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Les psychologies du genre: Regards croisés sur le développement, l'éducation, la santé mentale et la société
Les psychologies du genre: Regards croisés sur le développement, l'éducation, la santé mentale et la société
Les psychologies du genre: Regards croisés sur le développement, l'éducation, la santé mentale et la société
Livre électronique507 pages9 heures

Les psychologies du genre: Regards croisés sur le développement, l'éducation, la santé mentale et la société

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À propos de ce livre électronique

Enrichissez-vous de cette synthèses rigoureuse afin d'alimenter vos futurs débats sur l'égalité de genre !

Les questions de genre et d’inégalités entre les sexes suscitent, depuis plusieurs années, un intérêt grandissant dans nombre de champs disciplinaires, dont celui de la psychologie. Dans Les psychologies du genre, plusieurs spécialistes des sciences psychologiques explorent la manière dont les questions de sexe et de genre sont abordées dans l’ensemble des sous-disciplines de la psychologie (sociale, culturelle, du travail, clinique, etc.). Ils examinent divers facteurs qui concourent à la construction des genres au niveau des individus, se penchent sur le fonctionnement psychologique des femmes et des hommes, et étudient la question du genre aux niveaux intergroupes, positionnels et idéologiques. Ils proposent ainsi une synthèse complète et rigoureuse permettant d’alimenter la réflexion sur ce débat et de faire progresser l’égalité de genre.

Un ouvrage de référence inédit sur un domaine en pleine expansion : les psychologies du genre.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

"Ce bouquin va rassembler tout ce qui se passe, tout ce dont on parle autour des études de genre. Vous vouliez absolument essayer d'amener une vraie référence pour sortir un peu des débats stériles autour de ces questions, débats qui deviennent de plus en plus tendus parfois autour des questions de genre." - Cédric Wautier, Tendances Première

À PROPOS DE L'AUTEUR

Vincent Yzerbyt est professeur de psychologie sociale à l'Université catholique de Louvain. Internationalement reconnu, il a été Lauréat du Kurt Lewin award de l'Association Européenne de Psychologie Sociale. Certains de ses travaux concernent également la méthodologie et les statistiques.

Isabelle Roskam est professeure de psychologie du développement à la faculté des Sciences Psychologiques et de l’Éducation de l’Université catholique de Louvain. Ses travaux de recherche menés au sein de l’Institut de recherche en Sciences Psychologiques portent sur le développement du jeune enfant et sur la parentalité. Elle a consulté pendant 10 ans au centre de revalidation neuropédiatrique des Cliniques universitaires Saint Luc à Bruxelles et dirige les Consultations Psychologiques Spécialisées en Parentalité à Louvain-la-Neuve.

Annalisa Casini est Docteure en sciences psychologiques et professeure à l’Université catholique de Louvain où elle enseigne la psychologie du travail et de la santé au travail. Chercheuse, ses intérêts portent sur les liens entre genre, travail et bien-être des travailleurs avec une attention particulière aux dynamiques de reconnaissance professionnelle.
LangueFrançais
ÉditeurMardaga
Date de sortie8 juil. 2021
ISBN9782804709365
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    Aperçu du livre

    Les psychologies du genre - Vincent Yzerbyt

    Introduction


    Vincent Yzerbyt, Isabelle Roskam & Annalisa Casini

    Pour les uns, l’inégalité entre les femmes et les hommes, c’est vraiment de l’histoire ancienne. Même si les siècles qui ont précédé furent les témoins d’une oppression éhontée à l’encontre des filles et des femmes, il y a maintenant belle lurette qu’on ne doit plus craindre que les femmes soient traitées comme des citoyens de second rang, tout au moins dans nos sociétés occidentales industrialisées. En effet, nos lois garantissent les mêmes droits à tout être humain, qu’il soit de sexe féminin ou masculin. Et s’il y a quelques relents du passé, ils sont le fait d’individus rétrogrades qui ne sont que l’exception confirmant la règle. Par ailleurs, s’il y a vraiment des inquiétudes à avoir, c’est peut-être et même sûrement « ailleurs », mais plus « chez nous ». Pour les autres, le fossé est loin d’être comblé et le chemin qui conduit à un traitement équivalent et à des opportunités identiques pour les femmes et les hommes est encore bien long, trop long. Malgré les avancées sur le plan juridique, il subsiste non seulement des écueils structurels, mais les mentalités, tant collectives qu’individuelles, sont loin d’avoir gommé des siècles d’inféodation et de rapports de domination. Il ne fait aucun doute que les femmes rencontrent des obstacles sur leur parcours scolaire et professionnel, notamment.

