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Quand une frondeuse rencontre un kleptomane: Roman
Quand une frondeuse rencontre un kleptomane: Roman
Quand une frondeuse rencontre un kleptomane: Roman
Livre électronique190 pages3 heures

Quand une frondeuse rencontre un kleptomane: Roman

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À propos de ce livre électronique

Valentine mène une vie bien réglée entre son mari, ses deux enfants et son métier d’infirmière. Cette routine l’excédant, elle fait alors preuve d’imagination et se livre à toutes les fantaisies afin de se distraire. Cependant, jusqu’où ira-t-elle pour pimenter son quotidien ?

À PROPOS DE L'AUTEURE

Professeur de lettres, Brigitte Saint-Cricq a travaillé pour France-Culture. Quand une frondeuse rencontre un kleptomane est son septième roman.
LangueFrançais
Date de sortie8 mars 2021
ISBN9791037720832
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    Aperçu du livre

    Quand une frondeuse rencontre un kleptomane - Brigitte Saint-Cricq

    I

    Ma vie glisse et tournoie dans la légèreté et l’insouciance.

    Quelquefois, j’ai l’impression d’ondoyer dans une rivière lisse sans aucun tourbillon, sans aucune grume ; une rivière mamma italienne qui surprotège brochets, perches et ablettes.

    Mon existence, elle est plane : sans imprévu, sans incident, sans accident. Je navigue entre un mari travailleur et aimant qui ne hausse jamais le ton, met le couvert, débarrasse la table, aide à la cuisine, s’occupe des devoirs des enfants, boit un verre de vin le soir et pas plus… m’en offre un, regarde T.L.S (Tout Le Sport) dix minutes chaque soir, un mari ni trop présent ni trop absent, un mari auquel on ne peut rien reprocher, et deux enfants : un garçon de onze ans, en sixième, et une fille de neuf ans, en C.M.1. Tous les deux faciles, ils se disputent un peu mais pas trop, ils cherchent à exceller en classe et en sport, ils enlèvent leurs chaussures dès qu’ils franchissent le seuil de la maison pour ne pas rapporter les cochonneries de la rue, ils se contentent de nouilles et de steaks hachés. Moi, je suis infirmière à l’hôpital, avec des horaires fixes qui évitent tout impondérable. Je m’occupe du service de gériatrie et je n’ai pas beaucoup de moments de repos. Les patients sonnent parce qu’ils ont soif, ont peur, n’arrivent pas à se lever pour aller aux toilettes, veulent un sédatif qui leur fera oublier leur mal de vivre. Ils doivent attendre quelquefois une demi-heure ou plus avant que je ne puisse venir vers eux car je suis occupée ailleurs. Je ne peux me dédoubler et je vois dans leur regard la tristesse et la colère devant ce qu’ils pensent être ma désinvolture. Je suis le pilier auquel ils s’accrochent et qui se dérobe. J’inscris leur température, leur tension et leur donne les médicaments prescrits.

    Quand vient l’heure des visites, je me calfeutre dans le bureau exigu des aides-soignantes et des infirmières car je ne veux pas entendre les réflexions des proches : « Il a encore 39. Pourquoi ? On le soigne mal. Je vais me plaindre au médecin. Où est l’infirmière-chef ? » Mais ce que je redoute le plus, c’est l’exaspération du fils et de la belle-fille qui trouvent que : « Le vieux met trop de temps à mourir. Il est complètement amorphe. Il faut qu’on arrête de le nourrir artificiellement. À son âge, ça n’sert à rien de le prolonger. »

    Évidemment, ils n’ont pas tort ! Il y a à peine soixante ans, on l’aurait laissé partir retrouver ses potes de l’au-delà. Mais si je lui administre la dose de morphine fatale, ils se retourneraient tous les deux contre moi. Ils auraient l’argent de l’héritage et, en prime, des sous pour préjudice moral. Pas question !

    À voir de l’extérieur, mon travail semble intéressant car il touche à l’humain. Mais moi, j’en ai assez des grabataires qui secouent la tête pour s’exprimer, parlent avec une langue si molle qu’ils sont incompréhensibles et s’énervent de ne pas pouvoir communiquer correctement. J’en ai assez de ne pouvoir confier mes inquiétudes pour tel ou tel patient à l’interne qui file vite de chambre en chambre sans m’écouter. Je suis un pion pour lui. Chaque jour, je fais les mêmes gestes, je vois les mêmes aides-soignantes, les mêmes infirmières, les mêmes médecins, même si les patients changent.

