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La chenille qui se transforma en papillon alors que sa vie battait de l'aile: Roman
La chenille qui se transforma en papillon alors que sa vie battait de l'aile: Roman
La chenille qui se transforma en papillon alors que sa vie battait de l'aile: Roman
Livre électronique373 pages4 heures

La chenille qui se transforma en papillon alors que sa vie battait de l'aile: Roman

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À propos de ce livre électronique

Alors qu'il a passé depuis peu le cap de la trentaine, JP n'arrête pas de se faire des films pourtant celui de sa vie est bien décevant. Ce film ne correspond pas du tout à la bande-annonce qu’il avait en tête quand il était âgé de vingt ans. Ce n’est pas un film d’action trépidant dont il serait le superhéros. C’est encore moins une belle comédie romantique dans laquelle il filerait le parfait amour avec Mandy. Non, le film de sa vie ressemble plus à un film de série Z. Avec zéro événement marquant. Zéro évolution notable. Zéro perspective alléchante. Et puis, un jour, JP va tomber sur un mystérieux carnet. Il ne le sait pas encore, mais cette découverte fortuite pourrait ouvrir un nouveau chapitre de sa vie. La chenille qui se traînait assez lamentablement va-t-elle se transformer en papillon ? Et celui-ci va-t-il enfin pouvoir prendre son envol alors que sa vie battait de l’aile jusqu’à présent ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Dans le but de lutter contre la morosité ambiante causée par la Covid-19, Eddy Fougier écrit cet ouvrage pour, à l’image de Charlie Chaplin, user de l’humour pour renforcer notre instinct de survie et sauvegarder notre santé spirituelle.
LangueFrançais
Date de sortie16 déc. 2021
ISBN9791037741851
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    Aperçu du livre

    La chenille qui se transforma en papillon alors que sa vie battait de l'aile - Eddy Fougier

    Chapitre 1

    La tragédie de Séville

    L’homme se tient accroupi, le regard vide. Il se retourne vers ses coéquipiers. Il paraît abasourdi par ce qui lui arrive. Comme si le monde venait brusquement de s’écrouler sur ses frêles épaules. Il ne comprend pas. Il n’a pas même la force de se lamenter, de pleurer, de crier sa détresse. Il ne s’est peut-être jamais senti aussi seul de toute son existence. Et pourtant, il est entouré de milliers de personnes. Des millions d’autres devant leur écran de télévision sont les témoins muets et impuissants de son désarroi en direct.

    Cet homme s’appelle Maxime Bossis. Il est l’arrière gauche de l’équipe de France de football. Nous sommes le 8 juillet 1982 par une chaude nuit d’été. La scène se déroule en Espagne dans le stade Ramon Sanchez Pizjuan de Séville. Ce soir-là, tout le pays soutient l’équipe de France opposée à l’Allemagne en demi-finale de la coupe du monde. Elle a enfin la possibilité d’accéder pour la première fois de son histoire à la finale de cette compétition. Et, au terme d’un match extraordinaire en rebondissements, soudain, ce fut le drame.

    Maxime Bossis est surnommé affectueusement « le grand Max ». C’est le meilleur joueur du monde à son poste et l’un des plus respectés et des plus exemplaires par son Fair play. Il ne fait pas partie des cinq joueurs qui doivent départager les deux équipes lors de la séance des tirs aux buts. Il ne s’attend pas vraiment à y participer. Mais la France et l’Allemagne sont toujours à égalité, chacune des équipes ayant marqué quatre tirs aux buts. Maxime Bossis est désigné pour être le sixième tireur français.

    Il part du rond central. Ses chaussettes rabaissées laissent apparaître ses protège-tibias. Il réajuste son short. Ce moment paraît durer une éternité. Il hésite jusqu’au bout pour savoir quel côté il va choisir. Va-t-il tirer en force ou pas ? À droite ou à gauche ? À ras de terre ou en lucarne ? Il arrive enfin dans la surface de réparation. Il pose le ballon au point de penalty. Il recule, s’élance et tire du plat du pied sur la gauche d’Harald Schumacher, qui plonge et arrête le ballon. Son tir n’est pas assez puissant. Le gardien allemand a le poing levé. Cela paraît être très mal engagé pour l’équipe de France. Il suffit désormais que le tireur allemand marque pour que la Mannschaft se qualifie pour la finale. L’attaquant Horst Hrubesch ne rate pas cette occasion. La France est éliminée. Michel Platini, le capitaine des bleus, est inconsolable. Il pleure comme un bébé.

