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La PRESENCE ATTENTIVE (MINDFULNESS): État des connaissances théoriques, empiriques et pratiques
La PRESENCE ATTENTIVE (MINDFULNESS): État des connaissances théoriques, empiriques et pratiques
La PRESENCE ATTENTIVE (MINDFULNESS): État des connaissances théoriques, empiriques et pratiques
Livre électronique552 pages6 heures

La PRESENCE ATTENTIVE (MINDFULNESS): État des connaissances théoriques, empiriques et pratiques

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À propos de ce livre électronique

La méditation basée sur la présence attentive (mindfulness) suscite un engouement grandissant depuis les dernières années. Elle a fait l’objet d’un nombre considérable d’études scientifiques, et plusieurs journaux et revues populaires lui ont consacré des numéros spéciaux dans lesquels elle est présentée comme une pratique novatrice permettant d’accroître la qualité de vie et la santé de manière significative.

Or la science permet-elle de soutenir de telles affirmations ? Quels sont les véritables effets de la méditation sur les plans psychologique et phy­siologique ? Peut-elle réellement réduire les problèmes de sommeil, accroître le rendement des employés, favoriser le développement socio­émotionnel des enfants et aider les patients aux prises avec des douleurs chroniques ? Quelle est l’efficacité des interventions basées sur la présence attentive ? Quels sont les mécanismes d’action sur lesquels ces interventions s’appuient ?

S’il existe une quantité considérable de livres sur la présence attentive destinés au grand public, peu d’ouvrages ont été rédigés dans le but d’aider les chercheurs et les intervenants à porter un regard critique sur cette pratique. Le présent ouvrage fait le point sur l’apport de la présence attentive dans divers secteurs d’activités, dont les secteurs scolaire et organisationnel, et auprès de différentes clientèles, tels les proches aidants, les victimes de traumas et les leaders. Des chercheurs y répertorient les études empiriques les plus récentes, en font un bilan critique, rigoureux, cohérent et intelligible, et proposent diverses pistes de recherche et d’intervention porteuses pour l’avenir.
LangueFrançais
Date de sortie6 janv. 2016
ISBN9782760543744
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    La PRESENCE ATTENTIVE (MINDFULNESS) - Simon Grégoire

    1

    Enjeux liés à la définition et à la mesure de la présence attentive

    Simon Grégoire et Laurence De Mondehare

    Les auteurs ne s’entendent pas tous sur la manière de définir, mais également de mesurer la présence attentive. Dans les écrits scientifiques, celle-ci est définie de diverses façons et plus d’une vingtaine de questionnaires autorapportés ont jusqu’à présent été développés. Dans ce chapitre, quelques-uns des principaux enjeux liés à la définition et à la mesure de la présence attentive sont exposés et des solutions sont proposées afin d’améliorer la façon dont le construit est mesuré en contexte de recherche et d’intervention.

    1. Enjeux liés à la définition de la présence attentive

    L’expression présence attentive provient du mot pali sati et du mot sanscrit smrti, soit deux langues indiennes dans lesquelles les enseignements de Bouddha ont été consignés. En 1881, T. W. Rhys Davids a traduit ces mots par le terme mindfulness (Gethin, 2011), lequel sera, à son tour, traduit en français par les expressions pleine conscience et, plus récemment, présence attentive. Bien que l’expression « pleine conscience » demeure la plus répandue dans les écrits scientifiques francophones, c’est plutôt l’expression « présence attentive » qui a été retenue aux fins de cet ouvrage collectif. Comme le soulignent Berghmans et Herbert (2010), l’utilisation du mot conscience comporte de nombreux pièges sémantiques et peut revêtir diverses significations (p. ex., perdre ou reprendre conscience, avoir ou prendre conscience de quelque chose, avoir une liberté de conscience). Les auteurs écrivent :

    Le terme de pleine conscience tel qu’il est véhiculé dans la littérature peut entraîner une difficulté de compréhension. Une traduction plus appropriée pourrait être plus pertinente avec le terme de présence attentive telle qu’on la retrouve dans le bouddhisme ou d’attention vigilante qui souligne l’aspect attentionnel de la conscience awareness déjà évoqué par Condillac (1746) et qui souligne plus l’importance accordée à l’attention et à l’observation des états mentaux (Berghmans et Herbert, 2010, p. 16).

