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Nuit noire sur Dinard: Les enquêtes du commissaire Marie-Jo Beaussange - Tome 5
Nuit noire sur Dinard: Les enquêtes du commissaire Marie-Jo Beaussange - Tome 5
Nuit noire sur Dinard: Les enquêtes du commissaire Marie-Jo Beaussange - Tome 5
Livre électronique284 pages3 heures

Nuit noire sur Dinard: Les enquêtes du commissaire Marie-Jo Beaussange - Tome 5

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À propos de ce livre électronique

La mode peut parfois être cruelle…

À l'occasion du Festival des Jeunes Créateurs de Mode, Dinard justifie plus que jamais sa vocation "cosmopolite". Des artistes du monde entier y présentent leurs collections. Pendant trois jours, la ville accueille cet événement international. Professionnels de la haute couture et grand public se rassemblent dans une atmosphère conviviale et festive. Cette année, la fête est hélas gâtée par une tragédie, la découverte d'un corps mutilé. Une mort violente qui tranche avec la douceur de vivre dinardaise. Dépêchée sur place, la commissaire Marie-Jo Beaussange prend l'enquête à son compte. L'ancienne professeure des collèges devenue flic n'est pas au bout de ses surprises...

Accompagnez Marie-Jo Beaussange dans le 5e volet de ses enquêtes, avec une intrigue aux multiples rebondissements, au coeur du monde de la mode !

EXTRAIT

Néanmoins, sitôt les autorisations municipales acquises, Mirjana s’attelle à sa tâche. À l’image d’un candidat aux élections, elle entreprend une campagne d’information, explique, argumente, arpente les tours de haut en bas, monte et descend des centaines d’étages, sonne aux portes, convainc, recrute des bénévoles. Son énergie, sa stature et son glorieux passé impressionnent. On l’écoute, on l’admire et bientôt, un groupe de bénévoles se constitue autour d’elle sans que ce succès n’altère sa soif de revanche. Mirjana n’oublie ni son passé, ni la griserie d’atteindre les sommets. La lionne qui sommeille dans sa grande carcasse est prête à se réveiller à la première occasion. Peu à peu, pas à pas, la championne rassemble une vingtaine de sauvageonnes motivées par l’aventure et la petite équipe se met au travail sans attendre. Entraînement physique, dynamique de groupe, apprentissage des techniques individuelles, stratégies collectives, la Croate forge à ses filles un moral de gagnantes, les conditionne à une longue ascension vers les sommets. En les mettant en garde toutefois ; là-haut, l’oxygène manque parfois. Mirjana est bien placée pour le savoir.
Aujourd’hui, le “Cleunay To Wers Team” évolue en Nationale 2 avec un effectif 100 % local. Ni paillettes, ni starlettes, uniquement des joueuses formées au club. Mirjana et ses protégées bossent d’arrache-pied, persuadées que Cleunay peut briguer une appellation “grand cru”. L’entraîneuse dope ses filles à coups de valeurs simples : esprit d’équipe, solidarité, condition physique, rigueur, automatismes. Sans oublier l’essentiel, le basket reste un jeu, même à haut niveau.

CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L’AUTEUR

Après deux années riches en tribulations à travers le monde, Patrick Bent (Patrice Bey) retrouve sa chère Bretagne. Pour son cinquième roman, il plante son chapiteau à Dinard. Ses personnages son intrigue évoluent sous les cieux éblouis de l'estuaire de la Rance. Une fois encore, sa passion et sa verve illuminent un récit très contemporain.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
LangueFrançais
Date de sortie26 juil. 2017
ISBN9782355503917
Nuit noire sur Dinard: Les enquêtes du commissaire Marie-Jo Beaussange - Tome 5

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    Aperçu du livre

    Nuit noire sur Dinard - Patrick Bent

    AVANT

    Jeudi 26 avril 2007, Rennes.

    — Passe intérieure, Sandrine ! Feinte, oui, shoote ! Bien joué.

