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D' ASIMOV A STAR WARS: Représentations politiques dans la science-fiction
D' ASIMOV A STAR WARS: Représentations politiques dans la science-fiction
D' ASIMOV A STAR WARS: Représentations politiques dans la science-fiction
Livre électronique440 pages5 heures

D' ASIMOV A STAR WARS: Représentations politiques dans la science-fiction

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À propos de ce livre électronique

La science-fiction prend de plus en plus d’espace dans la culture populaire. Le phénomène planétaire que représente Star Wars, ou encore les séries télévisées iconiques telles Star Trek, constituent des preuves convaincantes de la popularité du genre. Comme toutes les formes d’art populaire, la science-fiction a le formidable talent de parler franchement de la société qui la con-çoit et la consomme. Qui plus est, parce qu’elle permet de voir ce qui pourrait être, elle se fait le miroir de nos craintes collectives les plus criantes ; elle est éminemment politique.

Les auteurs de cet ouvrage, des amateurs de science-fiction spécialistes de la politique, de l’éthique ou des technologies, se penchent sur les représentations politiques portées par des œuvres de science-fiction afin de faire ressortir les rapports de force et les relations de pouvoir — existants ou anticipés — qui s’exercent dans le monde occidental contemporain. D’Isaac Asimov à Andrew Scott Card, en passant par les superhéros de Marvel ainsi que les mondes de Star Wars et de Star Trek, et inspirés par ce qu’ont fait certains éthiciens et philosophes, les auteurs offrent un éclairage nouveau sur les enjeux sociaux, politiques et éthiques soulevés par la science-fiction.

Que nous disent ces interprétations de notre monde ? Quels avenirs projettent-elles ? Reflètent-elles les luttes réelles de pouvoir au sein de nos sociétés occidentales ? Que nous disent-elles sur nos craintes, nos inquiétudes politiques, nos dilemmes éthiques ? Comment interpréter les différentes visions du monde présentées dans ces œuvres ? L’ouvrage offre un portrait détaillé des liens entre les œuvres de science-fiction et la science politique.
LangueFrançais
Date de sortie13 avr. 2016
ISBN9782760543706
D' ASIMOV A STAR WARS: Représentations politiques dans la science-fiction
Auteur

Isabelle Lacroix

Isabelle Lacroix est professeure agrégée à l’Université de Sherbrooke et directrice de l’École de politique appliquée depuis 2015. Elle est aussi la codirectrice de l’axe Impacts, usages et société de l’Unité mixte internationale – Laboratoire nanotechnologies et nanosystèmes. Elle a codirigé en 2016 D’Asimov à Star Wars: représentations politiques dans la science-fiction.

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    Aperçu du livre

    D' ASIMOV A STAR WARS - Isabelle Lacroix

    /

    INTRODUCTION /

    La science-fiction comme outil d’analyse politique

    Karine Prémont

    La science-fiction est souvent considérée comme un sous-genre cinématographique ou littéraire et il est vrai qu’elle a produit suffisamment de navets de mauvais goût pour confirmer les pires préjugés à son endroit. Ce mépris est malheureusement perceptible dans les milieux académiques francophones, qui négligent l’étude politique de la culture populaire¹, alors qu’il existe une longue et riche tradition de cultural studies dans le monde anglo-saxon. Nous avons évidemment tort de discréditer la science-fiction comme cadre d’analyse pour une raison fort simple: elle a le formidable talent – peut-être encore davantage que d’autres genres artistiques – de parler franchement de la société qui la conçoit et la consomme, surtout qu’elle n’a pas à s’embarrasser des contraintes du réel pour raconter les différents rapports de force qui s’y exercent. Bien que la science-fiction n’offre pas toujours d’explication ou d’analyse précise, elle permet à tout le moins «de narrer et de dramatiser […], de symboliser²» les phénomènes sociopolitiques, les relations humaines et les rapports entre les individus et leur collectivité.

    Toutes les œuvres de science-fiction ne sont pas politiques, tant s’en faut. Mais même lorsqu’elles ne sont que pur divertissement, elles proposent tout de même une vision du monde – actuel ou à venir – qui est le produit de l’époque qui les a vues naître. Ainsi, selon Yannick Rumpala, «la science-fiction représente une façon de ressaisir le vaste enjeu du changement social et derrière lui celui de ses conséquences et de leur éventuelle maîtrise³», changement social qui implique, forcément et par nature, un rééquilibrage des logiques de puissance et des rapports de force au sein des sociétés – autrement dit, des luttes politiques.

