Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Vite en finir avec la guerre 14: ou Les cœurs, même brisés, continuent de battre
Vite en finir avec la guerre 14: ou Les cœurs, même brisés, continuent de battre
Vite en finir avec la guerre 14: ou Les cœurs, même brisés, continuent de battre
Livre électronique269 pages3 heures

Vite en finir avec la guerre 14: ou Les cœurs, même brisés, continuent de battre

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Au lendemain de la Grande Guerre, il faut réapprendre à vivre...

1919. La Grande Guerre est finie, laissant derrière elle son cortège de vies brisées.
Dans le Nord de la France, à la Grande Ferme d’Esquerchin, la famille Baes n’échappe pas à la règle. Durant quatre longues années, les femmes ont dû vivre sans les hommes et les remplacer pour que la vie continue dans les campagnes ou à l’usine. Que va-t-il se passer maintenant, alors que beaucoup ne sont pas revenus et que d’autres sont anéantis ?
C’est autour de ces questions cruciales : « Où sont passés les hommes ? » et « Comment retisser des liens à leur retour ? » que s’articule le roman de Jean-Charles Vandenabeele, Vite, en finir avec la guerre 14 ou Les cœurs, même brisés, continuent de battre.
Une fois la tourmente estompée, comment les deux sœurs Charlotte et Marie, très proches bien que très différentes, vont-elles faire face aux deuils, aux drames, mais aussi à un destin qui les lie inéluctablement au même homme ?
Le docteur Julien Vanbergue, personnage omniprésent tout au long du roman, parviendra-t-il à démêler ce curieux écheveau familial ?

Découvrez sans plus attendre ce roman, Vite, en finir avec la guerre 14; une immersion dans le quotidien des familles françaises au lendemain de la guerre.

EXTRAIT

Bon, ce n’est pas tout ça, il fallait aller chercher les bêtes puisque, heureusement, il en restait quelques-unes. Qui allait se dévouer ?
Marie dont la grossesse évoluait à peu près normalement ne rechignait pas à la tâche. Mais ses travaux d’écriture la préoccupaient au plus haut point en ce moment. Maria, la vieille bonne restée fidèle à la famille Baes, était partie à la rivière pour assurer un brin de lessive.
Henri Baes, le maître de maison et monsieur le Maire en titre, tardait vraiment à revenir du Bordelais où il s’était réfugié après sa prise en otage par l’occupant. Difficile, apparemment, de quitter les vignes du vieux monsieur Delèque, le père de son défunt gendre, vignobles déployés là-bas autour de Tabanac. Quant à Madame Baes, elle avait fait savoir à ses grandes filles que, ma foi, en hiver la vie était tout de même plus facile en ville alors elle restait à Douai, bien à l’abri chez la tante de la rue des Foulons…
Charlotte, finalement pas plus accablée que ça par les tâches agricoles et le travail à effectuer, se couvrit d’un fichu bien chaud et d’une pèlerine bleu marine suffisamment seyante.
Elle se regarda à peine dans le miroir un brin mité de l’entrée et entreprit de braver la fraîcheur ambiante pour récupérer les vaches avec deux ou trois veaux sous la mère qui seraient contents de regagner l’étable. Oh là ! Gros nuages noirs chargés de pluie qui accouraient à grands pas derrière la maison. Vite, vite, pas de temps à perdre. Fallait-il comme d’habitude solliciter Bobo, garçon certes un peu handicapé mais devenu le régisseur par défaut de la Grande Ferme parce que tous les hommes s’étaient éclipsés peu ou prou ? Pourquoi pas puisqu’il n’avait pas son pareil pour faire obéir les bêtes. Alors, en route !

À PROPOS DE L'AUTEUR

Jean-Charles Vandenabeele est né en 1945. Il est originaire de Douai et issu d’une famille de médecins. Il réside actuellement à Annecy-le-Vieux où il a exercé diverses fonctions à responsabilités. Médecin et écrivain à la fois, il a déjà publié plusieurs ouvrages, dont quelques-uns dans la littérature jeunesse. Ce roman est inspiré de souvenirs et de témoignages familiaux que l’auteur a transcrits à travers une fiction flamboyante.
LangueFrançais
Date de sortie10 oct. 2018
ISBN9782876836327
Vite en finir avec la guerre 14: ou Les cœurs, même brisés, continuent de battre

