Pleine lune: Roman
Par Gilles Horiac
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À propos de ce livre électronique
Il y a la veuve Suzie, Antoine-le-délinquant, une adolescente écervelée, un ermite en quête d'amour, un loup égaré, un enfant désobéissant, un aveugle et un fantôme. A leur insu, tous redonneront vie à une légende qu'on croyait oubliée. Ces huit personnages ne se connaissent pas. Ils n'ont qu'une complice : la lune…
Un roman haut en couleur pourvu de personnages plus attachants les uns que les autres
EXTRAIT
Un incendie a complètement détruit la bibliothèque de Saint-Maël. Il n’y a pas eu de victimes, mais tous les livres qu’elle abritait ont été réduits en cendres. Bien peu de journaux ont relaté l’événement. A peine un entrefilet dans un quotidien local. Il faut dire que la plupart des gens ignoraient l’existence d’une bibliothèque dans un si petit village et que celle-ci n’ouvrait ses portes qu’une matinée par semaine, à condition que l’employé municipal responsable n’en ait point oublié les clefs. Il serait exagéré de dire que les quelque quatre cents livres passablement poussiéreux et rangés de manière anarchique sur six étagères en bois vermoulu constituaient un trésor de littérature : tout juste quelques récits de voyage, des légendes de la région ainsi que deux ou trois fardes d’archives départementales, dont on ignorait comment elles avaient un jour abouti à la bibliothèque de Saint-Maël.
Parmi ces livres, il en était un qui relatait une bien curieuse histoire, qui se serait déroulée au sein même du village. C’était un opuscule d’apparence insignifiante, dont la couverture en carton était protégée par une toile brute, au ton écru. L’ouvrage n’était pas signé. Il racontait l’histoire de Saturnin, un jeune poète, qui habitait seul à l’entrée du village. Tout le monde aimait le voir parcourir les rues, de sa démarche chaloupée. Sous sa chevelure hirsute, ses yeux semblaient toujours rire, et sa barbe claire s’ouvrait sur un sourire immuable.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Gilles HORIAC est né à Bruxelles en 1954. Professeur de français dans la banlieue de la capitale, il se sent très concerné par l'éducation des jeunes les plus défavorisés. Gilles HORIAC est également auteur compositeur de chansons françaises.
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Aperçu du livre
Pleine lune - Gilles Horiac
Le puits des neuf quatrains
Un incendie a complètement détruit la bibliothèque de Saint-Maël. Il n’y a pas eu de victimes, mais tous les livres qu’elle abritait ont été réduits en cendres. Bien peu de journaux ont relaté l’événement. A peine un entrefilet dans un quotidien local. Il faut dire que la plupart des gens ignoraient l’existence d’une bibliothèque dans un si petit village et que celle-ci n’ouvrait ses portes qu’une matinée par semaine, à condition que l’employé municipal responsable n’en ait point oublié les clefs. Il serait exagéré de dire que les quelque quatre cents livres passablement poussiéreux et rangés de manière anarchique sur six étagères en bois vermoulu constituaient un trésor de littérature : tout juste quelques récits de voyage, des légendes de la région ainsi que deux ou trois fardes d’archives départementales, dont on ignorait comment elles avaient un jour abouti à la bibliothèque de Saint-Maël.
Parmi ces livres, il en était un qui relatait une bien curieuse histoire, qui se serait déroulée au sein même du village. C’était un opuscule d’apparence insignifiante, dont la couverture en carton était protégée par une toile brute, au ton écru. L’ouvrage n’était pas signé. Il racontait l’histoire de Saturnin, un jeune poète, qui habitait seul à l’entrée du village. Tout le monde aimait le voir parcourir les rues, de sa démarche chaloupée. Sous sa chevelure hirsute, ses yeux semblaient toujours rire, et sa barbe claire s’ouvrait sur un sourire immuable.
– Ho, Saturnin ! Combien, ce soir ?
– Trois ! clamait-il avec fierté. Trois quatrains que je viens d’écrire pour la veillée de ce soir !
– Félicitations, Saturnin ! Tu es un grand poète ! A ce soir, alors !
Saturnin n’était pas seulement poète. C’était un véritable animateur, et cela, bien avant que le terme ne soit entré et souvent galvaudé dans le langage courant. Chaque soir, peu après le coucher du soleil, il réunissait tous les habitants du village sur la Place Blanche pour la veillée. La Place Blanche n’avait que peu de points communs avec la Grand-Place du village, flanquée de l’église et de la mairie. C’était un petit espace carré, situé au carrefour de quatre ruelles et au centre duquel se trouvait un puits, probablement utilisé jadis. Les maisons chaulées qui ceinturaient la place étaient toutes munies de minuscules fenêtres aux châssis bleus, qui s’ouvraient presque toutes ensemble lorsque la veillée débutait, comme autant de regards curieux et impatients. Saturnin profitait des dernières clartés du jour pour exécuter deux ou trois mimes ; certains d’entre eux singeaient gentiment les notables du village, de la région, ou même du pays. Assis ou debout autour du puits ou contre les façades, les spectateurs jubilaient. Parfois, l’un d’eux se levait et enjambait le public assis pour rejoindre Saturnin au centre du cercle.
– J’ai une histoire à raconter ! clamait-il.
Et avec l’humilité des grands, le poète lui cédait la place en l’encourageant par des applaudissements. Il arrivait même que la mercière se lance dans une chanson du cru, pour laquelle elle quémandait l’aide de l’épouse du maire, réputée pour son joli filet de voix. Lorsque les paupières s’alourdissaient ou que se faisaient entendre les premières jérémiades d’enfants fatigués, Saturnin comprenait que le grand moment était venu.
