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– Porto ? – Deux doigts, c'est tout. Merci.
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Livre électronique315 pages4 heures

– Porto ? – Deux doigts, c'est tout. Merci.

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À propos de ce livre électronique

Quelques doigts de porto. Un gramme d'alcool dans le sang. Un instant d'inattention. Un enfant de sept ans qui traverse et la vie entière de Jean-Marie Dubois qui bascule. Lui, l'homme parfait sous tous rapports, irréprochable et aimé de tous ; lui, le brillant scientifique lancé dans une lutte acharnée contre le sida, va tout perdre : sa femme, son fils, sa dignité. Dix ans de prison ferme pour repartir à zéro, avec le VIH et le souvenir d'un viol. Joao, son ami de toujours, tente de le faire revenir à sa passion en lui proposant une place dans le nouveau centre de recherche qu'il va créer en Afrique.
Une deuxième chance, une renaissance ou plutôt un combat perdu d'avance ?
LangueFrançais
Date de sortie13 sept. 2016
ISBN9782312046754
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    Aperçu du livre

    – Porto ? – Deux doigts, c'est tout. Merci. - Yves Benoit

    cover.jpg

    – Porto ?

    – Deux doigts, c’est tout. Merci.

    Yves Benoit

    – Porto ?

    – Deux doigts, c’est tout. Merci.

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2016

    ISBN : 978-2-312-04675-4

    Un gramme d’alcool dans le sang, c’est incontestablement supérieur à zéro cinquante.

    Soixante huit kilomètres à l’heure, c’est incontestablement supérieur à quarante.

    Louis Arthuis, sept ans, gisant sans vie entre les bandes jaunes du passage clouté, c’est incontestablement un accident mortel.

    Conséquence : Jean-Marie Dubois est condamné à dix ans de prison ferme. La justice a été plutôt clémente, la peine aurait pu être beaucoup plus lourde. Mais JMD, comme on l’appelle au laboratoire de recherche, est quelqu’un qui devait nécessairement bénéficier de circonstances atténuantes. Si cela n’avait pas été le cas, la justice aurait été vraiment aveugle. C’est ce qu’on dit d’elle habituellement, mais dans le cas précis, qu’elle ait été borgne, était tout à son honneur.

    ***

    Jean Marie Dubois – on l’appellera ici JMD ou Jean-Marie, selon le contexte – avait été un enfant surdoué. Cela était apparu clairement dès la maternelle, et confirmé, sans ambiguïté, par la suite. Au moment de l’accident, ce biochimiste était considéré comme un quasi-génie. On attendait seulement pour le qualifier pleinement de génie, sans réserve, « la » découverte qui le consacrerait.

    D’origine modeste, ses parents se rendirent compte des particularités de leur enfant dès ses premiers mois, bien avant qu’il marche, bien avant qu’il parle, mais pour que leur opinion soit impartiale, il était nécessaire qu’il y ait confrontation avec l’environnement et, notamment, avec les autres enfants. La différence devait s’imposer à tous, sans discussion possible. Bachelier à quinze ans avec mention très bien ; docteur d’état en biologie moléculaire à vingt quatre ans avec les félicitations du jury ; pas un faux pas en route ; le tout obtenu sans stress apparent, sans délaisser la pratique régulière de ses sports favoris (tennis, golf et échecs) et en prenant le temps de présenter ses hommages avec régularité à la gent féminine. Que demander de plus ? Un don de Dieu à n’en point douter. Et, cerise sur le gâteau, JMD était beau. Une beauté fragile, comme diaphane, mais de ses cheveux, légèrement bouclés et d’un doré chatoyant, à ses mains fines et élégantes, bien entretenues, la nature avait réussi, sur ce plan aussi, quasiment une œuvre d’art : profil grec atténué, plus doux dans les cassures, complété par des yeux bleus pâles, à la limite du mélancolique, mais aussi rieurs et empreints d’une gravité sourde et une bouche charnue, sans excès, bordée de commissures craquantes. Comme le bon pain.

