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Police, au secours !: Tome I : Face au métier
Police, au secours !: Tome I : Face au métier
Police, au secours !: Tome I : Face au métier
Livre électronique628 pages10 heures

Police, au secours !: Tome I : Face au métier

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À propos de ce livre électronique

Marc Niño, né en 1965 à Paris, est journaliste, formateur en communication et intervenant à l’Ecole Nationale Supérieure de la Police. Après un premier livre « Si vous saviez… » …Paroles de Pieds-Noirs, il publie Police, au secours ! Face au métier et Face à l’Humain, deux Tomes qui ont nécessité plus de deux ans d’enquête et de rencontres avec des dizaines de policier.ère.s. Un document passionnant au cœur de l’actualité.


« La maison « POLICE » a besoin de changements structurels. »

« Ça reste une institution qui préserve un maximum de valeurs. »

« Il y a des suicides, des burn out, il y a un malaise c’est sûr… »

« La peur ne fait pas partie du quotidien, mais du job. »

« J’ai vraiment le sentiment de servir à quelque chose. »

« Attention à une « guerre des polices » dans dix ans ! »

Dans ce Tome I, 44 policier.ère.s détaillent leurs parcours et s’expriment sur l’institution Police nationale, la pression et la hiérarchie, le suicide, les policiers en colère, les Gilets jaunes, les attentats, la peur, les zones de non-droit et le délit de sale gueule, la PSQ, la présomption d’irresponsabilité en deçà de 13 ans, les « Affaires », « La Police de papa », la police municipale, la fusion avec la gendarmerie, le futur.
LangueFrançais
Date de sortie22 nov. 2019
ISBN9782312070735
Police, au secours !: Tome I : Face au métier

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    Aperçu du livre

    Police, au secours ! - Marc Niño

    cover.jpg

    Police, au secours !

    Marc Niño

    Police, au secours !

    Tome I : Face au métier

    Entretiens avec 44 policier.ère.s de tous grades

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    Paru aux Éditions du Net

    « Si vous saviez… » Paroles de Pieds-noir (2016)

    Police, au secours ! Tome I : Face au métier (2020)

    Police, au secours ! Tome II : Face à l’Humain (2020)

    Contact auteur : ninopolice2@gmail.com

    © Les Éditions du Net, 2019

    ISBN : 978-2-312-07073-5

    Avant-propos

    Du « malaise » des grands ensembles, aux « violences urbaines » et aux attentats il faut reconnaître que les réponses apportées à la société, mais aussi aux forces de l’ordre pour exécuter toutes leurs missions, n’ont pas réussi à endiguer un mal-être récurrent. Les tensions s’accentuent et les mouvements de population s’enchaînent avec désormais une focalisation sur l’emploi de la force publique régulièrement remise en cause. Un autre malaise s’insinue également mais au sein même de la « Grande Maison » – surnom de la Police nationale – car depuis des années, les gouvernements successifs mettent en place des mesures qui ne semblent rencontrer que très rarement l’approbation de la majorité des policier.ère.s censé.e.s les faire appliquer. Et pour certains, la Justice apparaît laxiste. Le ministère de l’Intérieur est malmené, accusé de ne pas mettre tous les moyens humains et matériels nécessaires à l’exécution exemplaire des missions. Les suicides dans la profession nous alertent sur la nécessité de penser autrement l’organisation managériale de la sécurité publique en France. Le sentiment de manquement sur les moyens, le management, la nécessaire reconnaissance, l’application des textes, la transparence, les syndicats et la stratégie sont autant de sujets importants pour les policier.ère.s qui ont envie d’aller mieux. La fréquence en hausse des attentats et des mouvements sociaux ainsi que l’enracinement de la délinquance sous toutes ses formes ne font que confirmer l’obligation de réfléchir à de nouvelles stratégies sécuritaires. À partir de 2020, le livre blanc de la police initié par le ministère de l’Intérieur devrait servir de référence pour fixer les nouveaux objectifs de la politique de sécurité intérieure de la France pour les prochaines années. Les temps changent et il faut adapter une institution, très hiérarchisée, au monde d’aujourd’hui. Encore faut-il avoir ensuite les moyens de faire appliquer les mesures alors que le bruit sourd des revendications se confronte au principe de réalités financières. Mais, rien n’est perdu et il n’est pas trop tard. Les témoignages dans ce livre nous font comprendre que la volonté de maintenir ce service public à son haut niveau n’est pas remise en cause par celles et ceux qui le font vivre, malgré tout.

    Au départ, il y a eu la rencontre avec des hommes et des femmes qui s’engagent professionnellement pour les autres. Journaliste, j’ai souvent été des deux côtés de la barrière, population et police, en recueillant la parole de celles et ceux qui s’estimaient mal traité.e.s. Cela peut étonner, mais les forces de l’ordre qui font leur travail au service de l’intérêt général peuvent également ressentir cela. J’ai très vite perçu ce manque de reconnaissance, souvent évoqué, qui fait tant de dégâts dans les rangs et les esprits. Lorsque j’ai commencé à intervenir au sein de l’École Nationale Supérieure de la Police, j’ai découvert ces hommes et ces femmes sans lesquel.elle.s notre sécurité ne serait pas garantie. J’ai alors eu envie de montrer la complexité de leur travail, de leur engagement, de leur vie.

    Autorisé à m’entretenir avec les fonctionnaires de mon choix, sous réserve de leur accord personnel et de celui de leur hiérarchie directe, j’ai commencé mon travail le 2 août 2017 par un premier entretien avec l’attaché de sécurité intérieure (ASI) en poste à l’ambassade de France à Mexico. Durant plus de deux ans, j’ai rencontré des dizaines de policier.ère.s issu.e.s des trois corps et donc de tous grades et réalisé quarante-quatre entretiens retranscrits dans deux tomes thématiques. Ce sont des temps forts professionnels mais aussi humains car une vérité sort de ces échanges : celle de la profondeur des racines qui ont initié l’engagement de ces hommes et ces femmes.

    Vous allez, vous aussi, faire la connaissance de ces personnalités très différentes – reflet non exhaustif des composantes de l’identité de la Police nationale actuelle. J’ai pensé intéressant d’y adjoindre les commentaires d’un psychologue de la Police Nationale qui apportent quelques éléments de réponse utiles à cette réflexion commune. Pour établir un climat de confiance nécessaire à l’intérêt du sujet, je me suis engagé auprès de chacun.une à ne pas déformer leurs propos et à retranscrire fidèlement leur pensée. Tous les policier.ère.s ont relu leur témoignage avant parution et il n’y a eu aucune relecture ou directive émanant du ministère de l’Intérieur. Il me semble important de le préciser afin d’écarter tout malentendu sur la démarche intellectuelle de ce travail. En tenant compte du « devoir de réserve », certaines précisions ne sont pas apportées au cours des entretiens. Mais l’actualité est telle que l’évidence de témoigner l’a emporté sur la crainte d’un « retour de bâton » parfois évoqué.