    J’en ai assez de retrouver, le soir, les enfants assis dans le canapé du salon auréolé de Coca-cola et de chocolat, les jambes repliées sous eux, les doigts des mains remuant à toute vitesse sur leur téléphone portable. Je m’applique à dire :

    — Bonjour, les enfants, en posant mon sac à main sur la console de l’entrée.

    — Bonjour, maman, répliquent-ils en chœur en fixant leur mobile.

    Ah ! Ils sont bien élevés, ceux-là ! Ils savent dire bonjour !

    — La journée s’est-elle bien passée ? Vous avez eu des notes ?

    Il faut que je réitère ma question pour qu’ils me répondent. Leur cerveau est trop occupé pour comprendre ce que je dis. Enfin, Martin parle :

    — Ouais… ça va… Moi, j’ai eu 14 en maths.

    — Et moi, un TB en récitation. La maîtresse m’a félicitée parce que je n’ai pas fait d’erreurs.

    Le temps que je change de chaussures, j’entends :

    — Enfin… Je l’ai tué ! hurle Martin.

    Il joue à Fortnite, le jeu à la mode, dans lequel il faut abattre le plus d’ennemis.

    — Fais voir, réplique Joséphine.

    — Vous avez fait votre travail pour demain ?

    — Oui, répondent-ils sans quitter des yeux leur jeu.

    Tous les soirs sont identiques. Mêmes questions. Mêmes réponses. La vie lustrée. Tous les deux penchés sur leur écran. Joséphine, tout à coup, file prendre un morceau de pain dans la cuisine dont la couleur vert pomme des éléments réveille les murs gris souris et le plan de travail anthracite. Spacieuse et ouverte sur le living, elle est agréable et claire. Je prépare le repas en attendant Alfred, mon mari, qui a été retenu à son boulot. Il fait de la gestion de patrimoine et il lui arrive de rentrer plus tard qu’il ne le désire. Son travail, il le fait scrupuleusement ; il a l’art de trouver des solutions pour trouver à ses clients des placements qui leur permettront d’éviter quelques impôts et il sait satisfaire les désirs d’enrichissement de la banque. Dès qu’il rentrera, on dînera et il n’y aura aucune variante dans les phrases qu’il prononcera, dans les intonations de sa voix.

    Il s’adressera aux enfants qui dissimuleront leur mobile sous la table ovale installée dans un coin du living ; ils lèveront le nez vers lui. Est-ce par peur de se le faire confisquer s’ils ne le regardent pas ou est-ce par désir de communiquer ?

    — Racontez-moi la matière qui vous a intéressés aujourd’hui.

    Je les écouterai s’animer pour répondre. Ils se couperont la parole et, comme tous les soirs, j’interviendrai :

    — Parlez chacun à votre tour.

    Alfred me sourira et dira :

    — Votre mère a raison. Aujourd’hui, c’est au tour de Joséphine de commencer. Demain, ce sera Martin. Qu’avez-vous fait à la récréation ? Avec qui étiez-vous ?

    Alfred s’intéressera ensuite à ma journée et moi à la sienne, mais ce que nous aurons à dire se résumera à quelques mots. Ensuite, il posera la question rituelle  :

    — Que nous as-tu concocté de bon ce soir ?

    Il me félicitera avant même d’avoir goûté le plat que j’ai fait.

    Nous resterons tous les deux devant la télévision pendant que les enfants monteront se coucher. Aucun mot plus haut que l’autre. Quant au choix des programmes, il se fait sans dispute car nous avons les mêmes goûts.

    Cette vie paisible qui me satisfaisait jusqu’au mois dernier ne me satisfait plus. Tout me semble morne, routinier, sans imprévu ; j’ai même l’impression que les minutes, les heures ressemblent à des billes de billard qui roulent tranquillement sur un tapis vert en feutrine.

    Quelques coups sur les billes avec une queue en frêne et j’irai mieux.

    Comme chaque fin de semaine, on n’échappe pas au dimanche.