Lié à Vite en finir avec la guerre 14

Livres électroniques liés

Fiction historique pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Vite en finir avec la guerre 14

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Vite en finir avec la guerre 14 - Jean-Charles VandenAbeele

    Jean-Charles Vandenabeele

    Vite en finir avec la guerre 14

    La Compagnie Littéraire

    Catégorie : Fiction Historique

    www.compagnie-litteraire.com

    À mes deux grands-pères

    qui furent médecins à Verdun

    et que je n’ai pas connus, 

    malheureusement 

    À mes deux grands-mères

    leurs épouses, dont l’une me parlait

    de 14-18 quasiment tous les jours

    et l’autre, jamais 

    À mon fils Julien

    jeune écrivain prometteur

    trop tôt disparu 

    Chanson d’automne 

    Les sanglots longs

    Des violons

      De l’automne 

    Blessent mon cœur

    D’une langueur

       Monotone.

    Tout suffocant

    Et blême, quand

      Sonne l’heure,

    Je me souviens

    Des jours anciens

      Et je pleure

    Et je m’en vais

    Au vent mauvais

      Qui m’emporte

    Deçà, delà,

    Pareil à la

       feuille morte

    Paul Verlaine (1844-1896)

    (dont la maman demeurait à Fampoux entre Arras et Esquerchin)            

    Pour se repérer… 

    Au Carrefour des brumes, de toutes les brumes, la brume naissante du petit matin comme le brouillard opaque et dense des plaines de Flandre, jusqu’à la brume verte et acide des gaz asphyxiants… 1914-1918 : quatre années d’angoisse, teintées de folles espérances, qui vont amener le petit monde de la Grande Ferme d’Esquerchin près de Douai à connaître des moments pathétiques. Bousculées dans leur vie quotidienne et contrariées dans leur vie affective, Charlotte Baes, au caractère bien trempé, et sa sœur Marie parviendront-elles à vivre ou survivre à deux pas de la crête de Vimy, dans ce Nord las d’être occupé à chaque guerre ? Pouvait-on lire sur la quatrième de couverture de Au Carrefour des brumes dont Vite, en finir avec la guerre 14 nous conte la suite.

    Pour ce qui est de la famille BAES, quelques précisions utiles :  

    Les parents : Henri Baes (agriculteur à la Grande Ferme, maire de son village Esquerchin) et Claire son épouse (née Chrétien).

    Leur six filles : 

    – Berthe, l’aînée, épouse de Raoul Capron, maman de Pierre et Louis (et aussi d’une petite Marie-Thérèse décédée au tout début de la guerre). Ils demeurent à Hénin-Liétard.

    – Marie, jeune veuve du Docteur Charles Delèque, décédé juste après l’armistice de 1918, maman d’une petite Thérèse décédée en même temps que sa cousine au début de la guerre.

    – Charlotte, épouse du Docteur Julien Vanbergue, rencontré à Berck où était hospitalisé son neveu Pierre pour un mal de Pott (tuberculose des os), maman d’un petit Paul décédé fin 1918.

    – Laure et Marthe, les jumelles.

    – Louise, la petite dernière… 

    NB : un petit garçon était né aussi mais est décédé avant-guerre d’une toxicose (gastro-entérite aiguë). Le grand-père Baes, père de M. Henri, las des misères de ce monde, a rendu l’âme à 91 ans pendant la guerre. La grand-tante Sidonie, pour sa part, vit toujours à Paris et les oncles et tantes (Victor, Clarisse, etc.) continuent, cahin-caha, de participer à la vie familiale. 

     Le personnel de la maison : Maria, la vieille bonne et sa fille Léonie, Bobo le jeune handicapé recueilli à la ferme, Nonosse le vieux chien de la maison. 

    Les proches : Jules le garde-champêtre, le Docteur Bridoux et M. le Curé, en particulier. 

    Autre personnage important : le château de la petite-fille de la Comtesse de Ségur mais qui brûla en 1915 (certes, pour sauver M. Henri pris en otage par l’occupant).  

    1919 : Esquerchin et le Nord de la France reprenaient leurs esprits

    « Ce sacré conflit mondial est terminé, dans la douleur certes, mais il s’est enfin achevé. Et, oui, les canons se sont tus. Cependant, disons-le clairement, quelque part cette terrible guerre a brisé nos vies.