    En outre, le terme « présence attentive » offre le mérite d’être moins abstrait que le terme « pleine conscience », en plus de demeurer assez près du mot anglais mindfulness.

    S’il est vrai que la présence attentive est davantage associée au boud­dhisme, sa nature phénoménologique est présente dans la plupart des grandes traditions spirituelles de même que dans les écrits de certains philosophes occidentaux tels que Husserl et Buber (Sauer et al., 2012). Une personne est présente de manière attentive « lorsqu’elle est attentive à son expérience (interne et externe), telle qu’elle se déploie dans l’instant présent, et ce, sans jugement » (Kabat-Zinn, 2003, p. 145 ; traduction libre). Cette définition repose sur deux dimensions complémentaires, soit l’attention et l’acceptation (Bishop et al., 2004). D’une part, être présent de manière attentive consiste à diriger délibérément notre attention vers ce que l’on vit dans le moment présent, par exemple, les sensations corporelles, les émotions et les pensées qui nous habitent ou encore le langage non verbal de notre interlocuteur. C’est en d’autres termes réguler notre attention de façon à être alerte et vigilant à ce qui se déroule, en nous et autour de nous, instant après instant. D’autre part, être présent de manière attentive consiste à accueillir ce qui est perçu avec bienveillance et curiosité. C’est par exemple accepter nos émotions ou nos pensées sans chercher à les éviter, les changer ou les contrôler.

    Or, bien que cette définition soit la plus répandue, elle ne fait pas l’unanimité et soulève un certain nombre de questions, lesquelles sont présentées dans les lignes qui suivent (Chiesa, 2012).

    1.1. Présence attentive : un trait, un état, un résultat ou un processus ?

    Dans la plupart des écrits scientifiques, la présence attentive est définie comme un trait (ou une disposition) qui se manifeste au quotidien à travers divers comportements (Brown et Ryan, 2003 ; Brown, Ryan et Creswell, 2007). Plusieurs présupposent que ce trait est stable à travers le temps et les situations, mais qu’il peut être modifié avec de la pratique (Baer, 2011). En outre, il est généralement admis qu’il est universel, mais qu’il varie en intensité d’une personne à l’autre (Kabat-Zinn, 2003). Lorsqu’elle est conceptualisée comme un trait, la présence attentive est évaluée à l’aide de questionnaires autorapportés dans lesquels la personne doit indiquer la fréquence à laquelle elle émet des comportements jugés représentatifs de ce qu’est la présence attentive (p. ex., « Quand je marche, je fais intentionnellement attention aux sensations de mon corps en mouvement. ») ou, à l’inverse, de ce qu’elle n’est pas (p. ex., « Quand je fais des choses, mon esprit s’égare et je suis facilement distrait(e)¹. »). Les scores obtenus aux questionnaires permettent de déterminer à quel point la personne a tendance à être présente de manière attentive dans la vie de tous les jours.

    La présence attentive est aussi définie comme un état (ou un mode) de conscience, lequel est accessible du moment qu’une personne dirige délibérément son attention vers ce qu’elle vit dans l’instant présent avec ouverture et acceptation (Bishop et al., 2004). Lorsqu’elle est conceptualisée de la sorte, la présence attentive est mesurée en demandant à une personne d’évaluer si les items qui lui sont présentés sont représentatifs de ce qu’elle a vécu au cours d’une période donnée, lors d’une séance de méditation, par exemple (p. ex., « J’ai eu des moments où je me suis senti(e) alerte et vigilant(e)². »). Le score obtenu permet alors d’évaluer à quel point une personne s’est retrouvée en état de présence attentive durant cette période.

    Précisons que pour certains auteurs (Chiesa, 2012), la présence attentive peut être définie (et mesurée) à la fois comme un trait et un état et que ces deux conceptualisations ne sont pas incompatibles. Thompson et Waltz (2007) ont notamment montré que les résultats issus des questionnaires destinés à mesurer la présence attentive en tant que trait sont peu ou pas corrélés à ceux développés pour la mesurer en tant qu’état. Ces résultats suggèrent que ces questionnaires mesurent des concepts apparentés, mais distincts.

