Les REVOLUTIONS DE LEONARD COHEN
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À propos de ce livre électronique
Pour saisir les effets et les traces découlant de ces révolutions, sont réunis dans cet ouvrage les textes de chercheurs, d’artistes, d’écrivains et de traducteurs dont le parcours, les intérêts et les réalisations présentent des affinités d’ordre littéraire, musical ou sentimental avec Leonard Cohen. Laissant transparaître leur sensibilité, leur attachement, voire leur amour pour Cohen, les auteurs dévoilent les multiples facettes de ce grand artiste qui inspire, fascine et subjugue. Leurs réflexions, à la fois intimistes et fouillées, jettent un nouvel éclairage sur cette œuvre qui ne cesse d’éblouir par sa force créatrice et par son pouvoir de refléter les « paradoxes de la modernité ».
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Aperçu du livre
Les REVOLUTIONS DE LEONARD COHEN - Chantal Ringuet
DE L’ART À LA GUERRE, UN APPEL À LA RÉVOLTE
Leonard Cohen, un art de la guerre
Gilles Tordjman
Le succès français de Leonard Cohen doit beaucoup à une seule de ses chansons, The Partisan. Chantée pour moitié en anglais, elle n’était pourtant pas de Leonard Cohen et avait été signée par Anna Marly en 1943 sous le titre La complainte du partisan. Pour la génération à laquelle j’appartiens, celle née dix ou quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce morceau n’a pas manqué d’éveiller les stigmates d’un imaginaire encore à vif dans lequel nous avions grandi, puisque nos parents avaient connu cette guerre et en avaient été victimes. Ce texte très imagé, où il était question de clandestinité, d’exécution sommaire, d’armée des ombres, mais aussi de fraternité, trouva une formidable résonance dans ce pays qui n’avait pas soldé, et ne l’a toujours pas fait, les déchirures et l’imprescriptible honte de la collaboration. Pour la jeunesse française qui découvrait ainsi Leonard Cohen, en ignorant généralement que ce chanteur était avant tout un poète et un romancier (ses livres ne seront traduits ici qu’après la parution de ses premiers disques), s’établissait ainsi un rapport d’intimité dans la langue et l’histoire, en une époque où les préoccupations «politiques» entendaient offrir une échappatoire aux défaites, ou aux compromissions, de la génération précédente. Quelque chose, pourtant, détonnait chez Leonard Cohen: il semblait ne pas être à sa place sur la scène musicale qu’il partageait; les mots d’ordre du type peace and love semblaient ne pas coller avec cet homme déjà mûr (rappelons qu’il avait déjà trente-deux ans lorsqu’il commença à enregistrer) qui se présentait à nous avec des sentences comme «j’ai repris mon arme». D’un coup, le chanteur mélancolique, qui parlait si bien à l’oreille des adolescents dans le cocon des chambres à coucher, laissait voir la silhouette d’un doppelganger autrement plus inquiétant, un autre Leonard Cohen travaillé par le conflit, un poète en guerre comme avait pu l’être, bien longtemps avant lui, le redoutable Agrippa d’Aubigné. Pour avoir été élevé au Canada, dans un environnement bourgeois épargné par le tumulte européen, Leonard Cohen n’en a pas moins été porteur d’un imaginaire irrigué par la guerre, réelle ou métaphorique. Si l’on peut mettre sur le compte de la simple volonté de choquer certaines déclarations de jeunesse («je suis raide dingue de toutes les formes de violence¹»), aisément imputables à un goût de la provocation très