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Devenir mère, un voyage au centre de soi: Guide de passage symbolique vers la maternité
Devenir mère, un voyage au centre de soi: Guide de passage symbolique vers la maternité
Devenir mère, un voyage au centre de soi: Guide de passage symbolique vers la maternité
Livre électronique410 pages5 heures

Devenir mère, un voyage au centre de soi: Guide de passage symbolique vers la maternité

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À propos de ce livre électronique

Mettre au monde nos enfants est-il si banal ? À force de dénigrer les attributs de la féminité, on a presque oublié que les femmes sont porteuses de la vie. En deve- nant mère, la femme accède à une connaissance toute nouvelle, mieux connue des temps anciens, et auxquels font référence les mythes des déesses. Il s’agit d’accom- pagner la femme contemporaine dans cette traversée universelle de donner et de nourrir la vie.
Négligée au cours de l’Histoire, la maternité reste toutefois un état fondamental. À mesure que le corps se transforme, la femme est invitée à cultiver la lenteur, à tourner son regard vers l’intérieur, à accueillir une inclination à la vulnérabilité. La maternité correspond à un processus initiatique, mais comme elle est encadrée par une structure médicale, la peur – normale – est contrôlée. Étant donné que l’identité de la femme est bouleversée, cela prend parfois l’allure d’une dépression ou d’un désordre plus grave. La femme est invitée à se positionner vis-à-vis sa propre mère et à prendre sa place dans le monde des mères. Ce processus ne se vit pas sans chan- gements majeurs pour un grand nombre de femmes. Certains de leurs témoignages sont cités dans cet ouvrage traitant de la puissance féminine au moment de cette fabuleuse aventure.
Tenir compte des changements psychiques liés au cycle infini de la maternité est essentiel. Tout comme offrir davantage de soutien aux jeunes parents qui évoluent dans une culture de performance oubliant trop souvent la valeur des transforma- tions dans la vie affective.
LangueFrançais
Date de sortie5 sept. 2018
ISBN9782897211646
Devenir mère, un voyage au centre de soi: Guide de passage symbolique vers la maternité
Auteur

Chantale Proulx

Chantale Proulx, enseigne au département de psy- chologie de l’université de Sherbrooke depuis 20 ans. Elle est auteure et conférencière publique sur des thèmes liés à la conscience, à la maternité, l’en- fance et la sexualité, et pratique la psychothérapie en pratique privée. Elle est l’auteure des ouvrages Filles de Déméter : Le pouvoir initiatique de la maternité (Finaliste pour le prix Alphonse-Desjardins) et Un monde sans en- fance, tous deux parus aux éditions GGC.

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    Aperçu du livre

    Devenir mère, un voyage au centre de soi - Chantale Proulx

    DEVENIR MÈRE

    un voyage au centre de soi

    Guide de passage symbolique vers la maternité

    CHANTALE PROULX

    DEVENIR MÈRE

    un voyage au centre de soi

    Guide de passage symbolique vers la maternité

    II est illégal de reproduire une partie quelconque de ce livre sans l’autorisation de la maison d’édition. La reproduction de cette publication, par quelque procédé que ce soit, sera considérée comme une violation du droit d’auteur.

    Dépôt légal — 3e trimestre 2018

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque et Archives Canada

    Copyright © Les Éditions du CRAM inc.

    Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt

    pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

    Distribution au Canada: Diffusion Prologue

    Distribution en France et en Belgique: DG Diffusion

    Distribution en Suisse: Transat Diffusion

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et

    Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Proulx, Chantale

    [Filles de Déméter]

    Devenir mère: un voyage au centre de soi / Chantale Proulx.

    (Psychologie)

    Publié antérieurement sous le titre: Filles de Déméter. Sherbrooke, Québec: Productions G.G.C., 2005.

    Comprend des références bibliographiques.

    Publié en formats imprimé(s) et électronique(s).

    ISBN 978-2-89721-162-2 (couverture souple)

    ISBN 978-2-89721-163-9 (PDF)

    ISBN 978-2-89721-164-6 (EPUB)

    ISBN 978-2-89721-165-3 (MOBI)

    1. Maternité – Aspect psychologique. 2. Maternité – Aspect social. 3. Maternité dans la culture populaire. I. Titre. II. Titre: Filles de Déméter. III. Collection: Collection Psychologie (Éditions du CRAM).

