Initiez-vous à la langue Saintongeaise avec Albertine
Par Jean Luc Buetas
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Initiez-vous à la langue Saintongeaise avec Albertine - Jean Luc Buetas
Initiez-vous à la langue Saintongeaise avec Albertine
Jean Luc Buetas
Initiez-vous à la langue Saintongeaise avec Albertine
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Du même auteur
Les Voéyaghes d’Albertine. P’rmière Rabalée, Editions du Net, 2017
Mourcias Chouésits de l’Ajhasse Désencruchée, Editions du Net, 2017
Les Voéyaghes d’Albertine. Deusième Rabalée, Editions du Net, 2018
Probabilités, statistique, ce que j’en ai compris si ça peut aider…, Editions du Net 2019
img1.jpgL’auteur avec Gérard SENSEY, le Ghenti d’la Vargne
© Les Éditions du Net, 2020
ISBN : 978-2-312-07539-6
« Que voulez-vous !… O n’est point c’que l’on at à zy feire, mé jh’sons thiurieus d’voèr thieu thi s’passe in p’tit : jh’vivons pas coume daus animaus »
Anounyme Saintongheais
« Thielle Drôlesse at thieuque chouse thi me convint. Si jh’avis ine souris de minme dans mon piancher, jh’y monteris mé souvent qu’mon chat. »
Thiu d’baillot, sot gabaye.
Aux Patoésans, avant qu’o s’parde
Avant-propos
De plus loin que je m’en souvienne, j’ai toujours entendu parler gabaye, ou charentais, variantes du saintongeais. Ma grand-mère Marguerite et sa sœur Renée le parlaient à pieine goule. Combien de fois Marguerite m’a menacé de m’fiche son damar{1} à cinq feuilles, quand j’étais un peu trop dissipé, ou si je n’allais pas assez vite me déjhobrer{2} à la pompe. Tout gamin mon grand-père ou mon oncle m’emmenait les soirs d’orage, quand le ciel était zébré d’ébeurloèses{3}, à la rivière pour tendre les bourgnes{4}. C’étaient aussi les jours du tuanghe dau goret avec le voisin Marcel, assassinour officiel du village qui ne parlait français qu’à son notaire ou à son médecin.
Au collège, dans les années soixante-dix, on reconnaissait facilement ces « gabayes » à leur accent, avec les j aspirés, l’un racontant la récolte du bespagne{5}, l’autre la forme des feuilles de carolin{6}. Parfois le mercredi, notre voisin Serge, pêcheur sur la Gironde, m’embarquait sur son bateau pour aller pêcher les boucs{7} et les piatusses{8}. Plus tard, au lycée de Blaye, ce n’était plus la mode, il fallait parler pointut’, apprendre l’occitan (étonnant dans une région qui a toujours été de culture saintongeaise, et jamais gasconnisante de près ou de loin !). Mais chassez le naturel, il revient au galop. Lors de matchs de football ou de rugby, pour éviter que nos adversaires comprennent nos intentions, les instructions étaient exprimées en gabaye. Lors des voyages scolaires en Allemagne, combien d’élèves allemands avons-nous induit en erreur, en leur apprenant le vocabulaire saintongeais en lieu et place du vocabulaire français.
Le temps a passé, la pratique du gabaye, du saintongeais d’une manière générale, s’est atténuée, les paysans devenant citadins, désertant leur campagne et leur culture. Il reste néanmoins, dans le langage courant local des expressions typiquement saintongeaises que les autochtones continuent d’utiliser sans en avoir conscience, comme si le patois résistait et ne voulait pas disparaître. Les ménagères passent la since{9}, on graisse les roties{10} au petit-déjeuner, on tire les croisées{11}, on mange les mojhétes{12} et les cagouilles{13}. Lors des repas de famille des expressions patoisantes ressortent naturellement.
Insensiblement, au long des études universitaires, de la vie professionnelle, l’attachement à la culture saintongeaise s’est fait plus faible. Il faudra le hasard d’une lecture d’un numéro du magasine Xaintonge, pour que renaisse mon intérêt pour notre langue régionale, et ainsi s’affirme mon appartenance à cette culture saintongeaise. Se sera ensuite une belle amitié avec un groupe de musiciens, les Binuchards, pratiquant le rock-folk saintongeais, la rencontre de Birolut, barde saintongeais, et échange constant et riche avec Maryse Guédeau, la rédac-chef de Xaintonge. En 2004 va naître le journal satirique en saintongeais l’Ajhasse Désencruchée avec sa pétulante rédactrice en chef Albertine Pissedru. Enfin en 2017, la parution « Des Voéyaghes d’Albertine ».
Jamais je n’avais envisagé de devenir un auteur saintongeais, voir un auteur plus simplement. Le hasard de rencontres m’a poussé dans cette voie. Je pense à Jean Michel{14} m’encourageant régulièrement à prendre la plume. Ce que j’ai fait muni de mes outils, l’indispensable ordinateur, la collection du Grand Lexique du Patois Charentais, la série des ouvrages de Doussinet, le dictionnaire de Jonain et celui de la Sefco, et les conseils des patoisants animant la page Facebook « J’aime le Patois Saintongeais ».