    Et pourtant, cette équipe avait tout pour réussir. Elle était même très bien partie en dominant son adversaire pour mener trois buts à un à 20 minutes du coup de sifflet final. Il y avait pourtant eu un incident qui avait alors beaucoup marqué les esprits. L’arrière français Patrick Battiston est violemment agressé par Schumacher, le gardien allemand. Il sort sur une civière. Michel Platini l’accompagne en lui tenant la main. On craint même qu’il ne soit mort. Or, Schumacher n’est même pas sanctionné par l’arbitre. Et puis à un moment donné, tout s’est progressivement déréglé. Malgré sa blessure, le grand attaquant allemand Karl-Heinz Rummenigge entre sur le terrain durant la prolongation. Il ne lui faut que cinq minutes pour marquer. Puis, six minutes plus tard, Klaus Fischer égalise. Il reste un peu plus de dix minutes à jouer dans les prolongations. Plus rien ne sera marqué par les deux équipes. Le score en reste à trois buts partout. On arrive à la fin du temps réglementaire. C’est alors, comme le disent les journalistes sportifs, la « terrible séance des tirs aux buts ». Lorsque Maxime Bossis s’avance vers le point de penalty, il sait très bien que s’il ne marque pas, la France risque d’être éliminée. Il s’est avancé, a posé son ballon, a pris son élan. Et on connaît la suite… Il est encore accroupi dans la surface de réparation. Il ne comprend toujours pas ce qui a bien pu se passer durant ces quelques secondes où tout s’est brusquement effondré.

    Je ne sais pas pourquoi cette image de Bossis qui vient de rater le tir au but décisif m’obsède autant. Moi aussi, j’ai l’impression d’être accroupi au milieu de cette surface de réparation et d’avoir raté le but qui m’aurait qualifié pour la finale.

    J’avais vingt ans. J’étais au début de la compétition. Pas parmi les favoris pour prétendre à la victoire finale, mais au moins parmi les outsiders. J’avais toute la vie devant moi. J’avais tout à vivre, tout à expérimenter, tout à connaître. J’étais plein de fougue. Prêt à conquérir le monde et à bouffer la vie à pleines dents. L’avenir pour moi était rose. Il était même de toutes les couleurs. Le regard fier, le torse bombé, les chaussettes descendues sur les protège-tibias, moi aussi, je me suis avancé avec assurance et enthousiasme vers le point de penalty où j’ai déposé le ballon en me disant : plus tard, vers mes trente ans, je ne sais pas ce que je deviendrai. Mais, ce qui est certain, c’est que j’aurais déjà vécu moult expériences toutes plus enivrantes les unes que les autres. J’aurais sucé la moelle de l’existence jusqu’à satiété. J’aurais rencontré des gens extraordinaires. Visité des lieux fantastiques. Expérimenté tout ce qu’il y a de plus beau et de plus excitant dans la vie. Et puis… Et puis… Je dois avouer que la suite a été un peu plus floue. Ce que je sais, c’est que ces beaux rêves ne se sont jamais réalisés.

    Et pourtant, moi aussi, j’avais réussi à passer la phase qualificative et le premier tour de la compétition sans trop de difficultés et sans puiser outre mesure dans mes réserves. Mes adversaires avaient été plutôt à ma portée. Et même si je n’ai pas fini premier de mon groupe, j’étais tout de même parvenu à me qualifier pour la phase finale. Moi aussi, je suis arrivé en demi-finale. J’étais plein d’espoir. La finale était à portée de main. Et la victoire était même envisageable. Je jouais assez bien et puis, soudain, tout s’est détraqué. La finale m’a échappé et je ne m’en suis jamais vraiment remis.

    Aujourd’hui, j’ai passé le cap de la trentaine et j’ai l’impression d’être toujours au milieu du terrain encore sous le choc de ce tir raté. Depuis combien de temps suis-je accroupi dans cette surface de réparation ? Je ne sais plus trop. Cela doit faire tout de même un petit moment si j’en juge le très mauvais état de la pelouse et la vétusté du stade. Je me trouve toujours sur cette ligne alors que le coup de revolver signalant le départ de ma vie a été tiré il y a un petit moment déjà. Tous ceux que je connais sont loin maintenant. Je les vois à peine à l’horizon. Certains courent en costume cravate après leur emploi du temps, entre deux rendez-vous. D’autres courent après une poussette. Ou bien après un caddie plein dans le Carrefour du coin le samedi après-midi. Moi, je suis hors course ou bien je cours après le temps perdu. Ce n’est pas une blessure qui m’empêche d’avancer. Peut-être que je n’ai pas bien entendu le signal du départ de la course. Ou bien je ne sais pas après quoi courir. Je me demande même si je peux encore courir. Je ne comprends pas.