    En fait, ce n’est pas terminé pour tout le monde puisque nos hommes sont partis occuper l’Allemagne en attendant que les grands politiques se mettent d’accord sur ce qu’on va leur faire payer, aux Boches. On a quand même récupéré l’Alsace et la Lorraine. C’est Poincaré qui devrait être content ! Il est vrai que sans le bon docteur Clemenceau...»

    — Et les Américains !!!

    — Oui, si tu y tiens.

    — Je veux, oui. 

    Marie reprit sa lecture après la modification souhaitée :

    « Sans Georges Clemenceau et nos alliés américains venus à la rescousse en souvenir de Lafayette, le Président Poincaré n’aurait sûrement pas retrouvé sa chère Lorraine, perdue bêtement, si je puis dire, cinquante ans auparavant à la suite d’une imprudence majeure, pour ne pas dire plus, de Napoléon III qui déclara la guerre aux Allemands sans sourciller et à Bismarck qui n’en demandait pas tant. Tout ça, pour une histoire de trône d’Espagne qui ne nous concernait pas vraiment – le neveu qui faisait la même erreur que son tonton, incroyable ! Et c’est nous qui avons payé les pots cassés un demi-siècle plus tard... »  

    — Dis donc, Marie, à qui écris-tu des choses aussi inconvenantes ?

    — Eh bien, à moi-même, ma chère Charlotte, ou disons plutôt à destination de mes petits-enfants à venir. J’espère que le bébé niché dans mon ventre aura à son tour des enfants et il est important qu’ils aient connaissance, un jour, de la période terrible que nous venons de traverser. 

    — Doux Jésus ! Tu veux les traumatiser avant même qu’ils ne soient nés.

    — Non, non, certes pas.  

    — Pour que ça ne se reproduise pas, peut-être, on peut toujours rêver, insistait Charlotte.

    — Ne sois pas si fataliste, petite sœur. Ce n’est pas dans ta nature. 

    Haussement de sourcils de la miss Charlotte qui n’appréciait guère que quelqu’un, fût-ce sa grande sœur, se permît d’interpréter ses sentiments supposés.

    Marie, imperturbable, concentrée, le visage d’une pâleur en harmonie avec son regard d’un bleu transparent de rêve, reprenait sa plume d’historienne débutante et poursuivait son ouvrage à destination des générations futures. 

    « Le Kaiser a fini par prendre la poudre d’escampette. Dire qu’il s’est réfugié en Hollande. Ils ne sont pas rancuniers, ces Bataves...»

    — Je crois plutôt qu’ils se tiennent tous par la barbichette, les Hohenzollern, les Saxe-Cobourg-Gotha même rebaptisés Windsor à Londres pour faire plus british, tous des descendants de la Reine Victoria, bien sûr, ajouta finaude, Charlotte !

    — Oui, sans doute. Au fait, sais-tu que le pauvre tsarévitch fils de Nicolas II tenait son hémophilie de la Reine Victoria et que, par ailleurs, le tsar lui-même était cousin du Kaiser Guillaume II par les souverains danois ? Ça ne l’a pas sauvé pour autant, le pauvre, ni sa femme, petite-fille de Victoria quand même, et leurs enfants ces malheureux, tous assassinés par les Bolchéviques, ces sauvages. Quelle horreur ! 

    — Bah, et nos enfants à nous qui sont morts aussi, remarqua Charlotte non sans raison.

    — Oui, oui. Ne réveille pas ces mauvais souvenirs, s’il te plaît. C’est encore trop récent, se plaignit Marie qui grimaça malgré elle au souvenir autant de sa petite-fille que de son jeune neveu Paul enterré il y a à peine trois mois. 

    Charlotte ne put qu’acquiescer, le regard un peu flou tourné vers la fenêtre de la salle à manger, regardant la cour de la Grande Ferme et ses belles étables sans vraiment les voir. 

    « Dire que le Kaiser était venu en personne jusqu’à Douai pour expliquer que nous, pauvres Français, nous ne pouvions que perdre la guerre ! 

    À voir comment ils ont laissé nos champs, ces barbares, les mines noyées, les usines détruites, les hommes estropiés, les familles dispersées, des villages entiers réduits en poussière, il est vrai que quelque part, nous avons perdu. Nous ne parviendrons jamais à enlever tous les obus et shrapnells, explosés ou pas, semés tous azimuts comme des graines de tournesol. Qui va accepter, désormais, de labourer nos champs avec cette épée de Damoclès sur la tête ?

