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Au-delà des lignes: Nouvelles
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Livre électronique284 pages4 heures

Au-delà des lignes: Nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Voyagez vers de nouvelles contrées, réelles ou imaginaires !

Chaque récit est un voyage vers des contrées réelles ou imaginaires à la rencontre de situations banales ou étranges quelquefois à la frontière du réel, aux confins des univers parallèles. Chaque histoire nuance la part d’ombre de l’être humain et sa détermination à transgresser les lignes, de la nécessité à l’inacceptable.

Des nouvelles imaginatives qui explorent la transgression des lignes.

EXTRAIT

Elle déteste leurs airs supérieurs et condescendants à son égard. Malgré son jeune âge, elle a pris conscience des différences de classes et des inégalités et elle n'apprécie pas ces bourgeois pétainistes. Parfois, elle contemple les livres dans l'immense bibliothèque. Des larmes de colère perlent à ses yeux quand elle pense qu'elle n'a pas les moyens d'avoir un seul livre à elle. Les seuls livres à la maison sont la Bible et le missel de sa communion.
En plus de cet état d'indigence et de misère intellectuelle, elle doit supporter sa mère et une promiscuité de vie qui ne facilite pas les relations ! La maison ne compte que deux pièces, une chambre pour les garçons et une cuisine rudimentaire avec un poêle à bois, un évier et une table centrale. Près de l'entrée un grand lit pour elle et sa mère, au-dessus duquel trône un gigantesque portrait du Maréchal Pétain.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Retraitée Inspecteur des Finances Publiques, Gisèle Kaczmarek a une formation juridique pourtant elle est passionnée par la lecture et l'écriture depuis toujours. Elle est actuellement bénévole dans deux associations : Savoir lire et écrire en Sud Nivernais, et Lire Sous Les Halles. Elle participe également au Printemps des Poètes en choisissant et en lisant des poésies dans les établissements scolaires de son département et dans les maisons de retraite.
LangueFrançais
Date de sortie12 mars 2019
ISBN9782378779535
Au-delà des lignes: Nouvelles

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    Aperçu du livre

    Au-delà des lignes - Gisèle Kaczmarek

    La Ligne

    Je tiens ces récits de Cilette, ma mère qui avait 15 ans en 1940 et habitait un hameau tout près du petit village de Jully les Buxy et de Jean et Thérèse les parents de mon premier mari, âgés à l'époque d'une trentaine d'années et vignerons à Saint Vallerin près de Montagny en Saône-et-Loire.

    Le 17 juin 1940, après l'effondrement de l'armée Française, le Maréchal Pétain annonce la capitulation de la France tandis que le Général de Gaulle rejoint l'Angleterre et lance le 18 juin 1940 son appel à continuer la lutte contre l'occupation nazie. Ce même jour en Bourgogne les villes de Dijon et du Creusot sont prises par les Allemands.

    Le 22 juin 1940, dans la forêt de Compiègne et en présence d'Hitler, Pétain signe l'armistice avec le IIIème Reich. Il est prévu, entre autres mesures, le découpage de la France en plusieurs zones séparées par une ligne de démarcation et principalement une zone libre et une zone occupée. Le 29 juin 1940, le gouvernement présidé par Pétain s'installe à Vichy.

    Le département de Saône-et-Loire est coupé en deux d'ouest en est. La ligne de démarcation suit la Saône et passe au sud de Buxy qui se trouve en zone occupée. Saint Vallerin, Montagny et Jully les Buxy sont en zone libre.

    Juillet 1940

    — Fi de Dieu, bougonna Jean en entrant dans la cuisine, je crois ben que les boches arrivent ! Je viens de voir passer leur convoi au bout de la cour et ils se dirigent sur Montagny.

    — Montagny, répéta avec effroi Thérèse son épouse, mais ils sont chez nous.

    — Ah, qu'ils viennent ces salauds, tu m'entends bien, je les attends au bout de la cour avec ma fourche.

    Thérèse qui connaissait le caractère emporté mais inoffensif de son mari sourit en l'imaginant aux prises avec une armée d'Allemands déjà en terrain conquis.

