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La Femme est l'avenir du rugby
La Femme est l'avenir du rugby
La Femme est l'avenir du rugby
Livre électronique386 pages4 heures

La Femme est l'avenir du rugby

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À propos de ce livre électronique

La Femme est l’avenir du rugby. Ce sport habitué à cultiver frénétiquement des amitiés viriles, au point d’exhaler un parfum de machisme implicite confinant même à la misogynie, vit sa révolution copernicienne. Au prix de maints sacrifices et de la volonté de fer de pionnières acharnées, les femmes ont tracé leur chemin sur le sentier de l’Ovalie. Les barrières sont tombées et les femmes osent aimer le rugby à haute voix, le nombre de pratiquantes et d’amoureuses du rugby ne cessant de croître au fil des années.
Les femmes aiment le rugby, beaucoup, passionnément, voire même à la folie, souvent même plus encore que les hommes, comme en témoigne un kaléidoscope réunissant quarante fans d’Ovalie. On y retrouve des joueuses bien entendu, de tous niveaux qui plus est, mais aussi des actrices impliquées dans le monde du rugby (dirigeantes, coaches, arbitre, bénévoles, supportrices) ou même des artistes et intellectuelles que l’univers de ce sport fascine. Des femmes de toutes générations et aux multiples origines géographiques, même en outre-mer.
Les femmes sont en passe de s’approprier un sport qui leur fut quasiment interdit à une certaine époque. Quarante témoignages tendres, drôles, émouvants, surprenants, édifiants permettent de comprendre les motivations qui les attirent vers le ballon ovale. L’occasion, aussi, de montrer que le rugby se révèle comme un vecteur inattendu de l’émancipation des femmes du XXIe siècle, ces dernières revendiquant haut et fort leur droit de jouer ou d’aimer ce sport au même titre que les hommes.
LangueFrançais
Date de sortie18 oct. 2018
ISBN9782312063218
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    Aperçu du livre

    La Femme est l'avenir du rugby - Lionel Grillot

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    La Femme est l’avenir du rugby

    Lionel Grillot

    La Femme est l’avenir du rugby

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2018

    ISBN : 978-2-312-06321-8

    Remerciements

    Jean-Jacques Bach

    Lionel Baldasso

    Alain Berthe

    André Guisiano

    Damien Kéro

    Hugues Meillereux

    Cyril Manière

    Thierry Simon

    Avant-propos

    Je m’en souviens encore comme si c’était hier. En ce 13 août 2014, l’équipe de France féminine de rugby s’apprête à rencontrer le Canada, en demi-finale de la Coupe du Monde, et le stade Jean-Bouin résonne d’une étonnante ferveur qui n’est pas sans me rappeler les plus belles heures du Tournoi, partagées à deux pas de là, dans le bouillonnant Parc des Princes. Pour ne pas être en reste, le vaisseau amiral du Stade Français s’est mis sur son trente-et-un afin d’accueillir ses princesses d’Ovalie.

    Bercé par cette ambiance électrique, scotché à ma place, en tribune de presse, je soliloque en silence : « Si un jour, on m’avait dit que j’assisterais à une demi-finale de Coupe du Monde féminine de rugby, dans un stade Jean-Bouin plein et dans une ambiance de folie, je ne l’aurais jamais cru. »

    Mon voisin de pupitre, baroudeur des stades du monde entier depuis plusieurs décennies et légende vivante de la presse ovale française, c’est-à-dire Jean Cormier, se tourne alors vers moi et me glisse, incrédule : « Si un jour, on m’avait dit que j’assisterais à une demi-finale de Coupe du Monde féminine de rugby, dans un stade Jean-Bouin plein et dans une ambiance de folie, je ne l’aurais jamais cru. »

    Transmission de pensée de deux plumitifs dépassés par une réalité qu’ils n’auraient jamais pu, ou même voulu, imaginer. D’autant que quelques jours plus tard, le scénario se répétera le jour de la finale, avec la même intensité, l’effet de surprise en moins.