    La présence attentive est souvent définie implicitement comme un résultat à atteindre et la majorité des questionnaires permettent essentiel­lement de déterminer à quel point une personne parvient avec succès à être présente et attentive dans la vie de tous les jours. Or certains font remarquer que la présence attentive constitue aussi un processus (Shapiro, 2009). Pour Erisman et Roemer (2012), par exemple, être présent de manière attentive, c’est : 1) reconnaître le moment où nous ne sommes plus attentifs à ce qui se déroule en nous et autour de nous et 2) rediriger notre attention sur nos expériences immédiates avec ouverture, curiosité et non-jugement. En ce sens, les auteurs ont développé un questionnaire afin de mesurer non pas si une personne « réussit » à être présente et attentive au quotidien, mais plutôt à quel point elle est engagée dans la pratique de la présence attentive (p. ex., « Si je réalise que je suis critique par rapport à mes pensées ou mes émotions, j’essaie plutôt de les accepter³. »). Ajoutons en terminant que dans plusieurs des programmes d’intervention présentés au chapitre 4 de cet ouvrage, la présence attentive est décrite comme une habileté pouvant se développer et être utilisée dans divers contextes.

    En somme, la présence attentive est définie dans les écrits comme un trait, un état, un résultat, un processus ou une habileté de sorte qu’il peut être difficile pour le lecteur de s’y retrouver. Comme la présence attentive constitue un sujet de recherche récent, cette pluralité conceptuelle est sans doute normale, mais n’en demeure pas moins une source de confusion (Chambers, Gullone et Allen, 2009).

    1.2. Une, deux ou plusieurs dimensions ?

    Même si elle est la plus répandue, la conception en deux dimensions (attention et acceptation) de la présence attentive présentée plus haut est contestée. D’une part, certains affirment que le concept repose sur une seule dimension – celle de l’attention – et que l’acceptation constitue plutôt un antécédent ou une conséquence de la présence attentive plutôt que l’une de ses composantes (Brown et al., 2007). Grabovac, Lau et Willett (2011), par exemple, considèrent que l’acceptation représente un antécédent de la présence attentive, car c’est en étant ouverte et curieuse qu’une personne parvient à ramener constamment son attention vers sa respiration et son expérience durant la méditation. En outre, cette attitude de non-jugement lui permet d’éviter de se laisser prendre par les ruminations ou les pensées négatives. D’autre part, certains auteurs soutiennent que la présence attentive repose sur plus de deux dimensions. Au terme d’une analyse factorielle réalisée à partir de cinq questionnaires destinés à mesurer la présence attentive, Baer, Smith, Hopkins, Krietemeyer et Toney (2006) concluent que le concept s’appuie sur cinq dimensions distinctes, soit l’observation des expériences internes et externes, leur description, l’action vigilante (agir avec vigilance plutôt que par automatisme), le non-jugement (suspendre les ­jugements à l’égard des pensées, des émotions ou des sensations) et la non-réactivité (laisser aller les pensées, les émotions ou les sensations sans se laisser envahir par elles).

    La présence attentive est donc définie comme un concept uni, bi ou multidimensionnel et sa structure factorielle continue d’alimenter les débats (Sauer et al., 2012). Néanmoins, la plupart des chercheurs semblent s’être rangés derrière la définition de Bishop et al. (2004) et reconnaissent que le concept s’enracine dans deux dimensions, soit la régulation de l’attention et l’attitude d’acceptation. De plus, bon nombre de questionnaires mesurent explicitement ces deux dimensions ou encore des sous-dimensions pouvant s’y rattacher (Sauer et al., 2012).