    Sur le bord de la touche, Mirjana aboie ses consignes du haut de son mètre quatre-vingt-douze. Dans le gymnase, sa voix métallique se mêle au staccato des cavalcades de ses filles, ses gazelles qui s’entraînent devant elle. Vêtue d’un survêtement gris cendre assorti à ses cheveux, la coach vit chaque phase de jeu comme naguère. Vingt ans déjà. Séoul, 1988, la finale de Jeux Olympiques. Âgée alors de 19 ans, Mirjana – qualifiée d’Immense par les gazettes sportives – s’est livrée corps et âme à son équipe nationale mais, en dépit de son énorme présence au rebond, les Yougoslaves se sont inclinées face aux rivales américaines. C’est l’époque où, à Berlin, un mur de honte découpe la ville. L’Est et l’Ouest ont perdu le nord, ils s’affrontent aussi bien dans les couloirs de l’ONU que sur les stades. Chaque victoire revêt un parfum politique. Qu’il s’agisse de conquérir l’espace ou de compétition sportive, tous les coups bas sont permis pour affirmer sa suprématie. On appelle ça la guerre froide.

    Aujourd’hui, Mirjana veut oublier ce passé aux relents d’anabolisants et d’uniformes stricts tellement sa vie, un temps promise au succès, se résume à une fugue en cauchemar majeur. Guerre civile, famille décimée, débandade à travers les Balkans anémiés, snipers à tous les étages, ambiance western où les balles perdues sifflaient plus souvent que le merle moqueur. Le temps des pruneaux.

    De zigzags en embrouilles, Mirjana a traversé ce champ de mines avec sa médaille d’argent autour du cou. Mince monnaie d’échange pour refonder son existence, celle d’une expatriée sans papier ni argent avec pour seul viatique la rage d’exister.

    Après des années d’errance et de galère, la championne se fixe à Rennes. Dès son arrivée, elle imagine de reprendre une carrière sportive. Avec son pedigree, n’importe quelle équipe lui tendra les bras sans poser de questions, elle pourra vivre dans sa tour d’ivoire, et – qui sait ? – connaître de nouvelles heures de gloire. Cependant, les stigmates de la guerre la conduisent à envisager son avenir différemment. Son besoin de se reconstruire au quotidien l’emporte, elle ressent la nécessité de bâtir, de rassembler, de façonner son propre univers pour exister à nouveau. « Je prends, je transforme et je donne », lui enseignait-on à l’école de basket de Split. Ces phrases restent gravées en elle ; alors, plutôt que d’entreprendre son come-back sur le devant de la scène, Mirjana concocte un projet plus terrien. Ses ingrédients ? De la pâte humaine, de l’abnégation, du travail, du collectif et de l’ambition pour créer une animation sportive dans le « quartier » où se bouscule une jeunesse désœuvrée.

    Sa conviction en bandoulière, Mirjana milite auprès des édiles de Cleunay-Arsenal-Redon pour créer un club de basket au sein de la cité, offrir ainsi une alternative à des mômes souvent embringués dans une impasse. Leur communiquer sa soif de vivre et l’envie de bosser – rien que ça. La Croate n’ignore pas que l’accouchement sera douloureux, que son projet demande de la besogne, du labeur et de l’astuce. À côté de ce qui se dresse devant elle, les travaux d’Hercule sont une rigolade.

    Néanmoins, sitôt les autorisations municipales acquises, Mirjana s’attelle à sa tâche. À l’image d’un candidat aux élections, elle entreprend une campagne d’information, explique, argumente, arpente les tours de haut en bas, monte et descend des centaines d’étages, sonne aux portes, convainc, recrute des bénévoles. Son énergie, sa stature et son glorieux passé impressionnent. On l’écoute, on l’admire et bientôt, un groupe de bénévoles se constitue autour d’elle sans que ce succès n’altère sa soif de revanche. Mirjana n’oublie ni son passé, ni la griserie d’atteindre les sommets. La lionne qui sommeille dans sa grande carcasse est prête à se réveiller à la première occasion. Peu à peu, pas à pas, la championne rassemble une vingtaine de sauvageonnes motivées par l’aventure et la petite équipe se met au travail sans attendre. Entraînement physique, dynamique de groupe, apprentissage des techniques individuelles, stratégies collectives, la Croate forge à ses filles un moral de gagnantes, les conditionne à une longue ascension vers les sommets. En les mettant en garde toutefois ; là-haut, l’oxygène manque parfois. Mirjana est bien placée pour le savoir.