    Quelques mois auparavant, soit au printemps de cette même année 2014, je me souviens également de la réflexion d’Isabelle Picarel, photographe à la FFR, avec lequel je réalisais un reportage à Marcoussis. Nous longions nonchalamment le gazon verdoyant du CNR lorsque ma collègue s’est exclamée, pleine d’entrain : « Le terrain où l’équipe de France jouera ses matches de poule de la Coupe du Monde, ça devrait être sympa. »

    Et moi de lui rétorquer, fort de mes certitudes d’expert qui ne pouvait pas se tromper puisque j’étais un homme et que le rugby restait, qu’on le veuille ou non, l’apanage de la gent masculine : « Mais voyons Isabelle, ne rêvons pas. Nous, ça nous motive car nous sommes concernés, mais sinon ? Une Coupe du Monde en plein été, au fin fond de l’Ile de France pour aller voir des filles jouer au rugby. Franchement… Ça n’intéressera que les familles et ami(e)s des joueuses. »

    Mea culpa, car je me suis évidemment trompé sur toute la ligne. Non seulement Marcoussis a pris des airs de kermesse ovale estivale pour cette Coupe du Monde, mais à l’occasion des matches des Bleues, les supporters ont carrément pris d’assaut le CNR ! La première rencontre des Tricolores a même donné lieu à une scène baroque, avec un Président de la FFR, Pierre Camou, se pressant au guichet du stade pour permettre aux supporters, bloqués à l’entrée, de pénétrer dans l’enceinte fédérale.

    Tout ça pour dire que lors de cette soirée du 13 août 2014, j’ai définitivement pris conscience d’une réalité qui couvait pourtant, mais qui avait échappé au phallocrate ovale que je m’obstinais, aveuglément, à demeurer. L’heure des femmes avait bel et bien sonné et toute la planète ovale s’en trouverait, inévitablement, bouleversée. Dont acte.

    Les femmes se trouvaient en passe de s’approprier ce rugby, symbole du sport collectif masculin par excellence. Soit. Alors depuis ce jour, j’ai dans l’idée de comprendre pourquoi les femmes aiment de plus en plus le rugby ? Comment et à quel point peuvent-elles s’impliquer pour ce ballon ovale ? D’autant plus que les signaux d’alerte de cette vague de féminité n’ont cessé, depuis lors, de se multiplier.

    Au nombre de licenciées fédérales d’abord, puisque la catégorie féminine demeure la seule en augmentation constante depuis une quinzaine d’années – au rythme 5 à 15 % par an –, même en ces années de vaches maigres où le chiffre global des pratiquants décline pourtant dangereusement. Au cœur de l’année 2018, la Fédération recensait ainsi 26 000 femmes dans ses rangs. Ne nous gargarisons pas non plus, ce chiffre n’a rien d’exceptionnel si l’on songe que le handball en compte environ 200 000, soit sept à huit fois plus !

    À titre symbolique, le nombre de rugbywomen représente néanmoins le double de joueurs treizistes masculins, ce qui ne manquera pas de donner le vertige à tous ceux qui se souviennent de l’importance que le XIII a pu avoir à une certaine époque, certes lointaine, mais quand même… Le nombre de pratiquantes ovale ne se limite pas, de surcroît, aux seules licenciées fédérales, puisque de l’UNSS aux universités, et même au sein des entreprises, les effectifs féminins explosent comme des feux d’artifice au soir du 14 juillet. Éloquent.

    Et c’est comme ça partout dans le monde, sur tous les continents ! La fédération internationale – World Rugby – revendique ainsi 2,4 millions de femmes sur les 9,1 millions de joueurs – réguliers ou occasionnels – impliqués dans « Get into rugby », programme d’initiation et de pratique ovale, avec une croissance exponentielle au sein de pays émergents asiatiques comme la Chine ou l’Inde. Des estimations astronomiques qui traduisent une lame de fond planétaire quant à la participation ovale des femmes. World Rugby en a même fait la priorité de son développement mondial avec un plan qui s’étend jusque 2025.