    Mais bien qu’elle soit avant tout un divertissement, la science-fiction est aussi éminemment politique puisqu’elle est «un genre particulièrement propice à la divulgation ou à la condamnation des idéologies⁴», comme l’ont démontré de grandes œuvres de science-fiction qui ont voulu nous mettre en garde contre les dérives totalitaires, qu’elles soient fascisantes, socialisantes ou même démocratiques⁵. Selon l’écrivain H. L. Gold, «peu de choses révèlent aussi nettement que la science-fiction les vœux, les espoirs, les peurs, les conflits internes et les tensions d’une époque, ou en définissent les limites avec autant d’exactitude⁶». La science-fiction est, en effet, le miroir de nos craintes collectives les plus criantes parce qu’elle permet de voir ce qui pourrait être et en ce sens, soulève des questions sociales et politiques mais également éthiques sur les façons dont nous allons aborder – et régler ou accentuer – les problèmes annoncés. Les œuvres de science-fiction deviennent donc des «champs d’expériences» qui nous permettent de problématiser ces questions et d’en mesurer les effets ou les conséquences⁷. Par le fait même, ces œuvres constituent, la plupart du temps, «la trame narrative des scénarios apocalyptiques⁸», dans laquelle le bien peut quelquefois triompher du mal.

    Ainsi, à chaque décennie on retrouve des œuvres qui portent la trace des préoccupations collectives du moment⁹. Par exemple, les années 1950 ont produit un grand nombre d’œuvres de science-fiction (pas toutes réussies, il va sans dire) traitant du nucléaire et du communisme, les deux peurs fondamentales de l’après-guerre: on peut notamment penser au film Godzilla (Ishiro Honda, 1954), mais aussi à L’homme qui rétrécit (Richard Matheson), dont le héros rapetisse progressivement après avoir été exposé à un «nuage nucléaire», ou à une panoplie de films pour adolescents, mélangeant horreur et science-fiction et mettant en scène des insectes (qui, contrairement au héros de Matheson, sont géants) qui ont été irradiés par des déchets nucléaires. De même, la prolifération d’œuvres de science-fiction – en particulier au cinéma – qui présentaient des invasions extraterrestres se voulait une métaphore de la crainte de la propagation du communisme¹⁰: en période de maccarthysme aux États-Unis, le film L’invasion des profanateurs de sépultures (tiré d’un roman de Jack Finney publié en 1955) et le livre Fahrenheit 451 de Ray Bradbury (1953) parlaient de la crainte d’un ennemi intérieur ou encore de l’autoritarisme que cette crainte semblait légitimer.

    Dans les années 1960, l’émancipation de la jeunesse occidentale – et avec elle, le développement de l’industrie du divertissement – a lieu alors que les sociétés sont en pleine effervescence. Les crises sociales qui secouent les États-Unis (et plusieurs autres pays de l’Occident) – lutte pour les droits civiques, guerre du Viêt Nam, libéralisation des mœurs, revendications des femmes et des minorités sexuelles – se reflètent assurément dans la science-fiction de l’époque. Le meilleur exemple est probablement la série Star Trek (créée en 1966 par Gene Roddenberry), qui n’a pas hésité à aborder des thèmes controversés et délicats (notamment les relations interraciales) et qui a imaginé «un 23e siècle interplanétaire, multiracial, sans guerre et sans reproche¹¹», à l’image de la jeunesse hippie des années 1960, imprégnée du «fantôme de l’idéalisation du règne de Kennedy¹²».