    Tout pour lui, tout ! Cela était forcément injuste aux yeux de la plupart des gens qu’il côtoyait, lesquels sans être laids ou idiots, ne pouvaient décemment se comparer à lui. Même pas aux billes ou aux osselets, puisque à ces jeux-là aussi, ce fut toujours le meilleur. Objectivement, pour tout interlocuteur désirant se mesurer à lui dans quelque domaine que ce soit, il y avait de quoi jeter l’éponge dès la première minute. Mais, curieusement, ce n’était jamais le cas car à toutes ses qualités physiques, cérébrales et esthétiques, JMD ajoutait un charme, une gentillesse, une attention, une écoute, et une sincérité qui, combinées avec un sens aigu des responsabilités, le rendaient humainement irrésistible. Tous ceux qui le connaissaient l’appréciaient : ils ne s’ennuyaient jamais avec lui pas plus qu’ils ne l’ennuyaient jamais, et ça, ça ! C’est le bonheur : être considéré, accepté pour ce qu’on est et écouté sans préjugés, et, de plus, par quelqu’un comme lui, c’est tellement rare que ça en est presque surréaliste. Il émanait de JMD une force, un attrait extraordinaires et cela naturellement, parce qu’il était tout simplement naturel. Être avec lui c’était être avec un autre soi très intime qui vous comprenait à demi-mot, qui appréciait vos actions à leur juste valeur et qui présentait une critique positive, argumentée, équilibrée, compréhensible et acceptable.

    Je le redis : un don de Dieu soi-même. En d’autres temps, il aurait sans doute fini Messie, sans blasphémer.

    Rien d’étonnant donc, qu’il ait sauté au pas de course toutes les barrières qui se trouvèrent sur son chemin, qu’il ait gravi en quelques années tous les échelons d’une brillante carrière professionnelle : avant l’accident il était Directeur du Laboratoire de recherche dédié au VIH à l’Institut Einsten. Dans un cursus ordinaire, on accède à cette responsabilité la cinquantaine bien tassée. Lui, au moment des faits, en avait trente deux. Et il ne traversait l’esprit d’aucun de ses collègues de contester son statut hiérarchique. Comme d’habitude, tout ce qu’il faisait, tout ce qu’il était, était incontestable.

    Un de ses meilleurs amis étant mort du sida lorsqu’il n’avait pas encore vingt ans, tout à fait par accident, c’est-à-dire sans avoir « pêché », il avait décidé qu’il « tordrait le cou » à cette maladie – ce fut alors son expression. Ses études une fois terminées, il n’avait eu aucun mal, on s’en doute, à se faire recruter par le meilleur labo français et l’un des plus renommés de la planète. Et depuis sa nomination il n’avait pas piétiné. Tous les savants et chercheurs qui pouvaient avoir un avis autorisé sur ce plan, reconnaissaient que depuis qu’il s’était attelé à la tâche, des avancées avaient été faites. Rien de bouleversant encore mais des résultats très prometteurs, suscitant la curiosité et l’intérêt de nombre de ses confrères internationaux qui n’hésitaient pas à traverser des continents pour venir s’informer. Lui-même n’aurait vu aucun inconvénient à mettre l’état de ses travaux à la disposition de tous, mais l’Institut l’obligeait à conserver une part d’ombre, le cœur de ses investigations, pour protéger ses intérêts.

    Mais cet homme idéal, ce fils dont on rêve, ce mari ou ce père qui n’existe que dans les contes de fées, fut condamné à faire de la prison. Parce que pour ce qu’il venait de commettre, il n’y avait pas encore, comme pour le VIH, de vaccin. On sait depuis belle lurette, qu’un minuscule grain de sable peut enrayer la plus perfectionnée des mécaniques, ou qu’une tuile manquante peut entraîner l’explosion d’une navette. Ce fut aussi le cas pour JMD, ce douze décembre 1996.