    C’est aussi le cas outre-Manche, où la fédération anglaise, qui comptait, peu ou prou, autant de licenciées que la FFR en 2017, s’est donné les moyens de lancer un très ambitieux plan d’action de croissance du rugby féminin, avec un objectif d’attirer 100 000 joueuses supplémentaires d’ici 2021 !

    Tout ne se limite pas non plus aux seules pratiquantes. Pour revenir dans l’Hexagone, les matches de l’équipe de France féminine à XV remplissent les stades et les Bleues attirent de plus en plus de monde devant la télé, comme le prouvent les cotes d’écoute enregistrées lors de la Coupe du Monde disputée à l’été 2017 (trois millions de téléspectateurs en prime time sur France 2). Les supportrices se révèlent également de plus en plus en nombreuses dans les tribunes. Absolument tous les indices de féminisation du rugby sont à la hausse, mais comme le disait Coluche : « Les statistiques, c’est comme le bikini, ça donne des idées, mais ça cache l’essentiel. »

    Car l’essentiel se situe peut-être et même sûrement ailleurs. Cette vague féminine qui déferle sur le rugby ne fait qu’accompagner un mouvement beaucoup plus général qui irrigue tous les secteurs de notre société. Aujourd’hui, les femmes se rebellent et s’affirment. Elles refusent de subir le joug d’une société dominée, sans partage, depuis la nuit des temps, par les hommes. Elles dénoncent le harcèlement comme les agressions sexuelles dont elles sont les victimes. Elles revendiquent surtout l’égalité de droits et de traitements qu’on ne leur a jamais accordée. Comment leur donner tort ?

    Une parité que le monde du rugby commence à appliquer, certes pas encore en France, mais au sein de la gouvernance de la Fédération canadienne par exemple. En Australie aussi, où le niveau de rémunération des septistes professionnelles a été aligné sur celui de leurs homologues masculins.

    Les femmes s’émancipent, prennent leur destin en main, brisent les tabous et assouvissent leurs envies. Elles n’hésitent même plus à déclamer leur flamme pour ce rugby qu’on a même tenté de leur interdire ! Avec une fougue et un amour que peu d’hommes pourraient revendiquer même. Eloquent.

    La première partie de ce livre, au travers de sept témoignages, permet ainsi de mesurer l’évolution, parfois laborieuse mais réelle, de la condition féminine en matière de rugby. Au travers d’un panel de quarante profils, aussi bien représentatifs que révélateurs, vous ressentirez alors l’intensité de cette passion ovale féminine qui les prend souvent aux tripes et découvrirez les multiples déclinaisons possibles de cet amour incandescent, selon qu’elles soient joueuses – d’élite pour certaines, de la base pour d’autres – mais aussi présidentes, dirigeantes, bénévoles, entraîneurs, supportrices, sans oublier le regard posé par des artistes ou intellectuelles sur ce sport qui a su retenir leur attention.

    Un livre qui se veut également une oasis d’espoir pour un rugby français malade.

    Malade de résultats en berne de la part des équipes de France séniors masculines.

    Malade, aussi, d’un championnat élite, le Top 14, qui génère parfois davantage de commotions cérébrales que d’essais.

    Malade, encore, d’un milieu professionnel en passe d’emprunter certaines pratiques nauséabondes que l’on croyait réservées au football, dans le sillage d’une poignée de présidents sans foi ni loi.

    Malade, toujours, de sempiternelles turpitudes fédérales qui conjuguent, hier comme aujourd’hui, démagogie, clientélisme et népotisme, sous le couvert d’une pseudo démocratie. Car à la FFR, plus que jamais, il faut que tout change pour que rien ne change…

    Un rugby français malade, enfin, de ses prétendues valeurs qui partent à vau-l’eau, ignorées par les uns, quand elles ne sont pas piétinées, à pieds joints, au quotidien, par les autres. Heureusement que dans ce ciel couvert d’Ovalie, darde sans faiblir un rayon de soleil au féminin… tout du moins pour le moment.