    Alors que la prise de conscience écologiste des années 1960-1970 a donné lieu à des œuvres aussi variées que Dune (Frank Herbert, 1965), 2001: A Space Odyssey (roman d’Arthur C. Clarke publié en 1968, puis adapté au cinéma par Stanley Kubrick), Make Room! Make Room! (roman d’Harry Harrison publié en 1973, adapté au cinéma sous le titre Soleil vert) et les films de zombies de George Romero, les années 1980 vont voir la résurgence de la science-fiction (tombée en désuétude durant la décennie précédente) en tant que genre artistique. C’est alors la méfiance – voire la peur – suscitée par les avancées technologiques de plus en plus rapides qui va constituer le moteur des créateurs de cette époque. À preuve, des œuvres comme Blade Runner (roman de Philip K. Dick publié en 1968 et adapté au cinéma par Ridley Scott en 1982) et Terminator (James Cameron, 1984) abordent de front nos rapports avec les machines (le film The Matrix, réalisé par Andy et Lana Wachowski en 1991, représentera alors l’ultime victoire des machines) mais, plus finement, la perte de contrôle des humains face aux machines qu’ils ont créées ou aux peuples qu’ils ont asservis. Et par extension, les questions que soulève inévitablement «la présence répandue de machines hautement évoluées dans l’organisation de la société¹³», thème qui demeurera par ailleurs récurrent dans les décennies suivantes en raison des progrès technologiques et informatiques.

    Les années 1990 et 2000 mettent en évidence le problème de l’effritement du tissu social – notamment la montée du racisme – et, en parallèle, l’individualisme exacerbé et le capitalisme forcené: des œuvres comme The Coneheads (Steve Barron, 1993) et la série des X-Men (le premier paraît en 2000, réalisé par Bryan Singer) exposent ainsi, fort différemment, la question de la tolérance. D’un côté, la comédie The Coneheads affirme implicitement que «l’immigration est généralement une bonne chose, que les opportunités de mobilité sociale vers le haut existent réellement¹⁴»; de l’autre, X-Men fait le portrait d’une société raciste incapable de changer et à l’intérieur de laquelle il n’y a pas de place – ni de tolérance – pour les gens qui sont différents. Un film comme District 9 (Neill Blomkamp, 2009) va même plus loin en abordant la question de la ségrégation raciale, voire de l’apartheid, dans un cadre où «le tissu social [est alors] déchiré par la violence et la haine¹⁵», alors même qu’on parle de «société postraciale» aux États-Unis avec l’élection de Barack Obama en 2008. La question du libre arbitre est également régulièrement dépeinte dans les œuvres de science-fiction des années 1990-2000: les films Minority Report (Steven Spielberg, 2002) et I, Robot (tiré de nouvelles d’Asimov et réalisé par Alex Proyas en 2004) en sont des exemples probants.

    La science-fiction des années 2000 parle aussi beaucoup d’apocalypse¹⁶: la surpopulation, l’insécurité et les problèmes sanitaires et environnementaux sont les préoccupations centrales de la civilisation occidentale – avec, en trame de fond, les attentats du 11-Septembre – et la science-fiction les aborde de nombreuses façons dans des œuvres aussi variées que The Road (roman de Cormac McCarthy publié en 2006 et adapté au cinéma par John Hillcoat en 2009), Avatar (James Cameron, 2009) ou World War Z (Marc Foster, 2013). D’autres films, comme 2012 et Elysium, par exemple, mettent plutôt l’accent sur la façon dont les catastrophes planétaires font ressortir les divisions de classes et l’inégalité du partage des ressources entre elles. Cette science-fiction-catastrophe permettrait ainsi de «substituer des menaces fantaisistes comme les astéroïdes et les volcans à l’anxiété liée à la fragilité de l’écosystème de la Terre¹⁷».

    La décennie 2010, jusqu’à maintenant, semble illustrer le retour à la peur des robots. Si cette crainte n’est pas nouvelle, «les robots ne sont plus une métaphore¹⁸» aujourd’hui, en particulier avec le développement de l’intelligence artificielle qui oblige les êtres humains à se questionner sur ce qu’est une personne, sur ce qui fait leur spécificité sur la planète. Ce sont surtout les films qui se démarquent en raison de la qualité des effets spéciaux qu’ils présentent: des films comme Lucy (Luc Besson, 2014) ou Ex Machina (Alex Garland, 2015) nous permettent ainsi d’anticiper ces questions et, peut-être, d’y trouver une réponse.