    Comme chaque dimanche depuis que j’ai décidé que je m’ennuyais, je crains le moment où Alfred suggérera une sortie en forêt : « On part en balade. Préparez-vous. » Les enfants feront la moue, maugréeront : « On n’veut pas y aller. On reste. »

    Je renchérirai, l’air soumis : « Vas-y tout seul ! Prends l’air. Moi, je reste avec eux. »

    Mais Alfred sait les persuader en leur proposant de mettre dans le coffre de la voiture leurs rollers et un ballon. Aussitôt, oubliant leur mauvaise humeur, ils fileront chercher leur casque et des protections pour les poignets et les genoux, tandis que moi, je troquerai mes escarpins pour de vieilles baskets bonnes à jeter tant elles sont trouées et enfournerai dans un sac à dos des paquets de gâteaux, une tablette de chocolat au lait, une gourde de grenadine pour Joséphine et une autre de menthe pour Martin.

    Nous voilà tous les quatre sur la petite allée forestière goudronnée que nous avons l’habitude d’emprunter. Joséphine, comme elle le fait chaque fois qu’elle part en vadrouille à la campagne ou en forêt, m’inonde de fleurs qui seront fanées avant notre retour. Martin enfile ses rollers et roule à toute berzingue pour devancer son père qui fait du jogging. Tout essoufflé, après quelques kilomètres, Martin revient vers moi pour m’annoncer sa victoire. Je le félicite comme chaque fois. Il repart aussitôt. Tous nos faits et gestes sont bien huilés.

    Quand Alfred revient à notre hauteur, le visage rouge et brillant de sueur, Joséphine, qui vient d’enfiler ses rollers, s’agrippe à lui avant de s’élancer. Tous les trois se concentrent sur leur trajectoire, crient leur joie, rient, oublient ma présence, dédaignent les nuages qui tournoient tels des martinets noirs inlassables. Rien ne saurait altérer leur euphorie. Ils sont dans leur présent.

    Je devrais m’attendrir, je le sais, mais je ne le peux pas. Il y a un mois, j’aurais souri à leur vivacité, à leur gaîté, à leur insouciance. Mon regard se serait attardé sur leurs yeux qui pétillent, sur leurs joues qui rosissent, sur leurs lèvres étirées de plaisir. Aujourd’hui, je pense à leurs vêtements qui sortiront poussiéreux de cette escapade, aux tee-shirts pleins de sueur, aux chaussettes malodorantes, au vrombissement de la machine à laver qui m’atteindra jusqu’au salon où j’essaierai de me détendre et de rêver en regardant un documentaire sur un endroit insolite.

    Et chaque dimanche, comme je n’arrive pas à trouver le sommeil, je saisis un des livres que j’ai pris à la bibliothèque. Je choisis toujours des romans où les héroïnes ont quitté leur famille et leur pays pour mener une vie pleine de dangers dans des terres d’aventure où il faut résister aux caprices de la nature, à la brusquerie et au mépris de ceux qui les prennent pour des putes parce qu’elles voyagent seules ; elles croisent le chemin d’un aventurier dont elles tombent amoureuses et leur vie devient alors pleine d’épices.

    Le temps de la lecture, je suis ailleurs, dans une autre réalité que je prends pour la seule véritable, je frémis, entre en ébullition.

    Ce soir-là, à peine ai-je lu quelques pages que je somnole. Je lâche mon livre, le ramasse bien décidée à continuer ma lecture, mais quelques minutes plus tard : même scénario. Le livre tombe à nouveau. J’enrage de ne plus pouvoir m’identifier à l’aventurière du roman qui me captive ; j’enrage de ressembler à ma mère qui ne pouvait pas rester une heure devant la télévision ni lire plus d’une demi-heure sans s’endormir.

    À quarante ans, je me comporte comme une vieille femme qui ne sait dominer l’asthénie. Que vais-je devenir si je suis incapable de rester concentrée longtemps sur une lecture ?

    Est-ce le signe que je suis une quasi morte-vivante ? Comment déguster les jours qui défilent ? Comment retrouver l’enthousiasme dans chaque instant ? Il me faut une vie qui électrise…

    Je cherche désespérément la façon de fuir la routine pendant qu’Alfred feuillette un magazine politique et financier. Je le dévisage. Mon regard le dérange ; il lève la tête, me jette un regard bienveillant avant de se replonger dans son article. Comme j’aimerais que ses traits soient durs, que ses yeux soient des globes inertes, qu’il râle parce que je l’empêche de lire tranquillement son hebdomadaire. L’idiot, il me sourit ! Et devant son sourire, je reste figée. Impossible de fuir. Je stagne alors que la vie tournoie.

    II

    Elle réfléchit : que peut-elle faire ? Fuir ? Partir ? Où ?

    Seule, en laissant les enfants ? Non, c’est inenvisageable !