    Si le rugby français doit, un jour, sortir de sa torpeur, je suis intimement persuadé que cela passera par une recrudescence de la présence féminine à tous les niveaux de ce sport. Au même titre que la société, le rugby a plus que jamais besoin de cette mixité pour se régénérer, retrouver ses esprits et repartir sur des bases saines et solides. Cela ne signifie pas que les femmes ont toujours raison ou que les hommes doivent désormais courber l’échine. Je prétends, en revanche, que du mélange et de l’échange découlera l’enrichissement, spirituel et sportif, dont ce sport a urgemment besoin. Le rugby ne peut définitivement plus être la chasse gardée des hommes.

    D’autant plus que ce sport a, désormais, tout pour accueillir et séduire les femmes, toutes les femmes. Du rugby traditionnel, à XV ou à 7, mais aussi une pratique « light » et dépourvue de contact, le rugby à 5, formidable accélérateur de cette féminisation ovale en cours (un tiers de ses pratiquants sont des femmes alors qu’elles ne sont encore que 8 % des effectifs globaux de la FFR). Encore faudrait-il pour cela que la Fédération, les Ligues et les clubs songent à accompagner le mouvement, autant dire que ce n’est pas gagné… Encore faudrait-il aussi que ces instances daignent accorder aux femmes d’Ovalie la place qu’elles méritent, d’autant qu’elles sont les seules à porter, à bout de bras, une image positive du rugby français. Autant en profiter.

    Certains partenaires semblent l’avoir compris, la Société Générale a même fait de Shannon Izar une « ambassadrice », tête de gondole de la communication ovale de la banque. Un exemple à suivre.

    Après avoir réussi à surmonter tous les obstacles qui se sont dressés devant elles durant un demi-siècle, j’affirme, avec force et conviction, ma vérité, dans laquelle je crois dur comme fer : la Femme est l’avenir du rugby. Et l’on ne peut que s’en réjouir. D’autant plus que le rugby, et vous le découvrirez au fil de tous ces témoignages, ce sont sûrement les femmes qui en parlent le mieux.

    CHAPITRE 1 :

    Toute une histoire

    Andrée Forestier

    LA PREMIÈRE FOIS

    Haut comme trois pommes, les mains sur les hanches, le pitchoun se plante devant son nouvel entraîneur. Il ne rêve pas, il s’agit bien d’une femme. Le gamin toise son éducatrice, la dévisage méticuleusement d’un regard perplexe, avant de dégainer, avec l’ingénuité de ses sept printemps : « Mais tu sais jouer au rugby, toi ? »

    Andrée Forestier s’en gondole encore de rire. Pionnière de la pratique ovale féminine en France, elle comptait déjà quelques années de rugby au compteur lorsque le bout de chou du FC Auch daignait s’interroger, à haute voix, sur sa compétence technique. Car enseigner le rugby à des garçons, petits ou grands, a longtemps tenu de l’incongruité, pour ne pas dire de l’hérésie, dès lors qu’on était une femme. « Ce jour-là, je me suis dit qu’il me faudrait être forte pour me faire accepter » admet-elle. Heureusement, il ne s’agissait pas de son premier défi, pas même du plus corsé…

    Depuis le premier jour où elle a mis un pied sur un terrain de rugby, c’est-à-dire en 1965, Andrée Forestier a, en effet, dû surmonter sarcasmes et médisances. Afin de mieux comprendre le combat des femmes pour jouer au rugby en paix, retour à la genèse. À 1887 même, selon les Britanniques, qui identifient Emily Valentine, une Irlandaise de dix ans, comme la toute première fille à avoir joué au rugby. Elle remplace au pied levé un garçon, lors d’un match disputé au sein de son école d’Enniskillen, en Ulster. Imitée bientôt par une poignée de Françaises à compter de 1890, exemples cependant isolés et sans lendemain.