Honnêtement, j’ai été surpris (et flatté) du succès, quoique relatif, des deux ouvrages publiés et surtout leur dispersion géographique sur tout le territoire français, mais aussi à l’étranger (pays francophones, Belgique, Canada). Les lecteurs n’étaient pas toujours des patoisants confirmés, souvent des anciens régionaux, les binloins voulant retrouver des expressions entendues dans leur enfance, plus surprenant, des personnes voulant décrouvrir l’idiome. Dans les commentaires reçus en retour, une remarque revenait souvent : pour ceux qui voulaient apprendre ou consolider leurs connaissances empiriques, il n’existait rien. En dehors des dictionnaires, de deux ouvrages de grammaire, il n’existe pas de méthode d’apprentissage de la langue. Plusieurs fois j’ai entendu « fais nous une méthode pour apprendre ». Oui, mais voilà : je ne suis pas enseignant, pas pédagogue, et je ne suis pas sûr de posséder suffisament le parler saintongeais pour prétendre être capable d’apprendre aux autres ce que je ne suis pas certain de posséder correctement moi-même. Cette affaire ne m’a pas quitté. Puis, j’ai inversé le problème : partons du principe, que je n’y connais rien, comment aimerais-je qu’on m’aide pour acquérir quelques bases de l’idiome ? C’est la bonne question. Foin des méthodes académiques qui nous ennuient, des leçons magistrales… Mais des éléments simples, drôles, pratiques. J’ai eu un professeur de guitare, Pierre Messange img2.png , quand j’ai débuté, qui disait : « Il faut que dans quinze jours vous puissiez jouer un morceau et vous faire plaisir. ». C’est la même idée que j’espère développer dans cet ouvrage, pour que les débutants puissent vite se faire plaisir, en jhargounant in p’tit rapidement.
J’espère que l’objectif sera atteint, que les nouveaux se sentiront rapidement benèzes en saintongheais, et que les plus avertis de cette langue prendront plaisir à musser dans ces pages.
Oubiez pas d’feire peutez vos goules !
img3.jpgFigure 1 : Aire géographique du Saintongeais
Introduction
Dans notre société qui s’internationalise de plus en plus, il devient indispensable de connaître les bases d’autres langues que la notre. Les voyages à l’étranger sont moins onéreux et avec la mondialisation des échanges, les déplacements hors de France se multiplient.
Dans le même temps, la connaissance de notre propre langue diminue, et l’appauvrissement culturel est manifeste pour une partie des générations les plus récentes. Pourtant, notre langue française n’a jamais été aussi riche, grâce notamment à l’apport des langues étrangères. On peut néanmoins déplorer la perméabilité du français à l’anglais, ou plutôt au « globich » cette forme d’anglais mondialisé, simplifié et dénaturé. Les anglicismes de plus en plus présents dans la pratique courante de notre langue deviennent de plus en plus insupportables aux oreilles des puristes, ou simplement de ceux qui aime notre langue maternelle.
D’autre part, la richesse du français est la conséquence des langues régionales, les langues d’oc, le basque, le breton, l’alsacien, le picard, le platt, le gallo, le corse et aussi le saintongeais. Il faut se rappeler que jusqu’à la fin du XIXème, le français est la langue des villes, des actes administratifs et de l’école, les campagnes, encore fortement peuplées, parlaient leurs langues, les patois. Mais l’école de Jules Ferry a fait son œuvre, les anciens se souviennent des élèves punis pour avoir parlé patois, bonnet d’âne et au coin… Petit à petit, l’exode rural aidant, les instituteurs gagnèrent la bataille, les langues régionales s’éteignent peu à peu, sauf dans quelques régions à revendication culturelle très affirmée, Bretagne, Pays Basque, Alsace, Corse.
Dans ce contexte, pourquoi apprendre le saintongeais ? Pourquoi revenir à une langue moribonde ?
En premier lieu, parce que le saintongeais n’est pas si moribond que cela. Une partie de la jeunesse régionale s’est réapproprié le parler dans un souci, peut-être, de reconnaissance culturelle. Les plus anciens, nos bardes, sont toujours très actifs, des musiciens comme les Binuchards remplissent les salles de concert, et les éditeurs de livres en saintongeais font preuve d’un grand dynamisme. D’autres, souvent les binloins{15}, apprennent pour ne pas oublier leurs origines culturelles, ou pour retrouver les accents de leurs familles lointaines, souvenirs d’un grand-père, d’un oncle, d’une nounou, qui parlait à pieine goule. Enfin, pour nouzaut’, c’est une façon de continuer à faire vivre ce savoureux parler, en ayant un outil pour permettre à nos drôles d’apprendre l’idiome chanté par Goulbenéze, ce parlanghe qui était celui de Champlain, charentais originaire de Brouage et qui fonda Quebec.