    Pourquoi ? Cela a déjà été dit : deux fois le taux d’alcool autorisé, plus une fois et demie la vitesse autorisée, plus un mort sur le carreau, et qui plus est, un enfant ayant l’âge du sien. Cela n’est vraiment pas excusable. Sans appel. La justice ne pouvait décemment pas se voiler la face : les lois ne sont pas faites que pour les autres, c’est-à-dire pour les méchants caractérisés, voyous et autres truands qui les enfreignent en permanence. Non, depuis déjà quelques siècles, les lois s’appliquent à tout le monde, même aux gens très bien. La preuve, une fois de plus, venait d’être faite.

    C’était un samedi, quelques minutes avant treize heures, heure à laquelle l’Institut fermait ses portes de façon autoritaire parce que la Direction avait décrété par note de service GF28/95 que tous les chercheurs avaient nécessairement besoin de repos. Certains, bien entendu, quittaient leurs bureaux respectifs avec dans leurs serviettes en cuir décrépi – les clichés quand même ! – de nombreux dossiers, c’est-à-dire une quantité suffisante de documents pour occuper plusieurs semaines de travail. JMD n’était pas de ceux-là, quelques pages lui suffisaient et, le plus souvent, il ne leur prêtait même pas attention jusqu’au lundi matin. Mais absorbé par sa recherche – absorbé mais jamais obsédé – au hasard d’un déjeuner familial, d’une promenade dominicale ou d’un match de rugby à la télé, son esprit s’évadait et retrouvait le fil là où il l’avait laissé le samedi à treize heures. Dans ces instants-là, il appréciait d’avoir sous la main, un peu comme une roue de secours, quelques notes précises qui l’aidaient à se recadrer.

    Ce samedi-là donc, Joao avait sorti du petit meuble bas se trouvant à la droite de son bureau, une bouteille de Porto. « La » fameuse bouteille de Porto qui illuminait le pot hebdomadaire de l’amitié. Au fil des mois et des années, elle avait gagné l’estime de tous les chercheurs qui se réunissaient autour d’elle, presque religieusement. Pas une seule semaine il n’y eut une défaillance et lorsqu’il partait en congés, Joao prenait soin de laisser la clef du meuble à JMD. On l’a compris, Joao, d’origine portugaise, était également employé par l’Institut Einsten. Il travaillait dans le même laboratoire que JMD. Il faisait office, sans que cela soit parfaitement formalisé, de premier adjoint ou de sous-directeur comme on veut, à ce niveau-là et à cet âge-là, cela n’a guère d’importance. Il n’était pas aussi brillant que JMD, mais il ne s’en fallait pas de beaucoup. En compagnie de JMD, il avait fait un parcours académique avec à peu près le même succès, mais n’ayant pas les mêmes facilités naturelles que JMD, il avait dû travailler dur pour atteindre l’objectif qu’il s’était fixé. Joao était issu d’une famille de la très haute bourgeoisie portugaise avec un grand-père et un père anciens ambassadeur et ministre. Son grand-père, Edmundo, au soir de la pensée, avait décidé de s’aventurer dans le monde viticole et il avait jeté son dévolu – et investit une bonne part de sa fortune personnelle – sur une très grande propriété au nord-ouest de Porto. Il n’était pas parti de zéro, le vignoble et ses productions étaient déjà connus, mais les anciens propriétaires avaient une certaine tendance à privilégier la quantité au détriment de la qualité. Edmundo avait pris un virage à cent quatre vingt degrés. La production avait été divisée par trois et la qualité s’était grandement améliorée puisque s’agissant de goûts, on ne peut quantifier plus précisément. Au fil des ans, il avait hissé le Porto « Julia », en souvenir de son épouse décédée quelques années auparavant, au rang des meilleurs du Portugal. Avec le temps, son « vingt ans » d’âge était tout bonnement exceptionnel. Edmundo junior, le père de Joao, avait repris le flambeau et l’avait porté encore plus haut. L’exceptionnel « vingt ans », était devenu le très exceptionnel « vingt cinq » ans d’âge : il était cher, mais les avis des connaisseurs étaient unanimes, il valait son prix. Couronné par de multiples récompenses, il n’était diffusé qu’en petites quantités au sein d’un cercle d’initiés qui avaient à la fois l’argent et les papilles gustatives adéquates pour l’apprécier. Joao fils faisait partie, de droit ou de naissance, comme on veut, de ce cercle-là. À ce titre, il était régulièrement approvisionné. Et c’était ce nectar qui faisait l’ordinaire du rituel du samedi midi. Cette réunion essentielle pour l’équilibre opérationnel du laboratoire VIH de l’Institut Einsten, était vite devenue pour les six à neuf participants habituels, un must auquel on se devait de participer. Sauf, bien entendu, cas de force majeure. Formule consacrée, très largement en-deçà de ce qu’elle signifiait dans ce cas précis. Le Porto « Julia : vingt-cinq ans d’âge », était bu seul, sans aucun amuse-gueule. Il y a des injures que même les plus grands savants ne peuvent se permettre.

