Je m’imagine alors sauter d’une falaise dans un geste de désespoir. C’est dramatique !

    C’est une question existentielle, mais avec un peu d’imagination, on peut tenter d’y répondre. Si j’avais été né 100 ans plus tôt, à une époque où mes ancêtres vivaient dans des ghettos ou des shtetls, villages juifs, chez des parents partageant une vision du monde semblable à celle de mes propres parents, comment aurais-je réagi ? Comment auraient-ils réagi ? La société des shtetls était une forteresse contre les influences extérieures. La conformité était la règle — le reste aurait été considéré comme une menace pour le statu quo.

    Tout le monde s’habillait de la même façon et pensait la même chose, selon les strictes lignes religieuses juives. La non-conformité était un anathème. Comment aurais-je pu survivre dans cette société totalement fermée, totalement conformiste ?

    Bien assis dans le salon confortable de mon appartement, je contemple les avancées sociales réalisées de mon vivant. Lorsque j’étais adolescent, à Londres comme dans la plupart des pays du monde, la pratique de l’homosexualité était illégale. Je me souviens d’avoir versé de petites sommes à une organisation vouée à la réforme du droit, l’Albany Trust. Elle avait été fondée après que la Commission Wolfenden eut recommandé la modification de la loi britannique interdisant les actes homosexuels.

    Le Albany Trust publiait un bulletin d’information, envoyé dans une banale enveloppe brune. Je n’osais pas le recevoir chez moi, de peur que mes parents ne m’interrogent à ce sujet et que mon secret ne soit révélé. J’avais donc demandé à une amie du collège de recevoir le bulletin chez elle pour moi. Le secret concernant le contenu de l’enveloppe la chicotait, et des années plus tard, j’ai regretté de ne pas l’avoir mise au courant.

    Au Canada, j’ai moi-même contribué à changer le statu quo. Quand Yves, mon amoureux de 23 ans, est décédé, trois autres homosexuels dans la même situation et moi-même avons poursuivi le gouvernement provincial pour obtenir une pension de survivant, une allocation déjà accordée au conjoint survivant dans une union de fait entre hétérosexuels. Nous étions représentés par un avocat de la Commission des droits de la personne du Québec. Après une bataille juridique de huit ans, l’affaire avait finalement été examinée par la Cour d’appel du Québec, la plus haute autorité judiciaire de la province, et nous avons gagné notre cause.

    J’observe brièvement le fauteuil vide devant moi et je ne peux pas m’empêcher de ressentir un peu de fierté. En vérité, je donnerais n’importe quoi pour ne pas avoir eu à demander la pension. La chaise que j’observe est celle où Yves avait l’habitude de s’asseoir, agitant souvent ses mains dans une conversation animée avec moi ou nos invités. C’est l’un des nombreux meubles qui garde une mémoire dans l’espace que j’ai conçu. Son style Queen Anne, avec son haut dossier recouvert de bandes de velours bleu, ivoire et olive, reflète à la fois le goût d’Yves et son caractère, simple et élégant. Presque tous les autres articles de la décoration représentent un souvenir d’un événement ou d’une humeur, le plus ancien étant cet œuf de cristal que j’ai remarqué par hasard dans la vitrine du magasin Liberty de Regent Street, à Londres, alors que je m’abritais d’une averse. Coup de foudre ! Cela m’a coûté le tiers de mon salaire hebdomadaire, une dépense que je n’ai jamais regrettée. Il m’a accompagné partout dans les trois pays dans lesquels j’ai habité.

    Le canapé massif avec ses coussins moelleux et bleus est une autre pièce que j’ai héritée d’Yves. S’asseoir à l’intérieur, c’est sombrer dans un nuage. Puis, dans l’armoire d’angle, on trouve le service à thé et café japonais de ma mère, peint à la main sur de la porcelaine tendre à la main, trop fragile à utiliser.

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