    Mais au-delà même de la question brûlante de savoir si l’égalité entre les sexes est enfin réalisée et des désaccords vifs qui peuvent persister à cet égard, un débat plus fondamental encore est celui qui concerne les facteurs qui fondent les différences entre les sexes. À cet égard, on ne pourra que s’étonner du niveau de passion qui enflamme les protagonistes de cette discussion. Dans ce qui apparaît souvent comme une véritable arène, le type d’explications mobilisées pour comprendre ce qui distingue les hommes et les femmes, avant tout dans leur psychologie et dans leur comportement, se cristallise autour de l’opposition entre la culture et la nature. Et les tenants de l’une et de l’autre « explication » peinent à ­surmonter les malentendus. Force est de constater la tentation toujours renouvelée d’assimiler la position culturelle à une dissolution dangereuse des différences au prétexte d’un combat pour l’égalité. Dans le même temps, on ne peut que prendre acte de la difficulté des partisans de l’enracinement naturel à se départir d’un discours intrinsèquement inégalitaire.

    La présente contribution s’inscrit dans une démarche différente et prend une distance certaine par rapport à ces postures de nature essentiellement idéologique. Si chacun est bien entendu en droit d’avoir une intuition, voire une préférence, par rapport à ce qui fonde les différences entre les genres, il convient d’accumuler les données, d’examiner les chiffres, d’étudier le phénomène avec un esprit critique et dans une optique si possible multidisciplinaire. De manière générale, il s’agit de replacer la question du genre dans son contexte politique, économique, historique, social, culturel et, bien entendu, psychologique. Précisément, c’est nourris de cette préoccupation que des programmes d’enseignement ont commencé à surgir dans les universités et autres lieux d’enseignement afin de prendre la question du genre à bras-le-corps. Loin de se contenter d’insérer le genre comme un chapitre ou une section supplémentaire dans un programme de cours existant, l’ambition est au contraire d’autonomiser la question en rassemblant un ensemble de disciplines autour de la question du genre. Cette révolution renverse totalement la perspective que l’on rencontre traditionnellement face à cette question et fait du sexe et du genre un thème « carrefour », un « hub » comme disent les Anglo-Saxons. À l’instar des plus grands aéroports mondiaux qui étendent, sous forme de lignes aériennes et d’interconnexions entre les compagnies, leurs tentacules dans toutes les directions et attirent à eux les voyageurs du monde entier, les nouveaux programmes interdisciplinaires d’études de genre prennent cette dimension comme point d’entrée. Ce faisant, ils mobilisent conjointement des disciplines telles que le droit, l’histoire, l’économie, la sociologie et la psychologie plutôt que d’insérer timidement et de façon éparse des interrogations liées au genre dans les formations monodisciplinaires qui s’en trouveraient du coup très peu remises en cause.

    On pourrait opter pour un examen « sectoriel » laissant aux différentes disciplines le soin de questionner les effets liés au sexe ou au genre dans les sujets qu’elles abordent. En psychologie, par exemple, les sous-disciplines que sont la psychologie développementale, la neuropsycho­logie, la psychologie sociale, la psychologie clinique, la psychologie de l’éducation, ou d’autres encore, auraient à s’interroger sur la prise en compte (ou non) des dimensions de sexe ou de genre dans leur champ. Mais une autre option consiste à prendre prétexte, au sens fort du terme, du sexe ou du genre pour confronter les points de convergence ou de divergence entre les sous-disciplines. De quelle manière les questions sont-elles posées par chacune des sous-disciplines ? Quelles sont les traditions de recherche menant à l’inclusion ou à l’exclusion de la variable du sexe ou du genre dans la procédure de recueil et d’analyse de données ? Cette variable est-elle traitée à titre principal en tant que variable d’intérêt ou ses effets sont-ils uniquement contrôlés ?