    Pour dater le véritable point de départ de la pratique féminine ovale dans l’Hexagone, il convient en fait de se projeter à l’épopée d’Andrée Forestier et de ses camarades. Nous sommes en 1960 lorsque l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture lance officiellement une Campagne mondiale contre la faim dans le monde. Partout sur la planète, des personnes physiques et des organisations caritatives se mettent en quête de recueillir des fonds. Dans la perspective d’un combat de longue haleine, la mobilisation se pérennise et les âmes charitables rivalisent d’ingéniosité dans le but d’alerter le grand public ou les politiques.

    En 1965, un quarteron d’étudiantes avant-gardistes, en provenance de Lyon comme de Toulouse, projettent de s’impliquer dans cette campagne humanitaire en organisant, pour la première fois de l’histoire, un match de rugby féminin. Idée surprenante pour les uns, saugrenue pour les autres, tant elle défie les codes de la société. Un événement suffisamment baroque pour attirer l’attention et séduire un large public de curieux. Certes moins nombreux que pour le mariage de Johnny Hallyday et Sylvie Vartan, lequel vient d’être célébré dans la France du Général de Gaulle, mais quand même.

    * * *

    Des filles sur un terrain de rugby, il fallait y penser. Et surtout oser. Songez qu’il faudra, par exemple, attendre l’été de cette même année 1965 pour que le Parlement français vote une loi autorisant une femme à exercer une activité professionnelle… sans le consentement de son mari. Autant dire que réunir une trentaine de filles sur un terrain de rugby, afin de se substituer aux hommes, tenait, au bas mot, de la gageure. L’idée s’insinue néanmoins dans les esprits, féminins bien entendu, et fait des émules du côté de Bourg-en-Bresse. Faute de candidates en nombre suffisant, on prospecte bien au-delà des familles de rugbymen afin de dénicher des volontaires suffisamment sportives et hardies d’esprit, à l’heure de braver tous les interdits. Et naturellement, on frappe à la porte d’une certaine Andrée Forestier.

    La jeune femme aux cheveux de jais, fille d’hôteliers à Bourg, répond au profil recherché. Elle est grande, athlétique et même ceinture noire de judo, avec une personnalité affirmée, ce qui ne gâte rien. Andrée Forestier ne connaît strictement rien au rugby, mais dit banco, par curiosité. « J’étais toujours partante pour me défouler » explique-t-elle.

    Le jour du match, se retrouvent donc opposées les Stendahl Girls, évidemment en rouge et noir, et les Bressanes d’Andrée Forestier, baptisées Violettes, comme la couleur de leurs tuniques empruntées aux gars du club local. L’événement fait recette, comme on l’espérait, rassemblant plus d’un millier de personnes, ravies du « spectacle ».

    Nul ne songe, en revanche, à se préoccuper des filles qui ont eu le culot de se prêter au jeu. À tort. Car ces dernières se sont éclatées, plus encore qu’à leur première boum. À commencer par Andrée Forestier, qui se souvient : « C’était vraiment chouette. Je n’y connaissais rien, mais on me guidait sur le terrain et je courais quand on me le demandait. Jouer avec un ballon, partager cela avec d’autres filles, c’était tout nouveau pour moi. Ça me changeait des tatamis. »

    « J’ai attrapé le virus du rugby en un match » conclut-elle. Elle ne fut pas la seule… Car une fois ce match de gala terminé, les plus mordues n’ont qu’une idée en tête : remettre ça dès que possible.

    * * *

    Poursuivre l’aventure ovale entre filles, en voilà une drôle d’idée ! Une fois, passe encore, mais pourquoi diable s’entêter ? Les plaisanteries les plus courtes ont déjà la réputation d’être les meilleures et mai 68 ne pointe pas encore à l’horizon. Pas de quoi couper court, néanmoins, aux velléités zélées de nos pionnières. « Pas la peine de te dire quoi que ce soit pour te décourager puisque tu fais toujours ce qui te plaît » serine d’ailleurs madame Forestier à sa fille.

