Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le puits de Madame - Tome II: Roman
Le puits de Madame - Tome II: Roman
Le puits de Madame - Tome II: Roman
Livre électronique296 pages4 heures

Le puits de Madame - Tome II: Roman

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Le puits de Madame, une saga familiale au cœur de la Provence. Le tome II donne une suite familiale durant la Seconde Guerre mondiale. Les femmes ont connu une mobilisation sans précédent. La plupart d'entre elles ont remplacé les hommes enrôlés dans l'armée. Puisque les hommes sont au front, les campagnes sont désertes, les femmes doivent donc assumer les travaux des champs. De nombreuses femmes de tous âges, les marraines de guerre, offrirent une aide morale aux soldats du front en entretenant des correspondances. Ces envois de lettres étaient souvent doublés de colis. A travers elles apparaissent les prémices de la transformation de notre société et leur entrée dans la vie sociale actuelle.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Née à Marseille, Netty vit actuellement dans la ville de Nostradamus à Salon de Provence. Elle y consacre sa retraite à l’écriture et s’investit dans différentes associations culturelles de sa région. Elle a ainsi déjà publié quatre romans historiques pour adulte dont L’Épopée de la famille Craponne, gentilshommes provençaux. Désormais, elle se concentre sur la littérature pour enfant. C’est tout son savoir sur l’histoire et la mémoire locale qui l’ont amenée à écrire des livres pour et ainsi transmettre la culture provençale. Son premier livre a tout naturellement était consacré à Nostradamus, célèbre médecin de la cité Salonaise.
LangueFrançais
Date de sortie14 avr. 2020
ISBN9782379880032
Le puits de Madame - Tome II: Roman

Auteurs associés

Lié à Le puits de Madame - Tome II

Titres dans cette série (1)

Voir plus

Livres électroniques liés

Fiction historique pour vous

Voir plus

Articles associés

Avis sur Le puits de Madame - Tome II

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le puits de Madame - Tome II - PELLISSIER

    Jules.

    Chapitre I

    Je t’ai vu, Vincent Castellas, je t’ai vu ! Attends un peu que je rencontre ton père !

    Malgré le fou rire qui le pliait en deux, le garçon courait de toutes ses jambes, essayant de maintenir la distance avec son aîné de quatre ans qui galopait devant lui.

    La voix furieuse continuait à les poursuivre.

    — Et toi aussi Olivier Riche, je t’ai reconnu ! Bougres de mouffatans ! Marri merdous ! 

    Ils sautèrent la roubine d’un même élan, coupèrent à travers les prés où les narcisses pointaient leurs fières petites corolles blanches vers un soleil tout neuf.

    Un printemps aux tiédeurs d’été paraît de verdure l’aride Provence. Pâques enneigeait les arbres fruitiers, accrochant des pétales dans leurs cheveux emmêlés par le vent de la course. L’herbe haute fouettait leurs mollets. Ils atteignaient la garrigue. Surs d’être assez loin, ils se laissèrent tomber, le cœur battant, au milieu du romarin bleu, du lavandin violet et des touffes de petits chênes, donnant libre cours à leur joie.

    — Cette fois-ci, on s’est fait prendre.

    Olivier tourna vers son complice ses yeux verts où la malice brillait en points d’or. Blond de cheveux, clair de peau, sa silhouette dégingandée contrastait avec celle plus trapue de son petit compagnon au teint hâlé, pourtant grand pour ses neuf ans. Le « Pruneau » comme l’appelait sa mère.

    — C’est la Pissarote qui nous a reconnus. Elle va sûrement aller à la bastide trouver ton père ou le mien... On n’y coupe pas d’une raclée !

    Vincent indifférent à l’évocation de leur future punition continuait à rire. Il entendait encore le bruit des seaux renversés dans le tumulte des ménagères qui s’enfuyaient poussant des cris d’effroi devant les furets lâchés autour de la fontaine du Pélican.