    L’idée de ce livre est de servir de manuel dans un contexte à la fois disciplinaire et interdisciplinaire. Sa genèse réside dans la création par le premier auteur d’un cours de psychologie du genre au sein de la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Éducation de l’Université catholique de Louvain dans le contexte plus large de la mise sur pied dans la partie francophone de la Belgique d’un master interuniversitaire en étude de genres. En tant que psychologue social, Vincent Yzerbyt s’est alors retrouvé devant l’alternative de se « réserver » la question du genre en arpentant les nombreuses façons d’étudier les phénomènes liés au sexe et au genre, principalement en termes de développement et d’utilisation des stéréotypes, ou au contraire, de jeter des ponts avec d’autres domaines de la psychologie et d’inviter des collègues à construire un cours qui soit plus ambitieux et qui permette d’enrichir le regard. Au bénéfice des étudiants venant d’horizons parfois lointains et peu familiers de la spécificité du regard psychologique, il a d’emblée privilégié la seconde option. De fait, la psychologie offre sans le moindre doute l’opportunité d’une rencontre fascinante entre des approches qui mettent à l’honneur les aspects psychiques, bien sûr, mais aussi les facettes biologiques et sociales des individus. Avec sa collègue Isabelle Roskam, psychologue développementale, ils ont alors élaboré un cours qui entendait bien diversifier les regards en tablant sur les apports de plusieurs spécialistes relevant d’autres sous-disciplines au sein de leur faculté. L’année suivante, c’est une troisième collègue, Annalisa Casini, psychologue du travail, qui s’est jointe à l’aventure. En regroupant d’autres approches émanant d’un nombre très conséquent de sous-disciplines de la psychologie, le cours promettait de confronter les points de vue. Depuis plus de cinq ans, la plus-value d’offrir un panorama diversifié ne s’est pas démentie, que l’on soit ou non inscrit dans une filière de psychologie, et le cours rencontre d’ailleurs un succès grandissant.

    Le but de cet ouvrage est de présenter « les psychologies » du genre. Il suit une logique d’entonnoir, allant d’un niveau plus micro à une approche plus macro. Cette configuration rappelle bien évidemment les niveaux d’analyse mis en avant par Doise (1982), de l’intra-individuel en passant par l’interpersonnel avant le niveau positionnel pour aboutir au niveau idéologique. D’emblée, le choix fut de ne pas se cantonner aux collègues de l’Université catholique de Louvain, mais au contraire d’ouvrir résolument la porte à des contributions émanant de l’ensemble de la francophonie. C’est la raison pour laquelle on retrouve des chapitres écrits en Belgique, en France, en Suisse et au Canada. Une autre volonté était de faire collaborer des personnes appartenant à des laboratoires différents autour d’un même chapitre. L’objectif était, d’une part, de contrer la tentation – bien compréhensible – de promouvoir à outrance un seul programme de recherche par chapitre, et d’autre part, de favoriser la fertilisation croisée des points de vue. Last but not least, le souci de mettre en avant des regards féminins autant que masculins commandait que des autrices et des auteurs se concertent pour produire un tour d’horizon intégré de la façon dont les psychologies abordent aujourd’hui le genre. À tous ces égards, le pari est très largement réussi.