    S’il est vrai que la science-fiction permet une analyse complexe des rapports de force politiques et des enjeux éthiques qui en découlent, il est tout aussi vrai qu’elle peut être moralisatrice et propagandiste. Les superhéros américains, par exemple, sont non seulement des machines à faire de l’argent, mais «deviennent de redoutables outils de propagande des valeurs américaines¹⁹» et ainsi, «illustreraient ce que les États-Unis souhaitent être²⁰». Des superproductions comme Independence Day (Roland Emmerich, 1996) ou même Mars attaque! (Tim Burton, 1996) vont dans le même sens: non seulement sont-elles essentiellement construites sur les mythes fondateurs américains, mais elles font triompher les valeurs américaines comme autant de clichés. Pour Léo Soesanto, il s’agit là de «science-fiction consolation jusque dans sa conception qu’une Amérique soudée dans sa communauté peut tout sauver²¹». Mais peut-être est-ce là surtout un vœu pieux.

    * * *

    L’objectif du présent ouvrage est triple. Tout d’abord, il souhaite offrir un éclairage nouveau sur les représentations des rapports de force et les structures de pouvoir et de gouvernement qui existent au sein de nos sociétés occidentales par le biais de l’étude d’œuvres de science-fiction, notamment par la multidisciplinarité des auteurs et des enjeux abordés. Ensuite, il veut démontrer la pertinence pédagogique de l’utilisation de la science-fiction – et plus largement, de la culture populaire – pour présenter et expliquer des enjeux politiques complexes, dynamiques et pluralistes. Finalement, cet ouvrage se veut également ludique: les auteurs qui y présentent des textes sont généralement des amateurs de science-fiction plutôt que des spécialistes du cinéma, de la télévision ou de la littérature. Il convient donc de voir leur travail avant tout comme une réflexion passionnée – mais néanmoins rigoureuse – sur la science-fiction en tant qu’outil d’analyse sociale, politique et éthique, mais également comme une façon de mieux comprendre les rapports de force tels que nous les percevons collectivement.

    L’ouvrage est divisé en trois parties, chacune suscitant des réflexions particulières. Ainsi, les trois chapitres de la première partie sur les fondements politiques posent la question de la représentation de la liberté dans les œuvres de science-fiction, mais s’intéressent plus précisément à la façon dont celle-ci conçoit les rapports de force à l’origine des sociétés démocratiques. Tout d’abord, Thierry Dominici, dans le chapitre intitulé «Nouvelles sociétés, nouveaux régimes politiques», explique que la science-fiction peut servir à l’analyse pédagogique des régimes politiques actuels – mais aussi passés et futurs – en utilisant deux nouvelles: «Matin brun», de Franck Pavlov, et «La caverne», d’Evgueni Zamiatine. Ensuite, Pier-Olivier St-Arnaud, dans «Un retour à l’état de nature pour l’être humain du futur?», s’intéresse au combat opposant Hobbes et Locke dans trois œuvres cinématographiques de science-fiction – Les derniers rayons du Soleil, Pandorum et Interstellaire – qui présentent des situations dans lesquelles des êtres humains sont confrontés à leur disparition imminente, qu’elle soit individuelle ou collective. Le dernier chapitre de cette partie, «L’anthropologie humaine dans la science-fiction», de Sidney Floss, démontre comment les caractéristiques de la théorie de l’ordre spontané de Hayek sont présentes dans Le cycle des robots, d’Isaac Asimov, et dans La stratégie Ender, d’Orson Scott Card.

    La deuxième partie de l’ouvrage examine plus attentivement les représentations politiques et les institutions démocratiques dans les œuvres de science-fiction et pose la question des conséquences des rapports de force politiques sur le vivre-ensemble. Ainsi, Samuel Labrecque et Isabelle Lacroix, dans «L’univers de Star Wars», appliquent la théorie de l’anacyclose de Polybe à cette série-culte et suggèrent que c’est en analysant les causes de la chute de la démocratie galactique de Star Wars qu’on peut tenter de comprendre la fragilité de la démocratie actuelle. Dans le chapitre intitulé «Star Trek versus Stargate», Isabelle Lacroix compare la façon dont la collectivité et l’individu sont dépeints dans les deux séries et démontre que si, dans Star Trek, la collectivité est source d’épanouissement pour les individus, elle est plutôt une contrainte à l’action individuelle dans Stargate. Finalement, Charles Tessier et Charles-Antoine Millette, dans «Réinterprétation et transposition», présentent la série Battlestar Galactica comme un calque de l’histoire, des institutions et des dynamiques politiques américaines et soutiennent que ces éléments ne sont pas uniquement un «décor», mais servent surtout de trame de fond à la série, offrant ainsi un regard nouveau sur des enjeux politiques et éthiques actuels.