    Aujourd’hui, le Cleunay To Wers Team évolue en Nationale 2 avec un effectif 100 % local. Ni paillettes, ni starlettes, uniquement des joueuses formées au club. Mirjana et ses protégées bossent d’arrachepied, persuadées que Cleunay peut briguer une appellation grand cru L’entraîneuse dope ses filles à coups de valeurs simples : esprit d’équipe, solidarité, condition physique, rigueur, automatismes. Sans oublier l’essentiel, le basket reste un jeu, même à haut niveau.

    Réminiscence de son éducation communiste, Mirjana milite pour la proximité et l’immersion totale. « Il faut cultiver son jarrrdin », répète-t-elle inlassablement. Ainsi habite-t-elle la cité où, à l’exception de quelques grincheux, la population respecte son action. En l’espace de quelques années, le CTT (Cleunay Towers Team) est devenu la fierté du quartier, son emblème. Tout gravite autour du club, les terrains et les vocations fleurissent ; l’engouement des habitants se manifeste à chaque match.

    Dès l’école primaire, les enfants reçoivent une éducation basket. Charge aux instituteurs de repérer les jeunes filles les plus talentueuses. La championne les prend alors en main, leur concocte des programmes de formation personnalisés puis les intègre à l’une des équipes du club, benjamine, minime, cadette, junior ou senior. Selon la volonté de sa dirigeante, le club ne regroupe que des jeunes filles.

    Convaincus par le succès naissant du CTT, les premiers sponsors ont mis la main à la poche, nappant de beurre les épinards d’une association qui, jusque-là, n’a fonctionné qu’au bénévolat. Mirjana, unique salariée et âme du complot, se paye au lance-pierres pour soixante-dix heures de boulot par semaine. Même pas au SMIG. L’épanouissement de ses gazelles lui suffit. La championne admire ses joueuses dans leur plénitude, leurs corps déliés, encore naturels. Attendrie, Mirjana se remémore ses quinze ans lorsque les hommes reluquaient en elle la jolie fille, non l’animal de foire qu’elle est devenue à force de musculation. Aujourd’hui, son corps gigantesque attise davantage la curiosité que le désir. Ces quarante centimètres la séparant de ses congénères lui paraissent des années-lumière. De là-haut, la géante perçoit sa propre gêne dans le regard des autres. Sa vie affective s’en est toujours ressentie. Après bien des chaos et des déceptions, Mirjana a finalement rencontré l’âme sœur voilà trois ans, presque par hasard. Petit à petit, sa colocataire, Solenn, 26 ans, est devenue incontournable. Sensible, équilibrée, la douce postière compense le chaos entourant la vie de Mirjana. Le couple ronronne à merveille, chacune des deux femmes y trouve son compte même si la liberté qu’elles affichent ne fait pas l’unanimité.

    Notamment dans la cité où, depuis deux ans, les barbus et les voiles fleurissent à vue d’œil. À croire que la beauté glabre d’un visage frise l’anathème ou qu’il faille à tout prix se voiler la face. Masques obligatoires au quotidien – poils pour les hommes, voiles pour les filles – le peuple des tours subit la férule d’un imam réactionnaire. Dans ce contexte, l’homosexualité affichée de Mirjana ne rallie guère les suffrages. Pour autant, confiante en son cheminement, la Croate ne s’arrête pas à ces regards en biais. Sa vie amoureuse ne les concerne en rien. Elle a toujours su séparer les variables, sa vie avec Solenn d’une part, l’éclosion de ses joueuses de l’autre.

    Mirjana consulte son chrono puis lance un coup de sifflet.

    — C’est bon pourrr aujourrrd’hui, les gazelles. Petit strrretching et à la douche ! On se voit dimanche matin. Rrrendez-vous devant le centrrre commerrrcial à 7 heures pétantes, le bus ne vous attendrrra pas !

    Mirjana pratique un Français impeccable mais roucoule volontiers les R. « Sa marrrque de fabrrrique », prétend-elle.