    Depuis ce moment-là, j’ai perdu ma place de titulaire dans ma propre existence. Je reste sur le banc des remplaçants à voir jouer tous ceux qui sont plus en forme que moi, soit quasiment tout le monde. Je suis remplaçant. J’attends que l’on me fasse signe pour entrer à nouveau sur le terrain et pour pouvoir enfin jouer le match de ma vie. Mais l’entraîneur ne me demande jamais de m’échauffer. Même pas pour un match des « coiffeurs ». Peut-être qu’un jour, par dépit, je vais me décider à raccrocher les crampons !

    Chapitre 2

    À la recherche de ma jeunesse perdue

    C’est vrai, après tout, où sont-elles passées toutes ces foutues années de jeunesse ? Le temps a continué à s’écouler tranquillement, presque machinalement, alors que j’ai le sentiment d’avoir été comme absent de ma vie durant toutes ces années. J’ai l’impression de souffrir d’une forme d’absentéisme existentiel. Un peu comme si un médecin, pour une raison médicale quelconque, m’avait dispensé de vivre dans la vie réelle.

    La trentaine passée, je me demande bien ce que j’ai pu faire de toutes ces années gorgées d’espoir en un avenir radieux, tel un fruit mûr prêt à être dégusté à pleines dents. De ce capital initial de vitalité, de force, d’énergie et d’enthousiasme dont chacun semble être doté dans sa prime jeunesse. De tous mes rêves d’adolescent. Le fruit paraît être maintenant asséché, sans pulpe et sans goût. Mon capital semble avoir été largement rogné, sans pour autant avoir été dépensé. C’est juste de la dépréciation liée au temps. Aujourd’hui, il ne vaut plus grand-chose. Et mes rêves, cela fait bien longtemps qu’ils se sont envolés et qu’ils ont migré vers des états d’esprit bien plus accueillants que le mien.

    Ces foutues années de jeunesse, je les avais pourtant mises exprès de côté en prévision d’une existence extraordinaire. Un peu comme lorsqu’on sort un vêtement exceptionnel pour une grande occasion. Et puis, bien des années plus tard, on tombe sur ce même vêtement alors qu’on cherchait tout autre chose. Et on s’aperçoit qu’il est désormais délavé, poussiéreux, totalement passé de mode. Et on finit par se dire que, finalement, on ne l’aura jamais porté. Tout cela a été gâché… C’est bien l’impression que j’ai lorsque je repense à mes années de jeunesse. À cette sorte de parenthèse enchantée où tout est encore possible avant d’entrer de plain-pied dans la vie, la vraie, celle des adultes. Une méchante impression d’immense gâchis. Le sentiment d’être passé à côté d’elle sans jamais être vraiment entré en contact avec elle. À l’instar d’une belle femme que je n’aurais jamais osé aborder. Et pourtant, à vingt ans, je la croisais tous les jours. Je la trouvais magnifique. Mais je me disais que j’avais tout mon temps et que je l’aborderais un peu plus tard. Lorsque je me sentirai fin prêt. Lorsque les conditions idéales seraient réunies. Lorsque, lorsque… Je trouvais toujours un prétexte pour repousser ce moment, par crainte qu’elle ne me rejette, mais aussi peut-être par souci de faire durer le plaisir. Il paraît que l’on appelle ça de la procrastination. Mot un peu scientifique et barbare qui masque mal notre lâcheté à repousser sans cesse les choses au lendemain. Et puis un beau jour, la trentaine venue, cette belle femme que l’on appelle jeunesse a soudain disparu. J’ai eu beau la chercher un peu partout, jusque dans mes placards qui regorgent de vieux vêtements neufs que je ne mettrai jamais, mais elle n’était plus là. Expatriée vers de nouveaux horizons. Partie sans laisser d’adresse. Et je me retrouve là comme un con avec tous mes projets consignés dans cette lettre qu’elle ne recevra jamais. Ces projets, plus personne ne semble en vouloir désormais. Je les garde pour moi comme de vieux regrets, avec en bouche un goût d’amertume fort désagréable. Et je ne fais que ruminer. Je ne dirais pas que je suis au bout du rouleau. Mais, je crois bien que je suis tout de même plus très loin du manche…