    La dernière partie de l’ouvrage aborde les enjeux identitaires, sécuritaires et éthiques qui découlent du développement technologique et de la transformation des rapports de force issus de ces changements, chacun de ces thèmes trouvant une résonance dans l’actualité récente. Ainsi, dans «L’évolution des superhéros dans les comic books américains», Élisabeth Vallet soutient que si les femmes et les minorités sont sous-représentées et fortement stéréotypées dans les bandes dessinées de superhéros, c’est surtout la crispation identitaire des États-Unis – en particulier depuis le 11-Septembre – qui a induit un certain repli sur soi des personnages, ainsi représentatifs de la radicalisation de la scène politique américaine et de la prééminence du conservatisme social. Dans la foulée des tensions raciales aux États-Unis et du #Gamergate²², ces réflexions sur la représentation des femmes et des minorités dans la culture populaire font certes œuvre utile. David Grondin, dans «Mobilité, vie algorithmique et société de surveillance dans Person of Interest», utilise cette série télévisée pour affirmer que les agents de surveillance peuvent être à la fois conçus comme des remparts démocratiques à la sécurité algorithmique et la surveillance mobile du National Security State cyberspatial et, paradoxalement, symboliser sa défense. Les dérives des systèmes de surveillance – notamment américains – comme celles révélées par Edward Snowden dès 2014 nous obligent assurément à repenser les objectifs et les effets du discours sécuritaire comme fondement du politique. Dans le dernier chapitre, intitulé «Les enseignements d’Asimov sur les enjeux politiques du développement de la robotique», Jean-Pierre Béland, Georges-Auguste Legault, Jonathan Genest et Jacques Beauvais analysent les trois principaux rapports de force présents dans Le cycle des robots d’Asimov – l’économie, l’identité, l’interplanétaire – pour les comparer avec la réalité contemporaine de nos sociétés démocratiques. Alors que l’astrophysicien Stephen Hawking nous disait, en décembre 2014, que «le développement de l’intelligence artificielle pourrait sonner la fin de l’humanité²³», il n’est assurément pas vain de comprendre maintenant la teneur et le dynamisme de ces rapports de force. À l’heure où des gouvernements occidentaux – y compris parfois le nôtre – musellent les scientifiques et rejettent les théories scientifiques au nom de l’idéologie politique, la science-fiction constitue peut-être une façon, pour les citoyens, de réfléchir sur leur avenir et en particulier, sur les liens qui les unissent à leur collectivité

    * * *

    Cet ouvrage n’aurait pu voir le jour sans le travail infatigable et passionné des auteurs, qui ont partagé avec nous, d’une part, ce goût quelquefois immodéré pour la science-fiction sous toutes ses formes et, d’autre part, une volonté intraitable d’aborder le sujet avec rigueur pour qu’il soit accessible au plus grand nombre de personnes possible. Ils ont eu à cœur, tout comme nous, que cet ouvrage donne envie aux professeurs et autres pédagogues d’utiliser des outils non traditionnels pour aborder des concepts philosophiques et politiques complexes. Nous tenons donc à les remercier pour leur implication et leur collaboration. Nous souhaitons également remercier chaleureusement Jean-Pierre Béland, de l’Université du Québec à Chicoutimi, Johane Patenaude, de l’Université de Sherbrooke, et Élisabeth Vallet, de l’Université du Québec à Montréal, pour avoir cru en ce projet et nous avoir offert leur temps et leurs encouragements à divers moments du long processus de publication, de même que les évaluateurs anonymes pour leurs commentaires judicieux. Nous remercions Alexandra Tousignant-Careau, des Presses de l’Université du Québec, pour son enthousiasme et son soutien. Finalement, nous remercions la Faculté des lettres et sciences humaines, de même que l’Université de Sherbrooke, pour leur appui à l’édition de cet ouvrage.

    1Nous définirons «culture populaire» selon les termes de Jason Dittmer, c’est-à-dire que c’est essentiellement une culture de masse qui «est accessible à la plupart des gens de la société relativement facilement» et procure à la fois «une cohésion sociale et une compréhension commune». J. DITTMER, Popular Culture, Geopolitics, and Identity, Lanham, Rowman & Littlefield, 2010, p. 23 et 30.