    * * *

    Les cheveux encore humides, Rim et Fatoumata quittent le gymnase de la rue Paput. Comme tous les jeudis, elles mettent à profit leur escapade en ville pour traîner entre filles avant de rentrer. Bus Ligne 2, puis Apibus direction Cleunay. Là-bas, en dehors d’une Maison des jeunes vétuste qu’elles ne fréquentent plus, les principales distractions se partagent entre la cité judiciaire, le commissariat de police, la DDAS et l’ANPE. Pour autant, les deux jeunes filles éprouvent un attachement viscéral à leur quartier. Copines de toujours, elles y ont partagé l’école primaire, leurs secrets d’enfance, leurs émois d’adolescente, l’excitation de leurs premiers flirts, et aujourd’hui leur investissement dans l’équipe de basket.

    Premier de sa poule cette année, le CTT vise l’accession en Nationale 1 sous l’impulsion du tandem de charme. À 20 ans, Fatou la Black et Rim la Beurette cassent la baraque, souriantes, toutes en jambes, gourmandes d’avenir et d’espace. Fatou, plus athlétique, allie beauté et puissance, Rim plus aérienne évoque davantage une longue liane. L’une et l’autre nourrissent l’ambition toute simple de devenir autonome. Avec ou sans le basket, elles rêvent de s’extraire de la cité, sachant qu’elles ne peuvent compter que sur leurs propres forces. Depuis belle lurette, les deux filles ne croient plus ni au père Noël ni au prince charmant. Elles travaillent dur.

    Rim termine brillamment sa deuxième année d’IUT, option commerce international. Depuis son enfance, elle songe à lancer sa propre enseigne de prêt-à-porter La Gazelle. Un double hommage à ses parents qui l’ont baptisée Rim¹, et à Mirjana, son coach, qui la surnomme ainsi. Fatoumata, quant à elle, prépare un professorat de sport sans perdre de vue une possible carrière professionnelle. Son entraîneuse la conforte dans cette voie, elle lui fait miroiter l’autre rive de l’Atlantique. Selon elle, Fatou possède les atouts pour se colleter aux stars américaines, les voleuses de médaille d’or d’il y a vingt ans. Une juste revanche pour la Croate qui bichonne son joyau black, le fer de lance du CTT. La jeune fille, elle, garde les pieds sur terre et n’envisage pas de quitter le club avant que l’équipe n’atteigne la Nationale 1. Fidèle au poste et à ses engagements !

    Ce soir, le survêtement blanc de la jeune Africaine illumine la pénombre naissante de la rue Paput. Rim, plus coquette, a passé un jean et porte un corsage sans manches sous son blouson. Discrètement maquillée, elle déambule aux côtés de sa copine, fière et droite, dans la beauté de ses vingt ans, son inséparable sac panda accroché dans le dos. Le porte-bonheur de Rim, un fourre-tout qu’elle trimballe partout. Son doudou, s’amuse-t-elle parfois.

    Les deux copines culminent à 1,79 mètre pour Rim et 1,80 mètre pour Fatou. Ce misérable centimètre constitue un inépuisable sujet de controverse. Une escalade permanente. Si d’aventure Rim arbore un jour une coiffure aérienne, sa copine répond le lendemain par des semelles compensées. À ce jeu, les deux géantes taquinent le mètre quatre-vingt-dix. Rien de surprenant alors que les passants se retournent sur elles dans la rue. Femmes girafes, incommensurables félines, plantes carnivores, la beauté de l’une participe à l’énergie de l’autre. Et vice versa.

    — Ma puce, propose Fatou, je te paye un pot. Ça te dit ?

    — Samedi… mais vite fait alors. J’ai du taf. Et comme d’hab, je dois rentrer à l’heure. En plus, je n’ai pas de thune.

    — T’inquiète, je t’invite.

    — Alors on y va, fissa.

    — Zen, Rim ! Y’a pas le feu.

    — Y’a pas l’feu mais y’a Tarik.

    — Quel gros lourd celui-là ! T’es majeure et vaccinée, non ? Il va te lâcher un jour ?

    — C’est mon grand frère. Et depuis qu’il milite avec ses barbus, il en fait des paquets.

    — Vivement que je bosse. La vérité ! J’touche ma première paye et j’me tire. Salut les filles !

    — Pourtant, chez toi, ils ont l’air moins grave…

    — Marre quand même ! La famille, la patrie, les tontons de Kaolak… Ras la casquette.