juvénile, on se condamne en revanche à ne pas comprendre l’univers poétique de Leonard Cohen si l’on fait l’économie de ce motif guerrier qui soutient, comme une basse continue, toute son œuvre. Il n’est ainsi pas anodin que le premier grand choc littéraire du Canadien, le seul auteur qu’il ait constamment cité comme une influence déterminante, ait été Federico García Lorca, le «poète assassiné» porteur du destin tragique de la République espagnole foulée aux pieds par la botte fasciste et la complice passivité des démocraties européennes. C’est d’ailleurs dans une anthologie de chansons célèbre à l’époque de sa jeunesse, The People’s Songbook² (Les chansons du peuple), que Cohen a découvert La complainte du partisan, mais aussi quelques chansons de la guerre d’Espagne. Et même si Cohen s’est toujours soigneusement tenu à l’écart de la vulgate militante de son temps, il n’en a pas moins été profondément marqué par l’imaginaire du combat. C’est une rencontre décisive qui va l’arracher à la culpabilité victimaire qu’il a pu ressentir, comme tant d’autres, en découvrant les images des camps de la mort. Cette rencontre, c’est celle d’Irving Layton. Le premier recueil poétique d’Irving Layton, Here and Now³, parut en 1945. C’était précisément le moment où le monde découvrait avec effarement la réalité d’une extermination massive qui avait eu lieu en Europe et qui n’avait suscité alors, au mieux, que le silence gêné des grandes puissances parfaitement renseignées, sinon leur abjecte indifférence. Layton ne s’en remit jamais, et toute son œuvre porte la trace violente de ce deuil impossible. Le très grand Theodor W. Adorno a pu déclarer: «Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes⁴.» Layton prendra le parti inverse: sa poésie n’aura de cesse que de raviver les morts d’Auschwitz. Sa littérature, volontiers âpre et vengeresse, n’existera dès lors qu’en vertu d’Auschwitz.
Des abat-jour
ont été faits avec les peaux
d’un peuple
qui prêchait l’évangile de l’amour;
les fours d’Auschwitz et de Belsen
sont de manifestes témoignages
de leur folie
En dépit des plaques commémoratives
De l’horreur ou de la contrition
Le repentir, mon fils,
Est de courte durée;
Un fusil automatique, toutefois,
Dure
Une vie entière⁵.
On pourrait citer à l’envi des dizaines d’autres extraits, mais celui-ci nous semble suffire à témoigner de l’influence énorme que la poésie et la personnalité de Layton auront sur l’œuvre de Leonard Cohen: ce mélange de notations triviales et de références à l’Évangile, la hantise des corps massacrés, empilés, et la fascination de la consumation des corps dans l’amour; et surtout, cette conscience dérangeante de la nécessité morale d’une vengeance. Le repentir est de courte durée, alors qu’une bonne arme peut faire beaucoup d’usage. Voilà une manière, peut-être choquante mais parfaitement légitime, de s’arracher à une logique victimaire pour assumer l’encombrant privilège de la lutte. Si une morale guerrière est née un jour dans l’esprit de Leonard Cohen, c’est à Irving Layton qu’il la doit presque entièrement. C’est la voix de Layton qu’on entend encore dans ces vers très dérangeants de Story of Isaac (Histoire d’Isaac):
Quand tout redeviendra poussière,
Je vous tuerai si je le dois,
Je vous aiderai si je le peux.
Quand tout redeviendra poussière,
Je vous aiderai si je le dois,
Je vous tuerai si je le peux.
Ayez pitié de notre uniforme,
Homme de paix, homme de guerre –
Le paon fait la roue⁶!