    — Tiens v'là le Marcel, annonça Jean, sûrement pas pour une bonne nouvelle, il est comme les curés, quand il se déplace on peut être sûr du pire.

    Marcel était le garde champêtre du village et faisait la tournée des maisons sur l'injonction du maire.

    — Mon pauvre vieux Jean, j'ai pas une bonne nouvelle !

    — Ah, ça, tu m'étonnes pas, quand on te voit c'est jamais bon, alors, vas-y.

    — Attends un peu, ça grimpe pour venir chez toi et ça fait soif, dit Marcel en posant son képi et en s'essuyant le front avec son large mouchoir à carreaux.

    Thérèse, toujours très accueillante avait déjà posé deux verres sur la table et avait sorti la bouteille de Bourgogne de 1939, année de naissance de son troisième fils, entamée la veille avec l'instituteur venu discuter de la prise du Creusot, juste à 36 kilomètres.

    — T'es ben la meilleure du pays la Thérèse ! Bon, bon, j'y viens, t'auras tout le temps de t'énerver plus tard le Jean, dit Marcel en vidant son verre d'une traite. J’te préviens que la ligne de démarcation qui va séparer la France en deux, passe au milieu de tes vignes sur la route de Buxy.

    — Quoi, s'égosilla Jean, dans mes vignes, t'es pas beurdin des fois ?

    — T'as qu'à aller à la mairie si tu me crois pas mon vieux gars, bon c'est pas le tout mais j'ai pas fini ma tournée, salut et à la revoyure.

    Jean se mit en colère, jura que si Pétain venait au bout de sa cour, il l'embrocherait avec sa fourche. Thérèse qui connaissait la ritournelle prit son seau et partit traire les vaches. Elle avait trois enfants en bas âge et elle était terrorisée par cette proximité avec l'ennemi. Jean, de plus en plus agacé, décida de rendre visite à son copain Paul qu'il savait très engagé politiquement contre cette guerre et jetait les premières bases de la résistance à l'ennemi.

    — Saint Vallerin et Montagny sont en zone libre mais la ligne de démarcation passe au sud de Buxy à 3 kilomètres d'ici. Comme t’a dit Marcel, elle passe en plein milieu de tes vignes, expliqua Paul, et il te faudra un ausweis…

    — Un quoi, l'interrompit Jean, tu peux pas parler français, si tu te mets à causer comme les boches, où on va !

    — Un laissez-passer si tu préfères…

    — Ah mais, je préfère rien du tout ! Je veux aller et venir dans mes vignes sans que ces fumiers m'en empêchent, hurla Jean et si j'en trouve un dans ma propriété je lui perce le bide avec ma fourche !

    — Nous allons organiser la résistance, les jeunes prendront le maquis et nous les anciens et les chargés de famille les ravitaillerons en nourriture et en vêtements. Ce sera difficile mais nous ne pouvons pas rester à ne rien faire alors que les Allemands tuent, torturent et ruinent notre pays. Tu seras des nôtres pas vrai ?

    Jean était un homme de convictions. Il exécrait les Allemands et leurs complices français. Il mettait dans le même sac sans distinction, les bourgeois, les aristos, les politiciens corrompus, les policiers et les gendarmes toujours très prompts à exécuter les basses œuvres de Vichy aux ordres du IIIème Reich et de la Gestapo.

    Il retrouva Thérèse dans la souillarde jouxtant la cuisine. Comme chaque soir après la traite, elle préparait ses fromages en versant le sel et la présure dans le lait. Elle était très inquiète et s'en ouvrit à son mari. Jean la rabroua fermement et elle se mit à pleurer. Il était incapable de la consoler et préféra s'en aller. C'était un brave homme toujours prêt à aider les autres mais il était avant tout un rude paysan, à l'enfance difficile, attaché à sa terre et à ses vignes. C'était plutôt un « taiseux », il était bourru et ne savait jamais dire une gentillesse, ni à sa femme ni à ses enfants. Il était craint et respecté par tout le village.

    La vie des français était très difficile, les Allemands avaient la main mise sur l'économie et contrôlaient les mines de charbon, le textile, l'acier et les cultures vivrières. La nourriture manquait, surtout dans les villes car en campagne chacun se débrouillait avec une parcelle de jardin et un élevage de volailles et de porc.