    Ne nous y trompons pas, ma vie jusqu’à présent n’a pas été jalonnée de heurts, de malheurs et de souffrances en tout genre. Non, ça n’est pas du tout ça. En réalité, il ne s’y passe quasiment plus rien. Je n’ai aucun événement significatif à relater depuis un petit moment. Des agendas très peu remplis année après année. Seulement quelques réussites sans lendemain. Nombre de potentialités inexploitées et encore plus d’occasions ratées. Je n’ai pas d’album de photos jaunies que je peux consulter de temps à autre pour faire revenir à ma mémoire les souvenirs heureux et émus du bon vieux temps à la manière de la bonne vieille Madeleine de Proust. Non, je n’ai pas suffisamment de souvenirs pour envisager même d’être nostalgique. Je suis à un âge où l’espoir n’est plus vraiment autorisé et où la nostalgie du buveur de thé du côté de chez Swann n’est pas encore possible. Je suis encore dans l’attente de vivre. Dans l’antichambre de ma vie. Et le couloir me menant à ma vie semble être interminable. Le long de ce couloir, il y a des miroirs et à chaque fois que je passe devant l’un d’eux, je vois bien que je prends un petit coup de vieux. Tiens, un premier cheveu blanc ! Tiens, une première ride ! Tiens, on dirait que ma vue baisse ! Miroir miroir, dis-moi quand je vais véritablement commencer à vivre ma vie…

    Chapitre 3

    Qu’est-ce que je ferai quand je serai grand ?

    Quel contraste avec mes idéaux d’adolescent ! Alors qu’aujourd’hui, c’est le vide qui caractérise ma vie, à l’époque, j’étais plein de tout. Plein d’idées et de projets, plein d’enthousiasme et de volonté. Mais aussi, il faut bien le dire, plein de naïveté et d’illusions, plein de boutons et de comédons, plein de points noirs et de peau grasse, plein de duvet et de complexes. À cet âge dit ingrat, un peu à l’instar de tous mes petits camarades, je voulais changer le monde. Comme le groupe Téléphone, « je rêvais d’un autre monde » que celui légué par nos pères. Un monde où le prix des disques et des bonbons Haribo serait à la portée de toutes les bourses. Où l’acné juvénile et les appareils dentaires seraient considérés comme des attributs de séduction par les jeunes filles en fleur. Où la plus jolie fille du collège, Clarice Legrand, qui n’a jamais daigné me parler et même lever les yeux sur ma pauvre petite personne, aurait été folle de moi et de mon corps. Et où, si l’on se donnait tous la main et bien, ça serait tellement mieux car, au moins pendant ce temps-là, on n’aurait pas le doigt posé sur une gâchette ou le poing sur la gueule du voisin. J’étais prêt à concourir au concours de miss France avec ma philosophie de la vie de midinette !

    À cette époque, je rêvais surtout d’avoir une vie hors du commun. Je rêvais de m’émanciper d’un cheminement qui m’était plus ou moins tracé par les « grands », les adultes, ma famille, ma lignée, mon milieu social, mes complexes. J’avais peur de me faire avoir par l’envie d’avoir, de posséder, de consommer, d’accumuler. L’envie de posséder une belle voiture comme tout le monde. Une belle maison comme tout le monde. Une bonne épouse. Un bon métier. Un compte en banque bien approvisionné. Une belle-mère bonne cuisinière. De beaux enfants bien sages. Un bon gros chien bien pataud. Une jolie maîtresse, elle aussi « bonne » tout simplement. Enfin tout le matos en kit de l’homme moderne accompli, qui a bien fait ses devoirs tout comme on lui a dit de faire à l’école, à son travail, à sa banque ou dans sa belle-famille…

    Je ne savais pas encore l’exprimer, mais je sentais bien que quelque chose ne m’attirait pas dans ce mode de vie préfabriqué. Dans cette maison témoin du bonheur. Dans cette publicité trop parfaite pour l’ami Ricoré, l’ami du petit-déjeuner. J’aspirais à une vie faite d’une matière plus exotique. D’un bois plus noble, plus authentique, plus solide, moins toc. Une vie moins égoïste. Moins indifférente à ce qui se passe dans le monde et au sort des autres. Moins matérialiste. Moins superficielle. Moins obsédée par ce que les autres pourraient bien penser de moi.