    1.3. Distinctions entre les définitions traditionnelles et contemporaines

    Aux yeux de certains auteurs, la façon dont la présence attentive est définie dans la psychologie contemporaine diffère de la manière dont elle est décrite dans les textes bouddhistes (C. Brazier, 2013 ; D. Brazier, 2013 ; Gethin, 2011 ; Grossman, 2011 ; Mikulas, 2011 ; Purser et Milillo, 2014 ; Rapgay et Bystrisky, 2009 ; Tanner et al., 2009). Ils maintiennent qu’en opérationnalisant et en sécularisant le concept dans le but de le mesurer scientifiquement, plusieurs éléments importants ont été laissés de côté de sorte que ce dernier a été dilué, voire dénaturé (Grossman et Van Dam, 2011). Gethin (2011), par exemple, souligne que les définitions contemporaines ne permettent pas de rendre compte du fait que la présence attentive est d’abord une pratique, laquelle est décrite en détail dans le Satipat.t.hāna Sutta (Anālayo, 2003), soit le tout premier discours de Bouddha sur la présence attentive (C. Brazier, 2013). À l’origine, la présence attentive était vue comme une pratique graduelle et séquentielle durant laquelle une personne s’entraînait (grâce à diverses techniques contemplatives telles que la méditation) à porter attention à ses sensations corporelles, ses pensées, ses émotions puis à d’autres types d’expériences mentales, comme les souvenirs. Cette pratique méditative, forme d’entraînement de l’esprit, est longue et soutenue. Le mot pali sati renferme d’ailleurs l’idée qu’une personne doit constamment se rappeler de pratiquer ; ramener sans cesse son attention au moment présent et saisir chaque occasion que lui offre la vie pour cultiver sa présence attentive (Siegel, Germer et Olendzki, 2009). Cette idée est bien présente dans les interventions basées sur la présence attentive (IBPA) (voir le chapitre 4 de cet ouvrage) puisque les participants sont encouragés à pratiquer la méditation de manière formelle et informelle, c’est-à-dire à prendre part à leurs activités quotidiennes en étant présents et attentifs. Or cette idée se retrouve peu dans les définitions ­contemporaines (Christopher, Woodrich et Tiernan, 2014).

    Ajoutons qu’à l’origine, cette pratique est spirituelle. Son objectif est de mener à l’éveil (Mikulas, 2011) et d’amener une personne à observer de quelle manière l’esprit crée de l’insatisfaction et de la souffrance, moment après moment (Siegel et al., 2009). Elle vise notamment à aider la personne à développer une plus grande maturité psychologique, à prendre conscience de la nature éphémère des choses, à s’affranchir des pièges de l’ego (p. ex., prendre les choses de manière personnelle) et à donner un sens à ce qu’elle vit (C. Brazier, 2013 ; D. Brazier, 2013). Aux yeux de Grossman et Van Dam (2011), cette pratique ne peut être réduite à une technique destinée à réduire le stress et les tensions de la vie moderne, comme le font plusieurs auteurs contemporains. Son objectif n’est pas médical ou thérapeutique, pas plus qu’il consiste à éliminer des symptômes. De plus, cette pratique s’enracine dans un certain nombre de principes éthiques (p. ex., faire preuve de bienveillance) (Monteiro, Musten et Compson, 2014 ; Purser et Milillo, 2014) et tend à développer diverses qualités (p. ex., la compassion, la sagesse, l’équanimité, la tolérance, la patience) (Olendzki, 2009). Pour Gunaratana (2002), il est impossible d’étudier la présence attentive en faisant abstraction de ces principes et de ces qualités. Or ceux-ci sont généralement exclus des définitions que l’on retrouve dans les écrits ­scientifiques (Chiesa, 2012).

    Les distinctions entre les définitions traditionnelles et contemporaines de la présence attentive continueront sans doute d’alimenter les discussions au cours des prochaines années. Pour le moment, gardons à l’esprit que la façon dont le concept est défini, mesuré et enseigné dans les IBPA diverge à certains égards de la manière dont elle est décrite dans les écrits bouddhistes. Pour certains, ce décalage est déplorable alors que pour d’autres, il est plutôt bénéfique. Pour Baer (2014), cette divergence est inévitable puisque dans son passage de l’Orient à l’Occident, la pratique de la présence attentive a dû être adaptée pour mieux s’enraciner, notamment en prenant une forme séculière et opérationnelle.