    Une première salve de chapitres s’attache à examiner divers facteurs qui concourent à la construction des genres au niveau des individus. Le premier chapitre, écrit par Catherine Vidal et Cécile Colin, traite la question de la différence entre les sexes au niveau cérébral. Dans le contexte d’une lecture « naturalisante » des genres, et en particulier face à la conviction souvent clamée que les cerveaux des hommes et des femmes sont fondamentalement différents et déterminent dans la foulée des conduites bien identifiables, les autrices présentent des données qui mettent en évidence l’extrême plasticité cérébrale. Les éléments proposés suggèrent que les situations dans lesquelles évoluent les filles et les garçons façonnent leurs fonctions cognitives et leurs compétences. Le ­chapitre conclut en livrant des considérations de nature éthique sur l’interprétation, somme toute abusive, de certaines données en matière de neurosciences et le recours au cerveau pour fonder les discours ­stéréotypés en matière de sexe et de genre. Dans le chapitre 2, ­Isabelle Roskam et Véronique Rouyer, toutes deux psychologues du développement, posent la question de l’émergence de l’identité de genre. Après un bref rappel des principes de base de l’approche développementale en psychologie, ce chapitre aborde la socialisation de genre, une approche dans laquelle les agents de socialisation, et plus largement l’environnement social, jouent un rôle essentiel. Il aborde ensuite ­l’approche cognitive où trône avant tout l’individu, avant de proposer une approche de la diversité des parcours individuels dans la construction de genre. Le chapitre 3, écrit par Alyson Sicard, Céline Darnon, et Delphine Martinot, toutes trois spécialisées en psychologie sociale de l’éducation, est consacré à la scolarisation. Elles entreprennent de déconstruire une situation qui, en première instance, a tout pour rassurer, mais qui cache en réalité bien des écueils. En effet, l’école s’est largement féminisée au point que d’aucuns considèrent que l’on est enfin débarrassé d’un facteur déterminant dans la persistance des inégalités entre les filles et les garçons. Les autrices nous expliquent à quel point le système scolaire et les diverses valeurs de sélection et de compétition qui y sont véhiculées n’en demeurent pas moins susceptibles de pérenniser une hiérarchie qui privilégie les hommes au détriment des femmes. Le chapitre 4 s’inscrit dans la foulée du précédent. Frédéric Nils, psychologue vocationnel, et ses collègues, Cristina Aelenei et Catherine Verniers, psychologues sociales, s’attaquent à cette question récurrente du choix des filières scientifiques par une majorité de garçons et seulement une minorité de filles. L’explication proposée ici tient en trois arguments, tous sous-tendus par des conceptions stéréotypées concernant les deux sexes. D’abord, selon le modèle vocationnel dominant, les choix seraient déterminés par des stéréotypes sur l’adéquation présumée entre les métiers et le sexe. Les femmes et les hommes nourriraient des aspirations concernant leurs futures professions sur base de conceptions stéréotypées en fonction du genre. Ensuite, s’appuyant sur les modèles de la perception sociale, la réflexion exploite la notion de « communion », caractéristique psychologique féminine par excellence. Enfin, le chapitre s’attarde sur la question de la brillance et de la manière dont celle-ci a été historiquement pensée comme relevant essentiellement de la sphère mas­culine. Le chapitre 5, que l’on doit à Stefan Agrigoroeai et Elise Grimm, travaillant tous deux en psychologie du vieillissement, s’appuie sur ­l’approche biopsychosociale de la santé et sur la perspective lifespan chère à la psychologie du développement pour éclairer les différences de trajectoires de vie des hommes et des femmes vieillissantes. Les différences au niveau de l’état de santé et des comportements liés à la santé entre hommes et femmes sont considérées comme le résultat de l’exposition et des réactions des individus aux événements de vie positifs et négatifs, normatifs et non normatifs, survenus au cours de la vie. À ces facteurs s’ajoutent les effets de cohortes qui replacent les trajectoires de vie dans un contexte socioculturel spécifique, d’une part, et les effets des représentations individuelles et collectives sur le vieillissement, d’autre part.

    Un deuxième ensemble de contributions se penche plus directement sur le fonctionnement psychologique des femmes et des hommes avec une attention particulière accordée aux troubles mentaux. Pierre Philippot et Kholoud Saber Barakat, responsables du chapitre 6, font le point sur la psychopathologie et l’influence du genre sur la santé mentale. Leur contribution va bien au-delà d’un compte-rendu des données épidémiologiques suggérant des différences entre femmes et hommes, en avançant différentes théories qui tentent de donner sens à ces différences. S’ensuit la présentation particulièrement intéressante d’une perspective féministe concernant la santé mentale. Les auteurs développent ainsi la thèse selon laquelle les stresseurs qui viennent affecter les femmes et les hommes ne sont pas les mêmes, car ils découlent de l’existence même d’un système patriarcal définissant des rôles spécifiques aux deux sexes. Le texte met également à l’honneur une analyse fine des conséquences des traumas que subissent des femmes égyptiennes dans la foulée du printemps arabe et de la révolution qu’a traversée leur pays. Dans le chapitre 7, Fanny Chevalier, en tant que psychologue clinicienne et psychanalyste, pose le problème de l’importation de la notion de genre dans le champ de la psychanalyse. Elle rappelle qui est le sujet sexué de la psychanalyse et quel est le rôle joué par l’inconscient dans la détermination des identités sexuées. Le chapitre retrace comment la psychanalyse a entrepris de théoriser le rapport entre le sujet et la sexuation bien avant les autres sous-disciplines de la psychologie et bien avant l’apparition même du terme « genre ». Loin de réduire le terme « sexe » à sa désignation anatomique, la psychanalyse a ainsi institué le rapport entre le sujet et le sexe au rang des questions cruciales. Les voies par lesquelles elle a envisagé la théorisation de la construction des « identités de genre » sont présentées en passant notamment par les hypothèses freudiennes et les avancées lacaniennes.