    2J. S. NELSON, Politics in Popular Movies: Rhetorical Takes on Horror, War, Thriller, and SciFi Films, Boulder, Paradigm, 2015, p. 11.

    3Y. RUMPALA, «Ce que la science-fiction pourrait apporter à la pensée politique», Raisons politiques, vol. 40, n° 4, 2010, p. 98.

    4L.-J. NICOLAOU, «L’idéologie dans la SF américaine», Les Inrocks 2: la SF à l’écran, n° 52 (été), 2013, p. 63.

    5Parmi lesquelles on retrouve notamment 1984 et La ferme des animaux (George Orwell), Le meilleur des mondes (Aldous Huxley) et Globalia (Jean-Christophe Rufin), pour ne nommer que les plus connues.

    6Cité dans K. AMIS, New Maps of Hell, Londres, Gollancz, 1961, p. 64.

    7Y. RUMPALA, «Ce que la science-fiction pourrait apporter…», p. 100.

    8Z. SARDAR et S. CUBITT, Aliens R Us: The Other in Science Fiction Cinema, Londres, Pluto Press, 2002, p. 2.

    9Nous n’avons pas ici l’ambition (ni la prétention) de faire une analyse cinématographique ou littéraire des thèmes de science-fiction propres à chacune des époques, ni même une recension complète (ou précise) des principales œuvres de science-fiction liées à ces décennies. Nous souhaitons simplement présenter de manière générale quelques éléments sociopolitiques et éthiques qu’on peut retrouver dans les films, les séries ou les livres retenus et voir comment ils sont représentatifs des enjeux de leur époque. Il faut par ailleurs souligner que les créateurs n’ont pas nécessairement eu un tel objectif dans leur démarche artistique ou commerciale.

    10D. NIMMO et J. E. COMBS, Mediated Political Realities, 2e éd., New York, Longman, 1990, p. 118.

    11L. SOESANTO et J. GOLDBERG, «Star Trek», Les Inrocks 2: la SF à l’écran, n° 52 (été), 2013, p. 24.

    12Ibid., p. 26.

    13Y. RUMPALA, «Artificial intelligences and political organization: An exploration based on the science fiction work of Iain M. Banks», Technology in Society, vol. 34, 2012, p. 23.

    14D. P. FRANKLIN, Politics and Film: The Political Culture of Film in the United States, Lanham, Rowman & Littlefield, 2006, p. 29.

    15O. JOYARD et J.-M. LALANNE, «District 9», Les Inrocks 2: la SF à l’écran, n° 52 (été), 2013, p. 79.

    16Voir à ce sujet W. W. Dixon (dir.), Film and Television after 9/11, Carbondale, Southern Illinois University Press, 2004.

    17E. HAAS, T. CHRISTENSEN et P. J. HAAS, Projecting Politics: Political Messages in American Films, 2e éd., New York, Taylor & Francis, 2015, p. 15.

    18L. GROSSMAN, «Good tech gone bad», Time, 1er juin 2015, p. 52.

    19A. Dominguez Leiva, cité dans F. LÉVESQUE, «Rêves usinés», Le Devoir, 3 mai 2015, p. E3.

    20S. BAILLARGEON, «Accros aux superhéros», Le Devoir, 15 octobre 2013, p. B7.

    21L. SOESANTO, «Independence Day», Les Inrocks 2: la SF à l’écran, n° 52 (été), 2013, p. 61.

    22Pour plus de détails sur les femmes qui sont menacées de viol ou de mort sur les médias sociaux après avoir dénoncé le sexisme dans l’industrie du jeu vidéo, voir notamment J. BORT, «After exposing sexism in the video game industry, this woman received rape threats on Twitter», Business Insider, 27 août 2014, , consulté le 12 janvier 2016.

    23R. CELLAN-JONES, «Stephen Hawking warns artificial intelligence could end mankind», BBC News, Technology, 2 décembre 2014, , consulté le 12 janvier 2016.

    PARTIE 1 /

    LES FONDEMENTS POLITIQUES

    La science-fiction est un méta-monde fermé sur une méta-humanité, une nouvelle dimension de nous-mêmes et une extension de notre sphère de réalité tout entière; elle ne connaît de ce point de vue aucune limite.

    PHILIP K. DICK¹

    1Cité dans L. MURAIL, Les maîtres de la science-fiction, Paris, Bordas, 1993, p. 15.