Évidemment, les exégètes préférèrent voir dans Story of Isaac – et dans son admonestation finale – une dénonciation à peine voilée de la guerre du Vietnam, une manière un peu forcée de faire de Cohen un «artiste engagé», ce qu’il n’a jamais été, ou alors pas au vieux sens sartrien du terme. Tant qu’à s’engager, autant le faire littéralement, au sens militaire. Deux épisodes tragicomiques ponctuent la vie du poète qui se rêve guerrier. En 1961, sa bougeotte le conduit à tenter une aventure plus exotique: il s’envole pour Cuba, en pleine crise politique. Le pire moment pour faire du tourisme: Fidel Castro, après avoir renversé le régime corrompu de Batista, qui avait transformé cet extraordinaire pays en bordel de l’Amérique du Nord, défiait ouvertement les USA avec une redoutable mixture idéologique, cocktail de stalinisme et de nationalisme, dont les effets délétères se font hélas encore sentir. John F. Kennedy vient d’arriver au pouvoir, mais l’image de président jeune et démocrate s’arrête là où commence la défense hystérique des intérêts américains outre-mer. Située à moins de cinq cents kilomètres des côtes de la Floride, l’île caraïbe représente pour les États-Unis une insupportable menace. En avril 1961, une expédition maritime montée avec des exilés, et destinée à renverser l’appareil castriste, échoue lamentablement sur une plage du nord: c’est l’épisode de la baie des Cochons; un sommet de ridicule pour l’administration américaine mais qui, à l’époque, ne fit rire personne. La tension, en effet, continuerait à monter jusqu’à la crise des missiles de 1962 (la flotte soviétique, armée de têtes nucléaires, convergea alors vers Cuba). Ce fut l’épitomé de cette «guerre froide» qui tétanisait le monde depuis la fin des années 1940, et certainement le moment où l’on fut le plus proche d’une troisième guerre mondiale. Bref, c’est à cette période judicieusement choisie que Leonard Cohen décide qu’il n’y a rien de plus urgent que d’aller s’envoyer des daïquiris à la Bodeguita del Medio. Histoire de se la jouer un peu plus dandy, il aurait déclaré, juste avant de partir: «Je suis raide dingue de toutes les formes de violence⁷.» Sur place, il commence normalement par goûter aux délices du n’importe quoi local, qui n’a guère changé depuis – en gros, et comme disait l’ineffable Eddie Constantine, «cigarettes, whisky et p’tites pépées». Bravache comme un pilier de bar normalement ramolli par l’alcool, il se paie le luxe d’injurier des militants communistes lors de débats politiques autour d’un comptoir. Mais on n’est pas à Montréal, entre potes, dans une chambre de bonne.
Et Leonard Cohen, qui s’est si bien fait remarquer, ne va pas tarder à connaître de gros soucis avec une population qui a quelque raison d’avoir moins envie de rigoler que lui. Il se fait d’abord arrêter par une escouade de miliciens solidement armés sur une plage de Varadero. On l’a pris pour un hypothétique contre-révolutionnaire qui vient de débarquer. Il faut dire que Leonard est vêtu d’un treillis et porte un couteau de chasse à la ceinture: pour passer inaperçu, il n’y a pas mieux. Il s’en tire bien, après quelques heures de garde à vue. Puis, la situation tournant vinaigre, il décide de quitter l’île et constate qu’il n’est pas le seul dans ce cas-là. Alors qu’il piétine une fois de plus dans une file d’attente à l’aéroport, on l’informe qu’il n’est pas autorisé à quitter le pays: son passeport est suspect, et sa dégaine de guérillero éveille les soupçons. Gardé à vue et interrogé, ses dénégations ne convainquent pas les autorités. On décide donc de le mettre à l’ombre, et on s’apprête à le transférer lorsque éclate une rixe dans l’aéroport qui distrait la vigilance de son gardien. Mettant à profit la maxime dylanienne «Don’t look back», il se dirige vers la piste, monte dans l’avion qu’il convoitait, s’installe à un siège et serre les dents. L’avion décolle: il s’en sort à bon compte mais il a eu très chaud.
Si l’on s’attarde un peu sur cet épisode curieux de sa vie, c’est qu’il résume assez bien les contradictions du personnage. Sur ce qui l’avait poussé à se mettre dans ce guêpier, il déclara peu après que la révolution castriste avait pu représenter pour lui, à ce moment-là, une occasion plutôt romantique de se plonger dans l’histoire immédiate, comme s’il pouvait vivre par procuration l’exaltation spéciale qu’avait ressentie la génération précédente durant la guerre d’Espagne. Son admiration pour Lorca plaidait en faveur d’un tel argument. Mais c’est pourtant un tout autre éclairage qu’il apportera sur cet épisode bien plus tard. Interviewé par Les Inrockuptibles en 1991, qui lui demandent «Que faisiez-vous à Cuba, en pleine révolution castriste?», il répond:
D’une façon générale, j’essayais de prendre d’assaut le monde. […] Je croyais que je manipulais tout ça. J’avais le sentiment de défendre l’île contre l’invasion américaine et de planifier l’invasion américaine en même temps. J’étais l’instigateur de toute l’affaire (rires)…
Plus loin, interrogé sur son rapport aux événements politiques de l’époque, il précise:
J’étais derrière tout. Vous ne pouvez soupçonner la mégalomanie qui constituait ma vision en ces temps. De la vraie mégalomanie, mais d’un goût étrange: je pensais que le monde entier se déployait au bénéfice de mon observation et de mon enseignement. Tout ce qui passait coïncidait avec mon vaste plan… Je ne m’intéressais pas aux problèmes pratiques. J’avais ce plan, d’après lequel tout devait se passer ainsi⁸.
