Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Des hommes d’indépendance: Roman
Des hommes d’indépendance: Roman
Des hommes d’indépendance: Roman
Livre électronique256 pages4 heures

Des hommes d’indépendance: Roman

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

En pleine guerre d'indépendance d'Algérie, des familles marocaines de religions différentes permettent à leurs enfants de se marier.

Quatre familles de confessions différentes vivent à Tanger au moment de l’Indépendance de la guerre d’Algérie. Les passions pour le combat permettent des mariages mixtes entre les communautés catholiques, protestantes et musulmanes mais conduisent aussi à des drames comme le départ des Juifs du Maroc. Les soubresauts de la guerre détruisent les habitants.

Laissez-vous surprendre par ce roman au contexte chargé et partagez le quotidien des civils, également victimes de la guerre, qui se battent pur l'indépendance.

EXTRAIT

Ahmed et Asma Yacouba se regardèrent complices car ils avaient des sacs remplis de rasoirs mais ils les réservaient à leurs compatriotes dans un réflexe nationaliste et une vexation partagée devant l'attitude hautaine et distante de ce client juif qu'ils prirent pour une forme déguisée de racisme. Ils sourirent quand ils virent Berthe Feyron entrer comme chaque samedi midi quand elle ne travaillait pas. Elle occupait une villa luxueuse sur les hauteurs de la casbah de Tanger à proximité des escaliers de pierre anciens qui conduisaient au cœur d'une ruelle dans une vieille impasse escarpée surplombant le port et la zone douanière. La maison ne se voyait que de sa façade blanche enduite de chaux vive, aux volets bleu ciel, elle contenait un vaste patio et trois étages. Elle comportait une jolie porte d’entrée de bois clair lamé dissimulée derrière une barrière de glycines qui ne rendait visible que la poignée de cuivre, une plaque annoncée en italique, bab al nour le nom de la maison choisi par Pascal son fils né après de longues difficultés de santé. Elle prolongeait son activité d'infirmière depuis son installation à Tanger à la fin des années cinquante à l'hôpital central en raison du licenciement de son mari, Martin Feyron, qui dirigeait une agence bancaire de la place Ibéria mais qui perdit son emploi suite à un scandale de corruptions et de comptes piratés.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sylvie Bourgouin, écrivaine née à Rouen, a publié sa thèse de lettres La réception critique de l’œuvre de Marguerite Duras pendant le premier septennat de François Mitterrand (Mahdia, 2009) et Trois histoires d'archéologie médiévale (Paris, 2012), sept romans, des recueils de poésie, des pièces de théâtre et de nombreux articles critiques. Présidente de l'association du peintre niçois Jean-Paul Harivel, les correspondances entre les arts, l'entrelacement des modes d'expression et les recherches sur la langage sont au centre de son œuvre romanesque.
LangueFrançais
Date de sortie21 déc. 2018
ISBN9782378776879
Des hommes d’indépendance: Roman

En savoir plus sur Sylvie Bourgouin

Auteurs associés

Lié à Des hommes d’indépendance

Livres électroniques liés

Fiction sur l'héritage culturel pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Des hommes d’indépendance

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Des hommes d’indépendance - Sylvie Bourgouin

    Sylvie Bourgouin

    Des hommes d’indépendance

    Roman

    © Lys Bleu Éditions – Sylvie Bourgouin

    ISBN : 978-2-37877-687-9

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle

    DU MÊME AUTEUR

    Éditions Thierry Sajat :

    Des routes et des rives, poésie, 1986-1988 et Éthique et toc, poésie, 1993-1994, édition mars 2010

    Libres cours, poésie, 1995, et Le pastiche du Jardin des Poètes, poésie, 2000, édition août 2011

    Catalogue raisonné des gravures de Jean-Paul Harivel, 2005, édition décembre 2012

    Les entretiens de l’envers, 1993-2007, édition 2014

    Éditions Édilivre :

    Une coquille sur l’épaule, pièce de théâtre, novembre 2013

    Le livre de Jeanne Marusky, roman, 1992, édition avril 2014

    Le fond des formes, roman, 1993, édition mai 2014

    Le royaume du berger, pièce de théâtre, novembre 2016

    Éditions L’Harmattan :

    Hafsa, pièce de théâtre, octobre 2011

    La frappe de la houle, pièce de théâtre, décembre 2011

    Trois histoires d’archéologie médiévale, histoire, juin 2012

    L'or de la misère, roman, avril 2015

    Éditions Moez Machta, Tunisie :

