Justine ou les fortunes de la vertu: Marginales - 251
Par Collectif
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À propos de ce livre électronique
En ce samedi de juin 2003, ce rectangle de terre battue fut, pour des millions de spectateurs, beau comme une orange. Moins pour la poignée de privilégiés qui avaient trouvé place autour des terrains que pour les innombrables témoins massés devant leur écran. Premier renversement qu'illustre le phénomène : la vision médiatisée, désormais, l'emporte largement sur la vision immédiate. L'oeil humain a beau pouvoir balayer du regard, ajuster sa vue, préciser sa visée, il doit baisser les armes devant la captation ubiquitaire de la batterie de caméra orchestrée par une régie suprêmement maîtrisée. La télévision, reconnaissons-le, semble avoir été inventée pour être un prolongement du tennis...
En quoi le court central de Roland-Garros était-il, ce jour-là, particulièrement électrisant ? Pas par son nom, même s'il ne manque pas d'aura, puisque le stade fut baptisé d'après le pilote qui le premier franchit la Méditerranée d'un coup d'aile, et dont Jean Cocteau fut, un temps, le compagnon de voltiges aériennes. Le poète adorait monter avec lui dans ces appareils de fortune qui, comme il disait, "avaient été fabriqués avec de vieux mouchoirs et de vieux porte-plumes". Mais si l'on devait interroger le public, Roland Garros passerait plutôt, à tort, pour le probable premier tennisman français.
Des poèmes et nouvelles inspirés par la thématique du tennis avec des écrivains comme Vania Leturcq, Jean-Luc Outers ou encore Claude Javeau.
À PROPOS DE LA REVUE
Marginales est une revue belge fondée en 1945 par Albert Ayguesparse, un grand de la littérature belge, poète du réalisme social, romancier (citons notamment Simon-la-Bonté paru en 1965 chez Calmann-Lévy), écrivain engagé entre les deux guerres (proche notamment de Charles Plisnier), fondateur du Front de littérature de gauche (1934-1935). Comment douter, avec un tel fondateur, que Marginales se soit dès l’origine affirmé comme la voix de la littérature belge dans le concert social, la parole d’un esprit collectif qui est le fondement de toute revue littéraire, et particulièrement celle-ci, ce qui l’a conduite à s’ouvrir à des courants très divers et à donner aux auteurs belges la tribune qui leur manquait.
Marginales, c’est d’abord 229 numéros jusqu’à son arrêt en 1991. C’est ensuite sept ans d’interruption et puis la renaissance en 1998 avec le n°230, sorti en pleine affaire Dutroux, dont l’évasion manquée avait bouleversé la Belgique et fourni son premier thème à la revue nouvelle formule. Marginales reprit ainsi son chemin par une publication régulière de 4 numéros par an.
LES AUTEURS
Jacques De Decker, Philippe Jones, Laurent Demoulin, Jean Jauniaux, Françoise Lison-Leroy, Yves Deleu, Roger Foulon, Alain Brezault, Monique Thomassettie, Jean-Luc Outers, Chantal Boedts, Jean-Pierre Orban, Jean-Pierre Dopagne, Huguette de Broqueville, André Delcourt, Michel Torrekens, François de Callataÿ, Vania Leturcq, Ludovic Flamant, Philippe-Louis Champbon et Claude Javeau.
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Avis sur Justine ou les fortunes de la vertu
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Aperçu du livre
Justine ou les fortunes de la vertu - Collectif
Éditorial
Jacques De Decker
En ce samedi de juin 2003, ce rectangle de terre battue fut, pour des millions de spectateurs, beau comme une orange. Moins pour la poignée de privilégiés qui avaient trouvé place autour des terrains que pour les innombrables témoins massés devant leur écran. Premier renversement qu’illustre le phénomène : la vision médiatisée, désormais, l’emporte largement sur la vision immédiate. L’œil humain a beau pouvoir balayer du regard, ajuster sa vue, préciser sa visée, il doit baisser les armes devant la captation ubiquitaire de la batterie de caméra orchestrée par une régie suprêmement maîtrisée. La télévision, reconnaissons-le, semble avoir été inventée pour être un prolongement du tennis…
En quoi le court central de Roland-Garros était-il, ce jour-là, particulièrement électrisant ? Pas par son nom, même s’il ne manque pas d’aura, puisque le stade fut baptisé d’après le pilote qui le premier franchit la Méditerranée d’un coup d’aile, et dont Jean Cocteau fut, un temps, le compagnon de voltiges aériennes. Le poète adorait monter avec lui dans ces appareils de fortune qui, comme il disait, « avaient été fabriqués avec de vieux mouchoirs et de vieux porte-plume ». Mais si l’on devait interroger le public, Roland Garros passerait plutôt, à tort, pour le probable premier tennisman français.