    Je rêvais de sortir du lot, de devenir une star, une vraie, du rock ou bien du ballon rond. Et même une star connue et vénérée dans le monde entier. Passée la période du mange-disque au son des Poppys et de Carlos qui chantait « Je préfère manger à la cantine avec les copains et les copines », j’écoutais dans ma chambre des heures durant des vinyles en couleur. Je mimais frénétiquement des Guitar Heroes fous et chevelus en remplaçant leurs guitares électriques saturées par un charmant coussin orange du meilleur goût, du moins des Seventies, où trônait fièrement un petit lapin vert que j’appelais Gaston… J’étais déjà un rebelle de la pire espèce ! Une sorte de punk en pyjama en pilou…

    Les après-midi pluvieux, et Dieu sait s’il y en eut durant mon enfance banlieusarde, je m’ennuyais ferme et je rêvassais à ce que pourrait être ma vie de star planétaire adulée. Je me voyais alors voyager dans le monde entier. Me déplacer dans mon jet privé et dans une immense limousine blanche aux vitres fumées. Descendre dans les hôtels les plus luxueux tout en ayant une attitude très cool, rebelle et détachée. Porter des lunettes noires nuit et jour afin que personne ne puisse me reconnaître. Mais tout de même pour que tout le monde me remarque. Sortir dans la rue entouré de mes gardes du corps. Quatre jeunes blondes californiennes bodybuildées. Afin de me protéger de hordes de fans aux formes généreuses au bord de l’hystérie en me voyant et portant des tee-shirts moulants sur lesquels seraient imprimées ma photo accompagnée de ma célèbre devise : « It’s so good to be the Best ! ». Pour me protéger également de paparazzis sans scrupules attirés par mes frasques faisant la Une de la presse people. Entre deux plongeons dans ma piscine d’eau salée, mon attachée de presse me montrerait les titres imprimés en lettres géantes dans différents journaux à scandales : « Qui est vraiment JP ? », « JP, la légende vivante », « JP et sa dernière conquête », « JP, le guitariste aux doigts d’or », « JP, range ta chambre »… Enfin, tellement de clichés que ma véritable vocation était certainement de devenir photographe. Un vrai fantasme de petit con boutonneux qui se fait chier comme un rat mort dans sa chambre en attendant qu’il se passe enfin quelque chose dans sa petite vie de banlieue terriblement ennuyeuse. Et pourtant, je m’y voyais vraiment. Jusqu’au moment où une autre de mes fans, la plus fidèle de toutes, alias ma mère cette serial killer de fantasmes, me sortait de mes rêveries en me criant depuis la cuisine : « et tu as pensé au moins à descendre la poubelle ? ». Je me trouvais alors à nouveau brusquement aspiré par une réalité qui me rappelait que ce que j’enlaçais n’était pas cette superbe jeune femme blonde prénommée Priscilla, mais bien Nestor le Castor en peluche… Réalité, quand tu nous tiens… entre tes bras !

    Je ne me fais plus aucune illusion. Je ne serai jamais un Guitar Heroe. Eddie van Halen peut dormir tranquille aux côtés de la belle Priscilla. Pas plus que je ne serai un dieu du football, le nouveau Pelé blanc comme pouvait l’être Zico, le grand footballeur brésilien de cette époque. Et pourtant, je m’imaginais marquer des buts fabuleux, des reprises de volées géniales, des têtes plongeantes folles, des ailes de pigeon démentes, des coups francs à la Rensenbrink, des penaltys à la Neeskens, autant de gestes qui suscitaient l’admiration des quelque 180 000 spectateurs du stade Maracana à Rio de Janeiro, le plus grand stade du monde. J’arborais fièrement le maillot de clubs brésiliens aussi mythiques à mes yeux que ceux de Flamengo, de Fluminense, de Santos ou de Botafogo. Je soulevais la coupe du monde, en fait un vieux vase jaune ébréché qu’avait offert ma grand-mère à mes parents pour leur mariage, sous les hourras des spectateurs. Ou plus exactement les aboiements de Toky, le chien du voisin qui devait penser que j’avais l’intention de me servir du vase pour l’agresser. En tout cas, l’esprit y était. Et puis, de toute façon, j’aurais été trop jeune pour jouer dans la grande équipe du Brésil de 1982, celle des Zico, des Socrates, des Falcao ou autre Junior. En plus, les formalités administratives pour obtenir la nationalité brésilienne auraient pris trop de temps et j’aurais certainement raté le début de la compétition. Mais peut-être qu’avec mon précieux renfort, les Brésiliens auraient pu gagner la coupe du monde en Espagne cette année-là. Mais, il y a eu Paolo Rossi… Dans ma vie, il y a toujours eu, à un moment ou à un autre, un Paolo Rossi pour venir tout gâcher. Et pourtant, qui se souvient encore de lui à part moi ?