Ce besoin d’engagement qui, comme on l’a vu, n’exclut pas une certaine illusion de grandiosité, se manifestera de nouveau en 1973 lors de la guerre du Kippour. Dès le déclenchement des hostilités, Leonard Cohen s’envole pour Israël et propose immédiatement ses services à Tsahal. On lui fait comprendre qu’il se rendrait plus utile en soutenant le moral des blessés avec sa guitare qu’en combattant sur le front. Ce qu’il fera, avec une incroyable humilité et un sens de l’autodérision qui lui inspireront deux chansons, Field Commander Cohen et Lover Lover Lover. Cette dernière commençait initialement par la phrase: «J’ai vu mes frères combattre dans le désert», incipit finalement abandonné au profit d’un autre, plus universel, ou plus «biblique», serait-on tenté de dire: «J’ai demandé à mon père Père, change mon nom
/Celui que je porte à présent est souillé/ De crainte et d’ordures et de lâcheté et de honte⁹.» Il est ici intéressant de noter que le judaïsme ne tolère le changement de prénom que dans les circonstances exceptionnelles d’une maladie grave. Lorsque la vie d’un individu est menacée, il peut être renommé pour être sauvé sous un nouveau prénom, en quelque sorte. Le changement de nom est quant à lui d’autant plus inenvisageable qu’on a le redoutable privilège de porter celui de Cohen. Ces simples vers expriment donc quelque chose de profond sur l’obsession guerrière de Leonard Cohen, qui aurait moins à voir avec une fascination spéculaire pour la guerre manifeste qu’avec un conflit intime, premier, cette guerre métaphorique d’un homme qui ne peut rêver de transgression qu’à l’ombre de la Loi. Comment, en effet, ne pas imaginer que l’enfant qui exhorte son père à changer son nom puisse être Isaac, cette victime de la fidélité à la loi dont il emprunta la voix pour l’une de ses chansons les plus troublantes? Story of Isaac, bâtie sur la riche alternance tonique/sous-dominante, est une saisissante chronique à la première personne d’un mythe biblique qui hante tous les garçons juifs. On connaît l’histoire: Dieu s’adresse au patriarche, au plus vénérable des prophètes, et lui demande de sacrifier son fils Isaac. Abraham, malgré ses affres, obéit: il emmène son fils sur la montagne, le couche sur une pierre et, perclus de doutes et de douleur, s’apprête à frapper Isaac de son glaive. Un ange retient sa main et le fils est miraculeusement remplacé in extremis par un bouc, qui sera immolé. Dieu a ainsi éprouvé la piété d’Abraham pour mettre à l’épreuve la solidité de son alliance. Ce mythe est riche, complexe et ouvert à une quantité d’interprétations. Il demeure pourtant un motif de terreur pour chaque enfant juif auquel il est raconté (par ses parents, le plus souvent!) puisqu’il introduit deux idées fort dérangeantes: d’abord que le Créateur, censément omniscient, puisse user de la dissimulation. Ensuite que, même si l’histoire finit bien, la piété d’un père peut aller jusqu’à acquiescer à l’idée du meurtre de son enfant.
Leonard Cohen raconte cette histoire du point de vue du fils, et c’est une absolue révolution copernicienne. C’est aussi le seul texte de sa main qui s’achève par une «morale» très didactique:
Vous qui montez des autels aujourd’hui
Pour immoler vos enfants
Vous devez cesser.
Raison n’est pas vision
Et nul Dieu, et nul diable
Ne vous ont jamais séduits¹⁰.