    Imprimé au Canada

    La quête de la femme ne consiste pas,

    comme celle du héros, à combattre un dragon ou à accomplir

    quelque haut fait, mais prend la forme plus passive et plus

    intérieure de la retraite hors de la vie active et de la recherche

    de l’attitude juste à travers une période d’incubation.

    MARIE-LOUISE VON FRANZ

    En souvenir de mes grands-mères,

    Lydia et Luciana, qui ont donné naissance

    à la maison douze et quatorze.

    À Jeen Kirwen qui a accompagné la naissance

    des enfants et de leurs mères presque

    trois milliers de fois. Et à toutes les sages-femmes

    qui partagent son travail.

    TABLE DES MATIÈRES

    AVANT-PROPOS

    INTRODUCTION

    L’INITIATION AU ROYAUME DES MÈRES

    L’INITIATION

    Le rituel

    Le mystère du sang

    Une crise tous azimuts

    Éveil d’une nouvelle conscience

    Marie et Déméter, mères modèles

    Filer, tricoter et rêver

    Enfant d’or, enfant de fer

    Utérus maléfique, utérus de plastique

    RENONCEMENTS

    La grande déesse Ishtar: des portes à franchir

    En route vers le grand passage

    Le bébé qui ne vient pas

    La petite fille de Louise

    LE PASSAGE

    Le rituel de l’accouchement

    Nuit et réclusion

    La nécessaire séparation

    Fantômes du passé

    Le travail d’amour

    La naissance

    La sixième porte: la séparation

    Inconscient et instinct maternel

    Imaginaire et intervention sur la naissance

    TÉMOIN DU PASSAGE: LE RETOUR À LA MAISON

    S’initier à la triade

    Accompagnement

    Maternez-moi!

    Folle symbiose

    La septième et dernière porte d’Ishtar

    Autocompassion et sacrifice

    Retrouvailles avec l’esprit

    Du placenta au sein

    Surmonter la tendance à la séparation

    L’attachement

    Maternage intensif

    LES FEMMES FONT LES FEMMES

    MATERNITÉ, TREMPLIN VERS UNE NOUVELLE IDENTITÉ

    Guerre et maternité

    Malaise et croissance dans l’identité

    Changements et rupture

    Devenir mère sans maternité

    Le basculement dans la pathologie

    LES MÈRES FONT LES FILLES

    Mère rime avec matière

    La mère abandonnante

    La mère abandonnée: Déméter

    La dépression postnatale: une affaire de filles

    Peau de mère, larmes, amour et guérison

    Mère en manque et ambivalente

    Peau d’âme

    De mères en filles

    D’AILLEURS ET DU LOINTAIN

    Accoucher en communauté

    Rites de joie et allégresse

    Accoucher en couple

    Désir et dévalorisation

    Connaissance intime

    POUR L’AVENIR

    Les filles accouchent avec des femmes ou le retour des sages-femmes

    Mères et belles-mères: la concurrence

    Fonder sa maternité dans une figure féminine

    Vers la communauté: un groupe aux valeurs semblables

    Une marraine, une accompagnante, une maison

    CONCLUSION

    RÉFÉRENCES PRINCIPALES

    REMERCIEMENTS

    AVANT-PROPOS

    «Sur quelle tablette ranger ce livre?» Cette question a accompagné la première parution de cet ouvrage en 2005. On oublie de le classer parmi ceux portant sur la maternité puisque, généralement, ces livres insistent sur des préoccupations de santé. La maternité est prise en charge par le monde médical. La psychologie, quant à elle, ne s’est pas encore tracassée au sujet de ces changements chez la femme en maternité afin de l’aborder pour ce qu’elle est: une crise de vie. On considère par conséquent difficilement la crise identitaire de la femme en maternité comme un passage nécessaire, et la psychologie n’en traite guère. J’ai conséquemment souvent trouvé cet essai rangé parmi les ouvrages d’anthropologie parce qu’il s’inspire notamment des autres cultures, bien que cet ouvrage ne soit pas clairement anthropologique non plus.