    Vous lirez des commentaires sur des faits très récents comme l’attentat à la préfecture de Police de Paris ou le mouvement des Gilets jaunes, par exemple. En effet, l’actualité des deux dernières années est très présente au cours des entretiens puisqu’elle fait partie du quotidien de ces fonctionnaires.

    Enfin, à celles et ceux qui pensent qu’humaniser les policier.ère.s n’excuse pas tout, que c’est une opération de communication, que c’est « trop facile », que la police n’est pas angélique, que les dérives ne sont que survolées, je réponds que l’essence de mon travail est d’écouter et retranscrire, ce que j’ai fait.

    img1.png La féminisation des titres et fonctions n’est quasiment pas utilisée par les fonctionnaires concerné.e.s, aussi le choix de chaque personne a été respecté.

    img1.png L’anonymat n’était pas un postulat de départ et lorsque des initiales ont été mises, il s’agit d’une demande se rapportant à des choix de carrière ou de sécurité.

    img1.png La fonction inscrite en face du nom est celle du moment où l’entretien principal s’est tenu, éventuellement suivie de la nouvelle affectation lorsque des réponses ont été apportées plus récemment.

    L’institution police nationale

    Quel regard portez-vous sur l’institution Police nationale ?

    Florian Austruy (Élève commissaire – Commissaire central adjoint à Antibes) Je pense vraiment que c’est une belle boutique, au service du public. C’est une institution en mouvement perpétuel qui a besoin de s’adapter mais, comme c’est une grosse machine, les collègues, sur le terrain ne le perçoivent pas immédiatement. Ca a toujours été comme ça, l’administration est régie par des règlements, encadrée par des lois, et il y a toujours un temps de réaction même s’il se réduit de plus en plus. On le voit pour les attentats, toute la doctrine qui est sortie entre mars 2016 et avril 2017 a été une vraie révolution dans la police. Nous sommes en train de changer la police même s’il y a encore des freins, des coutumes, des habitudes, mais le temps et les chefs aideront à changer les choses. L’institution doit rendre fier le fonctionnaire parce qu’on travaille aussi sur de la symbolique comme la médaille et les couleurs le matin.

    Hanane Bakioui (Commissaire – Cheffe du bureau de l’IGPN à Nice) C’est une grande maison avec un savoir-faire et de grands professionnels dans tous les services ou les directions d’emploi. L’institution a quand même été confrontée depuis ces dernières années à des événements assez particuliers qu’on ne connaissait pas et elle a dû et su s’adapter sans contrepartie. Moi, je dis encore le mot « maison » parce qu’il y a une appartenance à cette institution, un lien invisible qui est présent. En termes de communication, comme nous sommes soumis à l’obligation de réserve, il y a des choses sur lesquelles on ne pourra pas s’exprimer. Il faut prendre conscience que nous sommes un corps très hiérarchisé et que la communication n’est pas institutionnalisée et ce sont les syndicats qui communiquent. Les gendarmes ont un porte-parole alors que de notre côté nous avons un porte-parole du ministère de l’Intérieur, le SICOP, les syndicats, et chacun va parler alors que si nous avions une seule parole, représentante de l’institution, les choses iraient peut-être un petit peu mieux.

    Laura Bastien (Gardien de la paix – Opérateur Radio/vidéo protection à la préfecture de police de Paris) L’espoir est porteur de beaucoup de choses et parfois il tue aussi. Il ne faut pas en donner si c’est juste pour vendre du rêve. Je n’ai pas besoin du marchand de sable pour m’endormir. Il faut qu’il y ait un engagement réel, sérieux, sur le long terme et arrêter de se bercer de paroles et d’effets d’annonce. Il faut faire. Je ne dis pas que la base ferait deux fois plus parce qu’on ne peut pas faire beaucoup plus que ce qu’on fait déjà, mais nous serions dans de moins mauvaises conditions pour bosser. Et nous aurions, peut-être, une autre psychologie, un peu moins sur la défensive et un peu plus sur le positif. Je pense que la politique financière et matérielle des chiffres pourrit tout. Certains qui ne lèvent pas le nez de leurs papiers se basent trop sur des chiffres et des statistiques. Nous avons un devoir de réserve qui représente une belle muselière. Le devoir de réserve, la discrétion professionnelle et le secret professionnel sont trois règles qui régissent la déontologie policière. Au cours d’un entretien comme celui que nous avons, je ne peux pas divulguer des noms ayant rapport aux enquêtes en cours, par contre je peux parler de « personnalités » sans les nommer ou faire part d’un mécontentement personnel si j’ai, par exemple, passé une sale journée. Le fait de trop parler ne nuit pas qu’au métier mais à tout le monde. La difficulté est de trouver le juste milieu, parce qu’on peut avoir, parfois, l’envie de « lâcher prise » pour faire comprendre à l’interlocuteur qu’il y a des raisons à tout et qu’on ne peut pas tout dire, mais pas tout accepter non plus. C’est très délicat. Même quand vous ressentez un malaise professionnel et que vous essayez d’en toucher deux mots à votre hiérarchie, on se heurte parfois à un mur. Pas parce qu’on ne veut pas vous entendre car il y a des gens doués de cette faculté d’écoute, mais parce qu’on ne sait pas quoi vous répondre, tout simplement. Il y a la base qui en prend plein la gueule, ensuite ceux qui sont un tout petit peu plus haut essaient de faire tampon et de faire comprendre des choses, et enfin, il y a ceux qui sont au milieu et qui, concrètement, doivent gérer les desiderata d’en haut et d’en bas. C’est schématique mais je vous assure que la remontée est lente alors que la descente est fulgurante (rire). Je suis ce qu’on appelle une « grande gueule » et je le vis plutôt bien parce que la peur n’évite pas le danger. Si on avait voulu me canarder ça aurait été fait depuis longtemps car je reste un matricule tout de même. Je ne vois plus l’intérêt d’avoir peur parce que ce qui doit arriver, arrivera. Être grande gueule oui, mais pas à mauvais escient. Je ne gueule pas pour n’importe quoi mais pour des choses légitimes et mettre le doigt où ça fait mal. J’aime ce que je fais, je veux que ça avance et ça n’est pas juste pour dénoncer. Je veux travailler dans de bonnes conditions et que les futurs collègues ne soient pas des boulets. Je devrais être un policier au sein d’une équipe, d’une même famille. Seulement, cette famille est en instance de divorce et les dirigeants s’en partagent la garde. Il faudrait que les interlocuteurs soient tous amenés à vouloir discuter, il faut dialoguer.