    Le samedi douze décembre 1996, le laboratoire avait finalisé la mise au point d’un processus prometteur qui laissait entrevoir un saut dans les recherches : tous les scientifiques tournaient autour de la solution depuis plusieurs semaines, mais, de façon inattendue, c’était l’assistant de Joao, tout fraîchement sorti de l’université qui avait trouvé le sésame, par tâtonnements successifs, de façon empirique. Le hasard, comme souvent, faisait bien les choses. S’il y en avait eu encore besoin, le Porto de treize heures n’en était que plus justifié. En excluant Jérôme qui ne buvait jamais d’alcool et Lise, qui en prenait vraiment un demi-doigt, « juste pour trinquer », la bouteille avait donc était sacrifiée sur l’autel de l’amitié aux bons soins exclusifs de quatre chercheurs, dont JMD. Et il avait bu sans faiblir ni sans état d’âme le quart qui lui revenait équitablement, voire plus selon l’expert qui communiqua ses conclusions sur ce plan-là, lors du procès. Bien entendu, les formes avaient été respectées. On avait commencé par deux doigts dans des verres à Porto en cristal, magnifiquement ciselés à la main, que Joao avait ramenés de chez lui – tout de même ! Puis, un peu plus d’une demi-heure après, on en était cumulativement à six ou sept doigts, et pas trop serrés en plus. Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat cependant, ivresse eut été un bien grand mot, mais les convives étaient bien, légers, sentiment peut-être chimiquement amplifié – ils auraient su sans doute le démontrer si la question leur avait été posée – par l’euphorie que l’avancée technique avait suscité chez tous.

    À treize heures quarante, JMD montait enfin dans sa « 206 » pour rejoindre son appartement de Neuilly-sur-seine, tout au plaisir de retrouver sa femme, Amélie, et son fils, Laurent, bientôt sept ans. Entourées d’un halo de Porto, les réflexions continuaient dans ce cerveau toujours en mouvement et, l’alcool aidant, la confiance prenait de plus en plus de couleurs. C’est donc presque le sourire aux lèvres qu’il sortit du parking intérieur de l’Institut pour prendre sur la gauche la rue Lamartine, après avoir salué le gardien d’un geste amical de la main. Au bout de cette rue, se trouvait un feu, puis il devait prendre la rue Beaumarchais tout de suite à droite, pour rejoindre le boulevard Victor Hugo. JMD eut vaguement conscience d’arriver au feu et de le passer sans vraiment s’arrêter juste au moment où il passait au vert – lorsque, plus tard, il refit le chemin de mémoire, mètre après mètre, il eut conscience – mauvaise conscience ? – d’avoir vu le feu rouge lorsqu’il l’avait franchi. À l’entrée de la rue Beaumarchais, se trouvait un passage clouté qu’avait emprunté Louis Arthuis, un garçonnet de sept ans révolus. Il tenait dans une main un sac contenant une baguette de pain et dans l’autre, un paquet de bonbons déjà ouvert. Arrivé à la fin du passage clouté, et alors que le petit bonhomme vert faisant office d’avertisseur clignotait depuis quelques secondes, Louis se rendit compte qu’il avait laissé tomber un bonbon sur le passage à trois mètres environ derrière lui. Sa logique enfantine ne lui offrit qu’une solution, et en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il retourna brusquement sur ses pas. JMD, quant à lui, avait tourné assez rapidement – sans doute plus que certains jours, mais ces petites voitures ont une telle pêche ! – en feuilletant distraitement les quelques pages de notes diverses qu’il avait emportées pour le week-end et qui étaient posées sur le siège passager.