    Viennent ensuite plusieurs textes qui examinent la question du genre aux niveaux intergroupes, positionnels et idéologiques. Dans le chapitre 8, Vincent Yzerbyt, Virginie Bonnot et Klea Faniko, tous trois travaillant en psychologie sociale, s’attaquent à un phénomène central dans les relations sociales, à savoir les stéréotypes. Au-delà de la nature des caractéristiques qui sont généralement associées aux femmes et aux hommes, il s’agit de comprendre les mécanismes qui président à l’émergence de ces associations autant que la manière dont elles contribuent, parfois de façon insidieuse, au maintien des rapports de domination. Le chapitre aborde ensuite divers obstacles psychologiques et structurels qui jalonnent le chemin vers l’égalité, mais aussi différents leviers qui peuvent contribuer à améliorer la situation des femmes dans un univers encore marqué par leur exploitation. S’appuyant sur ces éléments d’analyse, le chapitre 9, proposé par Annalisa Casini, Mathieu-Joël Gervais et Karen Messing, s’attaque aux disparités entre les sexes dans le monde du travail. Après une série de constats chiffrés mettant en exergue une évidente division sexuelle du travail, le chapitre examine les causes de ces inégalités de genre en matière professionnelle avant de dresser un état des lieux des conséquences sur la santé et sur l’accès aux ressources. La contribution se conclut sur une réflexion à propos des enjeux scien­tifiques découlant de l’adoption d’un regard genré en psychologie du travail et en ergonomie. Dans le chapitre 10, Audrey Heine et ­Laurent Licata interrogent l’influence des contextes culturels dans la manière dont prennent corps les rapports de genre. Sont ainsi détaillés trois points de vue distincts, à savoir celui de la psychologie interculturelle comparative, de la psychologie culturelle et de la psychologie des relations interculturelles. L’enjeu est ici le processus de construction sociale du sexe par le biais de l’identité de genre, des rôles de genre et des stéréotypes de genre. Cette contribution montre in fine comment la prise en compte de ces aspects nourrit une approche féministe inter­culturelle. Le dernier chapitre de cette série permet à Sara Aguirre, Caroline Closon et Emma Sarter de se pencher sur les études portant sur les minorités sexuelles que l’on englobe sous l’acronyme LGBTQ+ et d’ouvrir la question du genre sur la réalité de la non-binarité. Elles interrogent la norme qui essentialise le genre en deux catégories distinctes et examinent tant les conséquences de l’exclusion que la discrimination vécue par les individus cisgenres hétérosexuels qui ne rentrent pas dans ces deux cases. Ce chapitre vient également questionner la recherche en psychologie, qu’il s’agisse de psychologie dite discursive ou expérimentale, dans la mesure où ses outils théoriques et ses pratiques méthodo­logiques oblitèrent le vécu et la réalité des personnes transgenres.

    Au terme d’un périple qui traverse une large palette de sous-domaines de la psychologie, un chapitre de conclusion, proposé par nous-mêmes, vient poser un regard historique et transversal sur les sous-disciplines et sur les recherches qui ont contribué à façonner « les psychologies du genre ». Nous y revenons sur le long chemin intellectuel et de recherche qui a permis de passer de l’étude pure et dure de différences entre les sexes aux analyses du genre en tant que logique normative reposant sur les relations structurelles de pouvoir et ayant un impact sur les destins individuels. Cette conclusion sera également l’occasion de discuter certains débats épistémologiques et politiques qui sont ­toujours d’actualité dans la recherche en psychologie. C’est le cas du débat nature/culture cité plus haut ou de celui sur le renforcement des inégalités de genre par la psychologie elle-même en tant que discipline genrée.

    Une panoplie extrêmement riche et complexe de facteurs pèse sur les mécanismes de « fabrication » des femmes et des hommes et, singulièrement, des places qu’ils et elles occupent dans la société. On peut incriminer les caractéristiques neuronales et la plasticité face à l’environnement, les processus de développement et leur sensibilité aux ornières parentales et des pairs, les contextes d’enseignement et les valeurs qui y sont véhiculées, l’inconscient, les configurations psychiques et les conséquences sur la santé mentale, les rapports de pouvoir, les stéréotypes et leur emprise sur les destins des individus, la ségrégation des trajectoires ­professionnelles et leurs conséquences sur l’accès aux ressources et les inégalités ou encore les univers culturels et la délimitation des rôles respectifs. Ce que nous apprennent les travaux des diverses provinces de la psychologie rassemblés dans cet ouvrage, c’est l’imbrication étroite de tous ces facteurs et de toutes leurs déterminations. A minima, cela nous dispense de croire qu’il existerait un seul niveau auquel commencer à changer les choses. Les endroits où il est possible d’actionner un levier de changement sont au contraire multiples. Par exemple, si les professions qu’exercent les hommes et les femmes sont un facteur déterminant vis-à-vis de la réalité différenciée, cloisonnée, stratifiée à laquelle nous faisons face aujourd’hui en matière de genre, alors il s’agit de changer les proportions de personnes de chaque sexe dans les filières et les métiers. On décidera alors de mettre à mal des trajectoires tellement reconnaissables qu’elles aboutissent imperturbablement à des écarts de salaires aussi énormes que difficiles à résorber et à des carrières aux physionomies très contrastées. Si, à côté de ces déterminants organisationnels, des pratiques institutionnelles contribuent à maintenir des inégalités de genre ou que, plus largement, c’est le socle culturel sur lequel reposent les rapports entre femmes et hommes qui nourrit les stéréotypes, les préjugés et la discrimination, on adoptera une autre stratégie. Ainsi, le langage lui-même pourrait se révéler porteur d’une lecture biaisée du monde. Il serait dès lors urgent de modifier la manière de s’exprimer au sujet du monde, car elle contribue au maintien des inégalités. Si cette vision multidéterministe offre un choix en termes de lignes d’action, elle peut aussi s’avérer décourageante. Opter pour un point d’entrée unique soulève en effet la question de l’impact que l’on peut espérer avoir en raison de l’inertie dans les autres sphères. De toute évidence, c’est à tous les niveaux qu’il conviendrait de se mobiliser. Toutefois, ceci n’enlève rien au fait qu’une impulsion donnée sur un facteur particulier puisse entraîner des modifications à d’autres niveaux. Tenter d’attirer davantage de filles dans les filières scientifiques, par exemple, pourrait engendrer nombre de conséquences positives à bien d’autres échelons et favoriser un meilleur équilibre entre les femmes et les hommes.