    2. Enjeux liés à la mesure de la présence attentive

    Si la présence attentive est définie de diverses façons dans les écrits, elle est aussi mesurée de bien des manières. En général, elle est mesurée à l’aide de questionnaires qui visent à déterminer si une personne a tendance : 1) à porter attention à ce qui se passe à l’intérieur comme à l’extérieur d’elle-même (p. ex., « Quand je fais quelque chose, je suis uniquement focalisé(e) sur ce que je fais, et rien d’autre⁴. ») et 2) à accepter

    Tableau 1.1

    Principaux questionnaires utilisés pour évaluer la présence attentive chez les enfants, les adolescents et les adultes

    Note

    :

    Certains questionnaires sont disponibles en version longue et en version courte. Lorsque c’est le cas, le symbole | est utilisé pour distinguer les deux.Source : Walach, Buchheld, Buttenmüller, Kleinknecht et al., 2006.

    ses expériences avec ouverture, curiosité et bienveillance (p. ex., « Je crois que certaines de mes pensées sont anormales ou mauvaises et que je ne devrais pas penser de cette manière⁵. »). Jusqu’à maintenant, près d’une vingtaine de questionnaires ont été développés, dont cinq ont été traduits et validés en français (voir le tableau 1.1). Ces questionnaires se distinguent notamment par la manière dont la présence attentive y est définie, leurs assises théoriques, le nombre de dimensions sur lesquelles ils reposent, leur longueur de même que leur popularité dans les écrits scientifiques. À cet égard, la Mindful Attention Awareness Scale (MAAS), le Kentucky Inventory of Mindfulness Skills (KIMS) et le Five Facet Mindfulness Questionnaire (FFMQ) apparaissent comme étant les questionnaires les plus utilisés dans les études scientifiques jusqu’à maintenant (Sauer et al., 2012). Les questionnaires se distinguent ­également par la clientèle à laquelle ils s’adressent. Alors que certains ont été conçus pour des méditants (p. ex., la version longue du Freiburg Mindfulness Inventory [FMI]), la plupart peuvent être utilisés auprès de gens n’ayant jamais médité. D’autres questionnaires (p. ex., le Southampton Mindfulness Questionnaire [SMQ] et la Cognitive and Affective Mindfulness Scale-Revised [CAMS-R]) semblent avoir été développés pour des populations cliniques particulières (p. ex., les personnes ayant un trouble de l’humeur) (Bergomi, Tschacher et Kupper, 2013) ou encore pour des enfants (Kuby, McLean et Allen, 2015). Malgré plusieurs ressemblances, les questionnaires ont leurs propres particularités. La MAAS et la CAMS-R, par exemple, comportent peu d’items et permettent donc de mesurer rapidement le niveau de présence attentive d’une personne. Des questionnaires comme le KIMS, le FMI ou le FFMQ sont longs, reposent sur plusieurs dimensions et permettent une évaluation plus fine de la présence attentive. L’objectif de ce chapitre n’est pas de décrire en détail chacun de ces questionnaires, mais plutôt de soulever quelques-uns des enjeux liés à leur utilisation. Le lecteur désireux d’en savoir davantage sur les propriétés psychométriques de ceux-ci est invité à consulter les travaux de Sauer et al. (2012) ou ceux de Bergomi, Tschacher et Kupper (2013).

    2.1. Validité des questionnaires

    La validité des questionnaires destinés à mesurer la présence attentive est parfois contestée (Grossman, 2011). Certains auteurs font, d’une part, valoir que les indices de corrélation entre les questionnaires sont modestes (Thompson et Waltz, 2007), ce qui suggère qu’ils mesurent des construits différents, bien qu’apparentés, et que leurs résultats doivent être comparés avec prudence (Bergomi et al., 2013). Rappelons à cet égard que les questionnaires présentés au tableau 1.1 s’appuient sur des assises théoriques différentes. À titre d’exemple, le FMI et la State Mindfulness Scale (SMS) sont basés sur des modèles issus de la psychologie bouddhiste alors que la Mindfulness/Mindlessness Scale (MMS) s’appuie plutôt sur un modèle de traitement de l’information à deux dimensions : la manière dont les individus s’orientent et transigent avec leur environnement. D’autres, comme le FFMQ, ne semblent pas avoir été construits à partir de modèles théoriques particuliers, mais bien à l’aide d’une approche éclectique, pragmatique et empirique (Bergomi et al., 2013 ; Grossman et Van Dam, 2011). En outre, la présence attentive est opérationnalisée différemment d’un questionnaire à l’autre. On l’évalue parfois en demandant aux individus d’estimer à quel point ils sont inattentifs au quotidien (p. ex., le MAAS), leur capacité et leur volonté à être présents de manière attentive dans la vie de tous les jours (p. ex., le CAMS-R) ou encore leur habileté à décrire leurs pensées et leurs émotions ou à suspendre leurs jugements critiques à l’égard de ce qu’ils ressentent ou pensent (p. ex., le FFMQ). Ces divergences conceptuelles et opérationnelles peuvent en partie expliquer la faible validité de convergence des questionnaires destinés à mesurer la présence attentive.