    La ligne de démarcation était presque infranchissable et Jean avait dû faire profil bas chaque fois qu'il se rendait dans ses propriétés. Toujours accompagné de soldats armés qui ne comprenaient pas un mot de français, il se faisait un plaisir de les insulter, de leur promettre des coups de fourche dans le derrière. À l’heure du casse-croûte, il dégustait de larges tranches de pain et de lard arrosées du bon vin de ses vignes, exprès à leur nez et à leur barbe sans jamais leur en offrir la moindre goutte !

    Les actes de résistance étaient souvent individuels mais les maquis commençaient à s'organiser aux alentours et Jean les approvisionnait secrètement par l'intermédiaire de Paul en fromages, quartiers de porc, volailles et bon vin.

    Septembre 1941

    Le 20 septembre, Cilette a seize ans mais personne n'a pensé à lui souhaiter son anniversaire. Son père est mort en 1934 après des années d’agonie, des suites de la guerre de 14-18 où il a été gazé. Ses deux frères aînés ont été arrêtés pour fait de résistance et sans doute déportés en Allemagne puisque la famille est sans nouvelles. Le troisième prénommé Claude, dit « Le Glaude », est un dirigeant clandestin très impliqué dans la résistance au sein des FTP (Francs-Tireurs et Partisans). Toute sa vie, il restera engagé au service de la paix, à la défense des plus faibles et à l'amour des autres. Le quatrième de la fratrie loue ses bras chez les paysans de la région et le dernier, né juste après elle, est trop jeune pour travailler.

    L'argent manque dans la maison avec son lot de privations et d'angoisse, ce qui n'arrange pas le caractère de sa mère qui est une femme aigrie et méchante. Elle n'a jamais aimé sa fille et a toujours préféré ses garçons. Pas un jour sans qu'elle ne reproche à Cilette d'exister.

    L'école est finie pour elle, alors qu'elle aimait étudier et lire. Le cœur gros et la rage au ventre elle travaille comme bonne à tout faire chez les bourgeois dans le château en face de la modeste maison de sa mère.

    Elle déteste leurs airs supérieurs et condescendants à son égard. Malgré son jeune âge, elle a pris conscience des différences de classes et des inégalités et elle n'apprécie pas ces bourgeois pétainistes. Parfois, elle contemple les livres dans l'immense bibliothèque. Des larmes de colère perlent à ses yeux quand elle pense qu'elle n'a pas les moyens d'avoir un seul livre à elle. Les seuls livres à la maison sont la Bible et le missel de sa communion.

    En plus de cet état d'indigence et de misère intellectuelle, elle doit supporter sa mère et une promiscuité de vie qui ne facilite pas les relations ! La maison ne compte que deux pièces, une chambre pour les garçons et une cuisine rudimentaire avec un poêle à bois, un évier et une table centrale. Près de l'entrée un grand lit pour elle et sa mère, au-dessus duquel trône un gigantesque portrait du Maréchal Pétain.

    Un soir, son frère harassé par sa journée de vendanges lui parle du maquis et de la résistance. Devant son intérêt, il lui propose d'aider les résistants en passant des messages depuis la zone libre où est leur village jusqu'à Buxy en zone occupée, au-delà de la ligne de démarcation. Cette ligne est à quatre kilomètres, elle devra s'arrêter à la guérite et montrer son laissez-passer, avant d'arriver à son rendez-vous. Cilette est à la fois stupéfaite et fière d'avoir été choisie. Elle plaque un baiser sur la joue de son frère en comprenant qu'il est entré en résistance.

    — Chut, dit son frère, pas un mot à personne, il y va de nos vies.

    — Cela m'effraie, que devrais-je faire ?