    — De loin, pourtant, ils déchirent bien. Ils ont l’air moins prenants que mon frère et ma mère…

    — On ne va pas faire un concours. Allez, viens. On s’installe au comptoir, ça ira plus vite. Tu veux quoi ?

    — Un jus d’orange.

    — Un jus d’orange et un Perrier citron, s’il vous plaît, Patron !

    — C’est quoi sur l’écran de télé ?

    — Un jeu de pognon. Le Rapido, tu ne connais pas ?

    — Non.

    — Faut sortir le dimanche !

    — Y paraît…

    — On s’en fait un ?

    — Ce n’est pas trop long ?

    — Non, mate, le tirage est dans deux minutes, le temps de cocher la grille et hop ! Donne-moi quatre numéros, je complète… Et voici, et voilà, dit-elle en tendant la fiche au caissier. Maintenant, on attend. Résultat des courses dans une minute trente-deux.

    — Il paraît qu’on parle de nous à la page des sports, dit Rim en étalant Ouest-France sur le comptoir.

    — C’était dans le journal d’hier. Une chouette photo.

    — T’étais au dunk ?

    — Non, c’était une photo du groupe. Toute la bande, avec Mirjana.

    — On était bien ?

    — Super. Surtout toi. La plus belle des gazelles. Parce que moi, en noir et blanc, on me voit mal.

    — Arrête ton cirque, Black panthère !

    — Écoute ça, s’étonne Rim en pointant du doigt un entrefilet à la page suivante : « La prestigieuse agence de mannequins TipTop organise un casting samedi prochain dans la périphérie de Rennes. Cette première a pour objectif de recruter des beautés différentes. Pour s’inscrire… »

    — Des beautés différentes ?

    — Peut-être des cageots ou des baleineaux ?

    — Ce n’est pas un attrape-couillon pour draguer des Beurettes et des Blacks ? Je le renifle moyen, leur coup. Ça craint…

    — Qu’est-ce qu’on risque ?

    — T’as raison, pas grand-chose. On est de taille à se défendre.

    — Tu l’as dit. Et pour toi, c’est du cousu main, Rim, j’ai toujours dit que tu avais l’étoffe d’un top-modèle.

    — Tu délires !

    — Non, c’est pas des conneries. Regarde-toi dans le miroir, dit Fatou en relevant les cheveux de son amie. De la graine de star.

    — Tu viendras avec moi ?

    — Tu sais, moi, mon trip c’est plutôt les Jeux Olympiques, mais si ça peut te faire plaisir, je t’accompagnerai. Shake ta life ! Et la mienne avec.

    — Inch Allah !

    — Mate l’écran, Rim. Le premier numéro va sortir. Le 6. Chouette, on l’a !

    — Super !

    — Et encore, le 18, et le 7 ! Extra.

    — Quelle baraka !

    — Ne parle pas trop vite. Tiens, pas de chatte, on loupe le 12 !

    — Et le 17 aussi. Scoumoune !

    — Le 4 est là.

    — Le 13 avec !

    — Banco, hurle Fatou en lui sautant au cou. On a sûrement gagné quelque chose.

    — Va voir, suggère Rim, l’œil rivé à la pendule au-dessus du bar. Mais dépêche-toi, je dois attraper le prochain bus.

    — C’est jour de chance, Rim. Je te le dis ! Allez, on file, lance-t-elle en fourrant une liasse de billets dans son sac de sport.

    * * *

    Mercredi 9 mai, rive ouest de la Rance, midi.

    Le convoi exceptionnel bardé de gyrophares quitte la nationale 176 en direction de Langrolais-sur-Rance. L’énorme semi-remorque doit s’y reprendre à deux fois pour franchir le rond-point de la Chiennais puis s’engager sur la D12. De là, il rejoindra le chemin de terre conduisant au chantier où il doit charger la grue géante. Satisfait d’atteindre le terme de son voyage, Bébert, le chauffeur, écoute la radio d’une oreille distraite. Dehors, la nature affiche déjà des parures estivales. Un mois d’avril chaud et sec présume de moissons précoces et Bébert, bucolique, se laisse bercer par la poésie des épis ondoyants sous la brise.