    Peut-on parler de philosophie lorsqu’on donne la parole aux femmes sur leur vécu? L’expérience qui passe par le corps a été tue et marquée au sceau de l’opprobre chez les philosophes. Cela explique en bonne partie la raison pour laquelle la maternité est restée sous silence. Pourtant, il me semble que la pensée ne s’enracine pas ailleurs que dans une expérience sensible et dans une époque. La pensée s’origine dans un corps, précisément, et chez les femmes, un corps qui s’offre à la vie.

    Offrir la parole, mettre en lumière, relève de ma formation. Et c’est par la psychanalyse et la psychologie symbolique – la psychologie des profondeurs – que j’ai choisi d’aborder l’inédit en maternité pour en tirer un sens, voire s’inspirer de cette figure porteuse essentielle de la vie. Forcément, la maternité est un élément de cosmologie qui tient encore une grande place dans l’imaginaire, mais guère autrement. Comme toute chose qui contient sa part de sacré et de mystère, la maternité est d’autant mieux oubliée de nos jours. Bien que de rares psychanalystes et obstétriciens nous aient fait connaître les remaniements profonds vécus par la mère – la maternité psychique – j’ai l’impression que ces avancées de la fin du XXe siècle accusent actuellement un ressac, tout comme la cause générale des femmes. Dans quelle mesure l’approche sage-femme, par exemple, s’inscrit-elle encore dans une visée politique et d’humanisation de la société?

    La maternité est soumise aux prescriptions sociales. Les cartes du jeu qu’on valorise chez les femmes – beauté, séduction, image superficielle, impératif de la performance – se marient mal à celles de la maternité, qui est toujours une expérience radicale de vérité. Presque vingt ans après le début de l’écriture de la première édition de cet ouvrage, je me demande comment les femmes portées à adopter les critères de beauté standardisés abordent la maternité et accueillent leur cicatrice laissée par la césarienne qui se pratique actuellement chez une femme sur quatre. La vulnérabilité de la jeune femme qui se présente aux portes de l’accouchement est certainement une expérience éternelle, seulement la mère est possiblement moins bien accueillie dans une société où les femmes sont de plus en plus perfectionnistes et médicamentées. Possiblement, la tendance commune et généralisée de nier le changement des femmes lors de leurs maternités nous les font percevoir de manière irréelle, idéalisée, ou avec une vue pathologique.

    Bien que les femmes assurent que la grossesse soit l’expérience la plus forte et la plus marquante de leur vie, je me demande si les mères vivent encore avec la part de risque de la maternité. Il semble que le doute et la peur – ces grandes faucheuses de liberté – fassent reculer l’appropriation de la maternité par les femmes pour la faire basculer vers une prise en charge de la part de la technologie qui entretient la peur dans un cercle sans fin de mesures de dépistage. La peur est le meilleur instrument de contrôle qui soit! On cherche à s’approprier la puissance des femmes depuis le début du patriarcat. Or, toutes les femmes en maternité sont vulnérables et ont besoin de s’abandonner à quelqu’un en qui elles ont confiance. Toutes les femelles enceintes ressentent ce besoin de protection pour perpétuer la vie. Pour leur bébé à venir, les femmes ont toujours tendance à se conformer au modèle médical.

    De tout temps, l’enfantement a été un enjeu biologique et matériel, certes, mais aussi familial, social et existentiel, voire spirituel lorsqu’il fait pleinement sens dans la vie de la mère. La maternité – événement fondateur de l’identité – est un lieu où se rencontrent la nature et la culture. Et dans la nôtre, sans doute pour la première fois dans l’Histoire, dans ce monde laïque et cybernétique, on ne trouve aucune représentation de la femme enceinte dans l’espace social. L’image de la femme sexy a délogé le corps porteur de vie. Au tournant du troisième millénaire, l’hypersexuation a frappé de plein fouet le corps des femmes pour le réduire à un idéal squelettique, une image objectivée. Le sein maternel jadis associé à ce qui nourrit se fait remonter avec des prothèses. Et le ventre féminin, bien rond lorsqu’il porte le monde, s’aplatit sous le poids des désirs contemporains de mise en forme athlétique. Ce constat a fait l’objet d’une autre recherche¹. Les jeunes pères et les jeunes mères sont soumis aux diktats des corps fermes et aux rendez-vous quotidiens aux salles de gym. C’est frappant: de nos jours, la première préoccupation de la femme en maternité est la reprise de son poids, de sa forme ancienne, comme si la maternité n’avait pas existé dans sa vie.