    Philippe Bianchi (Commandant – Chargé de communication à la Direction départementale de la sécurité publique 13) Lors d’une de mes visites à l’école de police de Nîmes, j’ai vu une promotion de 118 ADS qui sortait… Maintenant, la police c’est eux. J’ai vu des femmes et des hommes de nationalité française, issus d’origines très diverses, venant de toutes régions, y compris hors métropole, qui chantaient la Marseillaise et ont traditionnellement envoyé les casquettes de police en l’air à l’issue de la cérémonie. Il y avait des cris de joie, des familles en face, et je me dis en voyant ça qu’il y a de l’espoir (émotion). L’institution a encore de beaux jours, elle n’est pas morte.

    Mickaël Bucheron (Brigadier-Chef – Président Flag ! – Officier de liaison LGBT de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne) Avec 20 ans d’ancienneté, la Police nationale a beaucoup changé comme notre pays et sa population. Elle s’est modernisée en reprenant les codes des sociétés privées, peu adaptés aux missions de police. La seule chose qui me préoccupe et me rend malade ces dernières années, c’est le fossé qui se creuse entre la population et sa police. Il y a selon moi une réflexion d’ampleur à mener{1} et de nombreux séminaires de réflexion de plusieurs jours pour trouver des solutions (rire).

    Laurent Duchatel (Commandant divisionnaire fonctionnel – Chef de la brigade des stupéfiants à Versailles) Si la police a un problème, c’est au niveau du recrutement qu’on a sacrément nivelé par le bas, je trouve. Je participe à des jurys de concours et on voit bien qu’au fil des années la qualité des gens qui passent le concours a beaucoup baissé. Le mal est plus profond. La Police Judiciaire n’est que de la vocation, donc je baigne dans un milieu qui n’évolue qu’avec des gens qui l’ont. Il faut être plus attentif au recrutement en sélectionnant mieux les gens. Le niveau des concours est élevé, mais que vaut le niveau scolaire aujourd’hui ? C’est donc un problème en amont parce que la police n’est jamais qu’un reflet de la société. Et puis ici nous faisons une police de riches en ne sélectionnant que les meilleurs. Mais dans les commissariats, certains copains chefs de service s’arrachent les cheveux. Ils ont des problèmes avec les syndicats et avec des effectifs qui ne sont pas tous concernés par ce qu’ils font.

    Mehdi Duflos (Gardien de la paix – Police-secours à Roubaix) Certains problèmes sont connus et relevés par beaucoup, mais il y a aussi un sentiment d’impunité. Ça va aller en s’améliorant de toute façon parce qu’on ne peut pas aller plus en dessous. Des sénateurs se sont un peu intéressés aux problèmes de l’institution. La population ouvre les yeux, malgré une minorité qui conserve une certaine défiance parce qu’elle ne veut pas comprendre. Régulièrement, il nous est dit qu’on nous comprend et nous savons que ce n’est pas envers nous qu’il y a de la rancœur. Maintenant, si les annonces politiques annoncées sont maintenues et respectées, ce serait déjà un grand pas. L’arrivée de nouveaux policiers, sur le quinquennat, devrait faire du bien. Souvent des décisions sont prises en pensant faire bien alors que parfois, après, on se demande pourquoi ? Pourquoi comme ça ? Un exemple : sur certains véhicules on se demande pourquoi on nous a mis 4 roues motrices alors qu’on préférerait des vitres électriques, c’est tout bête mais c’est du quotidien. La hiérarchie veut bien faire mais elle oublie parfois d’écouter.

    Cyrille Felten (Capitaine – Groupe d’appui judiciaire à Nancy) C’est compliqué (rire). À l’heure actuelle, c’est une institution qui est, depuis pas mal de temps, souvent en mouvement. Les choses évoluent rapidement et régulièrement. Quand je suis rentré dans la police nous avions quelques applications avec une procédure pénale qui n’évoluait pas et restait stable, alors que depuis quelques années tout cela a évolué très vite. Nous avons fait appel à l’informatique, développé de nombreuses applications et la procédure pénale est très vite devenue de plus en plus lourde. Et du coup, nous sommes obligés de développer beaucoup de principes et de réformes d’organisation et il y a, au quotidien, des remises en cause régulières. Certains collègues qui commencent à avoir un certain âge ont un petit peu de mal à suivre et sont parfois un peu décalés. Entre nous, nous parlons de « mille-feuilles », parce qu’on rajoute sans cesse des couches et qu’il faut, continuellement, se remettre à niveau et ça devient compliqué. On se base beaucoup sur la e.formation, c’est-à-dire de l’autoformation ou de la formation via les applications intranet, ce qui est très bien pour ceux qui ont le temps de la suivre, mais les autres peuvent très vite être dépassés. Et c’est un vrai problème pour pas mal de collègues qui n’arrivent pas à prendre le train en marche et qui se retrouvent largués. Même pour moi, qui suis pourtant assez intéressé par tout ce qui concerne les nouvelles technologies, ça n’est pas évident.

    Alphonse Figino (Gardien de la paix – Opérateur 17 Police-secours à Paris) Elle est ce qu’elle est mais elle est nécessaire. Comme l’armée. Nous sommes garants de la sécurité de nos concitoyens. Si nous n’étions pas là, ce serait la jungle. Déjà qu’en étant présents c’est corsé alors, sans nous, imaginez…

    Pierre Fournier (Gardien de la paix – Enquêteur OPJ en commissariat à Paris) C’est une belle maison qui mériterait d’être plus tournée sur l’humain. C’est notre cœur de métier qui n’est pas de faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’État ou de faire du chiffre, mais juste d’être en adéquation avec la population.

    Eric H. (Commandant – Contrôle de gestion et évaluation des formations à l’École Nationale Supérieure de la Police) Je suis un gros râleur à la base, donc je dois bien avoir un regard sur l’institution (rire). Nous avons tous une idée de comment mieux faire, mais sans avoir pour autant l’autonomie ou le temps de le faire. Ensuite, je dirai C’est pas mal, mais c’est dommage. Pas mal, parce qu’il y a plein de métiers différents et des gens fantastiques, et puis, c’est dommage parce que ça pourrait être nettement mieux mais on n’a pas le temps de s’y mettre. Pourtant, la police reste un rempart parce qu’elle est faite pour assurer la sécurité des habitants mais aussi la stabilité des institutions.