    CHAPITRE 1 /

    Nouvelles sociétés, nouveaux régimes politiques

    L’apport paradigmatique de la science-fiction dans l’observation des régimes politiques actuels

    Thierry Dominici

    Une des principales difficultés rencontrées lors de toute approche de la représentation des démocraties actuelles, ou plus exactement des régimes politiques pluralistes actuels² – que cela soit en sciences sociales en général ou en sciences politiques en particulier –, est l’énigme que constitue sa figure centrale: le pouvoir citoyen et donc sa représentation dans un système politique.

    Pourtant, que cela soit pour le savant, le politique ou le profane, jamais la question n’a semblé aussi importante, voire cruciale qu’aujourd’hui. En effet, avec la fin de la bipolarisation idéologique du monde du XXe siècle, nous assistons, chaque jour un peu plus, à une sorte d’ «hiver de la démocratie³». En science du politique, cette nouvelle posture des systèmes représentatifs actuels rend quasi inopérants les repères taxinomiques classiques inhérents à l’analyse des régimes politiques. Cette obsolescence des concepts théoriques ou paradigmatiques résulte peut-être d’un fait simple: les typologies classiques ne permettent pas de saisir dans leurs filets la multiplicité des variantes des systèmes démocratiques ou pluralistes actuels (et futurs).

    En revanche, si les spécialistes parlent de plus en plus d’un nouveau régime, c’est qu’au cœur des démocraties actuelles, la nature même de l’idée du pouvoir a évolué⁴. Cette évolution (ou révolution) est visible aussi bien sur le plan de la légitimité des représentants et de la domination politique qui découle de cette fonction, que sur le plan de la nature de la représentation sociétale de celle-ci.

    Aussi, force est d’admettre que l’idée (ou l’idéal) de démocratie paraît être arrivée à un nouvel âge politique, certains spécialistes s’aventurant à parler d’une ère postdémocratique aux variantes de plus en plus bureaucratiques⁵ (on parle notamment de démocraties grises, de régimes mixtes, hybrides, polyarchiques, autoritaires, post-totalitaires, populistes, etc.⁶) et d’autres s’inquiétant des formes utopiques et surtout dystopiques (voire uchroniques et antiutopiques⁷) que ce nouveau régime propose en se focalisant notamment sur des principes de gouvernance plus économiques que politiques⁸.

    Selon Norbert Elias, une utopie est, sur le plan du social,

    une représentation imaginaire d’une société qui contient des suggestions de solutions à certains de ses problèmes non encore résolus, une représentation imaginaire de solutions désirables ou indésirables selon le cas, à un problème. Une utopie peut même contenir des rêves où des désirs et des peurs se mêlent les uns aux autres⁹.

    En fait, le sociologue et philosophe allemand oppose deux formes d’utopies distinctes et intimement liées, ce que nous pouvons appeler les utopies-rêve (wish-dreams utopies, c’est-à-dire littéralement des utopies qui traduisent des rêves désirables) et les utopies-cauchemar ou noires (fear-dream utopies) que nous pouvons associer, aujourd’hui, au vocable de dystopie.

    En utilisant ce vocable, au sens premier que lui confère la science-fiction, genre littéraire tant apprécié par une grande majorité d’individus (sans distinction de genre, d’âge, ou de classe) et en l’étudiant dans ce qu’il a de politique et de social, autrement dit, de possible, ne pourrions-nous pas trouver des réponses au présent – et au(x) futur(s) – de nos régimes politiques? Selon la formule de Christian Grenier, la science-fiction «interroge l’avenir pour mieux éclairer le présent¹⁰»; dès lors, ne pourrions-nous pas ainsi tenter, comme l’imaginait Herbert G. Wells, de «domestiquer l’impossible¹¹»?

    Autrement dit, nous sommes convaincus que l’utilisation de la science-fiction en sciences du politique pourrait nous fournir des indices ou des pistes pour comprendre notre réalité politique et systémique actuelle et future. D’autant que la science-fiction est localisable dans le temps: elle voit le jour au XIXe siècle, au moment où le monde bascule dans l’ère industrielle. Véritable terrain d’expression du monde moderne (et postmoderne) et

    d’origine populaire, la science-fiction est devenue au fil des années une littérature exigeante et sophistiquée. Souvent accusée de n’être qu’une évasion, elle peut également creuser le réel. Car loin de ne s’intéresser qu’à une certaine image du futur, elle ne cesse de proposer une lecture du présent¹².