    Quand on ne tombe pas sur un p’tit gars enfoui dans la gadoue, dont seule la main abîmée ou la chaussure dépasse, vision cauchemardesque s’il en est. Bobo, lui-même, tout handicapé qu’il est, a renoncé à ses pérégrinations indélicates à proximité des champs de bataille où, un temps, il s’amusait à récupérer par-ci par-là un certain nombre de babioles oubliées. »

    Dur, dur, le réveil, à Esquerchin comme ailleurs dans la région du Nord. Ce paisible village agricole installé dans les plaines cultivées au nord-ouest de Douai s’était retrouvé à son corps défendant en zone occupée, dans le demi-front, à deux pas de la crête de Vimy. À proximité et parfois même au cœur de la bataille acharnée entre les troupes anglo-canadiennes et l’envahisseur allemand, tous les habitants avaient vécu des instants difficiles pour ne pas dire dramatiques.

    De quoi être déboussolés, en effet ! 

    Bon, ce n’est pas tout ça, il fallait aller chercher les bêtes puisque, heureusement, il en restait quelques-unes. Qui allait se dévouer ? 

    Marie dont la grossesse évoluait à peu près normalement ne rechignait pas à la tâche. Mais ses travaux d’écriture la préoccupaient au plus haut point en ce moment. Maria, la vieille bonne restée fidèle à la famille Baes, était partie à la rivière pour assurer un brin de lessive.

    Henri Baes, le maître de maison et monsieur le Maire en titre, tardait vraiment à revenir du Bordelais où il s’était réfugié après sa prise en otage par l’occupant. Difficile, apparemment, de quitter les vignes du vieux monsieur Delèque, le père de son défunt gendre, vignobles déployés là-bas autour de Tabanac. Quant à Madame Baes, elle avait fait savoir à ses grandes filles que, ma foi, en hiver la vie était tout de même plus facile en ville alors elle restait à Douai, bien à l’abri chez la tante de la rue des Foulons...   

    Charlotte, finalement pas plus accablée que ça par les tâches agricoles et le travail à effectuer, se couvrit d’un fichu bien chaud et d’une pèlerine bleu marine suffisamment seyante.

    Elle se regarda à peine dans le miroir un brin mité de l’entrée et entreprit de braver la fraîcheur ambiante pour récupérer les vaches avec deux ou trois veaux sous la mère qui seraient contents de regagner l’étable. Oh là ! Gros nuages noirs chargés de pluie qui accouraient à grands pas derrière la maison. Vite, vite, pas de temps à perdre. Fallait-il comme d’habitude solliciter Bobo, garçon certes un peu handicapé mais devenu le régisseur par défaut de la Grande Ferme parce que tous les hommes s’étaient éclipsés peu ou prou ? Pourquoi pas puisqu’il n’avait pas son pareil pour faire obéir les bêtes. Alors, en route ! 

    — On va emmener le petit de Nonosse avec nous, prévint Mademoiselle Charlotte, enfin Madame Charlotte devrait-on dire puisque mariage il y a bien eu, même si Mademoiselle Charlotte ne tenait pas tout à fait à ce qu’on le lui rappelât.

    — Nous, donner nom à petit Nonosse ?!

    — Bah, tu veux lui trouver un nom, Bobo ?

    — Oui, Mamoiselle.

    — Eh bien, comme tu veux, choisis...

     Sourire radieux du gamin ; enfin, radieux pas vraiment puisque Charlotte put surtout apercevoir les chicots du bonhomme ce qui la contrariait un brin – Il faudra que je m’en ouvre à Papa – ceci dit, elle leva les yeux au ciel, ne sachant toujours pas quand son père daignerait revenir sur ses terres. Sacrée guerre, elle en avait fait des ravages, dans les esprits aussi...

    — Euh, Momie, marmonna Bobo avec précaution.

    Bref regard interrogatif de la « patronne », dernier surnom en date de la dynamique Charlotte, qui finit par demander : 

    — Pourquoi Momie ?

    — Euh, mo ami, moon ami, redit le gamin en détachant bien les syllabes.

    — Ah, ton ami, oui, oui. Tommy alors. Non, les Anglais ne vont pas apprécier. C’est bon. Allons-y pour Momie. De toute façon, tous les deux, vous ignorez tout de l’Égypte ! 