    Séparé pendant l’année scolaire, Olivier poursuivait mollement ses études à l’école Viala-Lacoste de Salon, tandis que Vincent sévissait dans les classes primaires du Lycée Thiers à Marseille où enseignait son père, ils mettaient en commun leur imagination pendant les vacances. Inventaient les pires bêtises, grâce auxquelles leur vie s’embellissait de toutes ces merveilleuses choses qu’on s’ingéniait à leur interdire.

    Comme cette fois où, arrivant à l’improviste, ils découvraient sur le bord du canal un groupe de quatre Pélissannais, têtes penchées, mains appuyées sur les genoux et postérieur levés bien en évidence, examinant l’eau avec attention.

    Un sourire entendu suffit aux deux garçons qui, prenant leur élan, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, basculaient cul par-dessus tête dans le canal, les villageois époustouflés qui n’en revenaient pas de cette baignade forcée. 

    Partageant le monopole des farces, les deux acolytes bénéficiaient équitablement des représailles et subissaient de manière impartiale les corrections paternelles.

    Bras repliés sous la nuque, Olivier contemplait le ciel uniformément bleu.

    — Je me demande ce qu’on va bien pouvoir raconter ?

    Vincent à plat ventre, surveillait la lente progression d’une mante religieuse en mâchonnant un brin d’herbe.

    — On a qu’à dire que c’est pas nous, que la Pissarote s’est trompée.

    — L’ennui, c’est qu’on a perdu les furets... Quand sauveur verra la cage vide, on ne pourra plus nier. Sans compter qu’il va pas être content Sauveur, s’il veut aller chasser !

    — Tu pourrais peut-être demander à François de nous aider ?

    — À François !

    Ce frère aîné qu’il chérissait semblait avoir réuni toutes les qualités et il lui était bien difficile de lui ressembler. En riant il arrangeait toujours leurs affaires après chaque nouvelle bêtise, mais sans omettre de la chapitrer.

    « Tu ne deviendras donc jamais raisonnable ! Passe encore Vincent, mais toi ! À ton âge ! »

    Mais Olivier était bien décidé à continuer sa vie insouciante.

    Il se tourna vers Vincent toujours aussi immobile.

    — Je crois qu’il vaudrait mieux en parler à ta sœur.

    Vincent saisit délicatement le Prégadieu  et se retourna.

    — Victoria ?... C’est pas bête, elle fait ce qu’elle veut de tout le monde Victoria.

    — Satisfaits d’avoir trouvé une solution à leur problème, la faim se faisant sentir, ils décidèrent de rentrer à Hautecoste, non sans avoir fait un petit détour par Baume Nègre pour voir les abricotiers en fleurs.

    Aurélie Castellas profitait de ce moment calme avant le repas. Le vent léger qui faisait frémir les feuilles nouvelles des marronniers avait une odeur d’herbes coupées. Elle revoyait cette jolie Aurélie Vigne en proie à tant d’enthousiasmes et de contradictions, là-bas, tout là-bas, l’été de ses 16 ans... N’avait-il jamais existé ce merveilleux été ?

    Elle considéra le paisible paysage qui s’étendait devant elle, rien n’avait vraiment changé. La pelouse recommençait à verdir, les corbeilles de pensées multicolores éclataient de couleur, et la haie de lauriers roses se chargeait de boutons.

    « Cette année cela fera dix ans qu’à cet endroit même, Julien m’a déclaré son amour ».

    Elle sursauta.

    Dix ans ! Dix ans déjà ! Ce n’est pas possible, s’étonna-t-elle. Ces dix années enfuies, elle n’avait pas pu les remplir uniquement de tâches quotidiennes ! Dix années de bonheur, jalonnées par la naissance de Vincent, les succès scolaires de Victoria, les retours à Hautecoste pour les vacances. La paix en somme, après le tumulte. Désormais, elle vivait heureuse auprès de l’homme qu’elle aimait, et les quatre prunelles dorées attachées sur elle complétaient sa félicité.

    Le petit François, toujours plein d’attention, était devenu ce grand garçon tranquille au regard si noir, si doux. Il avait soulagé d’abord, puis succédé à son père à la tête du domaine quand l’état de santé de celui-ci ne lui avait plus permis de continuer.