    Quels sont les modèles actuels de la maternité pour nos jeunes mères? À peu près aucun, et, lorsqu’il s’en trouve, on a affaire à une image tout à fait irréaliste, un bonheur inaccessible coloré de toutes les teintes de la performance. Cette exclusion d’une représentation authentique place la femme en maternité sans références. Bien sûr, on a vu à l’écran Les hauts et les bas de Sophie Paquin (2006-2009), par exemple, téléroman écrit par un homme (Richard Blaimert) qui débute avec une femme enceinte qui accouche prématurément et dont le bébé ne sera qu’un détail dont il faudra tenir compte dans sa vie trépidante, un petit paquet qui ne pleure jamais et qui se trimballe dans de multiples bras, et que la mère oublie tout le temps. Materner est-il dépassé? Tout de la société dicte aux femmes qu’elles doivent rester les mêmes tandis qu’elles sont transformées par la grossesse, par l’expérience et la tâche absorbante de l’accouchement et de l’allaitement, et qu’elles sont alourdies d’un bébé, voire d’un deuxième enfant, pour qui elles s’inquiètent. À vrai dire, c’est la paternité qui est valorisée, aussi bien par le réalisateur Blaimert que dans la société. On attend des pères qu’ils soient égaux aux mères, sans différence. En clair et sans ambages, la spécificité féminine et sa relation à l’enfant, la maternité, est une réalité opprimée, même par la présidente de la Fédération des femmes du Québec (2017, Gabrielle Bouchard)! Toutes les femmes le déclarent et en sont navrées: la maternité est dévalorisée. Exemple simple: j’ai rencontré récemment une femme qui me confie avoir quatre enfants. Je lui témoigne ma surprise et mon admiration. Elle me répond, paniquée: Mais je ne suis pas qu’une mère… je travaille, j’étudie… Et je lui réponds à mon tour: Mais qu’y a-t-il de mal à n’être qu’une mère? Les mères sont-elles fautives de se tenir au centre même de la vie? Donner la vie n’est pas du tout une priorité dans le monde actuel. La maternité demeure sans mots et sans culture.

    On comprend déjà que cet essai sur la féminité ne s’inscrit pas non plus dans la foulée des luttes féministes en sociologie. Les journalistes, d’ailleurs, et le public de mes conférences, m’ont fait remarquer que mon propos surprend, car il ne s’insère pas dans les revendications du féminisme telles qu’elles ont été menées dans l’expression sociale. On pourrait même conclure, indûment, que la compassion à laquelle je fais appel à l’égard des femmes en maternité annule mes vues féministes. Une telle critique suggèrerait que nous sommes presque arrivés à oublier que la naissance est l’assise fondamentale de nos sociétés.

    Je me suis demandé si le contexte de la maternité avait changé à mesure que le matérialisme s’est mis à gangréner la sphère personnelle et publique. Une femme qui accouche demeure la même! (Castonguay et al., 2017), néanmoins, les jeunes femmes sont moins politisées et moins responsables de leurs changements. C’est ce qu’assurent certaines sages-femmes (Kirwen, 2017). Sans doute, elles arrivent mieux à éviter la conscience de leur vulnérabilité à cette étape de la vie, peut-être parce que la dépendance et la fragilité sont de moins en moins acceptées. C’est ce qui est ressorti de mes récentes entrevues² auprès des nouvelles jeunes familles: ce monde de l’émotion et de l’intériorité, du silence et du recueillement, de l’humilité, se frappe à une pleine culture de l’extériorité. Or, les jeunes mères éprouvent ce même besoin d’être reconnues – dans leurs peurs surtout – pour s’offrir elles-mêmes cette reconnaissance de leur initiation et de leur transformation. Chez la femme en maternité, la peur est souvent une émotion à légitimer (Bouchard, 2017). J’ai surtout constaté (en même temps que les statistiques le démontrent clairement) que cette inquiétude normale est de mieux en mieux entretenue et exploitée par le monde médical qui se fait de plus en plus préventionniste concernant la maternité. Désormais, la femme enceinte est soumise à de multiples hypothèses alarmantes, à des tests de dépistage, et si on voit mal comment on pourrait s’en priver, à l’évidence ces alarmes s’avèrent souvent trompeuses, très menaçantes, et stressantes. Je n’ai plus rencontré de femme enceinte qui arrive à faire confiance à son corps et à se rassurer.