    Critiques d’art, critiques sur l’œuvre de Jean-Paul Harivel, mars 2009

    La nouvelle figuration tunisienne : Mourad Harbaoui et Houda Ajili, catalogue d’exposition, août 2009

    L’unité morcelée, poésie, 1995, édition novembre 2009

    Tatouage de vent, pièce de théâtre de Naceur Kessraoui, adaptation et cotraduction, Sylvie Bourgouin, Sabria Chadlia Bahri, Naïma Kontoratchi-Mellal, novembre 2009

    Vie de ville, poésie et photographie, 1991-1992, première édition janvier 2010, deuxième édition 2013, troisième édition, janvier 2017.

    L'expression et la critique de la bourgeoisie dans les crayons de Jean-Paul Harivel, janvier 2017

    Deux vies, roman, avril 2017

    Éditions Image, Imed Masmoudi, Tunisie :

    Chutes et ratures et déchirures, poésie, 1999, édition juillet 2009

    La réception critique de l’œuvre de Marguerite Duras pendant le premier septennat de François Mitterrand, thèse de doctorat, 2005, édition octobre 2009

    Éditions Gilles Gallas :

    Dans la nuit des doubles regards, pièce de théâtre, mai 2010

    Éditions du Panthéon :

    Le silence du sang, pièce de théâtre, mars 2013

    Éditions Incipit en W :

    Équidistance, roman, décembre 2017

    Éditions Aquiprint :

    Journal musical, première édition Edilivre, février 2017, deuxième édition Aquiprint, 33520 Bruges (France), septembre 2017

    Éditions Mille plumes

    Le triptyque de Tanger, essai, L'Escarène, 4 juin 2018

    Éditions Le lys bleu :

    L'étoile de l'ombre, roman, juin 2018

    Courts métrages :

    Hélène Dorion à Vieux-Port, mars 2009, réalisation Catherine Derenne

    La présence normande à Mahdia de 1148-1160, 14 juillet 2010, réalisation Mounir Salem

    Scénarios :

    L’exil du président Habib Bourguiba sur l’île de la Jalta, Docu-fiction, Centre National du Cinéma, février 2012 et Scam, novembre 2012

    Le destin dans l’œuvre d’Annie Ernaux, hommage, Bourneville, 2009, université de Tunis, mars 2012

    Principaux articles :

    L’incarnation de la chance et de la fortune dans « Le savoir-vivre » (roman, Gallimard, 2006), « La fortune, la chance » Chroniques romanesques », Hermann, 2007) et « Chronique vénitienne » (roman, Gallimard, 2010) de Marcelin Pleynet, revue Faire-part, mai 2012

    L’autofiction médicale dans l’œuvre de Virginia Woolf, revue Alkemie n° 11, éditions Mimesis, Milan, septembre 2013

    Peut-on « écrire la vie »  ou l’illisibilité annoncée dans l’œuvre d’Annie Ernaux ? actes du colloque international de Tunis (7-10 mars 2012), Tunis, décembre 2013

    Le mythe des Sept Dormants, « Le Journal » et « Les Nourritures terrestres » d'André Gide : une approche du sommeil dans l'autofiction médicale, revue Alkemie n° 13, éditions Classiques Garnier, Paris, juillet 2014

    Les gravures retrouvées de Jean-Paul Harivel ou la situation du mystère (illisibilité et peinture), revue Alkemie n° 14, éditions Classiques Garnier, Paris, janvier 2015

    Approche par l'intuitisme, l'illisibilité et l'interartialité de l’œuvre romanesque de Michel Butor, revue Alkemie n° 16, éditions Classiques Garnier, décembre 2015

    Un aspect de l'exil du président Habib Bourguiba, revue Horizons maghrébins, numéro 73, Presses Universitaires du Midi, mars 2016

    Naceur Kessraoui, une mémoire en partage (Othman Ben Taleb, Sylvie Bourgouin), traduction de la pièce de théâtre Le phénix et le bourreau in « Expressions maghrébines », Traduire le Maghreb, été 2016

    Les femmes dans les nouvelles de Paul Bowles (janvier 2016), ActuaLitte, revue en ligne, 2 mai 2017 https://www.actualitte.com/t/piTusfhx 

    Jean-Paul Harivel, un peintre dans le delta beat des lumières de Matisse et de Picasso, ActuaLitté, revue en ligne, 24 septembre 2017, https://www.actualitte.com/article/patrimoine-education/jean-paul-harivel-un-peintre-dans-le-delta-beat-des-lumieres-de-matisse-et-de-picasso/84953