    Christophe H. (Major exceptionnel – Chef adjoint du centre départemental de la formation de l’Hérault) Ça reste une institution qui préserve un maximum de valeurs. Effectivement tout ne va pas bien, mais la Police nationale, pour moi, reste une institution particulièrement forte et qui peut servir d’exemple aux autres institutions. C’est plutôt le système qui est à revoir. Nous avons aujourd’hui, d’un côté, des policiers à la base qui passent des concours et rentrent dans la police en suivant une formation continue pour être policiers de terrain, et puis d’un autre il y a le corps des officiers de police et des commissaires, qui, selon moi, sont plus recrutés sur leurs capacités intellectuelles que sur leur compétence en leadership. Loin de moi l’idée de rédiger une tribune à charge contre les officiers et les commissaires que j’ai toujours respectés, mais, à mon sens, je pense qu’il y a un gros travail à faire à ce niveau. Ils sont souvent en décalage vis-à-vis des contraintes opérationnelles rencontrées sur le terrain par leur personnel et, le plus grave, c’est que nombreux sont ceux qui ne s’y intéressent même pas. Leur formation initiale repose beaucoup sur le droit et la gestion administrative, mais elle n’intègre pas suffisamment de pratiques opérationnelles et de formation au commandement opérationnel. Ce sont des collègues qui disposent de capacités intellectuelles supérieures, certes, mais qui ne disposent pas toujours des convictions nécessaires lorsqu’on rentre dans la police, et ces gens-là vont avoir énormément de mal à commander. J’ai connu de très bons commissaires mais, et cela n’engage que moi, si j’en ai connu cinq qui étaient des « bons patrons » en plus d’être des bons policiers, en 28 ans de carrière, c’est le maximum. Le souci, et ce n’est pas de leur faute, c’est qu’aujourd’hui ils passent un concours et à l’issue de leur scolarité on les nomme responsables d’un commissariat ou d’une unité sans qu’ils ne connaissent absolument rien au métier de policier et encore moins au terrain. La problématique c’est que beaucoup d’entre eux n’écoutent pas les sachants, les gens d’expérience qui viennent du terrain et qui, peut-être, révèlent leur propre incompétence opérationnelle. Il y a des commissaires qui sont des policiers et même des héros, comme celui{2} de la « bac 75 nuit » qui est rentré au Bataclan lors des attentats de novembre 2015 et qui a certainement sauvé la vie à 300 ou 350 personnes dans la fosse. Pour moi c’est un « Monsieur ». J’ai connu une génération de commissaires-policiers qui avaient envie d’être sur le terrain et de tourner avec leur gars, ce qui n’est plus le cas d’après moi aujourd’hui. Plutôt que de les faire arriver directement chef d’une unité ou d’un commissariat en sortie d’école, il faut leur faire faire un petit peu de terrain en tant qu’officier de police pour aller régulièrement sur le terrain avec les gars et, ensuite seulement, pouvoir passer un concours et éventuellement prendre le grade de commissaire de police. Ils maîtriseraient mieux leur boulot de chef, le terrain et les stratégies d’intervention et disposeraient également de beaucoup plus de légitimité et de crédibilité en tant que leader naturel. Aujourd’hui, avec des commissaires qui, à 25 ans, ont passé la plupart de leur temps dans les bouquins et sur des bancs de facultés, comment voulez-vous qu’ils puissent manager un groupe de policiers de terrain en situation de crise ? Changer le système est possible, les anglo-saxons l’on fait, alors pourquoi en France ne pourrait-on pas éventuellement imposer qu’un commissaire passe par cinq ans de terrain ?

    Christophe Hirschmann (Commissaire divisionnaire – Adjoint au chef de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis) J’avoue que je ne me suis jamais vraiment posé la question mais mon regard n’a pas fondamentalement changé de celui que je pouvais avoir lorsque j’ai intégré cette institution. Je pense que forcément du fait des attentats l’institution a évolué. On a aussi beaucoup parlé de sa féminisation et de sa réorganisation avec la PSQ et tous les services dédiés à la lutte antiterroriste. Aussi, je pense que l’institution police est un petit peu mieux connue du grand public dans certaines de ses missions et qu’il y a une vraie adhésion de la population. C’est peut-être un petit peu plus compliqué au niveau de la police du quotidien et ce double langage est très français quand, d’un côté nous avons besoin de sécurité tout en râlant dès qu’il y a un contrôle. Alors, même si nous pouvons parfois être critiques de certaines choses, des pesanteurs administratives, de lourdeurs procédurales et d’une certaine complexité de notre système judiciaire qui sans nous brider peut nous déranger, on essaie de faire avec. Moi, qui suis plutôt d’un naturel optimiste je veux être constructif et trouver des solutions pour améliorer les choses et faciliter la vie des gens.

    Christian L’homme (Commissaire retraité) Quelques années après mon départ de « la boutique » en tant que policier actif, je continue tous les jours à regarder fonctionner la police qui ne change pas tant que ça. Je suis quand même choqué quand je vois des CRS se mettre en maladie le même jour{3}. Nous avons le droit de manifester et je l’ai fait en étant syndiqué, mais je posais des jours de congés et je n’ai jamais pris de ticket de maladie. Je pense que les gouvernements qui se succèdent depuis des décennies ont la chance d’avoir la police qu’ils ont. Nous sommes quand même dans un état qu’on peut encore qualifier de démocratique avec une police extrêmement loyale. Après, que les gens soient de plus en plus fatigués c’est très choquant.

    Laurent Legrand (Major retraité) J’ai fait une très belle carrière, évolutive et en faisant plusieurs métiers. J’ai eu l’occasion de voyager, de faire des formations, de faire plein de choses multiples et variées et de m’élever socialement grâce à l’institution, donc j’ai un regard assez bienveillant sur elle. Je pars d’un certificat d’études primaires et un CAP, et j’ai validé un diplôme correspondant à une licence professionnelle, donc l’administration m’a permis de faire des choses que je n’aurais sans doute pas fait. C’est une institution qui rend bien, quand on veut lui donner.

    Alfred Lenglet (Commissaire divisionnaire – Chargé de formation à l’École Nationale Supérieure de la Police) Nous avons une belle police démocratique qui fait bien son travail et qui peut aussi, parfois, paraître découragée par le fait d’être brocardée ou l’objet de violences mais qui n’oublie pas les joies et les satisfactions du quotidien ressenties par les policiers en faisant leur travail. C’est le cas lorsqu’ils aident ou sauvent des gens, arrêtent des délinquants.

    Mehdi Loucheur (Commissaire – Chef des unités opérationnelles de la sûreté départementale 13) C’est un sentiment d’appartenance à la Police nationale et, en l’état actuel des choses, j’ai l’impression qu’il y a plusieurs polices parce qu’il y a plusieurs spécialités avec chacune sa culture. C’est une réalité. Par contre, quand dans les moments difficiles ou à des relations on dit qu’on est policier, un lien de discussion, de réflexion et d’échange se noue tout de suite. Mais il y a une relation « sous-institutionnelle » qui s’explique par spécialités ou par vécus, aussi. On sent une volonté de créer un label « Police nationale » et c’est une très bonne chose dans le cadre de la communication, mais il ne faut pas penser que ça va résoudre le problème, ou la difficulté, de la cohésion de la Police nationale. C’est un label pour le grand public, pour que l’on sache de qui on parle, cependant ça n’est qu’un outil, pas une fin en soi, et d’ailleurs je ne sais même pas si c’est un moyen (sourire).