    Le choc entre Louis Arthuis et la « 206 » vert pomme, eut lieu au beau milieu du passage à piétons. JMD freina trop tard : il se trouvait alors à cinquante centimètres environ de Louis. Ce dernier mourut sur le coup et non pas trois heures plus tard à l’hôpital de la « Calfeutrière » comme certains journaux l’ont écrit.

    JMD descendit de la voiture immédiatement et s’approcha très rapidement du petit corps inanimé. Sur le trottoir deux femmes retenaient leurs souffles, figées, alors qu’un homme d’age mûr s’était également approché de l’enfant. JMD tâta le pouls et la trachée-artère, puis ferma les yeux quelques secondes en les contractant fortement. Il reprit rapidement le contrôle de lui-même, demanda à la caissière de la boulangerie voisine d’appeler le SAMU et la police. Quelques instants après, il téléphona également à son épouse : « Je viens d’avoir un accident de voiture, je rentrerai plus tard… Non je n’ai rien, mais je crois que je viens d’écraser un gamin… Je te rappelle ! ». La voiture de police arriva pratiquement en même temps que le SAMU, pas plus de sept à huit minutes après l’accident. Le brigadier demanda à son adjoint de faire immédiatement un test d’alcoolémie à JMD et se dirigea vers le corps étendu du petit Louis que les infirmiers du SAMU étaient déjà entrain d’installer sur un brancard.

    – Je crois bien qu’il est mort » leur dit JMD, dans un état second ;

    – Vous avez raison, Monsieur, le petit est effectivement mort. Mais on va voir ce qu’on peut faire quand même ! »

    – Drôle de réflexion » pensa JMD « il se prend pour Jésus celui-là !

    – Soufflez par là sans interruption pendant quelques secondes » lui demanda le policier sans ménagement. L’attente ne fut pas longue, et la sentence tomba de la bouche même du brigadier : « Y a pas de doute, vous avez bu un bon coup, un coup de trop et c’est le petit qui vient d’en faire les frais. Allez, on vous amène, on va vous remettre les idées en place vite fait. »

    Amélie était venue le voir au poste de police le soir même. Déjà, il n’était plus le même. La beauté lumineuse avait fait place à un visage blafard et gris. Au-dessous de ses cheveux en bataille, les yeux bleus, à midi encore rayonnants, étaient tristes et vides. JMD était absent, abattu, prostré.

    – Mon chéri, que t’est-il arrivé ? Comment cela a-t-il pu se produire, dis-moi que c’est un cauchemar !

    Et JMD avait raconté ce que son épouse venait d’appeler un cauchemar mais qui n’était malheureusement qu’une triste réalité. Il l’avait fait d’une voix monocorde, sans aucune intonation, sans aucun trémolo dans la voix, le regard fixant un horizon qui n’avait rien pourtant de particulièrement attrayant puisque constitué d’une grille et d’un mur délavé.