    Pourtant, avec les connaissances actuelles issues des neurosciences, il serait sage et impératif de réduire les stresseurs et d’aider les mères à calmer leurs peurs par la voie intérieure: l’intuition, la confiance, le soutien tendre et affectif, le silence et la connexion, la méditation. Surtout, reconnaître la force aussi bien que la vulnérabilité de la femme en maternité et se souvenir, avec Michel Odent, que la sécurité de la mère va de pair avec la démédicalisation de la maternité, ce qui assure aussi une meilleure survie pour le bébé.

    Notre société est axée à ce point sur la perfection et la prouesse qu’on peut imaginer que l’exploit s’infiltre insidieusement jusqu’à gagner le terrain de la maternité: une femme s’impose alors de vivre sa grossesse au rythme fou des nombreuses prescriptions, elle n’imagine que l’accouchement naturel comme réussite de ce passage, et prend l’allaitement à témoin de ses capacités maternelles. En réalité, maintenir son idéal de performance s’oppose au processus même de la maternité qui s’avère toujours un chemin inconnu, insoupçonné, et sans contrôle. Attendre de soi la perfection fait en sorte qu’on la projette sur les autres, notamment la sage-femme ou le personnel hospitalier, ou sur le bébé qui se trouve criblé d’attentes.

    Plus de dix ans de commentaires des lecteurs et des lectrices me motivent à publier cette version revue de mon ouvrage. De manière générale, les hommes le lisent rapidement pour y reconnaître aisément les transformations de leur conjointe tandis que ces dernières, comme pour une grossesse, lisent l’ouvrage lentement et attentivement… Ce livre demeure une lecture essentielle pour la femme qui vit sa maternité en toute conscience de l’initiation dans laquelle elle se trouve engagée. J’espère qu’à l’instar de sa première édition, cet ouvrage qui témoigne de mon vécu, ainsi que de ceux d’une quinzaine de femmes qui ont bien voulu me faire part du leur, saura répondre aux questionnements des femmes sur la maternité, et ainsi rejoindre profondément l’esprit et le cœur d’autres mères.

    1Voir mon ouvrage Petit traité de la vie sexuelle contemporaine: revanche d’Aphorodite et hypersexualisation, Éditions du CRAM, 2012.

    2Ces témoignages de femmes en maternité (2001, 2017) sont reproduits en exergue et en italique tout au long de cet essai.

    INTRODUCTION

    Nous inventerons le monde car nous parlerons enfin de ce que

    nous savons, silencieuses. Et nous savons, j’en suis sûre, ce qui

    est bel et bon. Vous avez eu beau dénigrer la vie, la craindre

    et l’insulter, nous n’avons cessé de l’aimer dans le secret et

    patiemment à travers les siècles.

    ANNIE LECLERC

    Si l’Histoire commence avec les représentations, les premières statuettes du paléolithique aux formes corpulentes (25 000 à 20 000 avant notre ère), celles des déesses mères du néolithique (6000 à 1800) témoignent sans équivoque de l’importance accordée à la maternité dans les temps très anciens. Les statues mettent en valeur les seins et le gros ventre de la femme, de sorte qu’un certain nombre d’historiens croient qu’à l’origine, la divinité était perçue comme étant féminine du fait que la femme possède cette puissance tout à fait particulière d’enfanter. À l’évidence, dans une société qui valorise la vie, c’est la puissance de la transformation, les rythmes et la maternité qui sont les préoccupations essentielles. Si ce pan de l’Histoire peut être contesté, il demeure que du point de vue de la psychologie des profondeurs, la Grande Mère est un archétype d’une importance inégalée qui survit encore, mais enfoui profondément dans la psyché humaine.