– Avant de nous dire bonne nuit, j’ai trois quatrains à vous lire. Ils sont tout frais de ce matin.
Un « Ah » de satisfaction saluait ce moment qui, invariablement, constituait l’apothéose de la veillée. Quand le poète lisait ses vers, on n’entendait pas un murmure. Même les enfants cessaient de pleurer, les insectes, de vrombir, le vent, de bruire. Et surtout, les étoiles semblaient briller plus fort et plus nombreuses, comme si elles aussi tenaient à s’enivrer de la magie des vers, de la musique des mots qui s’égrenaient de la bouche de Saturnin comme des pétales de bonheur. Après la veillée, chacun rentrait chez soi, le cœur joyeux et l’âme légère.
Avec les années, l’assistance aux soirées animées par Saturnin devint moins nombreuse. Le poète n’avait pourtant rien perdu de son imagination ni de sa faconde. Sa peau s’était ridée et ses cheveux avaient blanchi, mais sa verve et son enthousiasme étaient restés intacts. Tous les jours, il inventait de nouveaux quatrains, dont la lecture restait le point fort de la veillée. Mais malgré tous ses efforts, Saturnin devait bien se rendre à l’évidence : le public, de plus en plus clairsemé, disparaîtrait s’il ne réussissait pas un grand coup. Il dormait de moins en moins. La plupart de ses nuits, il les occupait à imaginer de nouveaux tours, à apprendre des chansons, et surtout, à écrire des vers. C’est ainsi qu’un jour, on le vit déambuler dans les rues du village avec un air de vainqueur.
– Neuf ! J’ai réussi à composer neuf quatrains pour ce soir ! Et pas des redites ! Les plus beaux vers que j’aie jamais écrits !
– C’est bien, Saturnin, lui répondait-on avec le ton du psychiatre tentant de calmer un patient agité.
– Madame Dureil ! Vous viendrez les écouter, n’est-ce pas ? voulut-il s’assurer en secouant la vieille mercière.
– Non, mon pauvre Saturnin. Tu sais bien que mes jambes ne me portent même plus jusqu’à la Place Blanche.
– Et vous, Martin ? fit-il au boucher.
– Oui, oui, nous verrons.
– Et vous, les jeunes ? fit-il en s’adressant à quatre grands adolescents qui s’affairaient autour d’un chapeau de poker.
– Tu veux que je te dise, Saturnin, répondit le plus âgé. Tes poèmes, ils n’intéressent plus personne. Même mieux : ils nous em-mer-dent ! acheva-t-il en s’esclaffant.
Le poète devenait comme fou. Il préféra se tourner vers les anciens, ceux qui avaient connu les vraies, les grandes veillées de Saint-Maël. Avec l’énergie du désespoir, il implorait :
– Ce soir, ce sera la plus merveilleuse veillée que le village ait connue. Et elle sera clôturée par neuf quatrains beaux comme des fruits mûrs. Il faut venir ! En plus, c’est pleine lune cette nuit ! Il faut venir !
– Mais oui, Saturnin, ne t’en fais pas ! On viendra, lui répondait-on pour le faire taire.
Saturnin avait retrouvé le vieux chapeau melon de ses débuts.
Il se souvenait qu’il faisait rire les enfants. Paré de son plus beau costume, il arpenta les rues qui menaient à la Place Blanche. Arrivé le premier, il en profita pour répéter ses quatrains. Tout de même ! C’était la première fois qu’il en lirait neuf en une soirée ! L’éclairage public n’avait pas été installé sur la place et Saturnin s’en félicitait. Le soleil avait complètement disparu ; l’heure de la veillée était là. L’amuseur était prêt, mais son cœur était gonflé d’angoisse. Il n’avait qu’un seul spectateur : un chat tigré et famélique qui achevait sa toilette sur le seuil d’une fermette, avant de se retirer d’un air digne. Autrefois ouvertes à cette heure, les fenêtres des maisons qui ceinturaient la place étaient toutes closes. Les rideaux tirés laissaient entrevoir quelques lueurs bleutées. Les veillées et les fêtes se vivaient maintenant seuls, enfermés chez soi. Saturnin s’approcha du puits, s’assit sur la margelle. Il tenait toujours les vers qu’il avait écrits et qui maintenant lui brûlaient les doigts. Dans un mouvement de colère et de désespoir, il les jeta au fond du puits. La lune léchait les façades d’une lumière laiteuse. Elle semblait dévisager le poète déchu… était-ce un regard moqueur ou compatissant ?
Elle seule sait ce qu’il est devenu. Car depuis sa veillée manquée, Saturnin n’a plus jamais reparu. Certains prétendent que, fou de chagrin, il s’est jeté dans le puits pour y rejoindre ses quatrains. Toujours est-il que de curieux phénomènes ont commencé à se produire dès le lendemain de sa disparition. Chacun remarqua d’abord que les nuits étaient beaucoup plus noires sur Saint-Maël. Si la lune brillait encore, les étoiles, elles, s’étaient complètement éteintes, même les soirs de beau temps. Et surtout, les gens commencèrent à se haïr. Quand l’épicière revenait de la ville, fière des deux nouvelles robes qu’elle y avait trouvées, au lieu de se réjouir avec elle, on se demandait comment cette personne d’apparence modeste pouvait s’offrir une garde-robes si luxueuse. Quand Brigitte, une brunette de dix-huit ans, sortait de la forge de son père pour se promener dans la campagne, les jambes nues et les cheveux au vent, certains murmuraient entre eux :
– Pas étonnant qu’elle ait arrêté ses études. Tous les hommes la regardent : le fils du meunier, celui