    Les enregistrements intégraux de ma musique ont été archivés par la Bibliothèque royale de Belgique à Bruxelles, section Musicologie le 10 avril 2018

    Il pleut sur la place du 9 avril 1947, les auvents ruissellent et forment une barrière de pluie, l'eau reflue dans les rues de Tanger. La place habituellement bondée par la rotation permanente des petits taxis bleu turquoise et des grands taxis beiges s'engorge aussi. Grand Socco se vide de ses chalands, de ses badauds, de ses promeneurs et la pluie double la frontière entre la vieille ville et les quartiers neufs. Les hommes sont heureux de se retrouver le matin dans une communion plus alimentaire que sexuelle, réveillés par la prière de Fajr dans l’impossibilité pour certains de préparer un café, un repas, dans le bonheur pour d'autres de sociabilité ou de fumer ou de discuter. La grande mosquée, rue de la Marine, accueille les habitants la nuit et ferme ses lourdes portes après la prière de la nuit. Un embouteillage se crée du port maritime au boulevard Pasteur provoqué par le dépôt des femmes au marché, des marchandises dans les échoppes dans une lutte incessante de quête et de manque d'argent. Les Tangérois aiment à la fois se recueillir à ce carrefour pour négocier, parlementer, échanger, troquer, renseigner, informer, dîner mais aussi pour comploter, monter des coups, des accrochages et des pannes d'essence, des heurts avec les gardiens plus ou moins officiels et prendre plaisir à manifester une barrière de classe par la possession d'une automobile et le passage contraint dans les garages du centre-ville.

    Hector Maillard, l'agent immobilier catholique, attend ce matin au café Tingis, Simon Uzan, le professeur d'histoire des idées, Juif séfarade, spécialiste de Dante qui enseigne à la faculté de Tétouan. L’entrepreneur est connu du garçon de café qui porte un costume complet sombre classique qui lui donne l'allure chic mais un bonnet et une mâchoire édentée attestent de la dureté de son service. Sa distinction, sa classe copient celles des grands cafés parisiens.

    « Tu attends encore ou je te sers ton café, dit le serveur avec un grand sourire.

    — Donne-moi une cigarette, ça va le faire arriver.

    — Je suis stressé, insista Hector bousculé, énervé par les embouteillages et la nécessité de détenir de l'argent avant de le retrouver. J'ai garé mon véhicule où j'ai pu.

    — Les Français paniquent, tu dois prendre le temps pour ce que tu dois faire, avoir de l'argent et parquer ta taumobile, dit Armand en présentant la flamme de son briquet.

    Simon Uzan, en effet, surmené aussi, ralentit sa cadence de la semaine, liée à sa fonction doctorale pour s'éloigner du bazar de la place et stationner dans les allées adjacentes. Il aperçoit son ami en chemise blanche ouverte assis avec le vieux garçon. Son bonheur se voit au large sourire qu'il leur tend comme une rose. Hector Maillard se lève, se précipite sur lui, l'enlace avec affectation, sûrement excité par la joie partagée d'un café au lait accompagné d'une viennoiserie qu'il savait sérieusement choisir et varier comme un plaisir déterminant sa journée.

    — Un thé, dit Simon Uzan et une omelette.

    — Comme d'habitude, répond Armand, j'ai gardé ta bouteille d'huile d'olive et j'ai une miche de pain complet, juste pour toi.

    — Merci, Armand, je suis si heureux de te revoir. À Tanger, les nuits sont longues, la clarté de l'aube me réjouit. Je me lève tôt, je corrige des paquets de copies depuis quatre heures. Mais je vois que tu es usé, ce n'est pas la peine de préciser. 

    Simon Uzan était né à la fin des années vingt, il avait vécu la montée des totalitarismes, le maintien de l'ordre du protectorat français, la pacification avec moins de difficultés que s'il avait vécu en France, après le passage du sultanat de Moulay Youssef à celui de Mohamed V. Il entreprit des études d'histoire médiévale contre la volonté de son père qui préférait qu'il prolongeât son commerce mais il ne donna pas les preuves d'amour suffisantes pour que Simon le satisfît. Il se spécialisa après sa licence sur Dante Alighieri pour se rendre librement à Florence, attiré passionnément par la douceur de vie italienne et la beauté des arts toscans. Il entama une thèse de troisième cycle pour voyager sur la portée de la Divine Comédie dans la culture européenne au Moyen Âge.