    Au fil du temps, tout ce qu’une femme fait naturellement se trouve dévalorisé – depuis près de 4000 ans. C’est peut-être, d’ailleurs, le ressentiment envers la maternité qui a motivé et fait l’Histoire. La maternité n’a aucune identité reconnue. En fait, c’est la chose la plus inconnue qui soit, assure le philosophe Jean-Marie Delassus, spécialiste du sujet: la maternité est bien gardée parce qu’il faut s’en garder. En prenant la parole publiquement, les femmes l’ont fait principalement à la manière des hommes, en méprisant les aspects les plus intimes et les plus secrets du féminin, par manque d’estime envers elles-mêmes, sans doute. Il faut dire que ce dont les femmes étaient autorisées à parler était déjà décidé par des millénaires de culture virile. Pour l’ensemble des féministes, la maternité et l’attachement à l’enfant est un esclavagisme, c’est-à-dire qu’il faut en sortir, et puisque le sort humain y est lié et qu’on n’en sort pas, il faut surtout éviter d’en parler. Or, garder sous bâillon ou sous silence équivaut souvent à nier l’importance de cette «hospitalité charnelle». C’est la contraception et le droit à l’avortement qui sont les prérogatives centrales dans le féminisme, ce qui, certes, sont d’excellentes avancées pour les femmes, sauf qu’elles se situent à l’envers de l’enfantement. La maternité devient une idéologie négative, l’envers de ce qui est perçu comme étant la liberté et les capacités créatrices. Les femmes engagées envers le mouvement des femmes ont protesté contre l’identification à la fonction maternelle pour valoriser l’égalité. On pourrait espérer que les choses changent, mais on peut admettre que, de nos jours, la tendance de la nouvelle vague féministe est au nivellement des différences sexuelles – le transgenre en est l’idéologie centrale – et à la paternité affective: mettre père et mère à égalité. Fâcheusement, la maternité rappelle des différences et des spécificités propres aux femmes. Elle s’en trouve de mieux en mieux dénigrée.

    Exprimons-le franchement: être féministe c’est lutter pour l’égalité des droits entre hommes et femmes, dans l’expression sociale surtout, et, dans la même veine, accorder une attention particulière à l’éducation des enfants. Il est facile de le remarquer; la considération envers les enfants est apparue en même temps qu’ont été négociés les droits des femmes. Par exemple, plus une femme a du pouvoir sur le budget familial, mieux les enfants sont nourris. Autre exemple: l’affirmation féminine à l’égard de l’accouchement œuvre vers un plus grand respect en ce qui a trait à l’enfant naissant. Le féminisme est un mouvement de revendications des droits de la personne en fonction de la dignité, de l’égalité entre tous, indépendamment des âges, des nationalités et des genres, en fonction d’une plus grande humanisation. Bien entendu, ce sont les femmes qui ont été malmenées au cours des derniers millénaires, notamment par les grandes religions. Elles sont tenues responsables des maux de la Terre – de la mortalité humaine surtout. «Qui donne la vie donne la mort» est une grande vérité que l’inconscient n’oublie jamais. Vraisemblablement, on a peur de la femme en maternité; elle est le lieu et l’occasion des projections les plus émotives. Il n’y a probablement pas de situation humaine plus chargée en affects. On se trouve débordés par l’apparition de quelque chose de grave et de profond qu’on peine à envisager, quelque chose qui provient de l’inconscient, qui nous questionne et provoque l’ambivalence. C’est la mère avec qui on a des comptes à régler, la Grande Mère redoutable pour son pouvoir de vie-mort-vie. La naissance – la vie sur Terre – est associée à la mort, et c’est toujours cette mort que l’on craint ou qu’on déteste à travers la mère. Ce n’est plus un secret; on soumet souvent à l’attention que toute l’histoire de l’humanité est celle d’un long processus de mime et de mainmise de la part des hommes sur la sexualité et sur la fécondité féminine. La science, aussi bien que les arts et la littérature, sont sans doute des tentatives d’imitation de la grande œuvre de naissance, qui elle, se trouve dévaluée.