Non, si cette heure d’échanges de balles fascina à ce point, c’est d’abord parce qu’elle opposa deux petits David féminins. L’exploit, elles l’avaient déjà accompli auparavant, se hissant ensemble en finale, s’étant débarrassées des Goliath de l’heure, les Serena Sisters. Elles, dans le monde anglo-saxon, sont aujourd’hui surnommées les Belgian Sisters. On voit ce que ce sobriquet, vu de Belgique, a d’insolite. La Nordiste et la Sudiste pourraient donc être symboliquement sœurs, et en ce sens inséparables ? En voilà, de fait, l’improbable et cependant aveuglante démonstration, administrée le même été où deux sœurs siamoises iraniennes émirent le vœu fatal d’être scindées par la chirurgie.
Et cependant, la loi du sport est là : elle impose qu’il y ait une victorieuse et une vaincue. Et ce partage, pour le coup, fut des plus nets. Si clair même qu’il laissa les spectateurs sur leur faim et les experts sceptiques. Les adversaires ne se reflètent pas dans ce score trop contrasté. Si du moins on n’invoque que les qualités purement sportives. Et c’est là qu’interviennent la psychologie et son lestage de légende. Des deux, en la circonstance, la plus motivée étant sans conteste Justine. Elle le dit, elle le répéta : elle avait, en son âge tendre, promis sur le lieu même à sa mère tant regrettée qu’un jour elle serait sur la plus haute marche de ce podium.
C’est là que le « petit jockey des courts », comme l’a appelée Pierre Mertens, se profile comme une héroïne digne de Kleist. Elle évoque la Catherine de Heilbronn, portée par sa conviction profonde qu’elle épousera son inaccessible promis. Elle était portée par la foi qui déplace les montagnes. Et devant laquelle Kim, qui eut son heure peu de temps plus tard, s’inclina. Nous faisant assister à un étrange partage : à moi Paris, dit l’une, à moi le monde, dit l’autre, qui joue en double avec une Japonaise et file l’amour avec un Australien. L’équivalence n’est-elle pas, elle aussi, poétique ?
Mais la poésie est contrebalancée par d’autres considérations, en l’occurrence. Rien qu’en ce premier semestre 2003, nos deux chasseuses de primes ont remporté chacune autour des deux millions d’euros, sans parler des leurs revenus annexes, où elles ont la réputation d’être moins prospères que leurs rivales. Pour ne donner qu’un exemple : le contrat avec Reebok de Serena Williams est de 37 millions d’euros alors que celui de Justine Henin-Hardenne avec Adidas ne pèserait « que » 5,2 millions. Il n’empêche que ces recettes ont de quoi alimenter la rumeur, et les collaborateurs à ce numéro n’y ont pas été indifférents, d’autant que dans la lettre d’invitation qu’ils ont reçue de la rédaction, l’explication du titre proposé y incitait : « La vertu dont il est question est celle que célébrèrent les Romains : elle tient du courage, de la ténacité, de l’endurance. Quant à ses fortunes… On peut interpréter le mot dans bien des sens à propos de Justine qui, en une seule victoire, après un match d’un peu plus d’une heure, a empoché à peu près autant qu’un écrivain couronné par le Nobel de Littérature. » Cette petite phrase, on le verra, a fait couler beaucoup d’encre.
D’autres passages de cette missive doivent être divulgués, ne fût-ce que pour saisir la portée de la dernière contribution de ce dossier, qui m’est directement adressée. J’y lisais ceci : « La société n’évolue guère dans le sens de plus d’équité et de liberté. Le monde ne se porte pas mieux. Il tourne, certes, mais pas très rond. Bref, il y aurait de quoi nous mettre quelques thèmes peu exaltants sous la plume. Quelque chose me dit pourtant que l’heure est peut-être propice à quelque légèreté, voire à un brin de frivolité. « Ai-je eu tort de trouver, comme le dit Philippe Jones d’entrée de jeu, Justine légère ? Face à quelques drames de cet été, à l’attentat contre le siège de l’ONU à Bagdad, au suicide apparent du Dr Kelly, à la tragédie de Vilnius, ai-je eu la faiblesse de penser que l’actualité me donnait dramatiquement raison ? À vous de juger.