    Quant à Olivier, il faisait avec Vincent une belle paire de chenapans ! 

    Par la fenêtre ouverte, monta de la terrasse le ronflement d’un moteur. À travers la moustiquaire, Victoria vérifia qu’il s’agissait bien de la voiture de François. Elle se précipita vers le monceau de vêtements épars qui encombraient son lit, fouillant au hasard parmi les toilettes.

    — Que pourrais-je bien me mettre ?

    Elle frappa du pied.

    — Non décidément tout cela ne va pas !

    Assise au bord du lit, elle promena un regard serein sur le désordre de sa chambre. Depuis huit jours, elle attendait le retour de François, en voyage d’affaires à Paris, et elle ne voulait pas rater son entrée. Elle fronça son petit nez retroussé.

    — Si j’inaugurais le pantalon de lin blanc que marraine m’a offert ? Avec cette longue veste en bourrette de soie…

    Peut-être pas très conventionnel pour une jeune fille à un repas de famille ? Bah, marraine me l’a donné pour que je le porte, au diable les conventions !

    Elle choisit un petit polo de coton bleu marine et blanc, très souple, chaussa des sandales blanches, et se regarda dans le miroir…

    « Surtout ne pas avoir l’air endimanché, après toutes ses Parisiennes », songea-t-elle avec impatience.

    Elle constata avec une évidente satisfaction que le blanc lui seyait à merveille. La blancheur de la toilette mettait en valeur la matité de son teint. Elle soulignait la masse des cheveux courts d’un brun flamboyant, légèrement ondulés, qui moussaient autour de ses yeux sombres aux reflets dorés, fendus en amande, et que l’excitation du moment faisait étinceler. Le nez mutin atténuait le menton volontaire, la bouche bien ourlée achevait de donner un charme particulier à ce visage décidé.

    Elle enfila rapidement la veste, jeta un dernier regard vers le miroir.

    « Le bleu me donne un petit air sérieux... épatant ! » En descendant l’escalier, elle s’appliqua à se composer un visage.

    C’est l’air parfaitement détaché que Victoria pénétra dans la salle à manger. Tout le monde avait déjà pris place autour de la table, les regards convergèrent vers elle.

    — Oh, je suis la dernière, excusez-moi.

    Aurélie sourit intérieurement devant l’aisance de sa fille.

    Le regard amusé de François accrocha celui de la jeune fille. Il s’approcha d’elle, la lueur d’ironie s’accentua. Il fit mine de l’examiner avec attention.

    — Si tu continues comme ça ma Chatte, tu vas devenir une charmante jeune fille.

    « Il se moque de moi, ça commence bien ! »

    Elle répliqua avec raideur.

    — Décidément, la capitale ne t’a pas ouvert l’esprit ! Beaucoup considèrent, déjà, que je suis une charmante jeune fille mon cher.

    Furieuse, elle passa devant lui, s’assit avec dignité, et soutint avec une apparente indifférence, le regard railleur de François placé devant elle.

    Elle détaillait les traits virils. Les cheveux rejetés en arrière découvraient un large front, donnant à sa physionomie un air de franchise qui appelait la sympathie. Les yeux, si noirs qu’on ne pouvait distinguer l’iris de la pupille, ce regard andalou qui faisait des ravages à Salon, était célèbre jusqu’au Pays d’Arles. « Il est de plus en plus beau... Je le déteste ! » Ruminait-elle avec la plus parfaite mauvaise foi. Julien regarda Isidore, lui fit un signe discret, puis jeta un coup d’œil en direction de Vincent et Olivier qui attaquaient le contenu de leur assiette de bon appétit.

    — Il paraît que les furets de Sauveur se sont enfuis…

    Les deux garçons, muets, s’absorbaient dans la contemplation de leur nourriture. 

    — ... Il paraît aussi qu’ils ont réapparu devant la fontaine du Pélican, au moment où les ménagères y puisaient de l’eau. Bien sûr, personne ici n’est au courant ? reprit Isidore. Pris de court, Vincent assura : 

    — Ben, non…

    — Non, non... Renchérit Olivier.