    Pour toutes ces raisons, malgré une meilleure connaissance de la psychologie féminine, cette expérience, la plus intime et la plus éternelle chez l’être humain, la plus fondamentale, est sans histoire et sans mots. Sans doute parce que les femmes sont toujours exilées, invisibles, dans un monde où elles représentent le premier accueil et l’affectivité. À l’exception de la récente et regrettée Antoinette Fouque (1936-2014), aucun philosophe n’a jamais proposé de théorie de la maternité. Le mot même n’a existé ni en grec ni en latin (Knibiehler, 1997). On trouve très peu de femmes en philosophie, et lorsque l’une d’elles se démarque pour sa pensée, elle est très rarement mère (Gabrielle Suchon, Simone de Beauvoir, Simone Weil, les religieuses mystiques, etc.). À tort, assurément, on croit que l’abstraction de la philosophie oblige la femme à s’éloigner de l’expérience corporelle. Comme l’écrit la journaliste et écrivaine Anne-Marie De Vilaine concernant la maternité: l’Histoire préfère parler d’autre chose, la Philosophie l’ignore où en dit du mal, la Culture s’en nourrit sans la reconnaître, le Social et le Politique la contrôlent sévèrement, le Médical la domestique et l’encadre, la Science s’efforce de la maîtriser, la Psychanalyse la culpabilise, une majorité de féministes la qualifient d’esclave³.

    Le vécu spécifique des femmes est également absent du monde des lettres. Nous ne sommes pas nombreux à prendre la mesure de ce silence retentissant: celui des mères à travers les âges. Ça laisse songeur: à de rarissimes exceptions près, tout ce qui a été écrit… oui, tout… l’a été par des non-mères. Il y a l’encre, et puis il y a le lait. Les deux ne se mélangent pas. Écrire impliquait de ne pas être mère. Ce qui reste à dire est énorme, de même que la difficulté à le dire⁴. Sans doute faut-il d’abord surmonter cette fâcheuse tendance à ne pas reconnaître la voix des femmes, à nier leur apport à la sagesse, et arriver à concevoir que les mères détiennent une prépondérance spirituelle. Faudrait-il flirter avec le gros bon sens de la maternité et d’abord admettre que Marie, mère de Jésus, aurait très bien pu être enfantée par son mari sans que cela n’affecte en rien sa sainteté? À l’évidence, ce gros bon sens – qu’on reproche souvent aux femmes avec mépris et condescendance (au nom de l’idéologie, de l’esprit…) – est que rien ne sort de la côte d’Adam: ni femme ni enfants. Ce mythe arrivé tardivement au cours de l’Histoire s’apparente à d’autres fantaisies des religions monothéistes qui font jaillir la vie des hommes et de nulle part, et qui font aduler des femmes vierges⁵. C’est la femme, ensemencée, qui porte la vie sous ses côtes. De manière encore plus importante en ces jours d’objectivation et d’instrumentation, on ne souhaite pas qu’une femme habite son propre corps. Attendu que je suis le corps qui accouche du temps, que je suis la mémoire de tous les secrets, ceux des eaux et de la première lueur s’accouplant avec l’ombre, que je suis la matrice, la mélodie qui initie toute chose, que je suis la poitrine emplie de lait, que je suis la terre sortant de son sommeil, pourquoi ne pourrais-je voir le jour? Attendu que je suis tout cela, pourquoi même ma peine ne m’appartiendrait-elle pas? Devrait-ce durer mille ans que jamais je ne prendrais forme, pourquoi jusqu’à ce jour n’ai-je pas pu trouver dans les légendes, les concepts, les images, ne fût-ce qu’un mot auquel midentifier⁶?

    Le mot maternité n’apparaît qu’en 1122, dans un sens spirituel, associé à la Vierge Marie. Pour dire vrai, c’est le mot paternité qui apparaît dans les langues anciennes! Il faut admettre que sur un plan scientifique, la maternité est difficile à conceptualiser: le corps fécond relève des sciences biologiques et médicales, l’amour maternel relève des sciences psychologiques, et la fonction maternelle relève des sciences sociales. Par peur du jugement, de se faire ridiculiser par les hommes, par méconnaissance aussi parfois, personne⁷ n’ose parler d’un vécu aussi intime, de sorte qu’on se satisfait du discours médical. Il en résulte que l’acte le plus ancien et le plus naturel qui soit est devenu hautement surveillé et médicalisé.