    Bobo et Momie donc, le chiot de la maison qui trottinait gentiment derrière son nouveau maître, se mirent en route. Les meuh-meuh (selon Bobo bien entendu et peut-être Momie, après tout) n’avaient plus qu’à bien se tenir. Et la vieille Maria qui rentrait les bras tellement chargés qu’on se demandait comment elle y voyait quelque chose. Elle faillit du coup tester sans le vouloir la solidité du vieux porche de la Grande Ferme, l’évitant à la dernière seconde. La routine quoi, maintenant que la guerre était terminée. 

    À Paris, les discussions entre belligérants vainqueurs allaient bon train et on évoquait un futur traité signé dans quelques mois à Versailles. Du moins, s’agissait-il de la version officielle livrée au bon peuple qui se remettait tout doucement mais alors vraiment doucement de ses deuils et destructions multiples, sans parler des gueules cassées que l’on cachait soigneusement pendant que les généraux paradaient à n’en plus finir. La Marseillaise à profusion avait bon dos, quelquefois ! 

    Nul ne savait où s’était réfugié le Docteur Vanbergue. Il fallait dire que son épouse en titre, née Charlotte Baes, aux dernières nouvelles ne s’en préoccupait pas vraiment. Marie n’avait pas ce problème qui savait trop bien, malheureusement, où reposait son époux bien-aimé le bon docteur Charles Delèque, à côté de leur fille chérie emportée à tout jamais par la maladie ou la guerre ou les deux. 

    D’ailleurs, depuis ses deuils successifs, la jeune femme n’était plus désormais vêtue que de noir et elle qui n’était jusque-là que sourires et dévouement, gardait maintenant un visage plutôt éteint malgré ses yeux d’un bleu ciel toujours aussi translucide, comme figé dans un deuil permanent, n’affichant plus qu’une crispation douloureuse.

    Pour montrer à chacun l’intensité de son désarroi, peut-être ? Pas vraiment le genre de la dame, en principe. Mais comment redonner un peu de couleur à des sentiments étouffés par une aussi vilaine grisaille ambiante ? 

    — Toi, quand tu es dépressive, tu ne fais pas semblant, remarquait souvent Charlotte peu indulgente avec sa grande sœur. 

    Pourtant, Marie allait bientôt accoucher d’un autre bébé qui n’aurait pas de père bien sûr mais ce père était déjà absent pour cause de guerre lors de la première naissance, fort difficile, la jeune femme en avait le souvenir. À l’époque, le Docteur Vanbergue qui n’était pas encore son beau-frère avait pu lui apporter une aide précieuse. 

    L’Hôtel-Dieu de Douai, à quelques lieues d’Esquerchin et de la Grande Ferme, refonctionnait au moins dans la partie non bombardée. Cette fois, donc, on ne devrait pas manquer de médecins. En son for intérieur, Marie se demandait si la présence de Julien Vanbergue serait à nouveau souhaitable. Ses mains fines et ciselées posées sur le ventre, elle protégeait le petit être qui y nichait. Et il en avait besoin ce bébé d’être protégé. Au lendemain de la mort du petit Paul, le fils de Charlotte, Marie fut subitement prise de contractions très malvenues mais là encore Julien Vanbergue avait pu intervenir, parvenant à calmer le jeu à l’aide d’une potion miracle de sa fabrication. Rentrée de l’étable son devoir accompli, le visage rafraîchi vite fait, les boucles brunes de ses splendides cheveux à nouveau libérées, Charlotte finit par rappeler que Berthe l’aînée de la famille devait venir à la maison le soir même. 

    — Avec ses petits ?

    — Oui, je crois.

    — Ah bon. Ça fera du bien de revoir des enfants...

    Charlotte n’insista pas, consciente de réveiller de pénibles souvenirs.

    Et par ailleurs, il était vrai que Berthe, un peu perdue devant le mur lézardé de ses certitudes, avait grand besoin de réconfort en ce moment. 

    Son mari Raoul perdait de plus en plus les pédales.

    Rentré de la guerre très perturbé, Monsieur l’Ingénieur avait beaucoup perdu de sa superbe et surtout de son allant. Après tout ce qu’il avait vu, son désarroi était compréhensible.

    Or, malheureusement, Berthe ne connaissait strictement rien au fonctionnement de l’usine à gaz de son mari, se contentant jusque là de jouer les grandes dames si l’on peut dire, adossée à la notoriété de son époux. Encore que, jouer les bourgeoises à Hénin-Liétard, mis à part quelques gentilles actions de bienfaisance sanglée dans des tailleurs un peu défraîchis, ça n’allait sans doute pas bien loin. 