    En outre, Grossman et Van Dam (2011) soulignent que la plupart des questionnaires ont été développés par des chercheurs ayant peu de connaissances en regard de la psychologie bouddhiste et que bon nombre des items qu’ils contiennent ont peu à voir avec la manière dont la présence attentive était conceptualisée à l’origine. Les auteurs remettent en doute la validité de contenu des questionnaires et s’interrogent à savoir si leurs items sont pertinents et représentatifs de ce qu’est la présence attentive. Ils soutiennent, entre autres, que ces questionnaires ne permettent pas de mesurer des qualités et des principes éthiques associés à la pratique de la présence attentive dont il a été question plus haut, mais aussi des thèmes pourtant centraux dans la tradition bouddhiste (voir aussi Christopher, Woodrich et Tiernan, 2014). En outre, Grossman (2011) fait remarquer que les questionnaires incluent des items qui mesurent des aspects distincts de la présence attentive. À titre d’exemple, l’item « Je suis capable d’apprécier à sa juste valeur la personne que je suis. » issu du FMI pourrait être utilisé pour mesurer l’estime de soi. Ainsi, les questionnaires ne permettent pas de départager les composantes de la présence attentive (p. ex., l’attention, l’acceptation) de ses effets (p. ex., l’estime de soi, le bien-être) (Grossman, 2011).

    La validité critériée des questionnaires est, pour sa part, difficile à évaluer, car il n’existe pas encore de critères clairs (c’est-à-dire d’indicateurs comportementaux ou neuropsychologiques, par exemple) permettant de déterminer si une personne est réellement présente de manière attentive. De plus, les initiatives entreprises pour évaluer la validité critériée des questionnaires ont jusqu’ici généré des résultats contradictoires. Par exemple, certaines études montrent une relation entre ces questionnaires et des indicateurs psychologiques et neurophysiologiques qui devraient, à tout le moins théoriquement, être associés à la présence attentive (Baer et al., 2006 ; Quaglia, Brown, Lindsay et Creswell, 2014). Par contre, d’autres études indiquent qu’il n’existe pas de relation significative entre ces questionnaires et la pratique de la méditation, et ce, contrairement à ce qui serait attendu (Carmody et Baer, 2008 ; Lau et al., 2006).

    2.2. Désirabilité sociale et dissonance cognitive

    Les résultats issus des questionnaires destinés à mesurer la présence attentive ne sont pas non plus à l’abri des problèmes de dissonance cognitive et de désirabilité sociale. Une personne qui a consacré les dix dernières années de sa vie à la pratique de la méditation ou celle qui vient de compléter un programme intensif de méditation de huit semaines pourrait être portée à se présenter comme étant plus présente et attentive qu’elle ne l’est en réalité, d’autant plus que les « bonnes » réponses aux questionnaires de présence attentive sont facilement identifiables (Chiesa, 2012). Les biais de dissonance et de désirabilité sont particulièrement problématiques lorsque les questionnaires sont utilisés dans le but d’évaluer la portée de programmes d’intervention. Or il faut rappeler que les questionnaires de présence attentive ne sont pas les seuls à être sujets à ce type de biais. De plus, le biais de désirabilité sociale est plus facilement susceptible de se produire lorsque le questionnaire est utilisé dans un contexte comportant un enjeu important (à des fins d’embauche, par exemple) (Juhel et Rouxel, 2005). Lorsqu’administrés à des fins de recherche dans le cadre d’un essai randomisé contrôlé, par exemple, les questionnaires de présence attentive sont anonymes et ne comportent pas nécessairement d’enjeux déterminants pour les participants. En ce sens, il est permis de croire que ce biais n’est sans doute pas si problématique, ce qui ne veut pas dire qu’il soit inexistant (Baer, 2011). Ajoutons qu’il existe encore peu d’études sur la relation entre la présence attentive et la désirabilité sociale et que les résultats de celles-ci sont ambivalents. Par exemple, la présence attentive s’est révélée positivement corrélée avec la désirabilité sociale (lorsque mesurée avec la MAAS), et négativement corrélée avec cette dernière (lorsque mesurée avec la PHLMS) (Bergomi et al., 2013).