    — Je te donnerai à chaque fois un message, verbal le plus souvent pour que tu ne risques rien mais quelques fois écrit que tu devras cacher sur toi. Tu es trop jeune, tu ne seras pas fouillée. Tu t'arrêteras à la guérite et tu présenteras aux Allemands le laissez-passer que je vais t'obtenir. Les rendez-vous sont à l'église avec le curé qui fait la liaison. Comme nous n'avons plus d'église dans notre village, tu inventeras que tu as envie de prier. Le curé t'organisera aussi des séances de catéchisme les jeudis avec les enfants de la paroisse. D'autres fois tu emporteras des fleurs ou un cadeau pour le curé !

    — Mais je ne saurais pas leur apprendre le catéchisme, objecta Cilette en riant.

    — Mais si, il te suffira juste de te souvenir de ton éducation religieuse et puis, tu improviseras ! Tu es jeune, tu es belle, tu parles bien, tu n'éveilleras aucun soupçon chez l'ennemi.

    — J'ai quand même un peu peur...

    — Tu as peur de quoi, grinça sa mère en entrant, ça ne m'étonne pas, tu es trouillarde et bonne à rien. Madame la Comtesse vient de me dire que tu n'avais pas bien rincé les draps au lavoir et qu'ils sentaient encore le savon.

    Si tu savais comme je m'en fiche de ses draps, tu aurais une idée de l'infini, pensa Cilette en retenant une réplique cinglante. Mais elle avait mieux à faire, elle allait prendre sa place dans cette lutte pour la dignité et la liberté. Elle se sentait exister, elle se sentait utile et l'hostilité de sa mère, cette mère odieuse et pétainiste qu'elle aimait et haïssait tout à la fois, serait moins lourde à porter.

    Le premier message était codé et écrit sur un petit bout de papier qu'elle glissa profondément dans son soutien-gorge. Elle était terrorisée à l'idée de rencontrer les ennemis détestés et responsables de tous les malheurs du pays.

    Il était 16 heures quand elle enfourcha son vélo. Elle avait revêtu sa plus belle robe à fleurs, natté ses cheveux bruns pour faire plus gamine, vérifié son laissez-passer et jeté son sac en bandoulière sur son épaule. Elle pédalait vivement en direction de Buxy pour son rendez-vous avec le curé dans le confessionnal de l'église. Le ciel était bleu et les quelques nuages qui s'effilochaient prédisaient un automne radieux. Elle traversa le vignoble et les vendangeurs saluaient avec force compliments cette belle fille qui pédalait sur la route baignée de soleil.

    Plus la ligne se rapprochait, plus l'angoisse l'étreignait. « Je ne veux pas mourir, je ne veux pas mourir », se répétait-elle comme un mantra pour conjurer le mauvais sort. Elle eut l'impression que son cœur s'arrêtait lorsqu'elle aperçut la guérite, les barrières aux couleurs allemandes et les soldats armés qui levaient leurs armes dans sa direction. Elle sentait contre sa poitrine le papier rêche du message qui se soulevait à chacune de ses respirations. Elle implora la Sainte Vierge de la protéger et stoppa net à la pointe d'un fusil.

    — Ausweis, schnell, schnell, cria le soldat en tendant la main.

    Cilette lui fit un sourire éblouissant et lui tendit le laissez-passer extrait de son sac. Un autre soldat surgit à ses côtés en disant :

    — Schön, schön, jolie mademoiselle, où allez-vous comme ça ?

    Elle crut s'évanouir, une sueur froide dégoulinait dans son dos, elle aurait voulu être à des milliers de kilomètres, mais elle pensa à sa mission et répondit avec son plus séduisant sourire qu'elle allait enseigner le catéchisme aux enfants et prier à l'église, car celle de son village avait été détruite par les bombardements.

    — Ah, la prière, c'est bien Mademoiselle, il faut croire en Dieu, assura le soldat en lui rendant son laissez-passer, bonne route jolie Mademoiselle.

    Comment ce peuple peut-il croire en Dieu et tuer les gens en même temps ? se dit-elle en remontant sur son vélo, quelle terrible ambiguïté. Son frère Le Glaude lui avait expliqué le rôle détestable et prépondérant de la bourgeoisie et des classes possédantes allemandes et françaises dans la montée du fascisme. Cela confortait son idée d'appartenance à une classe sociale qui subissait la loi des plus riches et renforçait son désir de combattre avec ses faibles moyens. Elle en était là de ses réflexions lorsqu'elle aperçut enfin la silhouette rassurante du clocher de l'église de Buxy. Elle donna le message au curé et lui raconta son passage de la ligne.