    Julien fronça les sourcils.

    — Dites donc garnements, pour qui nous prenez-vous ?

    Vincent lança un regard perplexe à Olivier, poussa un soupir puis se décida.

    — C’est-à-dire que... on voulait simplement aller chasser, alors on a emprunté les furets de Sauveur. On les aurait remis aussitôt après, mais ils se sont échappés, on l’a pas fait exprès ! conclut-il, son assurance retrouvée.

    Isidore réprima un sourire.

    — Et bien, il faudra vous débrouiller tous les deux pour faire avaler ça à Sauveur.

    La grimace des garçons en disait long sur le plaisir de leur prochaine entrevue avec le baïle.

    François fit diversion en décrivant l’Exposition Coloniale qu’il avait visitée à Paris, puis la conversation dévia sur l’opportunité de la construction d’une ligne fortifiée par Maginot, le long de la frontière allemande, alors que l’économie française donnait des signes d’essoufflement.

    Victoria se désintéressa de la discussion et se réfugia dans ses pensées qui toutes la ramenaient vers François.

    — Mon Dieu qu’il fait chaud, un vrai temps d’été !

    L’une suivant l’autre, les deux jeunes filles cherchaient une place à peu près confortable sur le bancaou , face au vallon. On était au début du printemps, le Mistral radouci caressait la Provence avec des tendresses d’amant, tirait brusquement le soleil de derrière les nuages, changeant la saison d’un souffle, portant sur son aile les parfums diffus de la menthe poivrée et du fenouil sauvage, mêlés à l’odeur de la terre.

    La chaleur de la montée avait mis du rose à leurs joues.

    Victoria tourna la tête vers Jeanne.

    — Je me demande où sont encore passés ces deux galopins ! Ils nous demandent de les accompagner jusqu’à Sainte-Croix, et arrivés ici ils disparaissent. Hortense et Delphine ont eu raison de préférer les chaises longues de la terrasse.

    Jeanne soupira en pensant à l’ombre fraîche des marronniers. Victoria examinait la petite brunette aux yeux rieurs qui s’éventait de la main à ses côtés. Des trois sœurs Tourette, seule Hortense avait hérité de la beauté de sa mère, et tout le monde s’accordait à dire qu’elle en était le vivant portrait. Delphine et Jeanne s’en souciaient peu, leur heureux caractère s’en étant accommodé depuis longtemps.

    — Tu ressembles à une pomme d’amour , comme dirait Julia.

    Tout en parlant, elle froissait entre ses paumes, des brins de thym fleuri et en respirait l’odeur.

    — François est avec Pierre aujourd’hui ?

    Jeanne cessa de s’éventer.

    — Ils devaient se retrouver au Cercle des arts.

    — Naturellement ! Pour aller Dieu sait où... Ils pourraient au moins avoir la politesse de nous tenir compagnie, ou alors nous emmener avec eux, ne crois-tu pas ?

    Jeanne garda un silence prudent et glissa vers un autre sujet.

    — As-tu rencontré Henri Moulinas ?

    — Je crois bien, je ne vois que lui ! Il m’agace, je ne peux pas faire un pas sans le retrouver sur mon chemin.

    — Il serait amoureux de toi que cela ne m’étonnerait pas.

    Cette perspective fit naître un sourire éclatant sur les lèvres de Victoria.

    — Pardi !

    Jeanne était aux anges.

    — Et toi ?

    — Moi ?...Moi, j’ai envie de vivre à ma guise. J’épouserai qui je voudrai quand je voudrai. En tout cas pas ce petit Moulinas !

    Jeanne prit un air candide.

    — François peut-être ?

    L’arrivée soudaine des garçons épargna Victoria d’une réponse quelque peu embarrassante.

    — Ah vous voilà, où étiez-vous donc passés ? Je parie que vous avez encore inventé de nouvelles idioties.

    Vincent s’installait confortablement, la tête appuyée sur les jambes de sa sœur, mâchonnant un brin de fenouil.

    — Perdu ! On est allé visiter les ruines de l’abbaye. On vous aurait bien emmenées, mais c’était trop dangereux pour des filles, ajouta-t-il, fanfaron.