    Hélène Martini (Inspectrice générale honoraire retraitée) C’est une institution qui a du mal à s’adapter aux changements pour des raisons intrinsèques et parfois de facilité aussi, peut-être. À chaque innovation, à chaque changement, un agrément des organisations syndicales est nécessaire et il est donc excessivement compliqué de faire bouger les choses. Pour la police du quotidien, il faut vraiment répondre aux besoins du territoire local, alors que pour les grands sujets nationaux, comme la lutte contre le terrorisme, il faut une vraie stratégie en érigeant UNE priorité nationale et en se donnant les moyens de l’éradiquer. La lutte contre les stupéfiants est un tonneau des Danaïdes, on a l’impression que ça n’est jamais résolu. Alors, c’est vrai qu’en face il y a énormément de moyens et que ce ne sont pas des enfants de chœur mais si nous mettions en place une force de frappe, peut-être que la police judiciaire pourrait faire le travail{4} ? Il pourrait y avoir des priorités nationales et se donner les moyens de réussir là-dessus parce que, pour l’instant, au lieu de raisonner en termes de missions, on échafaude des organisations qui ne correspondent en rien à la réalité. En fonction, j’étais assez bien placée, en terme de formation ou de déroulement de carrière, pour faire remonter des informations en haut mais ça prenait du temps. Aujourd’hui, l’immobilisme et la lenteur ne sont plus de mise. Ceci dit, le problème résulte aussi un peu de ce nivellement égalitaire auquel les syndicats astreignent la hiérarchie qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à court-circuiter quand ils le souhaitent. Ce qui est sûr c’est qu’il y a quand même une volonté d’améliorer les choses, de changements, mais il y a aussi une force d’inertie terrible due au fait que l’événementiel l’emporte toujours sur la réflexion.

    Marie-France Monéger-Guyomarc’h (Directrice, cheffe de l’IGPN – Directrice honoraire retraitée) C’est une maison extraordinaire, complexe, multifacettes, méconnue, avec ses défauts mais aussi de formidables qualités et d’une résilience impressionnante. Et ce sont surtout des femmes et des hommes attachants, qui donnent le meilleur d’eux-mêmes dans des conditions particulièrement difficiles. Ils sont souvent critiqués, trop souvent incompris, pas toujours respectés. Je leur souhaite force, courage, énergie et qu’on donne du sens à leur action en les appuyant et en les soutenant.

    Bruno Nieri (Brigadier – Adjoint au chef de section à la compagnie de sécurisation et d’intervention des Bouches-du-Rhône) Je ne vais pas dire que c’est une vieille dame ! Oh ! La pauvre (rire), un vieux monument, peut-être (rire). C’est assez vieux quand même et on dit toujours la « maison Poulaga{5} » ou « les poulets » mais ça n’a rien de péjoratif, comme le terme de « Condés{6} ». Après, c’est difficile en un mot de définir l’institution. Je ne suis pas désabusé, donc je ne peux pas être trop critique là-dessus et j’y crois encore surtout. Je commence à prendre de l’âge et je suis imprégné d’une certaine culture policière, alors que la conjoncture économique et sociale du début des années 2000 a incité certains à rentrer dans la police sans forcément en avoir la vocation.

    Frédéric Pech (Commissaire – Directeur adjoint de l’École Nationale de Police de Nîmes) C’est une très belle machine et le politique doit vraiment prendre en compte ce qui s’y passe avec cette demande de reconnaissance et de valorisation du métier.

    Christian Piquet (Commandant à l’emploi fonctionnel honoraire retraité) On dit « la grande maison » parce que c’est une institution à l’intérieur de laquelle il y a toute une communauté policière avec une vie interne et ce n’est pas déplaisant. À un certain moment, une société est ce qu’elle est, les gens sont ce qu’ils sont et parfois il y a des dérives d’ordre public, délictuelles, criminelles ou autres, et il faut bien qu’il y ait en face un pouvoir qui puisse arrêter ces choses-là.

    Frédéric Rapp (Sous-brigadier – CRS 56) Je m’inquiète beaucoup pour l’avenir. C’était déjà la même chose quand j’étais rentré à la Légion étrangère où les anciens disaient que ce n’était plus comme avant. Comme je trouvais ça déjà très dur, je me disais que ça n’était pas possible (rire). Et puis, par la suite, j’ai réalisé que les choses avaient effectivement changé et pas forcément en bien. C’est la même chose dans la police. Quand nos aînés rentraient comme jeunes gardiens de la Paix il y a 50 ans, ils avaient un salaire très correct par rapport au reste de la population. Aujourd’hui, un collègue qui sort d’école de police touche à peine mieux que le SMIC et ne vit plus très bien avec cette somme{7}, il survit avec du matériel déclinant. J’ai le souvenir de collègues policiers étrangers venant de Grèce ou d’Espagne me faisant des réflexions sur l’état de nos voitures par exemple, ce qui est étrange de la part de pays au bord de la faillite. Il faudrait qu’en très haut lieu on se réveille une bonne fois pour toutes et qu’on réalise qu’il est peut-être temps de faire ce qu’il faut, de débloquer l’argent, pour avoir une vraie police, se remettre à recruter et ne pas faire semblant. On ne remplace pas les gardiens de la paix par des adjoints de sécurité qui n’ont pas les mêmes prérogatives et le même statut. On ne peut pas les employer à faire les mêmes missions, ce n’est pas comparable. Je ne répare pas une tuyauterie en cuivre avec du scotch, mais en faisant une soudure et en coupant le tuyau cassé pour le changer. Ce n’est pas la hiérarchie policière qui décide du budget alloué{8} à la Police nationale pour une année, donc elle subit aussi ce qu’on lui demande de faire. C’est donc le politique qui est à interpeller et quel que soit leurs bords, ils ont tous fait la même chose. Le site CQFD (Ce que les flics dénoncent) montre au citoyen lambda les locaux de la police. Il est temps de faire ce qu’il faut pour que nous ayons des locaux qui ne soient plus insalubres, un minimum propres, dans lesquels on puisse recevoir les citoyens quand ils viennent déposer plainte et dans lesquels on puisse faire des auditions sans risquer de tomber malade. Nous avons honte de nos locaux, de nos véhicules, de nos moyens, tout en faisant en sorte que les choses avancent…

    Catherine Risser (Commandant – Chef du service de commandement à Perpignan) Je lui ai porté un regard plein d’amour « filial », de fierté et d’indulgence pendant longtemps. Cependant, j’ai maintenant l’impression que l’on veut faire de cette institution non plus une belle machine efficace dont la faculté d’adaptation et le sens de l’initiative étaient les forces vives mais un organisme lissé, aux ordres, devant rentrer dans des cases préétablies. J’ai l’impression que, tout en voulant que les policiers fassent don de leurs personnes pour sauvegarder les valeurs de la République – attentats, Gilets jaunes, manifestations de plus en plus violentes – cette dernière ne nous soutient plus, nous abandonne au moindre soupçon de « bavure », ne nous donne plus les moyens de lutter contre une délinquance toujours en avance sur nous. Toujours soupçonnés d’être des « ripoux », de commettre des violences policières, nous ne sommes que très rarement reconnus pour notre dévouement sans faille, plus rarement encore soutenus dans l’adversité et fréquemment utilisés comme fusibles face à l’opinion publique et aux médias. Je pense que l’institution a été une très noble dame en soi, mais qu’elle est de plus en plus dévoyée.