Alors après avoir abordé l’origine de la langue, nous essaierons de voir ce qu’il faut apprendre sans délais pour faire saintongeais, ainsi que quelques particularismes qui font toute l’originalité de ce parler, et nous nous intéresserons aux bases de la langue avec quelques notions de grammaire. Nous nous plongerons dans le saintongeais de tous les jours, dire bonjour, se présenter… On se consacrera à des thématiques telles la les tranches de vie. Enfin, l’ouvrage sera complété par mini lexique saintongeais-français, et par un bref exposé de conjugaison des verbes saintongeais.
PREMIÈRE PARTIE / P’RMIER PART :
Pour bien débuter /
p’r coumincer coume o faut
Conventions utilisées dans cet ouvrage
Le saintongeais posséde un vocabulaire très riche, mais cette langue avant tout orale, n’a pas su fixer un vocabulaire faisant l’unanimité. Ainsi, un objet pourra être désigné par plusieurs mots selon l’origine géographique ou par une déclinaison d’un même mot, selon le lieu où l’on se situe. Par exemple, le nombril se traduit par l’embourit, l’embourille, l’embouraille, ou encore après agglutination, le lembourit, le lembourail, le nembourit, le nembourail. Arbitrairement, nous optons pour l’embouraille, comme le disait ma grand-mère Marguerite. Les expressions, les mots que nous utiliserons, et c’est un parti pris totalement assumé, seront celles ou ceux que nous estimerons suffisamment consensuels. Cela ne veut pas dire que ce sera une vérité absolue, si nous ne mettons pas en avant toutes les variantes, elles existent néanmoins et cela fait partie ensuite de l’approfondissement de l’étude, ce qui n’est pas l’objet de l’ouvrage. Tous nos choix sont donc critiquables. Il ne faut pas s’ghin-ner de zou feire.
Tout d’abord, les « j » et les « g » suivis par un e ou un i sont aspirés (en réalité soufflés). Comme les saintongeais ne pensent qu’à manger toute la journée, ils mangent aussi les « j » et le « g » suivi de e ou i. Par convention, ces « j » et « g » aspirés sont notés « jh » et « gh ». C’est ce qui symbolise réellement notre parlure. Nous y reviendrons souvent
Vous trouverez dans nos textes le th pour noter le son K mouillé son intermédiaire entre k et t, souvent prononcé chieu : thieu drôle é pu thiurieux qu’ine belette. Nous y reviendrons aussi.
Autre particularité, les mots commençant par « pr », « br », « cr », « dr » comme prune voient s’inverser la voyelle qui vient s’intercaler entre le « p » et le « r ». Ainsi, prune devient purne, et on prononce peurne. On peut l’écrire peurne mais, on préférera noter cette inversion par l’apostrophe et on écriera p’rne. Et aussi, c’r, b’r, d’r.
Enfin, pour les mots contenant une syllabe avec bl, cl, pl, fl… comme couple ou ensemble, ces syllabes se prononceront avec un son dit mouillé pour faire bieu, kieu ou pieu. On pourrait écrire coupiyeu, ensembiyeu, qui, avouons le, n’est pas très élégant. Certains auteurs on adopté pour cela la graphie « à l’espagnol » avec ll, donnant couplle ou ensemblle. Pour notre part, nous avons adopté la graphie des vieux auteurs saintongeais en remplaçant le l mouillé par l’apostrophe. Ainsi on écrira coup’ et ensemb’.
Pour terminer ce petit laïus, quelques mots sur les liaisons saintongeaises injustement dites mal-t-à propos. Ce n’est pas le cas. En fait, en français la liaison est orthographique et c’est la dernière lettre d’un mot qui se lie à la voyelle qui la suit. « Dans un » donnera phonétiquement « dans z’un ». Or le saintongeais est avant tout une langue orale, le s de dans ne se prononçant pas et pouvant ne pas s’écrire d’ailleurs, la liaison logique se fait avec n : « dans un » devient « dan n-in ». De même, le saintongeais n’aimant pas les hiatus entre deux mot, il rajoutera un t (ou un d) pour créer une liaison, dite euphonique, pour donner une tournure qui semble aux saintongeais plus élégante : in grous t-écharbot, un gros scarabé.
Tout cela sera revu et détaillé au fur et à mesure de notre cheminement.
Chapitre 1 : Origine du saintongeais
Châpit’ 1 : Orighine dau saintongheais
1 – AIRE GÉOGRAPHIQUE DU PARLER SAINTONGEAIS
L’aire géographique de la langue saintongeaise est souvent définie par l’expression Centre-Ouest. Plus précisément, elle s’étend du sud de la Vendée et du sud des Deux-Sèvres au nord de la Gironde en englobant la Charente et la Charente Maritime. En gros de Ruffec à Libourne, avec à l’est le Limousin et le Périgord, puis de Ruffec à Marans et l’Océan, avec au nord l’aire poitevine, et enfin de Royan à