    Dès lors, que faire pour la fameuse usine à gaz de la rue de Drocourt ? Tout le monde comptait sur elle, l’éclairage communal comme la grosse Sucrerie de la rue Parmentier toute voisine. 

    — Bobo, s’il te plaît, arrête de te tripoter la nouille !

    — Ah pouquoi, Moiselle Lolotte ? 

    — Ça ne se fait pas. Tu n’as plus trois ans...

    — Ah.

    — Ben oui, réaffirma Charlotte avec conviction.

    Il était dubitatif quand même le Bobo ne sachant que faire de ses mains. 

    — C’est Loulou qui tripote zizi moi, se défendit soudain le gamin tout penaud.

    — Quoi !? Louise ? 

    Charlotte en stoppa net son mouvement, le visage empourpré de colère. Ajoutant le geste à la parole en levant le bras en direction de la maison, elle apostropha sèchement le garçon : 

    — Va me la chercher, s’il te plaît, allez, allez ! 

    On vit que Bobo se demandait si c’était du lard ou du cochon, si « la patronne » était vraiment fâchée ou si elle voulait faire l’importante comme cela lui arrivait parfois. 

    Finalement, sans vraiment presser le pas, regardant à droite puis à gauche, il finit par se diriger tranquillement vers la buanderie, où il savait que Louise n’était pas... Malin, le Bobo !

    La petite Louise qui depuis la guerre avait tellement grandi qu’on voyait qu’elle était bien partie pour dépasser ses sœurs ce qui serait un comble. 

    — Tu te fous de moi, lança Charlotte par la fenêtre de la cuisine ?! 

    Bobo, la mèche en bataille, les mains dans les poches, grognon, repartait finalement en direction du porche de la Grande Ferme. En fait, il savait que Louise, comme ses copines de classe, préparait sa « grande communion » sous la houlette de Monsieur le Curé. 

    Était-ce bien le moment de la déranger ? Le chenapan hésita un peu. 

    Parvenu jusqu’à l’église toute proche – chacun se souvient qu’un grand-père Baes avait eu la bonne idée (ou la mauvaise selon certains descendants) de donner un terrain pour reconstruire l’église, il y a bien longtemps – Bobo comme il savait si bien le faire se glissa habilement parmi les chaises bien rangées pour parvenir à proximité des bancs où les damoiselles écoutaient sagement la bonne parole de Monsieur le Curé.

    Les unes, une majorité, prenaient un air recueilli de circonstance, d’autres il faut bien le dire étaient plutôt rigolardes. Quand elle entendit ce que lui susurrait Bobo, la mimique de Louise, blondinette pourtant un peu délurée, en dit long sur son enthousiasme à l’idée d’affronter encore sa grande sœur.  

    — Dis-lui que je suis occupée. Je ne peux pas, Monsieur le Curé ne voudra pas, là ! 

    Bobo qui connaissait sa Louise attendit patiemment, sans rien dire, muché sous le banc. 

    — Bon oui, j’irai pendant la récré, finit par souffler la jeune fille. 

    Il serait fort étonnant que Monsieur le Curé appelât « récré » l’intermède très encadré qu’il s’autorisait au milieu de son enseignement particulièrement pontifiant consacré à l’amour de Jésus Christ et à l’amour de son prochain. Et la Sainte Vierge, alors ? Ce sera pour une autre fois, apparemment. Bon. 

    Bien sûr, le facétieux gamin ne révéla pas à la demoiselle le pourquoi de l’affaire, cette espèce de convocation toutes affaires cessantes. Elle se débrouillera, pensa le gamin dans son langage à lui que l’on sait chaotique. Effectivement, Loulou, avec son air de ne pas y toucher, était bien connue pour sa capacité à embobiner tout le monde. 

    Quand finalement, à dix heures, Charlotte vit débarquer sa petite sœur dans la cuisine embuée, elle avait presque oublié le pourquoi de son invite un peu contraignante. 

    — Dépêche-toi. J’ai pas beaucoup de temps. Tu sais que je prépare ma communion...

    — Ah oui. Tiens, ça tombe bien, marmonna Charlotte qui finissait de couvrir des pots de confiture. 

    « Charlotte qui fait de la confiture ! On aura tout vu, pensait Louise en

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1