    Robert de la Pollice (Blogueur influenceur) La police est trop institutionnalisée même si je trouve que l’arrivée des réseaux sociaux l’a fait se lâcher un peu. Grâce à cette nouvelle forme de communication et à l’humour, certains messages passent beaucoup mieux. D’ailleurs, certains comptes certifiés ont dit des trucs que je n’aurais peut-être pas dit moi (rire), c’est dire !

    Kevin Roche (Commissaire – Chef des divisions opérationnelles à la direction interrégionale de police judiciaire Antilles/Guyane) C’est un des piliers de la société comme l’éducation nationale, les hôpitaux publics, des sans lesquels on ne pourrait pas fonctionner. C’est une belle et noble institution et les gens qui la font méritent d’être reconnus. C’est aussi un ensemble de valeurs telles que le courage, la discipline, l’abnégation, l’engagement. C’est le service public et il y a une vraie responsabilité générale, alors il faut rappeler que c’est important.

    Élise Sadoulet (Commissaire divisionnaire – Cheffe du commissariat de Versailles) Je trouve que c’est une machine très lourde et un peu grippée (rire). Nous avons un petit peu trop tendance à subir au lieu de prendre les devants, même s’il y a eu des groupes de réflexion « police 2022 » etc, mais je crois qu’il faut aller plus loin. Il ne faut pas avoir peur de bousculer les choses. Alors, avec le temps ça change mais c’est aussi parce qu’on va être mis devant le fait accompli. Nous n’anticipons pas, justement, en termes d’autorité hiérarchique. Comment le gère-t-on ? Je n’ai pas la réponse et je pense qu’il faut déjà oser se poser des questions. Les Français sont très ambivalents dans leur rapport avec la police. Nous sommes beaucoup vus par l’aspect caricatural ou par celui d’actions de verbalisation qui représentent très peu dans notre spectre missionnel. En plus, ceux que nous voyons sont ceux qui râlent, que l’on doit prendre en compte aussi bien sûr, mais quand des sondages{9} sont faits la grande majorité des gens sont plutôt contents.

    Georges Salinas (Commissaire divisionnaire – Brigade de recherche et d’intervention – Groupe de sécurité du président de la République) Je suis fier d’être policier parce que nous sommes au centre des choses, là où ça se passe. Je n’ai donc pas choisi ce métier par hasard, mais en toute connaissance de cause. Malgré tous les mauvais côtés avec ses moments durs, c’est un métier exaltant et profondément humain. Nous sommes là pour protéger les gens et, quand je me regarde dans la glace, j’ai l’impression de servir à quelque chose, ce qui n’est pas le cas de tout le monde (rire). L’institution police a toujours eu un rôle ambigu en étant très critiquée sur beaucoup de choses et parfois même avec un manque de respect vis-à-vis de cette autorité. En même temps, qui n’a pas rêvé d’être un jour policier-enquêteur ? Il n’y a qu’à regarder la télévision où la plupart des feuilletons sont basés sur des enquêtes policières, donc ça veut dire que les gens aiment ce métier finalement. Alors, il y a une espèce de schizophrénie entre une haine, peut être attisée par des ressentiments vis-à-vis de la police, et, en même temps, une espèce d’auréole…

    Lydia Toudji (Commandant – Chargée de formation à l’École Nationale Supérieure de Police) Je pense qu’elle mériterait d’être mieux connue car les clichés ont la dent dure. C’est peut-être à l’institution police de plus et mieux communiquer afin de toucher autrement les gens. Je me rends compte que le regard positif et respectueux que j’ai pu avoir plus jeune sur l’institution, transmis notamment par mes parents, n’est plus forcément partagé par beaucoup de personnes. Peut-être y-a-t-il une méconnaissance de l’institution ou bien nous sommes-nous éloignés de la population, ou l’inverse ? Il y a une vraie réflexion en cours et le rapprochement avec la population est une nécessité, que cela soit via la police de sécurité du quotidien ou non.

    Blandine Valente (Major RULP – Adjoint au chef d’état-major des Bouches-du-Rhône) Des progrès ont été faits, notamment ces 20 dernières années, avec la féminisation, l’amélioration de la formation et des carrières, la création de nouvelles structures spécialisées comme le RAID par exemple ou les offices centraux d’investigation. Mais, à mon sens, il y a encore des efforts à faire notamment dans le domaine des ressources humaines. La parole s’est libérée de manière générale. Lorsque j’étais jeune gardien de la paix, pour demander une entrevue au patron, il fallait passer par son secrétariat particulier. Aujourd’hui, on peut s’adresser directement à lui. Les choses sont dites, écoutées, entendues même s’il n’y a pas toujours de réponses adaptées. Les relations avec la hiérarchie sont d’une certaine manière, plus collégiales.

    La pression et la hiérarchie

    Si la pression est présente, comment cela se traduit-il et comment percevez-vous la hiérarchie ?

    Marc Alcaïde (Major RULP retraité) Je n’ai pas trop ressenti ce phénomène de pression. Quand j’étais à Strasbourg et que je gardais les bâtiments du Parlement européen, je me demandais plutôt à quoi je servais. Je prenais mon planning pour mes cycles, sans passer par le commissariat et j’allais à mon poste directement pour relever le collègue en place. Je pouvais passer un cycle entier sans voir de chef, à part la voiture de contrôle. Donc, à ce moment-là, j’ai plus ressenti un isolement. La hiérarchie dans le même grade, de l’ADS au major RULP, ne se sent pas trop. Elle est instaurée pour que ça roule, parce qu’aujourd’hui un brigadier-chef, ou un major, est dehors alors qu’il y a plus de vingt ans un chef ne mettait pas les pieds sur un service d’ordre, il restait au véhicule. Il faut une hiérarchie pour tenir à jour les cycles de travail, mais il y a moins cette pression. Après, je pense que « Officier » est la hiérarchie la plus difficile parce qu’entre les deux : il n’est pas le vrai chef puisqu’au-dessus de lui il y a quelqu’un et, en même temps, il a pas mal de monde dessous, donc il a un positionnement un peu isolé. Il ne peut pas faire ce qu’il veut et doit faire passer différents messages d’en haut. Au fil du temps, j’ai quand même constaté des évolutions et aujourd’hui, les commissaires comme les officiers sont plus abordables. J’en connais beaucoup qui laissent leur porte ouverte mais, c’est vrai, qu’il faut prendre le temps de faire ce pas et  de dialoguer avec le chef de service. Et puis, aujourd’hui, cette « peur » du chef de service est différente parce que les jeunes sont beaucoup plus à l’aise dans l’échange et le dialogue. En tout cas, personnellement je n’ai pas trop ressenti cette pression même en étant gardien et même si le commissaire était pour moi inaccessible, sauf lors de grands événements. J’ai fait la venue du pape à Lyon dans les années 87, détaché comme chauffeur pendant six mois auprès du patron qui gérait tout le dispositif, mais j’étais à ma place. Je ne lui parlais que quand il m’adressait la parole. À ce jour, j’ai connu un directeur général voire le ministre de l’intérieur quand il vient à la cérémonie de sortie, et ce n’est plus pareil. Avec l’âge, on acquiert une maturité au niveau de la vision de la hiérarchie…