    L’urgence d’agir pour une meilleure égalité entre les femmes et les hommes se heurte pourtant à de nombreuses réticences. D’aucuns considèrent que dénoncer à ce point les affres du sexisme va décidément trop loin et entre en conflit avec des piliers culturels qui méritent d’être défendus. Le mouvement #metoo et autres élans de protestation contre les stéréotypes de genre se heurtent ainsi à des conceptions de la séduction, de la drague et de l’humour « olé olé » portées au rang d’exception culturelle. Dans l’univers francophone et singulièrement en France, la relation entre les femmes et les hommes reste inéluctablement marquée du sceau de l’attirance sexuelle qui doit pouvoir s’exprimer sans qu’il faille nécessairement penser à mal. S’offusquer du sexisme serait donc une atteinte à un ancrage présenté comme ancestral qui, selon certains mais aussi certaines, fait toute la différence entre les Anglo-Saxons, décidément peu enclins à célébrer des différences sexuelles qui enchantent la vie, et les Français solidement enracinés dans une approche bien plus « saine » et « innocente » du sexe. Cette lecture à la fois culturelle et historique qui légitimerait des rôles définis où les hommes et les femmes sont inéluctablement ramenés à un jeu de séduction fait aujourd’hui grand débat tant elle conduit à pérenniser des inféodations et des asservissements. Dans ce contexte, le fait de proposer une revue des résultats de la recherche dans un grand nombre de sous-disciplines de la psychologie nous semble très important. Le panorama impressionnant de recherches mis à disposition dans les différents chapitres de cet ouvrage révèle à quel point un travail rigoureux et scientifique sur la question des différences entre les sexes ou les genres est primordial. Dans le même temps, on se rend mieux compte, à lire les travaux des chercheuses et des chercheurs, que la lutte contre le sexisme n’est pas encore gagnée. Et le verdict est sans appel : le combat est loin d’être d’arrière-garde. C’est la raison pour laquelle cet ouvrage est à notre humble avis essentiel. Notre conviction est qu’il alimentera la réflexion et contribuera à faire progresser l’égalité de genre.

    Référence

    DOISE, W. (1982). L’explication en psychologie sociale. Paris : PUF.

    Chapitre 1

    Genre et neurosciences cognitives : développement du cerveau et plasticité cérébrale


    Catherine Vidal & Cécile Colin

    « Vouloir séparer le biologique du culturel n’a pas de sens. Pas plus que de demander si le goût de Roméo pour Juliette est d’origine génétique ou culturelle. »

    François Jacob, prix Nobel de Physiologie et de Médecine

    (Le jeu des possibles, 1981)

    En 2005, le président de l’Université Harvard, Lawrence Summers, déclarait que « le faible nombre de femmes dans les disciplines scientifiques s’explique en partie par leur incapacité innée à réussir dans ces domaines » ! Le propos a fait scandale dans les milieux universitaires et scientifiques. La presse et les médias se sont emparés de l’événement, confrontant les opinions contradictoires. Certain·es chercheur·ses sont intervenu·es pour défendre Summers face aux protestations des scientifiques et des féministes. Parmi eux·elles, Steven Pinker, professeur à Harvard et auteur d’ouvrages à succès sur la psychologie évolutionniste, défendait le fait que les différences entre les sexes dans les gènes, le cerveau et les hormones expliquaient les moindres performances des femmes en mathématiques. Contester ce point de vue relèverait donc d’une méconnaissance de la science et de positions idéologiques partisanes, telles que celles attribuées aux féministes…