    Pour différents motifs, surtout à cause du dégoût commun de la dépendance dans une société qui valorise hautement l’autonomie, on songe rarement avec gratitude à cette vérité toute simple que tous les êtres humains ont commencé leur histoire dans les eaux maternelles et qu’une femme s’est écartelé les os et déchiré les chairs afin que se poursuive la vie humaine. Même les saints, et surtout les saints, ont commencé leur vie dans la première matrice – le sanctuaire utérin – et sont venus au monde entre les cuisses d’une femme. On ne raconte pas l’accouchement de Marie. A-t-elle mis au monde seule? Jésus se retrouve tout propre dans une auge vidée entre les souffles du bœuf et de l’âne. Je me suis toujours demandé pourquoi Marie n’avait pas gardé son bébé contre son sein pour le nourrir et le tenir au chaud… Le récit fondateur du Christianisme sépare l’enfant de sa mère dès sa mise au monde. Et, de fait, tous les bébés qui ont traversé ma jeunesse étaient toujours bien propres, nourris au lait en boîte, et isolés de leur mère.

    Songer à ce premier habitacle, à ce ventre maternel, cause de l’effroi, voire de la répugnance: on doit sa vie à quelqu’un. On a été un bébé complètement dépendant d’une autre personne. L’humanité dépend de la mère, et se trouve soumise et contrainte à la terre aussi, et ces deux dépendances sont parfaitement niées. On méprise ce qui est faible, pas tout à fait formé, tout ce qui a besoin d’abri, de protection ou du fait de s’accrocher. À un point tel, qu’on arrive presque à oublier que le fœtus est soumis à la mère et qu’il ne peut pas se nourrir de ce que la mère ne possède pas. La forte tendance à concevoir le fœtus comme un être isolé qui aurait la capacité d’aller chercher les meilleures ressources de la mère contribue à nier que la fatigue de la mère, ses émotions négatives, son manque de vitamines et d’autres éléments essentiels, son stress surtout, affecte le développement du fœtus. Concevoir le fœtus seul dans son contexte est une méprise qui fait en sorte qu’on ne s’occupe pas suffisamment du bien-être physique et émotionnel des femmes enceintes: cent quarante-trois millions d’enfants dans le monde, soit un quart des bébés (vingt-sept pour cent) souffrent d’insuffisance pondérale à la naissance selon l’Unicef. La cause de ce poids insuffisant est la mauvaise alimentation de la mère, ou le manque de ressources financières attribuées à la qualité de l’alimentation dans les familles. Le fœtus, puis le bébé, dépend du bien-être physique et psychologique de sa mère et ces dernières vivent trop de stress – ce qui affecte surtout l’accouchement et les premiers moments avec le bébé. La mère et le bébé devraient être considérés comme une seule entité durant la grossesse, et même pendant un certain temps après la naissance. Tout ce que l’on fait à l’un ou l’autre aura nécessairement un effet sur les deux. À l’heure où on apprend de mieux en mieux à quel point la porteuse et l’acte d’accoucher affectent le bébé, il est important de réduire les stresseurs, de faire une bonne prévention, et de cultiver la confiance et le sentiment de sécurité chez les mères, notamment par le soutien. Seulement, on n’y est pas tout à fait; l’idée qu’un être dépend d’un autre est répudiée au temple de l’idéal occidental de l’autonomie. On fait semblant que cette faiblesse constitutive de l’être humain n’existe pas. Il existe un déni sérieux de tout ce qui est contenu dans l’état de grossesse.

    Terre et mère évoluent également de concert et, à l’évidence, sont bafouées; hors langage pour la maternité qui se situe du côté de la nature, sur une Terre menacée de survie. On empoisonne la vie avec des pouvoirs qui détournent le goût profond de cette vie. Dans cette veine, il va de soi qu’on oublie d’honorer et d’offrir une place de choix à la femme enceinte dans la société. De ce fait déplaisant, on cherche un sens à sa vie hors de la quotidienneté, hors de la sphère sacrée, loin des jardins d’enfants et de ce qui peut être sensé, en s’étonnant bien entendu des malaises généraux, des crimes et des guerres. Le sens de la vie, ce grand défaut actuel qui se traduit par le vide existentiel, est-il quelque chose d’autre que ressentir et savoir qu’on a vécu? C’est le liant, les relations avec les êtres et les choses, les rencontres, qui pimentent la vie et qui y accordent un sens. La maternité, épreuve de vérité, est l’occasion suprême de donner un sens à sa vie. En soi, la maternité est sacrée et sensée.

    Aborder la maternité, c’est admettre le mystère et le plaisir, la beauté et la grandeur de la vie. Mystère

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