    Maria-Julia Aranda (Commissaire divisionnaire retraitée) La pression est double. Durant mes quinze ans de sécurité publique, la pression était celle de la rue gérée quotidiennement et plutôt bien si on a de bonnes équipes, ce qui est à 99 % le cas. Quand on a 24 heures avant d’être dessaisis sur une affaire judiciaire, oui on met une pression mais qui n’est pas incommensurable. Ca n’a rien à voir avec celle que j’ai connue par la suite sur la région parisienne dans des sphères de Centrale où on a une pression plus « politique », et celle-là, je dois dire que j’en ai un peu souffert. Alors, je gérais très simplement en poussant des coups de gueule (rire) et, après on fait les choses. Il faut savoir qu’on vous passe cinquante commandes pour hier, que tout est toujours urgent et on vous demande la même chose alors que le travail a déjà été produit la veille ou même le matin. Il faudrait améliorer cette chaîne afin qu’on retrouve tout de suite en étagère ce dont on a besoin pour répondre au ministre, au Président ou à je ne sais qui. Alors, on sait, quand on est en Centrale, que l’on ne sera pas reconnu et que nous ne sommes qu’un pion parmi d’autres, il faut l’intégrer. Rien ne sert d’arriver en croyant être comme un chef de circonscription connu et reconnu par les autorités locales, préfectorales et autres. Non, et c’est peut-être ce qui manque aux gens. On leur demande de l’adaptation sans leur expliquer que, du jour au lendemain, ils passent de notable à pion. Une fois que l’on a bien intégré ça, tout va bien. Mais la véritable pression c’est quand on est sur le terrain et cela peut être extrêmement difficile, surtout pour les gardiens de la paix qui sont les premiers intervenants sur des affaires qui montrent le plus sordide de la société, il faut le dire. Même si, paradoxalement, c’est aussi le plus passionnant quand on arrive, parfois, à trouver des solutions, et c’est extrêmement gratifiant.

    Hanane Bakioui (Commissaire – Cheffe du bureau de l’IGPN à Nice) Il ne faut pas que cette pression devienne handicapante, une chape de plomb ou quelque chose d’insupportable. Elle pourrait venir d’un ensemble de choses parce que nous sommes quand même l’institution la plus contrôlée, car nous intervenons forcément sur la voie publique et sommes quasiment le dernier recours. Il y a aussi les modes de vie qui changent et on demande toujours plus de choses à la police. Pour que les choses soient faites, il faut qu’elles soient expliquées, comprises, sinon rien de correct ne peut être réalisé. Quand on parle de la politique du chiffre, même si je pense que nous ne sommes pas une entreprise et que nous n’avons rien à produire et à vendre, quantifier l’action de la police ne me semble pas illégitime. Ce sont plutôt les modalités des critères qu’on utilise pour pouvoir quantifier qu’il faut expliquer. Et puis, à un moment, il faut dire les choses telles qu’elles sont : la police n’est pas là pour tout faire et ne peut pas tout faire. Il y a aussi cette problématique de « charges indues », très présentes dans la police : des charges transférées au fil du temps à la police, comme les extractions judiciaires ou les procurations, par exemple, qui se rajoutent au travail quotidien du policier.

    Philippe Bianchi (Commandant – Chargé de communication à la Direction départementale de la sécurité publique 13) À mes yeux, il y a deux types de pression : la première, professionnelle et de terrain avec des enjeux de sécurité quand on met sa vie ou celles de tiers en danger, quand on est sur le point de casser une porte et qu’on ne sait pas ce qu’il y a derrière, quand on coordonne un dispositif. C’est une pression noble, intéressante et prenante. Tout policier de terrain la connaîtra un jour avec cette notion d’engagement, de risque, de peur, parce qu’il n’y a pas de honte à avoir peur. Et puis il y a une autre forme de pression, administrative celle-là : quand on est dans certains services d’état-major et que l’on s’élève dans les strates de la hiérarchie en intégrant une équipe de direction. Il y a alors une obligation de résultat, d’efficience, d’excellence et de rapidité. L’expérience, la sagesse et le fait d’être passé par « l’autre » pression du terrain, permettent « peut-être », pour ma part, de relativiser certaines choses et d’en être parfaitement conscient. Quant à la hiérarchie, elle est présente bien sûr et c’est tout à son honneur de l’être. Si on ne sent pas une certaine pression de la hiérarchie cela veut dire que le chef n’est pas d’un excellent niveau ou bien qu’il s’appuie complètement sur ses hommes. À mes yeux, ce n’est pas un repoussoir et chacun doit se retrouver au niveau qui est le sien en fonction des concours qu’il a passés. Moi, je fais plutôt partie de la hiérarchie dite « intermédiaire », mais avant de parler de hiérarchie il y a avant tout de l’humain et c’est ce qui va faire la différence. Dans tout service, dans le public comme dans le privé, s’il y a du contact et du relationnel, même avec une poigne de fer ça fonctionne. Après, dans la police, je ne pense pas qu’il y ait énormément de services en haut de leur tour de Babel. Cela me paraît difficile, puisque l’information parvient en permanence au chef de service. Après, il est certain que celui-ci, s’il est à la tête de quelques centaines à plusieurs milliers de personnes, va être moins accessible. Nous sommes au XXIe siècle et je ne reprocherais pas à un chef de service de n’être « qu’un manager », parce qu’il aura quand même une fibre policière pour avoir fait ce concours, et après, à terme, il va se retrouver à la tête d’une direction départementale ou centrale et ce ne sera pas un petit service de vingt-cinq policiers dans lequel il va connaître le prénom de toutes les épouses. Ce n’est pas de la distance, c’est juste difficile et aussi une affaire de personnalité.