    – … Un moment d’inattention en quelque sorte, une erreur colossale avec laquelle il va me falloir vivre maintenant… » puis, se ressaisissant quelque peu : « Excuses-moi Amélie de t’infliger une telle épreuve… Je ne sais pas comment j’ai fait mon compte… Tous les jours, je prends le même itinéraire, de façon routinière, sans y penser, sans m’en rendre compte… Et Laurent, comme va-t-il ? Tu lui as dit ?

    – Non, pas encore, mais il va bien falloir que je lui dises quelque chose lorsqu’il ne te verra pas rentrer.

    – Laisse passer le week-end, veux-tu, invente quelque chose, dis-lui que j’ai dû partir en voyage précipitamment… ce qui n’est pas tout à fait un mensonge d’ailleurs…

    – T’en fais pas, je trouverai quelque chose… On m’a dit que tu avais bu, c’est vrai ça ?

    – Tu sais bien, le Porto du samedi midi, la tradition du labo avec tous les chercheurs du département, rien d’anormal tu sais…

    – Mais ce qui semble anormal c’est le taux d’alcoolémie, bien au-dessus de ce qui est permis, tu sais… Ça ne correspond pas aux deux doigts de Porto dont tu me parles habituellement… Si j’ai bien compris, la dose semble largement dépassée, c’est vrai ?

    – Je ne sais pas exactement, mais l’apéritif a été comme tous les samedis, à quelque chose près, on a tous bu pareil… Je suppose que les autres ne sont pas au poste pour ça, non ?

    – Mais eux ils n’ont pas tu… renversé un enfant !

    – Bien sûr, tu as raison, ce n’est pas pareil… Boire ou conduire, c’est pas ça le slogan ?

    – Si, c’est ça… mais c’est un peu tard pour t’en souvenir je crois… »

    Et puis, Amélie était partie, le laissant seul face à lui-même, hébété, en lui promettant de faire tout ce qu’elle pourrait, avec l’aide de son père, pour le sortir de là le plus vite possible.

    ***

    – Amélie, ma fille, secoue-toi maintenant ! Tu es jeune, tu as encore toute la vie devant toi, tu ne peux tout de même pas rester prostrée, éteinte, le restant de tes jours ! Si ta pauvre mère te voyait, elle serait effondrée. D’une certaine façon, c’est encore heureux que Dieu l’ait rappelée à lui l’année dernière… Allez ! Je te dis, secoue-toi, tu comprends bien, n’est-ce pas, qu’il te faut trouver à ta situation, une autre issue que la prostration !

