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Contes pour les hommes
Contes pour les hommes
Contes pour les hommes
Livre électronique201 pages1 heure

Contes pour les hommes

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À propos de ce livre électronique

Extrait : "Un soir de décembre, dit Monistrol, j'errais seul tout le long des boulevards extérieurs. La fête foraine battait son plein, et au milieu des lumières multicolores, dans les roulements de tambours et les éclats de trombones, je me dirigeais vers une petite baraque décorée d'une immense toile jaunâtre. On y lisait : "MADAME LOLO – FEMME-TORPILLE – Elle est masquée ! C'est une dame du monde !! Mystère !! PRIX : 20 CENTIMES.""

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
LangueFrançais
ÉditeurLigaran
Date de sortie2 sept. 2016
ISBN9782335166729
Contes pour les hommes

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    Contes pour les hommes - Ligaran

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    À OSCAR MÉTÉNIER

    SON AMI,

    D.L.

    La Femme-Torpille

    Un soir de décembre, dit Monistrol, j’errais seul, tout le long des boulevards extérieurs. La fête foraine battait son plein, et au milieu des lumières multicolores, dans les roulements de tambours et les éclats de trombones, je me dirigeais vers une petite baraque décorée d’une immense toile jaunâtre.

    On y lisait :

    Devant la porte, un homme se tenait en costume de général, coiffé d’un colback et chaussé de bottes à l’écuyère. Grand et moustachu de roux, les épaules larges, la bouche vineuse, de son épée, il indiquait l’affiche aux badauds, en criant d’une voix de rogomme :

    – Ne partez pas sans toucher la main de Madame Lolo, une femme du monde, oui, une femme du mo… onde ! C’est la merveille des merveilles ! Ne partez pas ! Ne partez pas !… Vingt centimes, rien que vingt centimes !… Ô prodige !… Ô gloire des gloires ! Madame Lolo touche votre dextre et vous communique l’esprit et la grâce qui sont en elle !… Ne partez pas sans emporter le frisson de Madame Lolo, une femme du monde, vicomtesse ou marquise, duchesse, princesse peut-être ! Elle est masquée ; vous ne la verrez pas, car si vous la voyiez, vous tomberiez éblouis tant elle est belle, extraordinairement belle ! Vous ne la verrez pas, mais de son contact doux et charmant, de la pression de ses doigts aristocratiques et scientifiques, vous garderez un souvenir éternel ! Admirez la princesse qui, pour vingt centimes, vous donne un frisson, une parcelle de son être, qui s’immatérialise en vous accordant l’auguste faveur d’un shake-hands !… Ne partez pas sans vous prosterner devant Madame Lolo, une femme du monde, oui, une femme du mo… onde !… Entrez, mesdames ! Entrez, messieurs ! Vingt centimes !… Madame Lolo distribue des poignées de mains, et l’on enlève quelque chose de cette créature céleste, de cette Divine ! Vous en vivez, et elle en meurt ! C’est la reine des femmes ; c’est la reine des reines !… Ah ! ne partez pas ! ne partez pas sans avoir frissonné, frissonné au frisson de Madame Lolo !…

    J’entrai.

    Une manière de duègne attendit que les visiteurs fussent en nombre, et elle souleva un rideau. J’aperçus la Femme-Torpille, une blonde élancée. Elle était en toilette de bal, assise sur un tabouret aux pieds de verre, et ses flots de satin blanc, et de précieuses dentelles, et ses gants noirs très longs, et ses escarpins minuscules, et ses bas de soie gris-perle, et son loup de velours fleuri de points de Venise, ses gestes, et ses sourires, et son jeu d’éventail, et ses distinctions infinies révélaient une personne ignorée du monde des saltimbanques. Je voyais luire au travers du loup ses yeux bleus, d’un bleu saphir et d’une telle lumière que j’en demeurais inquiet et ravi. Non, jamais, je n’avais rencontré des regards pareils, des regards de vierge ou des regards de bête, mais non point de regards de femme : tantôt ils étaient doux, tantôt furieux, chastes ou obscènes, mais sans le « mouillé » particulier des amoureuses. La bouche, petite et rose, toute jeune et bien perlée, avait le sourire indéfinissable que le grand Léonard a immortalisé sur les lèvres de la Joconde. Plaisir ou douleur, compassion ou dédain ? Tout comme la Joconde, en son palais du Louvre, Madame Lolo, sur le tabouret électrique, restait muette.