    2.3. Utilisation d’items négatifs

    Certains questionnaires contiennent des items formulés à la négative (p. ex., « J’ai des difficultés à rester centré(e) sur ce qui se passe dans le moment présent⁶. », « Je fais les choses rapidement sans y prêter attention⁷. ») et sont accompagnés d’une échelle de réponse allant, par exemple, de 1 (presque toujours) à 6 (presque jamais)⁸. Ces items sont utilisés, car on estime que l’expérience de l’inattention est plus facile à reconnaître que celle de la présence attentive (Brown et Ryan, 2003). La logique derrière ces items négatifs est la suivante : une personne est présente de manière attentive si elle rapporte être presque jamais inattentive. Certains sont d’avis qu’une telle logique est plutôt douteuse et déplorent le fait que les items négatifs ne mesurent pas directement la présence attentive, mais plutôt l’absence de présence attentive, c’est-à-dire à quel point une personne a l’impression d’être inattentive au quotidien (Chiesa, 2012). Ils argumentent que ce n’est pas parce qu’une personne est rarement inattentive qu’elle est nécessairement souvent présente de manière attentive. De la même manière, ce n’est pas parce qu’une personne a peu de symptômes de détresse psychologique qu’elle est nécessairement en bonne santé mentale. Selon Grossman (2011), évaluer un construit par son contraire est hasardeux puisque l’absence d’une caractéristique n’équivaut pas à la présence d’une autre.

    L’utilisation d’items négatifs est pratique courante en psychométrie, et ce, parce qu’elle permet d’éviter qu’une personne remplisse un questionnaire de manière automatique, et que toutes ses réponses pointent dans la même direction. Cela dit, ces items peuvent générer de la confusion, surtout lorsqu’ils renferment des doubles négations (Baer, 2011). Conséquemment, ils doivent être utilisés avec parcimonie et les questionnaires devraient contenir des items destinés à mesurer directement le concept à l’étude. En ce sens, des questionnaires construits uniquement à partir d’items négatifs (p. ex., le MAAS) sont problématiques puisqu’ils ne permettent pas de cerner convenablement l’expérience de la présence attentive (Grossman et Van Dam, 2011 ; Grossman, 2011 ; Rosch, 2007).

    2.4. Compréhension des items

    La compréhension des items contenus dans ces questionnaires peut varier d’une personne à l’autre en fonction de leur expérience de méditation. Pour celle qui médite depuis longtemps, l’item « Quand je marche, je prends délibérément conscience des sensations de mon corps en mouvement⁹. » peut renvoyer au fait de porter attention aux sensations corporelles avec curiosité et non-jugement durant l’exercice physique (Grossman, 2011). Aux yeux de celle qui n’a jamais médité, ce même item peut plutôt faire référence aux symptômes physiques qui franchissent le seuil de la conscience durant l’exercice physique. Ces deux personnes peuvent donc donner la même réponse à un item, mais l’interpréter de manière différente. De plus, une personne qui médite depuis longtemps aura peut-être tendance à rapporter un niveau de présence attentive moyen, car elle sait reconnaître les moments où elle est attentive et, à l’inverse, les moments où son attention s’égare. Une personne qui n’a jamais médité pourrait, elle aussi, rapporter un indice moyen de présence attentive, car elle n’a pas conscience qu’elle fait les choses par automatisme ou encore parce qu’elle ne se rend pas compte à quel point son esprit vagabonde fréquemment. Encore une fois, ces deux personnes pourraient obtenir des scores identiques, mais pour des raisons distinctes et leurs réponses seraient difficilement comparables. En 2005, Leigh, Bowen et Marlatt ont comparé à l’aide du FMI le degré de présence attentive d’étudiants ayant des problèmes de consommation d’alcool avec celui de méditants expérimentés. Leurs résultats montrent que les étudiants ont obtenu des scores significativement plus élevés que les méditants. De tels constats suggèrent que les répondants peuvent interpréter différemment les items qui leur ont été présentés. Bergomi et al. (2013) soulignent que des mots ou des expressions comme « vigilance », « juger », « prendre conscience » ou « expérimenter » sont particulièrement susceptibles de créer de la confusion et d’être interprétés de manière différente par des méditants et des non-méditants.