    Force est de constater que, malgré les progrès des connaissances en neurosciences, les a priori sur les différences d’aptitudes entre les femmes et les hommes sont toujours bien vivaces dans l’espace public, tous milieux confondus. Télévision, presse écrite, sites Internet, nous abreuvent de clichés qui prétendent que les femmes sont « naturellement » multitâches, douées pour les langues, mais incapables de lire une carte routière, alors que les hommes seraient, par essence, bons en mathématiques, compétitifs et bagarreurs.

    Mais les médias sont loin d’être seuls en cause. Certains milieux scientifiques contribuent activement à promouvoir l’idée d’un déterminisme biologique des différences d’aptitudes et de rôles sociaux entre les sexes. Ces thèses alimentent les courants conservateurs qui s’opposent à la mixité dans la vie sociale et politique, à l’égalité des droits pour les femmes, pour les homosexuel·les, etc.

    Ce chapitre a pour objectif d’apporter des éléments de compréhension aux débats scientifiques actuels sur le cerveau, le sexe et le genre. Nous commencerons par montrer que le concept de plasticité cérébrale est primordial pour aborder la question de « l’origine » des différences et des similarités entre les sexes. Il apporte un éclairage neurobiologique fondamental sur les processus de construction sociale et culturelle des identités des filles et des garçons, des femmes et des hommes. À la lumière de cet éclairage, nous examinerons ensuite les recherches récentes sur les similitudes et différences entre les sexes dans les fonctions cognitives en nous focalisant plus particulièrement sur celles qui ont fait l’objet du plus grand nombre d’études et qui sont au cœur de nombreux stéréotypes : les compétences mathématiques, l’orientation dans l’espace, les compétences langagières et le multitasking. Nous nous pencherons ensuite brièvement sur les différences supposément naturelles qui expliqueraient les comportements et les attitudes dans la vie sociale et privée : aux hommes, les sciences, les techniques et l’action ; aux femmes, l’empathie, l’affectivité et l’intuition. Nous conclurons par une réflexion éthique face aux dérives dans l’interprétation de certaines études scientifiques, dérives qui conduisent à renforcer les stéréotypes sur les différences de compétences et de rôles sociaux entre les sexes. Le thème du sexe du cerveau n’est jamais neutre.

    1. Différences entre les sexes et plasticité cérébrale

    Que répondre aujourd’hui à la question : le cerveau a-t-il un sexe ? La réponse scientifique est oui et non. Oui, parce que le cerveau contrôle les fonctions physiologiques associées à la reproduction sexuée. Toutefois, concernant les fonctions cognitives, les connaissances actuelles sur le développement du cerveau et la plasticité cérébrale tendent à montrer que les filles et les garçons, les femmes et les hommes, ont les mêmes potentialités de raisonnement, de mémoire, d’attention, ou encore d’imagination.

    1.1 La construction des cerveaux des filles et des garçons

    À la naissance, les garçons sont en moyenne plus lourds et de plus grande taille que les filles. Le volume de leur cerveau est supérieur d’environ 10 % à celui des filles. Si l’on rapporte le volume du cerveau à la taille du corps, la différence entre les sexes est de 6-8 % et reste significative. Concernant la structure interne du cerveau, plusieurs études s’appuyant sur l’imagerie par résonance magnétique (IRM) ont montré des variations selon le sexe dans les volumes de la matière grise (où sont concentrés les corps cellulaires des neurones) et de la matière blanche (constituée des fibres nerveuses issues des corps cellulaires des neurones). Depuis la naissance jusqu’à l’âge adulte, les filles ont, en moyenne, un peu plus de matière grise et les garçons un peu plus de matière blanche.