Justine légère
Philippe Jones
L’arabesque d’un pas, qui a quitté le sol, jusqu’au bras opposé, qui tient une raquette, ce tracé est heureux. Sur l’envol d’une balle qui touche une autre ligne, qui décoche la force, elle règne et s’affirme. (Degas l’eût-il connue, que tout musée l’acquiert !) Son domaine est de feu, d’une brique pilée, défini de traits blancs que sa course domine. L’effort se noue et se détend aux quatre coins de ce rectangle où tout se joue, en revers, au filet, la souplesse régnante. De la rigueur à la nuance, que de muscles conviés, que de poses reprises. Le temps facture les erreurs et toujours gagne, sauf sur soi-même, si l’on se trouve. Panem et circenses ? Mais gratuite est la grâce…
Justine ou le revers de la Fortune
Laurent Demoulin
Ce n’est pas l’histoire de la femme qui, conformément à la tradition, fiche un clou dans un arbre centenaire en priant pour enfin tomber enceinte, ni celle de la petite fille qui aime se promener dans les cimetières, ni celle du professeur qui rêve de changer de travail, ni celle de l’agriculteur dont la terre est morte et qui décide de quitter le pays de ses ancêtres, ni celle du couple de jeunes mariés perdu dans une forêt en feu. Ce n’est pas l’histoire de la femme idéale dont les hommes ont peur et qui demeure célibataire. Ce n’est pas l’histoire de ceux qui se demandent comment ils vont payer leur loyer ce mois-ci, et le mois prochain et le mois suivant et ainsi de suite durant toute l’année, ce n’est pas mon histoire, ni celle de mon frère, ce n’est pas l’histoire d’un enfant dont les parents viennent de se séparer, ni celle d’un bébé né dans une yourte, une hutte, un igloo, un building désaffecté, une Cadillac, un château du Moyen-Âge, ce n’est pas l’histoire de la femme qui ne tombe amoureuse que d’hommes dont le prénom commence par « H », Hubert, Hervé, Herbert, ce n’est pas l’histoire de l’homme incapable de désirer d’autres femmes que celles dont l’initiale est un « J », Julie, Juliette, Justine, ce n’est pas l’histoire de la baronne qui ne sait jamais dans laquelle de ses cinq habitations se trouvent son livre de chevet, le portrait de son aïeul, ses documents officiels ou son robot mixer. Ce n’est pas votre histoire, c’est l’histoire d’une championne, la belle histoire de la petite qui défie les grandes, de la gamine qui affronte des femmes aux muscles d’hommes musclés, l’histoire de l’étoile qui reste sur terre, de la jeune fille célèbre qui épouse un garçon rencontré avant la célébrité.
Ce n’est pas l’histoire de l’adolescente cherchant, à travers l’Europe, un père inconnu et retrouvant sa trace juste après qu’il s’est pendu dans un grenier, ni l’histoire de la fille battue par son père et qui épouse un homme brutal, ni celle du type laid et repoussant dont le nouveau téléphone a hérité de l’ancien numéro d’un séducteur implacable, ni celle de l’homme idéal que les femmes dédaignent, ni celle de l’écrivain qui, enfin, après des années de ratures, met la dernière main à son chef-d’œuvre, le livre le plus profond dont il est capable, mais qui ne trouvera aucun éditeur. Ce n’est pas l’histoire de la mère qui, au moment de partir en quête de nourriture, espère que les combats ont momentanément cessé, ce n’est pas l’histoire de l’ouvrière, de l’employée, de l’intellectuelle qui ne gagneront pas en une vie l’argent que rapporte à un champion de golf une victoire dans un tournoi du grand chelem. Ce n’est pas l’histoire de l’homme qui, au moment de répondre à la question « Aimes-tu ta patrie ? », ne sait s’il doit parler du pays où il vit, de celui où il est né ou de celui où il mourra.
C’est une histoire d’aujourd’hui, du temps où les héros et les héroïnes ne sont plus des guerriers, Achille, Roland ou Jeanne la Pucelle, mais de valeureux sportifs, d’intrépides championnes. C’est une histoire qui a lieu ici et, en même temps, sur toute la planète, sur toute la planète et pourtant dans un espace clos, partout pareil, délicieusement artificiel et géométrique, rassurant, immobile et multiple, huit mètres vingt-trois, vingt-trois mètres septante-sept, un espace qui n’existait ni à l’époque des peintures rupestres et du silex, ni au temps où de vrais héros et des dieux sexués s’affrontaient sous les noirs murs de Troie, un espace qui n’existait pas le jour où Copernic comprit le ciel, mais qui est solidement établi désormais, dans son abstraction souveraine, ses limites claires (claires malgré ce couloir ambigu, dehors et pourtant apparemment dedans, méfie-toi du couloir, Justine, n’y entre pas : tu n’y trouverais que ta perte – et par conséquent la nôtre), espace défini une fois pour toutes, éternel, résistant à toutes les guerres mieux que les tours de béton jumelles, mieux que les musées d’art mésopotamien. Roland-Garros sera organisé l’année de ma mort comme de la vôtre. Et même quand il nous faudra porter le deuil en ton honneur, valeureuse Justine, Paris se couvrira d’ocre au printemps pour accueillir, comme si de rien n’était, les ineffables « spécialistes de la terre battue ».
Peut-être est-ce cela qui nous plaît, ce cadre intangible dans lequel nous voyons défiler sans cesse de nouveaux visages. Peut-être est-ce grâce à ce compromis unique entre