    Déjà, un à un, les visiteurs défilaient aux lueurs du gaz, tendaient leurs mains grasses ou maigres, propres ou sales, recevaient la secousse, riaient, puis versaient un supplément de dix centimes dans l’assiette de la duègne. Il y avait là très peu de femmes, une lingère, deux horizontales, une vieille dame et son monsieur ; parmi les hommes, des maçons, des terrassiers, un cocher, des bourgeois, un croque-mort, des peintres et des gens de lettres. Ceux-ci admiraient béatement, cherchaient le truc, et du dehors on entendait les invitations de l’intrépide barnum :

    – C’est une femme du monde, du mo… onde !…

    Quand j’avançai la main, Madame Lolo eut un rire joyeux, et je sentis une caresse luxurieuse, au creux de la paume, autour de la grande lettre M (en anglaise) dont les trois jambages disent les lignes de vie, d’amour et de fidélité. Cette caresse était bien vulgaire, bien hardie pour une femme du monde ; mais vous remarquerez qu’il est difficile d’envoyer des œillades sous le masque – l’œillade blonde ou brune exigeant une attitude correspondante de l’arcade sourcilière et même de tout le visage.

    Et l’œillade n’accompagnait pas le chatouillement, et rien ne bougeait auprès du nez voilé, des lèvres entrouvertes et de la fossette, le bijou du menton.

    Très gracieuse elle prit place à mes côtés

    On sortit ; d’autres personnes arrivèrent, et sur le seuil de la baraque, j’interpellai l’homme de la Réclame.

    – Est-elle vraiment jolie, Madame Lolo ?

    – Ah ! monsieur !

    – Pourquoi, alors, ne se montre-t-elle pas ?

    – Tout le monde en voudrait…

    – Et si j’en voulais, est-ce que…

    Il me regarda, me scruta de ses yeux fouilleurs, et dit :

    – À minuit, on ferme.

    – Je serai là. Puis-je emmener Madame Lolo ?

    – Non, mon gentilhomme.

    – Laissez-la sortir ; je payerai.

    – Impossible. Vous vous amuserez dans la baraque, si toutefois vous plaisez à madame.

    – Le prix ?

    – Rien pour elle, mais vous êtes libre de m’octroyer un pourboire.

    – Vous aurez deux louis.

    – Très bien. Et la mère ?

    – Quelle mère ?

    – La vieille, notre quêteuse, celle qui tire le rideau ?

    – Une pièce de cent sous, hein ?

    Yes. C’est entendu. Minuit ?

    – Minuit.

    – Vous passez derrière les arbres… Attention aux gardiens de la paix.

    Maintenant, on descendait de l’Élysée-Montmartre, et sous le ciel mort, dans la froidure hivernale, çà et là mouchetée de fleurs de givre, des casquettes ouvraient des fiacres ; plus loin, entre la théorie des becs de gaz mourants aux baisers des ténèbres, les couples amoureux s’enfermaient à la Nouvelle-Athènes ou au Rat-Mort ; plus loin encore, sur les bancs, des cravates rouges lutinaient les filles en cheveux, – et seul, toujours seul, je frappai à la porte de Madame Lolo.

    – Toc-toc, c’est moi.

    – Soyez le bienvenu, mon gentilhomme, observa l’homme au colback.

    Je lui remis les deux pièces d’or promises, et j’allongeai cinq francs à la duègne. Femme et homme, enchantés, résolurent de monter la garde, tandis que je saluai la femme-Torpille.

    Elle m’offrit un shake-hands non électrique et me désigna un escabeau :

    – Veuillez vous asseoir, monsieur.

    Très gracieuse, elle prit place à mes côtés sur une malle et commença :

    – Je suis, monsieur, une femme du monde.

    – Je n’en doute pas, madame.

    – Votre parole d’honneur ?

    – Ma parole d’honneur.

    – Merci. Je ne vous dirai pas, selon un usage banal : « Vous devez bien me mépriser ! » Je vous dirai, en vous demandant l’autorisation de respecter mon loup : Celle qui vous parle est une malheureuse créature ; elle a la jeunesse, la beauté, la fortune, l’esprit peut-être, et elle souffre toutes les douleurs, de l’impuissance et des désirs… Vous m’entendez ?

    – À merveille, madame.

    – Et vous me plaignez ?

    – Certainement.

    – J’ai essayé des bromures, de l’hydrothérapie, des massages, de la liqueur Brown-Séquard ; j’ai essayé du changement d’amoureux ; j’aurais pu, nouvelle Messaline, courir les ignobles maisons, m’aventurer à Lesbos, mais, outre

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