    — Vous avez du courage mon enfant, que Dieu vous bénisse.

    Ma mère a porté des messages de nombreuses fois, avec toujours la même peur qui lui nouait le ventre. Elle a bravé les grands froids de janvier 1942, elle a marché dans la neige pendant des kilomètres avec courage et détermination. Comme elle était très jeune, belle et enjouée, les Allemands s'amusaient à plaisanter avec elle en la félicitant pour sa piété et jamais ils n'eurent de soupçons pendant cette année où elle prit sa part à la résistance, dans le combat contre l'envahisseur. Elle ne m'en parla qu'une fois avec humilité car elle était comme ça. C'est son frère qui me raconta son engagement et ses passages héroïques de la ligne, au milieu des Allemands armés jusqu'aux dents.

    Août 1942

    Depuis quelque temps, les Allemands fichaient une paix royale à Jean et le laissaient travailler dans ses vignes. À son passage sur la ligne, ils ne contrôlaient même plus son ausweis et lui faisaient de grands signes amicaux, auxquels Jean répondait invariablement en murmurant : « Mort aux boches nom de dieu, viens donc au bout d'ma cour que j'te pique le cul avec ma fourche » !

    Le mois avait débuté sous la pluie avec une alternance de douceur et de coups de froid. Jean déambulait dans ses vignes en maugréant contre ce fichu temps néfaste pour le raisin. Il craignait que la récolte ne soit pas très bonne, ce qui ajouterait encore des problèmes d'argent à une situation déjà précaire. Jean shoota avec colère dans une taupinière qui ne lui avait rien fait et décida de passer voir Paul. Il avait appris tardivement que des juifs avaient été raflés en juillet et il voulait en savoir plus.

    — J'étais prêt à aller chez toi, dit Paul. Viens donc boire un canon, il faut que je te cause.

    — C'est quoi ces histoires de juifs ?

    — Depuis de nombreuses semaines, des juifs sont capturés, tués ou déportés. Là, l’horreur est à son comble, d’après une information apportée pas les parachutistes du maquis de Sennecey le Grand, plusieurs milliers de juifs ont été arrêtés à Paris et en banlieue les 16 et 17 juillet. Ils ont été parqués au vélodrome d'hiver pour être envoyés dans les camps de concentration en Allemagne. Des malades, des femmes, des hommes et des enfants ont été pris sur ordre de Vichy par des policiers et des gendarmes français, sans état d'âme, une honte, s'énerva Paul, mais c'est pas tout et on a besoin de toi mon vieux gars. Bois ton canon et je te raconte.

    Jean avait un mauvais pressentiment et Paul reprit.

    — Figure-toi que les copains du maquis de Neuilly près de Cersot en revenant par les collines d'une de leur mission de sabotage ont trouvé un gamin caché dans les grottes de Culles les Roches. Il était affamé, transi de froid et mort de trouille. Ramené au camp, il a peu à peu livré son histoire, je te la fais courte, il a 12 ans, il est juif, il est seul, il a pu s'échapper de Paris et il faut que tu le caches.

    — Comment ça ? faut que j'le cache, s'étrangla Jean, j'ai une femme et des gamins, j'peux pas prendre de risques…

    — Tu en prends bien en ravitaillant les maquis et tu ne peux pas laisser crever ce gosse !

    — Pour sûr que non, je vais réfléchir au moyen de le faire passer, laisse-moi un peu de temps…

    — Tu n'en as pas, interrompit Paul, c'est prévu pour demain.

    — Merde, pas moyen de souffler, faut que je prévienne ma femme et pis je vas le mettre où ce ch'tit gars ?

    Jean échafauda rapidement un plan que Paul trouva génial.

    — J'irai à Buxy en zone occupée avec mon char pour faner le champ de mon copain Adrien. Il aide les résistants et il est comme un frère pour moi, il n'y aura pas de problème. Comme le maquis est près de Cersot, toujours en zone occupée, j'irai avec mon chargement pour récupérer le gamin et repasser en zone libre.