    Les Violettes Bressanes voient donc le jour en 1966, sous la présidence de l’unique dirigeant masculin qui les encourage, Henri Fléchon. Rien que des passionnées, parmi lesquelles Andrée Forestier, laquelle concilie judo et rugby. Deux autres équipes se montent rapidement dans la région (à Tournus et à Villeurbanne), afin de jouer, à nouveau, au rugby, une fois les beaux jours venus, malgré l’invariable interrogation des censeurs de tout poil : « Mais à quoi ça sert ? »

    Mais au fait oui, pourquoi ces demoiselles persistaient-elles ? « Nous avions envie de prouver que nous étions capables de jouer au rugby, même si l’on nous rabâchait qu’il ne s’agissait pas d’un sport féminin. Les critiques passaient au-dessus de nos têtes, elles glissaient même sur moi comme de l’eau de pluie sur un canard » rapporte Andrée Forestier.

    Il fallait pourtant avoir l’âme chevillée au corps pour poursuivre l’aventure, tant les conditions d’entraînement ou de match, se révélaient précaires. À Bourg, les Violettes squattaient une sorte de terrain vague, et même très vague, au lieu-dit de La Chagne. « Un pré à vaches », comme le qualifie André Forestier, situé non loin d’une porcherie. Les filles inhalaient donc, au gré d’un vent aussi capricieux que le rebond d’un ballon ovale, les odeurs pestilentielles dégagées par les cochons. Quand l’air devenait irrespirable, elles s’empressaient de rebrousser chemin et de courir en sens inverse. Des cabanes faisaient office de vestiaires. Sans douche, évidemment, les filles se contentant donc de lavabo ou d’un ruisseau, quand il y en avait un à proximité de l’aire de jeu.

    « Les conditions étaient rudes, mais on ne se plaignait pas. C’était un peu marche ou crève. Les filles étaient volontaires, dures au mal. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, on venait aux entraînements et on avançait » se remémore Andrée Forestier.

    Pour une demi-finale de championnat de France, les participantes découvrent un terrain injouable, avec une herbe arrivant à demi-mollet. Inacceptable, « mais on avait cette envie de jouer et de gagner », le match a donc eu lieu, « on a juste dû lever les pieds pendant quatre-vingts minutes » s’en amuse Andrée Forestier.

    * * *

    Les filles s’étaient amourachées de rugby, alors la pratique s’est propagée, notamment dans le sud-ouest, bastion de l’Ovalie. Logiquement, elles postulent pour intégrer officiellement les rangs de la FFR dès 1969. Refus poli de la Fédération, bloquée, de toute façon, par l’International Board. Le règlement de la fédération internationale, composée d’une assemblée de barbons britanniques rétrogrades, stipule expressément que le rugby ne peut être pratiqué que par les hommes.

    Les filles créent donc leur propre fédération ovale, l’ARF (Association de Rugby Féminin), en mars 1970 et lancent le premier championnat de France en 1972. Une provocation ? Allez savoir… Car cette même année, l’État français s’en mêle, via une missive datée d’octobre 1972, émanant du Colonel Marceau Crespin. Le Directeur National de l’Éducation Physique et des Sports intime alors l’ordre à tous les Directeurs de la Jeunesse et des Sports et à tous les préfets de l’Hexagone de « ne pas aider les équipes de rugby féminin » car ce « sport de contact est contre-indiqué pour les jeunes filles et les femmes pour des raisons physiologiques évidentes » ou plus généralement, parce que « cette pratique présente des dangers sur le plan physique comme sur le plan moral. »

    Et pourquoi ne pas exorciser les démons habitant ces demoiselles impies tant qu’on y est ? Vade retro Satanas. « Cette lettre nous avait révoltées, mais nous n’en avons pas tenu compte. Nous avons continué à jouer coûte que coûte. Nous étions déterminées, des femmes de tempérament comme de caractère, qui défendions la même cause. Et si les filles peuvent se montrer dures entre elles, tous les obstacles qui se dressaient contribuaient, au contraire, à nous rapprocher et nous stimulaient. On se battait pour avoir le droit d’exister » plaide Andrée Forestier.