    Mickaël Bucheron (Brigadier-Chef – Association Flag !) La pression dépend de l’affectation. Le poids hiérarchique aura moins d’influence dans un service judiciaire que dans la sécurité publique, et c’est ainsi depuis toujours. Pour autant, nous sommes une institution très hiérarchisée, donc forcément, tout le monde doit avoir sa place sur l’échiquier de l’institution. Chacun, ou presque, aspire à monter en grade et plus on arrive en haut de la pyramide, moins le nombre de places est disponible. Il y a pourtant une différence de traitement dans l’avancement : si vous êtes gardiens de la paix et souhaitez devenir brigadier, brigadier-chef ou major, il vous faut passer des examens, l’avancement ne se fait pas d’office. Il y a donc une démarche volontariste et un travail personnel pour parvenir à passer ces grades ou la qualification d’Officier de Police Judiciaire. Alors qu’il n’y a rien de tout ça pour les lieutenants et les commissaires, l’avancement est automatique et à l’ancienneté. Une disparité qui n’est pas sans incidence à mon sens. Que vous soyez bon ou mauvais, vous finirez votre carrière au sommet de votre corps ! Pour les gardiens de la paix, ce n’est pas la même chose et je trouve ça choquant.

    Jean-Sébastien Colombani (Psychologue-conseil – Direction générale de la Police Nationale – ENSP) La hiérarchie policière fait l’objet de nombreuses critiques. Je pense que la distance entre le sommet de la hiérarchie et la base y est pour beaucoup. Il est souvent reproché aux commissaires d’être dans « leurs tours d’ivoire » et de « ne pas mettre les mains dans le cambouis ». Dans la littérature et les écrits journalistiques des années 80-90, on constate que, déjà à cette époque, les commissaires étaient décrits comme assez distants. Le « patron » n’était pas forcément proche de ses équipes. On a pendant longtemps assimilé les commissaires aux « vacations funéraires{10} » qui leur prenaient beaucoup de temps et les éloignaient de leurs services. Était-ce une réalité ou non ? Quoi qu’il en soit, il y a aujourd’hui d’autres facteurs qui éloignent les commissaires de leurs équipes. Pour décrire la situation de la hiérarchie policière, j’utilise dans ma recherche la notion de « management empêché » développée par Mathieu Detchessahar{11}. Elle consiste à dire que les managers ont de plus en plus de tâches de gestion, de réunions, etc., qu’ils appellent « connexes » et qui les éloignent du travail de leurs équipes et affectent leur capacité à jouer leur rôle d’encadrement. Ils ont de moins en moins la possibilité d’être au contact de la réalité du terrain. C’est en ce sens que leur activité est « empêchée ». Et cela peut devenir une réelle frustration pour les commissaires et officiers qui considèrent qu’ils ne peuvent pas exercer pleinement leurs missions par manque de temps. Certains nous disent qu’ils ont le contact managérial avec les équipes, principalement le matin de 6 h à 8 h ou le soir de 18 à 20 h, en plus de leurs autres activités. C’est un problème, parce qu’il n’est pas normal que des managers soient contraints de « prendre sur eux » et sur leur temps personnel pour jouer leur rôle d’encadrement. Ce manque de proximité et de communication peut amener à de nombreuses incompréhensions et tensions entre les différents corps de la Police nationale. Un des autres facteurs de distance et d’incompréhension souvent évoqué, est la forte séparation entre les corps et le recrutement par voie « externe ». Une des justifications de ce recrutement, est de faire entrer à des postes de direction des jeunes avec un regard neuf sur l’institution. Ce qui évite de n’avoir que des policiers pouvant être formatés par le terrain. Quand on questionne les commissaires à ce sujet, le recrutement externe semble assez bien accepté. Au niveau des autres corps, ils sont souvent remis en question sur leur légitimité par rapport à ça. Une vraie question managériale est en réalité sous-jacente : un manager doit-il forcément être un expert, un technicien, des métiers qu’il encadre ? Dans le privé souvent ce n’est pas le cas. Alors pourquoi la question est-elle si récurrente dans la police ? Une certaine peur de la « logique professionnelle » policière qui diffère de la « logique politique » peut expliquer ce mode de fonctionnement. Ces deux logiques ont été étudiées par les chercheurs en sociologie de la police comme Monjardet ou Loubet del Bayle. Alors que, pour caricaturer, la première a pour priorité d’arrêter les délinquants pour « protéger la veuve et l’orphelin », la seconde a comme priorité de protéger l’état et ses institutions. L’objectif global est le même parce que ces deux éléments sont liés mais dès que l’on rentre dans le détail, les priorités et les critères d’évaluation du « travail bien fait » peuvent changer. Je pense que nous avons peur, en France, de donner une place trop importante à la logique professionnelle puisque les institutions policières ont tendance à chercher à déterminer elles-mêmes les moyens et les fins de leur propre activité. C’est en ce sens que le fait d’avoir de jeunes commissaires qui ne viennent pas de « la base » peut être un moyen de contrebalancer les choses. Dans ma thèse, je fais l’hypothèse que le système politique peut avoir peur de commissaires trop proches de leurs équipes. Car des commissaires trop proches de leurs effectifs peuvent plus fréquemment être amenés à dire « non » au politique lorsque des instructions vont à l’encontre de l’intérêt de leurs services. Alors que pour le commissaire un peu isolé de ses collaborateurs et se considérant comme le représentant de l’institution dans son service, c’est plus simple. En fait, pour certains sociologues, c’est un peu le modèle que le politique adopte vis-à-vis de la police. Pour eux, si la police est trop intégrée au sein de la population et se considère à son service, elle pourrait par exemple refuser d’intervenir face aux citoyens dans un maintien de l’ordre. À l’inverse, une police mal-aimée par la population se tournera plus facilement vers le politique qui la prendra « sous son aile ». Elle lui sera plus loyale. En fait, pour moi, la question n’est pas tant d’avoir un jeune de 24 ans à la tête d’un commissariat mais plutôt de voir dans quelle mesure il a la possibilité et le temps d’aller tourner avec ses équipes et d’être au quotidien avec elles pour connaître leur métier. Parce que, finalement, un commissaire qui aurait débuté comme gardien de la paix dans les années 80 connaitrait-il toujours la réalité du métier de police en 2020 ? Non, la police a trop évolué ces dernières décennies. Avec mon positionnement de psychologue à l’école des commissaires et dans le cadre de ma recherche, je me suis intéressé au vécu des commissaires de police. On constate qu’ils sont soumis à des fortes contraintes et ont assez peu de « ressources » en termes de soutien social notamment. Finalement, un commissaire doit un peu être un « super-flic » qui connaît tous les métiers de terrain mais sait aussi bien gérer son service. En formation continue, nous voyons beaucoup de commissaires en situation de souffrance, voire de burn out. Ils sentent que la situation professionnelle peut les mener droit dans le mur. Il ressort aussi que les attentes formulées envers

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