    Il y eut un petit silence.

    — Dis donc Vic, tu parleras à ton parrain pour les furets ?

    Victoria secoua la tête amusée.

    — C’est pour ça que tu nous as fait monter jusqu’ici !

    Elle se tourna vers Olivier.

    — Tout de même, toi qui es l’aîné tu pourrais…

    Le garçon l’interrompit avec acrimonie.

    — Ah non, tu ne vas pas toi aussi recommencer comme les parents ! Écoute, si tu veux bien parler à Sauveur, je te parlerai de quelque chose qui t’intéresse.

    Victoria, un air lointain parfaitement imité, suivait des yeux le léger frémissement des grands pins.

    — ... Quelque chose qui concerne François…

    — Dis toujours, on verra ensuite, concéda-t-elle du bout des lèvres.

    — Ah non, il faut que tu promettes d’abord.

    Jeanne s’amusait franchement.

    — Promets Victoria, promets donc !

    — C’est bon, j’intercéderai auprès de parrain. Je t’écoute.

    — Je connais le nom de la dernière conquête de François à Salon.

    — Oui, et bien ?

    — C’est Fanny Vidal.

    — Oh, ce n’est que cela !

    Victoria qui rongeait son frein prit cependant une mine ennuyée de circonstance.

    « Fanny Vidal ! Cette petite blonde insipide qui ressemble à une motte de beurre ! Bien sûr elle a de la fortune, mais c’est tout ce qu’elle a, la pauvre... Mièvre, insignifiante... S’il aime la guimauve, il va être servi François, grand bien lui fasse ! »

    De mordoré, ses yeux avaient viré au noir, et Olivier savourait son effet.

    Le silence enveloppait le petit groupe. Des bruits indéfinis montaient du vallon où s’alanguissait le village. Cette journée qui finissait, ils eurent soudain l’impression qu’elle leur appartenait.

    Le printemps avait leur âge, la vie les attendait, leur tour était venu. Ils se tenaient à l’orée de ce monde mystérieux, impatient, bien décidés à s’y tailler une belle part.

    Chapitre II

    François achevait un solide petit déjeuner quand Cécilia pénétra dans la salle à manger. Le jeune homme abandonnant sa place se porta au-devant de sa mère.

    — Déjà levée, tu devrais te reposer un peu plus maman.

    Il la regardait mi-grondeur, mi-souriant.

    Elle eut un petit geste désinvolte qui lui donna un air furtif de jeunesse.

    Le temps, les soucis, les peines avaient altéré ce visage si bien dessiné, mais les traits restaient encore beaux.

    François se souvint que seule, elle avait assumé la mort de Sophie, petite sœur si peu connue, seule avec Aurélie, elles avaient maintenu et même agrandi Hautecoste pendant quatre longues années de guerre. Seule, elle avait supporté le choc du retour de son mari gazé, invalide…

    Puis Aurélie sur laquelle elle s’était appuyée si longtemps s’était mariée. Elle avait suivi son mari Julien Castellas à Marseille avec sa petite fille Victoria.

    Victoria…

    — À quoi penses-tu mon garçon ?

    Cécilia considérait avec attention le visage de son fils penché vers elle. François eut un sourire lumineux, conduisit sa mère vers la table et se rassit à ses côtés.

    — À ta jeunesse maman.

    Cécilia lui rendit son sourire.

    — Ma jeunesse... Elle est là si proche, mais voilà, moi seule peux encore la voir... Mon corps lui-même l’a oubliée !

    Mariette apportait la cafetière et un pot de lait brûlant.

    — Que fais-tu ce matin ?

    — Je compte aller visiter les pêchers de la Penne.

    — Il fait beau, tu devrais pousser jusqu’à Beaume Nègre pour voir aussi les abricotiers.

    — J’irai... Après tout, il faut bien en passer par où tu veux, n’est-ce pas ?

    — Ne dirait-on pas que je suis un tyran !

    Il lui lança un clin d’œil significatif.