    Paolo Rossi était un footballeur italien, l’avant-centre de l’équipe d’Italie lors de la fameuse coupe du monde de 1982 en Espagne. Celle où Bossis… Bon, passons ! Quasiment inconnu au début de la compétition, il a pourtant terminé meilleur buteur, en inscrivant six buts au total. Et c’est lui qui a permis à son équipe d’éliminer le Brésil, puis d’être championne du monde. Et pourtant, ce joueur d’un physique tout à fait ordinaire n’était doté d’aucun don particulier. Il est devenu très rapidement une star mondiale. Ou plutôt une étoile filante du football, puisqu’il est assez rapidement retombé dans l’anonymat le plus total après la compétition. Il a fait gagner une équipe pas vraiment exceptionnelle, en battant le Brésil, la plus belle équipe de l’époque, et en marquant des buts « à la con » en exploitant les erreurs de ses adversaires. Pour moi, Paolo Rossi est l’incarnation même de l’opportuniste. Le genre de type insupportable, le petit gars teigneux qui arrive brusquement de nulle part et qui nous pique la vedette, avant de repartir et de disparaître à tout jamais dans les oubliettes de l’histoire. Le type qui ne ressemble à rien et qui profite de la moindre faille de notre « défense » ou de la moindre seconde d’inattention pour nous piquer notre nana, notre boulot, nos rêves d’adolescence, avant de s’évanouir dans la nature. Et Dieu sait s’il y eut des Paolo Rossi dans mon existence…

    Mais lui, au moins, est devenu une star. Certes, ça n’a duré que cinq minutes, mais il a pu tout de même savourer cette impression magique d’être adulé par les foules. D’être pour un bref instant un Freddie Mercury sur la scène de Wembley qui fait son « eeeeeooooooo » repris par des dizaines de milliers de spectateurs. C’est vrai que c’était idiot de vouloir devenir une star alors qu’il faut bien le dire, je ne me suis jamais vraiment donné les moyens d’en devenir une. En réalité, moi, un petit gars de banlieue parisienne tout à fait ordinaire, tout à fait dans la moyenne, la version moderne de l’homme sans qualités, je souhaitais simplement que l’on me remarque. Que l’on me distingue de la masse par un talent dans un domaine particulier. Mais de talent dépourvu, j’ai préféré me fondre dans la masse. Et ça, je n’y suis même pas parvenu. Je suis fait d’un métal qui n’est ni précieux ni susceptible de se fondre dans la masse. C’est peut-être pour cela que j’ai quelquefois l’impression d’être un boulet… Je suis quelqu’un d’ordinaire qui n’arrive même pas à être comme tout le monde. Voilà sans doute tout mon drame !

    J’ai entrepris des études supérieures que je me suis efforcé avec un brio certain de ne jamais terminer. Avant de briller dans nombre de petits jobs plus insignifiants les uns que les autres. Il y a bien eu deux périodes de gloire assez éphémères dans mon existence, qui ne font pas de moi une star, loin de là. À une époque, j’écrivais des trucs. Principalement des scénarios. L’un d’eux a été retenu pour la réalisation d’un téléfilm qui a été diffusé sur une grande chaîne publique… Pourtant, je n’ai jamais cherché à persévérer dans cette voie. Il faut dire que c’est à cette période que j’ai été embauché comme créatif dans une agence de publicité qui s’appelait Parker Advertizing. Cela ne marchait alors pas trop mal pour moi. J’avais trouvé deux ou trois slogans chocs qui avaient bien fonctionné. Mais je me suis assez rapidement accroché avec quelques personnes de la boîte pour une sombre histoire de place à la cantine. Et surtout, à l’agence, ils semblaient de moins en moins apprécier mes idées et mon humour un peu singulier. Pourtant, moi, je trouvais ça très bien comme slogan « La lessive Nox. La lessive pour les grosses tâches, mais aussi

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