    Paul allait se débrouiller pour faire passer un message codé aux maquisards leur précisant qu'il fallait amener l'enfant le lendemain à 15 heures à l'orée du bois de Cersot.

    Il était 6 heures du matin et le soleil commençait son ascension dans un ciel sans nuages. Sur la route menant à Buxy, le char tiré par les deux percherons filait bon train faisant brinquebaler les ridelles arrimées de chaque côté. Sur son siège Jean tenait les rênes et Thérèse à ses côtés se taisait. Elle doit être en train de prier, se dit Jean avec colère. En temps normal il l'aurait durement réprimandée car il était athée et plutôt anticlérical mais il se dit qu'elle avait sans doute besoin d'être rassurée et il était bien incapable de le faire !

    La ligne de démarcation approchait et Thérèse se signa en tremblant. Son mari haussa les épaules et sortit de sa poche son ausweis. Il n'était pas inquiet puisqu'il connaissait bien ces soldats qui l’accompagnaient quand il allait dans ses vignes. Ils le saluèrent en braillant : « Guten morgen Herr Jean » !

    — Je t'en foutrais des guten morgen, sale boche, viens donc au bout de ma cour que j’te pique le derche, murmura Jean.

    Puis reprenant son air sérieux, il expliqua qu'il allait faire les foins dans son pré de l'autre côté de Buxy et qu'il repasserait dans quelques heures avec le fourrage. Les Allemands eurent l'air de comprendre et le laissèrent passer. Ils traversèrent Buxy pour rejoindre le champ tout proche de son ami Adrien. Ils étaient copains d'enfance et avaient fait ensemble les quatre cents coups. Il avait été prévenu par un message très laconique des maquisards que Jean viendrait le lendemain l'aider à faucher son champ. Ne comprenant rien à cette affaire mais prêt à aider son ami, il attendait avec son épouse Yvette au bord du pré. Jean parla du petit juif qu'il devait emmener chez lui en zone libre pour le cacher. Il avait pensé le dissimuler dans le char de foin pour passer la ligne de démarcation.

    — Je vais faucher ton champ, précisa Jean et je te rendrai le foin d'un de mes champs, et pis comme t'as rien à faire, je t'ai apporté une faux et une fourche, tu vas ben m'aider mon gars ?

    Adrien retroussa ses manches, cracha dans ses mains et se mit à l'ouvrage. Les deux hommes maniaient leurs faux en cadence et les deux femmes ramassaient le foin avec les fourches pour le jeter sur le char. Le travail allait bon train, Adrien et Jean étaient de rudes gaillards, alors que Thérèse et Yvette, plus petites et plus fluettes étaient des paysannes courageuses et dures à la tâche. Si bien qu'à midi, le char était rempli à ras bord d'herbe encore verte et odorante.

    Il faisait très chaud et le soleil au zénith plombait sérieusement l'atmosphère. Thérèse avait prévu de l'eau et aussi une bonne bouteille de vin des vignes de Montagny. Tous les quatre s'assirent à l'ombre d'un grand chêne pour partager le repas fait de bon pain croustillant, de jambon cru, de larges tranches de lard et de fromage maison. Personne ne parlait, l'angoisse était palpable et tous mangeaient en silence. Au bout d'un long moment, Jean se leva et referma son couteau, donnant le signal de la fin des agapes.

    — Nom de dieu, dit-il en brossant les miettes accrochées à son pantalon de velours, encore un casse-croûte que les boches auront pas !

    Tout le monde rit car c'était la plaisanterie favorite des gens pendant l'occupation et aussitôt l'atmosphère devint moins pesante.

    Adrien, lui-même résistant, expliqua que le maquis était introuvable pour le commun des mortels et le chemin d'accès impraticable. Mais il rassura Jean en expliquant qu'il était prévu qu'un gars amène le gamin près de la borne des Ponts et Chaussées à l'orée de la forêt de Neuilly sur la commune de Cersot à 6 kilomètres mais toujours en zone occupée.

    — Je vais vous accompagner un bout de chemin, mais

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