Il n’est bien évidemment pas lieu ici de se livrer à une confrontation d’exégèses autour de l’histoire d’Isaac. Mais de reconnaître en quoi ce mythe fondateur peut être tenu comme la source d’un conflit intime et structurant, d’autant que Leonard Cohen n’aura jamais connu de conflit manifeste avec l’autorité paternelle, puisqu’il perd son père avant d’entrer dans l’adolescence. Comment survivre à sa propre mort légitimée par l’obéissance à la Parole divine? Comment pardonner à son père d’être allé jusqu’à lever le glaive, lorsque c’est son père qui est prématurément frappé par le glaive de la maladie? Peut-être en portant le conflit au plus intime de soi, par la mise à l’épreuve permanente de sa propre vie dans la consumation amoureuse ou les conduites ordaliques de la toxicomanie. Intervenant lors d’un colloque sur l’identité juive à la Jewish Public Library (Bibliothèque publique juive) de Montréal en 1964, Cohen se distingue par une contribution radicale et volontiers provocatrice:
Refusons le titre de Juif à tout homme qui ne soit pas obsédé par Dieu. Que cela devienne le seul critère de l’identité juive. Encourageons les jeunes gens à pénétrer dans le désert de leur cœur et à se consumer en glorifiant la perfection. Faisons-le avec des drogues, ou des fouets, ou du sexe, ou du blasphème ou du jeûne, mais laissons les hommes éprouver la perfection de l’univers. Déclarons un moratoire de tous les services religieux jusqu’à ce que quelqu’un rapporte une vision ou brise son esprit contre l’infini¹¹.
Cette véhémence suscita bien évidemment des réactions plutôt outrées. Sommé de développer, Cohen ajouta cette précision moins confuse et plus intéressante: «Dans n’importe quelle cuisine de toxicomane, il y a un plus grand contact avec le monde spirituel que dans n’importe quelle synagogue du continent nord-américain¹².»
De fait, l’expérience des drogues, si l’on fait l’effort de l’examiner sans aucun moralisme hygiéniste, s’apparente à une forme moderne de mystique profane où le sacrificateur et l’offrande se confondent dans l’espoir d’une confrontation, ou d’une connaissance directe –ce qu’est la mystique dans son acception la plus neutre – du grand Autre. Le geste du toxicomane est bien une ordalie, c’est-à-dire strictement un appel au jugement de Dieu, au risque de sa vie. Incessamment, le toxicomane rejoue le sacrifice d’Isaac en prétendant être tout uniment Isaac et Abraham – mais nul ange ne retient son bras.
C’est toujours avec la plus grande franchise que Leonard Cohen a évoqué son rapport aux drogues. Mais, presque toujours aussi, il n’a pas manqué d’en souligner la dimension spirituelle, comme dans cette interview de 1997:
J’ai goûté à la drogue comme tous les gens de ma génération. J’aime beaucoup l’alcool. Je suis revenu à la nicotine après avoir arrêté 4 ou 5 ans. Je viens de recommencer, c’est vraiment bon. Plus jeune, j’ai pris beaucoup de drogues très mauvaises pour la santé. On arrive à un point proche de l’effondrement et souvent je me suis effondré. J’ai arrêté tout ça, il y a longtemps, dommage, parce que c’était parfois très agréable. Il y avait une certaine légèreté dans cet univers-là. Mais il y avait aussi une motivation plus profonde: chercher un centre, une réalité spirituelle. Voilà pourquoi on se droguait dans les années 60 et 70. On ne peut ignorer sans pour autant le surestimer, l’aspect religieux et spirituel de cette quête. Les gens ne trouvaient pas une nourriture spirituelle satisfaisante à l’église, à l’école, ou dans les structures existantes. Et ils avaient très envie d’explorer davantage leur moi profond. Même s’ils se sont fourvoyés. On ne peut exclure cet argument pour expliquer le recours à la drogue. Il est bon de se laisser aller parfois. Boire le matin. Fumer énormément quand on sait s’arrêter au moment critique. Si on ne peut pas, tant