    — Bon, bon je suis un tyran... Mais que veux-tu, il m’a bien fallu durcir mon caractère quand la santé de ton père l’a obligé à restreindre ses activités. Avant de te passer le flambeau, j’ai assuré l’entière responsabilité du domaine ; surtout après le départ d’Aurélie... Ah, nous avons fait du bon travail ensemble, nous nous entendions si bien ! Elle ajouta en riant. Et puis tu sais, je crois que les hommes n’aiment pas tellement les femmes trop passives.

    — À ce propos…

    — Oui ?

    François regardait sa mère avec une certaine perplexité.

    — Maman, si je décidais…

    La porte cria sous la poussée d’Isidore.

    Interrompant leur conversation, leurs regards anxieux se portèrent sur lui.

    Les pommettes anormalement colorées, les larges cernes bistres, disaient combien la nuit avait dû être mauvaise. Le cortège de toux, de suffocations qui accompagnait ses insomnies avait décidé depuis longtemps Isidore à dormir seul.

    Il ne voulait à aucun prix de la pitié de sa famille, ni de témoins à se déchéance physique.

    Malgré les protestations de Cécilia, il avait aménagé sa chambre dans une petite pièce du rez-de-chaussée, donnant directement accès vers l’extérieur. Un cagibi attenant, transformé en cabinet de toilette lui donnait une indépendance totale.

    Passionné de chasse, il disparaissait pour des randonnées solitaires, sans prévenir, quelquefois pendant plusieurs jours, laissant sa femme dans une terrible angoisse.

    Il écoutait de temps en temps les comptes rendus de son fils sur les nombreuses activités du domaine, dissimulant la fierté que lui inspirait son garçon sous une affection ombrageuse et bourrue. Il déposa un rapide baiser sur le front de Cécilia et se retourna vers François.

    — Encore là ! Je te croyais déjà en route vers la Penne.

    Cécilia secoua la tête avec un petit sourire.

    — Ne vous impatientez pas Isidore, je crois que François a quelque chose d’important à nous dire.

    — Ah ?

    Isidore interrogeait son fils du regard.

    Le jeune homme s’assit face à ses parents.

    — Que diriez-vous si je décidais de me marier ?

    La réaction d’Isidore fut immédiate. Une expression de jubilation éclaira sa figure.

    — Eh bien, mon garçon, je dirais qu’il est grand temps !

    Avec un peu d’anxiété dans la voix, Cécilia demanda.

    — Je la connais ?

    Le regard de François allait de l’un à l’autre.

    — Vous n’avez pas deviné ?

    — …

    — Victoria…

    L’exclamation fusa en même temps.

    — Victoria !

    François éclata de rire devant leur étonnement.

    — Eh bien oui, Victoria, qui y a-t-il de tellement curieux ? Nous avons pratiquement été élevés ensemble, j’ai pu l’apprécier... et je l’aime !

    — C’est la femme qu’il te faut, conclut Cécilia. J’avoue pourtant que je n’aurai jamais imaginé qu’il puisse y avoir un tendre sentiment entre vous.

    — C’est que... poursuivit François embarrassé... elle ne le sait pas encore.

    Isidore reposa sa tasse dans un bruit inquiétant de porcelaine.

    — Ah ça ! Tu nous parles mariage sans avoir consulté la principale intéressée. Et si…

    Mais Cécilia l’interrompit doucement.

    — Tu as bien choisi François, vas lui parler.

    Elle se leva, lui sourit, le regarda un instant. Son cœur débordait de tendresse pour ce grand garçon qu’elle avait mis au monde. Quant à sa filleule, n’avait-elle pas depuis longtemps déjà, un peu pris la place que sa petite Sophie avait si cruellement laissée vide.

    — Il m’a semblé la voir se diriger vers la Touloubre.

    Tendrement, mais avec fermeté, elle le poussa vers la porte.

    Assise sur une pierre moussue, Victoria regardait distraitement le soleil jouer sur la surface de l’eau à travers le frémissement des feuilles nouvelles. Elle poussa un soupir et lança un caillou qui troubla un instant le cours paisible.

    La fin des

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1