Seule diva internationale révélée par la musique contemporaine, elle est aussi, depuis plus de dix ans, une cheffe dont l’univers singulier ne cesse de conquérir de nouvelles frontières. Athlète et philosophe, dotée d’une fantaisie débridée et d’un perfectionnisme acharné, Barbara Hannigan serait-elle l’avenir d’un monde musical à la recherche d’un souffle neuf?
Triplement exceptionnelle? La casquette de cheffe serait peutêtre sa moindre singularité, les femmes étant heureusement de plus en plus nombreuses à s’imposer au pupitre. Qu’elle l’ait coiffée venant du chant soliste s’avère plus remarquable – Peter Schreier, Placido Domingo et René Jacobs firent longtemps figure de raretés. Mais Barbara Hannigan occupe d’abord une place unique dans le monde musical pour avoir réconcilié création et grand public, qui se presse par milliers pour la voir en scène. Les triomphes de de Toshio Hosokawa (2011), de George Benjamin (2012), de Hans Abrahamsen (2019), qui illustrent en ce siècle la possibilité d’un opéra à la fois exigeant et populaire, doivent beaucoup à la voix lumineuse, intense, à l’infaillible musicalité et à l’extraordinaire rayonnement physique (parfois sportif!) de leur interprète. Hannigan a également prouvé que les œuvres réputées ardues de la fin du xx pouvaient se transformer en tube: adoubée par le compositeur, promenée autour du globe avec la complicité des plus grands orchestres et chefs (à commencer par son mentor, Simon Rattle), sa version déjantée de de Ligeti, qu’elle dirige aussi elle-même, est devenue un phénomène, dépassant allègrement les 1,5 million de vues sur YouTube! En outre, cette carrière où les créations, de Dutilleux à la jeune génération, avoisinent les quatrevingt-cinq œuvres, ne s’est pas édifiée par défaut en terres contemporaines. Ses et surtout Lulu demeurent ses vrais jalons dans la musique du passé. La cheffe ne paraît pas s’imposer les mêmes limites, au fil de collaborations qui ne cessent de prendre de l’ampleur avec le London Symphony Orchestra, les philharmoniques de Radio France et de Munich, le Symphonique de Göteborg, sans oublier le Ludwig Orchestra, partenaire de disques remarqués chez Alpha. Mais les deux casquettes resteront-elleslongtemps compatibles? On retrouve l’artiste près de chez elle, dans le Finistère, où elle a acheté une maison à quelques centaines de mètres de celle de son compagnon, l’acteur Mathieu Amalric.