    Charles-Henri de Sorlaix, le père d’Amélie, était un homme d’une grande prestance, portant beau, altier, avec un timbre de voix métallique, en harmonie avec ses tempes argentées. C’était un capitaine d’industrie qui avait réussi à capitaliser sur le titre nobiliaire qu’il avait hérité, mais sans la fortune qui va occasionnellement avec. Sa formation d’ingénieur, son entre gens, son carnet d’adresses et, surtout, surtout, son mariage avec Laure Dutort, fille unique du grand industriel, dont la fortune était l’une des toutes premières de France, étaient autant d’atouts qu’il avait su valoriser, laborieusement mais avec beaucoup d’intelligence et d’intuition. Il n’avait pas usurpé sa situation et si les circonstances de la vie lui avaient été favorables, l’honneur lui revenait, et à lui seul, de n’en avoir dilapidé aucune. Charles-Henri n’était pas homme à se laisser abattre. À soixante quatre ans, il était connu pour son courage et son talent pour renverser des situations très délicatement compromises. Dans notre affaire, la situation se présentait pour lui très simplement : sa fille unique Amélie, avait fait un mariage qu’il avait lui-même qualifié de qualité, avec l’un des hommes les plus brillants et prometteurs, sans aucun doute, de sa génération. Charles-Henri n’avait jamais douté que son gendre maîtriserait un jour le SIDA et que le vaccin qu’il allait découvrir sous peu, lui ouvrirait la porte à un développement industriel planétaire. Et lui, Charles-Henri, serait là pour l’accompagner et lui prodiguer les conseils d’homme d’affaires avéré qui lui faisaient encore défaut. Dans la tête de Charles-Henri, cela ne s’appelait plus un rêve depuis belle lurette, mais un business plan. Et, en marge des recherches de son gendre, il avait déjà jeté les jalons et les bases qui lui permettraient de faire prospérer la situation dans les meilleurs délais. Question de temps sans doute, mais pas plus, et l’attente de la découverte était mise à profit, en parfait ordre de marche. Sa fille Amélie et ses petits-enfants – puisqu’il était certain que Laurent allait avoir, au moins, un ou deux frères ou sœurs – étaient donc bien installés dans la vie. Comme lui, Amélie méritait cette destinée. C’était une femme d’une beauté exceptionnelle, presque aussi belle que sa mère – Charles-Henri était le seul à faire ce compliment – et d’une allure souveraine. Elle pouvait se comparer avantageusement aux plus grandes beautés de l’histoire de l’humanité – c’était encore Charles-Henri qui le prétendait. Non seulement belle à rendre fou, mais aussi une tête bien faite. Études brillantes, Sciences-Po, ENA, le classique donc, elle avait préféré l’industrie à la politique et venait renforcer l’équipe familiale de façon particulièrement probante. Certains domaines de l’empire étaient pratiquement dirigés par elle. À trente-trois ans – un an de plus que JMD – dire qu’elle promettait est un euphémisme : son avenir scintillait. Et pour couronner le tout, c’était pour son fils Laurent, une mère d’une attention, d’une gentillesse et d’un équilibre dans le comportement et l’éducation, tout à fait exceptionnels. Charles-Henri était l’heureux père de la fille rêvée – mais, une fois de plus, ce n’était que justice – et son mariage avec JMD avait été un aboutissement lumineux. « Lorsqu’il existe entre deux êtres d’une telle envergure, une fusion pareille, qui peut dire où sont les limites ? ». C’est peut-être une image d’Epinal, mais cela avait été le coup de foudre lorsque leurs regards s’étaient croisés le soir de ce fameux cocktail à Matignon. Huit ans déjà mais quels beaux huit ans ! Pas une once de regrets et tant de possibilités en germe que c’était une joie que de penser à l’avenir. Et pas une ombre au tableau tout au long de ces quelques années, pas une ! Même le petit Laurent montrait des qualités tout à fait inhabituelles, notamment au piano. Une telle réussite globale frisait l’indécence… « Pourvou que ça doure » aurait dit quelqu’un !

    Mais cela n’avait pas duré, le coup de frein avait été brutal ! Pour un moment d’inattention, le business plan, les projets divers et variés avaient pris l’eau et sombrés sans possibilité de repêchage. C’était du moins l’avis de Charles-Henri et de ses conseillers et, le père ne comprenait pas que sa fille, au demeurant, tellement mature et intelligente, ne le comprît pas et n’en tirât pas toutes les conclusions pratiques. « L’intelligence c’est la faculté d’adaptation » avait-il l’habitude de dire et sa fille étant intelligente – une certitude – il attendait donc qu’elle s’adapte tout en comprenant, bien entendu, qu’il fallait un certain temps. D’un choc de nature économique, le rebond pouvait être immédiat, d’un autre de nature psychologique et d’une telle ampleur, la réaction nécessitait du temps. Mais combien de temps ? Charles-Henri trouvait que trois mois après le procès, la condamnation de JMD et l’internement qui s’en était suivi, étaient un terme plus que suffisant. Si ce n’était pas le cas, c’était que sa fille souffrait d’une fragilité insoupçonnée et cela n’était pas intellectuellement admissible. Aussi fallait-il qu’elle se secoue et regarde devant soi, pour elle et pour l’avenir de Laurent. Ainsi que pour lui, Charles-Henri. Il n’avait tout de même pas fait tout ça pour qu’au premier choc de la vie, « une faute banale » avait-il

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