    Ces différences cérébrales ont donné lieu à toutes sortes de spéculations censées expliquer les différences entre les sexes dans l’orientation dans l’espace, le raisonnement, l’intuition, etc. Or, des études récentes viennent remettre en question l’interprétation des différences anatomiques entre les cerveaux des femmes et des hommes. Il s’avère, en effet, que les différences en question ne sont qu’apparentes. Elles disparaissent si l’on prend en compte la taille du cerveau en tant que telle (Hänggi et al., 2014 ; Jäncke et al., 2015). Ainsi, quand on compare des cerveaux d’hommes et de femmes de même volume (15-20 % dans la population), on ne voit plus de différences dans les proportions de matière grise et blanche. C’est bien la taille du cerveau et non pas le sexe qui explique les différences dans le rapport matières grise/blanche. Cette observation montre que le développement du cerveau diffère selon l’espace disponible dans la boîte crânienne, et ce, sans aucune incidence sur les fonctions intellectuelles. On comprend, dès lors, que des études comparant les cerveaux des deux sexes sans prendre en compte la taille du cerveau (c’est encore le cas de la majorité des études) puissent conduire à des conclusions erronées sur l’origine des différences cognitives entre les sexes.

    Une étude remarquable a été réalisée en 2017 sur le développement et la maturation du cerveau de 3 000 personnes âgées de neuf mois à 94 ans (Coupé et al., 2017). L’IRM montre que la structure des différentes régions cérébrales est globalement identique pour les deux sexes quand on tient compte du volume du cerveau. Des différences mineures entre les sexes ont été observées à partir de 80 ans.

    Un travail important de recherche reste à mener sur les interactions mutuelles entre les facteurs environnementaux et les processus de développement chez les jeunes enfants. Ces questions sont notamment cruciales pour cerner l’origine des troubles neurodéveloppementaux tels que la dyslexie, les troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité ou les troubles du spectre autistique, qui affectent davantage les garçons que les filles. Une des clefs de la compréhension de ces mécanismes repose sur l’étude de la plasticité du cerveau.

    1.2 La plasticité cérébrale

    À la naissance, le cerveau compte cent milliards de neurones, qui cessent alors de se multiplier. Mais la fabrication du cerveau est loin d’être terminée, car les connexions entre les neurones, les synapses, commencent à peine à se former : seulement 10 % d’entre elles sont présentes à la naissance. Cela signifie que 90 % des synapses se fabriquent à partir du moment où les bébés commencent à entrer en contact avec le monde extérieur. On estime que, dans un cerveau adulte, chaque neurone est connecté à dix mille autres, ce qui correspond à un million de milliards de synapses ! Or, seuls 6 000 gènes interviennent dans la construction du cerveau. Ce n’est manifestement pas assez pour contrôler la formation de nos milliards de connexions. Le devenir de nos neurones n’est donc pas inscrit dans le programme génétique. A contrario, l’environnement – physique, affectif, social, culturel, etc. – joue un rôle majeur sur le câblage des neurones et la construction du cerveau.

    La construction du système visuel offre une illustration frappante de l’influence de l’environnement physique. À la naissance, la vision est très sommaire. Ce n’est qu’à l’âge de cinq ans que l’enfant possède des capacités visuelles comparables à celles de l’adulte. Il faut donc cinq années pour réaliser les câblages des neurones qui transportent les informations visuelles depuis la rétine, dans le nerf optique et jusqu’au cortex cérébral où sont analysés les signaux lumineux. Or, il s’avère que l’impact de la lumière sur la rétine est une condition indispensable pour que les neurones visuels se connectent correctement. Un manque de stimulation de l’œil par la lumière chez des enfants atteints de cataracte peut conduire à la cécité. De même, on a longtemps pensé que la spécialisation du cortex visuel en voies ventrale (qui traite l’identification des objets) et dorsale (qui traite la localisation des objets) était innée du fait que ces voies se développent selon des décours temporels différents pendant l’enfance et qu’on observe des doubles dissociations chez l’adulte cérébrolésé·e. Or, des modèles développés plus récemment indiquent que cette spécialisation serait également à inscrire dans une dynamique développementale (via une exposition croissante à des stimuli statiques et en mouvement) et n’est donc pas innée.

    Grâce à l’avènement des techniques d’imagerie cérébrale, de nombreux travaux ont porté sur l’influence de la culture, et de l’apprentissage en particulier, dans le développement du cerveau (May, 2011 ; Vidal, 2015). À cet égard, l’exemple des bénéfices de l’expertise musicale est particulièrement éclairant. De très nombreux travaux indiquent que les personnes dotées d’une expertise musicale surpassent leurs pairs dans un grand nombre de fonctions cognitives et langagières. Pendant longtemps, les débats ont été vifs quant au fait de savoir si ces bénéfices reposaient sur les effets de la pratique musicale (et donc sur la plasticité cérébrale) ou sur l’effet de prédispositions (les personnes prédisposées sont davantage enclines à s’orienter vers la pratique musicale et à y être performantes). Actuellement, la plupart des données vont clairement dans le sens de l’effet de

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