    Pour éviter ce problème, certains suggèrent : 1) de n’utiliser les questionnaires qu’auprès de personnes ayant une pratique méditative régulière ou 2) d’inclure dans les questionnaires des mots ou des expressions qui rendent davantage compte de l’expérience de la présence attentive (Grossman, 2008). La première suggestion va à l’encontre de ce qui est implicitement admis par plusieurs, à savoir que la présence attentive constitue une habileté universelle, et non un état de conscience accessible uniquement à ceux qui méditent depuis des années (Brown et Ryan, 2004). Plusieurs reconnaissent que la présence attentive peut être expérimentée par une personne n’ayant jamais formellement pratiqué la méditation et qu’il est possible de mesurer la présence attentive au sein de la population générale (Kabat-Zinn, 2003). La seconde suggestion est plus plausible. Néanmoins, les questionnaires doivent contenir des mots pouvant être compris par tous, incluant ceux et celles qui n’ont jamais médité ou entendu parler de la présence attentive. Selon Baer (2011), il faut leur présenter, dans un langage simple, diverses expériences courantes et facilement reconnaissables qui sont représentatives de ce qu’est la présence attentive (p. ex., « Je suis attentif à ce que je fais. »).

    2.5. Solutions aux problèmes de mesure

    Plusieurs suggestions peuvent être formulées pour améliorer la façon dont la présence attentive est mesurée (Quaglia et al., 2014). D’abord, Grossman et Van Dam (2011) suggèrent de nommer les questionnaires de façon à mieux refléter ce qu’ils mesurent vraiment. Selon eux, la MAAS, par exemple, pourrait être renommée « Mesure d’inattention perçue », ce qui éviterait bon nombre de confusions. De plus, les items contenus dans les questionnaires devraient être formulés de manière claire, simple et non ambiguë (Bergomi et al., 2013).

    Des questionnaires destinés à mesurer des concepts liés à la présence attentive gagneraient aussi à être développés, et ce, parce qu’ils aideraient à mieux comprendre les mécanismes d’action et les effets de la présence attentive. De récents efforts ont été entrepris en ce sens et des questionnaires permettant de mesurer la compassion à l’égard de soi (Neff, 2003), la distanciation (Fresco et al., 2007) et le non-attachement (Sahdra, Shaver et Brown, 2010) sont maintenant disponibles, bien qu’en anglais seulement pour le moment. Des méthodes physiologiques de même que d’autres basées sur les techniques d’imagerie cérébrale ont aussi été suggérées récemment afin d’évaluer l’équanimité, soit une disposition affective de détachement et de sérénité (Desbordes et al., 2015).

    Des efforts devraient aussi être déployés afin de valider les questionnaires à l’aide de la théorie des réponses aux items (TRI) (Sauer et al., 2012). Celle-ci constitue un complément à la théorie classique de la mesure et permet, entre autres, de déterminer les paramètres de difficulté et de discrimination des items contenus dans un questionnaire. À ce jour, la TRI a été utilisée uniquement dans le développement et la validation du FMI (Sauer, Walach, Offenbächer, Lynch et Kohls, 2011), de la MAAS (Van Dam, Earleywine et Borders, 2010), du FFMQ (Bowman, 2014) et de la DMS (Solloway et Fisher Jr., 2007).

    Ajoutons que la présence attentive a jusqu’à maintenant surtout été mesurée à l’aide de questionnaires autorapportés (Quaglia et al., 2014). Or il est généralement recommandé de mesurer un concept à l’aide d’outils différents et complémentaires (Eid et Diener, 2006). En ce sens, il est à souhaiter que des mesures comportementales comme celle proposée par Levinson, Stoll, Kindy, Merry et Davidson (2014) soient davantage utilisées à l’avenir. Les chercheurs ont montré que la capacité à compter ses propres respirations durant une séance de méditation se révélait un indicateur valide de présence attentive. Les méthodes d’entrevues développées par Stelter (2010) ou par Moore, Hayhurst et Teasdale (1996) afin d’évaluer

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