    — On dirait la mer, s’étonne-t-il à haute voix, une mer vert tendre…

    Son mastodonte articulé négocie le virage à droite. La bonne qualité du revêtement et l’absence de chargement lui permettent de rouler vivement mais sans jamais se relâcher, son expérience de vieux routier lui a appris à se méfier de l’eau qui dort. Bien lui en prend car, en sortie de courbe, à 100 mètres devant, un groupe d’individus barre la route.

    — Qu’est-ce que c’est ce merdier ? hurle-t-il, arc-bouté sur ses freins, les mains agrippées au volant.

    Le camion ralentit dans un tremblement de ferraille et, au prix d’un dernier hoquet, se stabilise à quelques mètres des manifestants. Bébert s’éponge le front d’un revers du poignet. Il était moins une qu’il ne transforme en rillettes ces imbéciles plantés au beau milieu de la chaussée. Recouvrant un taux d’adrénaline normal, il observe la scène avec plus d’attention. En hauteur sur fond de ciel bleu s’étale une banderole : « Bon vent aux oiseaux - Non aux éoliennes ! »

    Rassemblés sous cette profession de foi, un cheval maigrichon et une vingtaine d’individus des deux sexes occupent la largeur de la départementale. Certains sont assis ou allongés, d’autres debout. Du groupe se détache un homme, barbu, long, osseux, dégingandé, la cinquantaine hirsute sous un Stetson d’opérette. Il s’avance vers le bahut à pas mesurés, les bras le long du corps, le regard braqué sur les phares du camion à la manière du grand Clint. Parvenu à hauteur de la cabine, le barbu se hisse sur le marchepied et frappe au carreau. Le chauffeur a un geste de recul, il hésite à ouvrir sa portière. D’expérience, Bébert se méfie des illuminés parfois plus nocifs que des légionnaires en rut. Il en sait quelque chose depuis qu’il s’est fait agresser par un séminariste ramassé en auto-stop.

    Dehors, l’homme tente de communiquer à l’aide de signes sans se départir d’un franc sourire. Convaincu des bonnes intentions de son visiteur, le routier, bon bougre, entrouvre sa vitre.

    — Désolé, Monsieur, on ne passe pas, affirme le cow-boy.

    — Ah bon ? T’es qui, toi ? Le préfet de Région sans doute ?

    — Don Quichotte, président de l’association Les Moulins Avant pour vous servir.

    — Enchanté, moi c’est Bébert. Monsieur Quichotte, vous allez me dégager le passage, sinon, je fonce dans le tas. Allez, du vent !

    — Il n’en est pas question, Monsieur, la route des éoliennes est barrée.

    — De quel droit ?

    — Disons qu’il règne aujourd’hui un vent de colère.

    — Je travaille, moi. Je n’ai pas de temps à perdre avec vos conneries.

    — Restez poli, je ne vous ai pas insulté.

    — Moi non plus. Je dis simplement qu’il faut être frappadingue pour s’asseoir face à vingt tonnes d’acier qui déboulent à quarante-cinq à l’heure. C’est de l’inconscience. À quelques mètres près, je vous réduisais en bouillie.

    — La sauvegarde de la planète mérite que l’on assume quelques risques, affirme le barbu en se montant le cou.

    — C’est ton problème, mon pote. Le mien, c’est de récupérer une grue. Bon, on ne va pas passer la nuit là-dessus. Laisse-moi téléphoner.

    Satisfait de sa prestation, Quichotte rebrousse chemin et rejoint ses amis réunis autour d’un barbecue allumé à la hâte. Un homme a sorti son biniou et sonne en signe de victoire. Autour de lui, une ronde se met en place. Les corps s’agitent en cadence dans la fumée de merguez où jouent les rayons du soleil. Le cheval – ou bien est-ce une mule ? – semble s’ennuyer à mourir. Un peu plus loin, devant le semi-remorque endormi, les enfants ont tracé une marelle sur le bitume. Ils jouent. Insouciants.

    * * *

    Cinq minutes plus tard, nous quittons d’urgence le chantier. Le coup de fil du camionneur présage de nouveaux emmerdements. Je fonce. La Berlingo blanche de l’entreprise avale sans broncher les deux kilomètres de piste bosselée jusqu’à la départementale. À mes côtés, Gutxi, le conducteur des travaux, ne décolère pas.

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