    Les femmes gagneront ce combat. La pratique rugby surmontera cet oukase de l’État car « nous avons payé de notre poche et de notre personne pour jouer au rugby » ajoute la Burgienne. Payer de sa poche, c’est le cas de le dire, car elles ne gagnaient pas le moindre kopeck.

    À l’instar de la troisième ligne de Bourg, qui s’inspirait de son alter ego de l’équipe de France, Walter Spanghero, pour exploser ses rivales. Jouer au rugby tenait du sacerdoce. Et Andrée Forestier d’expliquer : « Je me levais tous les matins à six heures pour mon footing. Je prenais ensuite mon service à l’hôtel où je m’occupais, notamment, des réservations. Je ne finissais jamais avant minuit, voire une heure de matin. Mes nuits étaient courtes et c’était comme ça sept jours sur sept. Je n’avais jamais de récupération. Je me donnais juste le temps d’aller aux entraînements, de judo ou de rugby, avant de revenir le plus vite possible à l’hôtel. Et si je revenais avec un coquard après un match, je mettais des lunettes fumées. »

    Le temps d’ajuster sa petite robe noire, de tirer ses cheveux en arrière et c’était reparti pour Andrée Forestier qui n’a jamais songé à dire stop : « Non, c’était ma passion. J’avais l’impression de servir à quelque chose. »

    Leader sur le terrain, mais également dans la vie, celle qui fut également présidente des Violettes Bressanes, prenait son rôle à cœur. « J’avais pris l’équipe en main, je devais être un exemple et ne jamais baisser les bras malgré les difficultés. J’étais la capitaine, j’allais au bout de mes engagements, je motivais les unes comme les autres. Je devais fédérer, mais aussi encourager. J’étais un peu l’âme de l’équipe, mais c’était naturel pour moi. Prendre les filles telles qu’elles étaient et créer l’amalgame n’était pas toujours évident, mais je prenais le temps qu’il fallait pour parler et booster les énergies. »

    * * *

    Lorsque ses parents vendent leur hôtel en 1982, Andrée Forestier quitte la Bresse pour l’Armagnac et Auch, mais elle n’abandonne pas le rugby pour autant. Quitte à faire des kilomètres, puisqu’elle jouera avec La Teste, près de Bordeaux. La troisième ligne internationale continuera de jouer jusqu’en 1989, année où les féminines sont enfin intégrées à la FFR. Les pionnières de la pratique attendaient cela depuis plus de vingt ans. « Une reconnaissance. Une satisfaction intense car le combat mené n’avait pas été vain. L’objectif que je m’étais fixé en me battant contre vents et marées pour avoir le droit d’exister se trouvait enfin atteint. Tous les efforts consentis avaient fini par aboutir. »

    Sa carrière de joueuse interrompue dans la quarantaine, Andrée Forestier restera encore et toujours dans le rugby, à Auch, en tant qu’éducatrice. « Je souhaitais communiquer ma passion et inculquer mes valeurs aux jeunes, garçons ou filles, de l’école de rugby » explique Andrée Forestier. Persuadée, même aujourd’hui, qu’être une femme fut un atout dans sa reconversion. « Car nous possédons cet instinct maternel. Naturellement, les femmes accrochent bien avec les petits et c’est un réconfort pour les parents de savoir que leurs enfants sont entre de bonnes mains, des mains féminines » assure-t-elle.

    Même s’il a fallu manger de la « vache enragée », jamais Andrée Forestier n’a regretté la décision qu’elle a prise d’aller jouer au rugby, à Bourg, un jour de 1965. Non, rien de rien, elle ne regrette rien. « Et si c’était à refaire, je recommencerais. J’ai vécu de tellement belles années grâce au rugby. »

    Marie-Céline Bernard

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