    En effet, comme l’explique le sociologue Alexandre Hougron,

    la science-fiction fait désormais partie de notre univers quotidien. Comme appréciée des seuls amateurs il y a encore [34] ans, et ce, sous une forme essentiellement littéraire, elle a bénéficié d’un boom sans précédent grâce, notamment, à des productions audiovisuelles mondialement célèbres, dont la première fut la Guerre des étoiles (1977) […] Aujourd’hui, la plupart [des gens savent] ce qu’est la science-fiction et [peuvent] la rapporter, même s’ils n’en consomment pas eux-mêmes, à ce que regardent et (plus rarement) lisent leurs enfants et petits-enfants¹³.

    Certes, il est difficile de circonscrire la science-fiction autour d’une seule et unique définition. Cependant, force est d’admettre qu’il existe, selon plusieurs spécialistes, une multitude de définitions et de courants littéraires¹⁴. Outre les multiples propositions, le romancier et professeur de littérature comparée à l’Université du Massachusetts, Samuel Delany, proposait une définition claire et précise à ses étudiants, notamment aux plus sceptiques, à laquelle nous adhérons pleinement ici: «La science-fiction est un langage¹⁵.» Un langage du possible, un langage de l’impossible... un langage de l’avenir.

    Dès lors, l’objectif nodal de ce chapitre est de tenter de montrer comment la science-fiction pourrait, d’un point de vue méthodologique et didactique, éclairer l’analyse politique des régimes et des systèmes représentatifs passés, actuels et, pourquoi pas, futurs. Pour ce faire, nous avons choisi, dans un premier temps, d’étudier le phénomène uniquement par le biais de la perspective littéraire. Nous rappelons brièvement que le lien méthodologique ou paradigmatique entre la littérature et la science politique a été mis au jour dès le début des années 1960. Par exemple, le professeur et pionnier de la science politique française Jean Meynaud émettait l’hypothèse que la description littéraire pouvait (ou devait) être ajoutée à l’arsenal méthodologique et paradigmatique du chercheur en analyse politique¹⁶. En fait, Meynaud nous soufflait méthodiquement l’idée que l’emploi de la description littéraire offre au chercheur des possibilités d’abstraction que les théories de la science politique seules ne permettent pas. En d’autres termes, que cela soit le «roman comme procédé de combat politique», le polar¹⁷ ou la science-fiction, nous pouvons noter, en suivant la proposition de lecture de Meynaud, que le propre de tout littérateur est de faire reposer sa vision du réel sur du concret. Tout son art reposerait sur une fragile alchimie entre imaginaire et description littéraire basée sur des cas précis (société, civilisation, individus, comportements, développement, etc.). En conséquence, il s’agira ici de montrer que cette littérature spécialisée est (et a peut-être toujours été) un outil épistémologique et méthodologique sérieux et opérationnel en sciences sociales et en science politique.

    Dans un deuxième temps, nous montrerons qu’outre des intérêts explicatifs du réel, la littérature de science-fiction permet aussi sur le plan pédagogique d’expliquer ou de présenter à des fins didactiques aux générations actuelles (élèves, étudiants et profanes) comment les sciences politiques abordent cette question classique des régimes politiques et de la crise de la représentation politique des individus (et des citoyens).

    Afin d’illustrer le phénomène de domination d’une société imaginaire ou imaginée par un pouvoir légitime, nous tenterons, dans un troisième temps, de mettre au jour deux variantes dystopiques tirées de deux nouvelles différentes (éloignées dans le temps et si proches dans la vision prophétique) basées sur cette situation, et si peu étudiées ensemble, soit «La caverne» d’Evgueni Zamiatine et «Matin brun» de Franck Pavlov qui, depuis plusieurs années, nous servent d’éléments ou d’outils de base à l’analyse pédagogique pour aborder en substance des régimes au pluralisme limité que nous qualifierons ici de dystopiques.

    1.1 /L’intérêt méthodologique de la dystopie en sciences sociales (et politiques)

    Littérature protéiforme, la science-fiction a marqué l’histoire littéraire et sociale du XXe siècle. Écriture engagée,

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