    Prendre des amants ? Elle n’est ni Emma Bovary ni Belle de jour. Elle entendrait les « tu es belle. Tu me plais. J’ai envie de toi » que chuchote un amant à sa maîtresse. Inutile ! Son mari sait les prononcer, ces mots doux et banals qui s’agglutinent sur vous comme les rayons du soleil, provoquant chatouillements et béatitude. Il sait aussi où la caresser pour que son corps réagisse. Avec un amant, elle sentirait certes des mains différentes glisser sur elle mais ce seraient les mêmes caresses sur les mêmes zones de son corps ; certes, elle humerait une odeur autre, découvrirait peut-être, et ce n’est pas certain, une autre façon d’être pénétrée, entendrait une voix autre qui chuchoterait les mêmes mots de la tendresse. Néanmoins, est-ce cela la nouveauté, l’inattendu ?

    Tous les deux se donneraient rendez-vous un jour fixe, à une heure fixe, dans un lieu fixe comme le lundi à quinze heures dans un motel à l’extérieur de la ville. Elle y entrerait comme prévu et en repartirait juste à temps pour être de retour avant la sortie des classes. Elle ne déjeunerait jamais dans un restaurant avec lui car il aurait peur du qu’en-dira-t-on, alors qu’elle, ce qui lui plairait, c’est être avec lui dans la brasserie la plus fréquentée de la ville et surveiller du coin de l’œil l’arrivée de quelques anciens patients en espérant être reconnue… Sa couardise et son manque d’entrain l’agaceraient très vite !

    Elle pense alors à la citation de Georges Courteline qu’elle considère comme écrite pour elle : « On ne sait lequel est le plus bête, et par conséquent, le plus dangereux ; se figer dans la routine des choses ou en prendre systématiquement et aveuglément le contre-pied. »

    Cette petite phrase lui fait prendre conscience que, quel que soit son choix – suivre ou fuir le train-train –, sa décision ne sera pas à la hauteur de ses aspirations. Elle fera donc du surplace, spectatrice de sa vie.

    Alors, elle se laisse mener contre son gré par le ronronnement du quotidien.

    Sa journée se déroule toujours de la même façon : elle soigne, pique, console, s’échappe de l’hôpital avec son cabas de ménagère, triture les cartables de ses enfants pour en sortir leurs devoirs et les vérifier. Ensuite, elle engloutit du chocolat tout en préparant le dîner, se sert un verre de vin avant de mettre le couvert, attend son mari en fumant une cigarette près de la fenêtre du salon qu’elle a ouverte. Ses enfants qui détestent qu’elle fume crient que ça pue.

    Elle ne les entend pas, ne répond pas à leurs questions tant elle est trop absorbée par sa « non-vie ». Elle rage après le bornage de sa vie qui ne laisse aucune place aux souvenirs puisqu’aucun évènement n’est surprenant et ne mérite d’être retenu. Elle se rend compte que toutes les journées, tous les mois qu’elle vient de passer, tous identiques, ne se gravent pas en elle. Il n’en reste rien si ce n’est l’impression de rester statique sur une route interminable. La routine qu’elle a instaurée s’est appropriée d’elle. Masse cotonneuse qu’elle a crue apaisante et rassurante mais qui la rend maintenant furieuse contre elle-même, furieuse contre son mari, furieuse contre tout ce qui l’entoure. Elle ne se reconnaît plus.

    Elle se met alors à rêver d’un ailleurs éblouissant, d’une vie libre, de rencontres surprenantes, d’une famille qui n’attend rien d’elle.

    Elle est bien décidée à la narguer, cette routine.

    Ainsi, un mercredi après-midi où ses enfants sont invités par des amis, elle enfouit dans le coffre de sa voiture la tenue vestimentaire qu’elle a mise le matin pour se rendre à l’hôpital, la troque contre un survêtement et un gros pull noirs et se donne le challenge d’errer seule dans la forêt la plus proche pour aller à la recherche de champignons. Elle quitte les allées caillouteuses en sautant par-dessus les fossés, foule les feuilles mortes et les branches tombées, évite les fougères car elle craint que les tiques ne lui sautent dessus. Elle aime l’odeur épicée des sous-bois, la douceur du soleil qui glisse sur elle en se faufilant entre les arbres, les pépiements des oiseaux qu’elle tente d’imiter. Mais très vite, elle se lasse. Tremble, sursaute au moindre craquement : est-ce un évadé de prison qui se terre ? Une bête

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