    — Comment s'est passée ta semaine ? dit Simon, loquace, d'une voix forte et posée. Je suis harassé, comme chaque samedi.

    — Je ne sais pas comment souffler à Tanger, je suis aspiré par le chergui, répondit Hector. Je vais, je viens, je m'active, je cours mais je ne travaille pas véritablement, je suis noyé d'obligations, je crois remplir mon agenda, je visite une fois par jour tout compte fait.

    — Il faut que tu te plaignes, c'est plus fort que toi. Tu portes la douleur du monde. Merci Armand, dit Simon qui portait un plateau rond rempli de verres de thé, de théières argentées et de cafés au lait.

    Le serveur paraissait plus tassé, plus voûté par l'averse qui ne cessait que les jours de soleil. De petite taille, rondouillard, Simon Uzan vénérait les livres et suivait chaque vendredi soir le prêche du rabbin de la synagogue du boulevard Pasteur. Elle se situait en ville, légèrement en renfoncement de la rue et elle s'abritait dans une superbe propriété blanche à étages. Il quittait souvent la terrasse du café en face pour traverser l'avenue, vêtu de sa kippa. Les Tangérois aimaient son pas lent sur le passage clouté du boulevard pour gonfler les rangs de la prière et obtenir le nombre requis d'hommes afin que le rabbin officiât. Les Juifs vivaient à Tanger en relative harmonie où chaque communauté se vantait de connaître l'adresse de l'autre puisque la ville ignorait les hauts murs du mellah même si les quartiers et les cimetières les séparaient sans véritable ségrégation. Certains sacrements étaient partagés et chacun respectait le temps de la prière et les livres sacrés. Il exposait dans son séminaire à l'Université De monarchia, les idées de Dante qui lui valurent judicieusement de bénéficier du soutien sans réserve de sa hiérarchie et de pouvoir enseigner pendant la période de ses recherches. Son tempérament paisible, posé, souriant, jovial le rendait aimable, disponible et il jouissait de cette faculté sans égal d'arrondir les angles, de modérer la société, de s'instituer au rang de sage quand Hector Maillard tranchait, cassait, détruisait. Autant l'un se montrait coléreux, irascible, sanguin, autant l'autre savait jouer, hésiter, tourner, réfléchir avant de donner une réponse toujours juste.

    — Qu'as-tu fait de ta femme ? s'inquiéta Simon.

    — Je voulais te proposer une partie de golf, répondit Hector. Je crois qu'il n'y a que le golf qui pourrait nous délasser. Les Américains ne quittent pas les parcours. Leurs femmes montent à cheval aux écuries royales.

    — Elles sont folles, lança Simon. Les Marocains galopent comme des soldats dans les fantasias, une armée qui s'entraîne. Je n'aimerais pas voir Rachel sur les obstacles. Les purs-sangs réagissent vite. Ils se cabrent, accélèrent, ruent.

    — Les chevaux ne m'intéressent pas, dit Hector, ils sont pour les femmes, je te parle de golf.

    — Et moi de ta femme, conclut Simon. »

    Les deux hommes laissaient naturellement leurs femmes à la maison mais pour des raisons différentes. Si Simon Uzan respectait Rachel sa jeune épousée, aimait sincèrement son activité de violoniste, son travail d’enseignante au conservatoire et dans les écoles de Tanger, Hector s'incommodait de sa femme qu'il trouvait laide, vieille, mal coiffée, petite, peu présentable. Sans le dire l'agent immobilier catholique éprouvait une honte, une gêne quand il sortait avec Louise alors que le professeur d'histoire appréciait aussi son repos, sa tranquillité et son bonheur à la maison sans préoccupation matérielle, disponible à son plaisir, à la cuisine, au chant, prête à l'aimer avec ses disgrâces et ses rondeurs qu'elle supportait quand ses collègues universitaires, fins et secs, manifestaient la difficulté de maîtriser leur stress dans leur mutation de Tata à Tanger où ils peinaient à s'adapter. Rachel Uzan était brune, fine, le nez aquilin, plus jeune de quatre ans que Simon, elle portait souvent un bandeau bordeaux dans les cheveux non qu'elle voulût copier Simone de Beauvoir mais l’auteur du Deuxième sexe animait sa vie et ses conversations, ses interrogations aussi. Ses yeux rêveurs ressemblaient aux regards des portraits de Vermeer. Elle connaissait à la perfection le répertoire baroque, particulièrement Vivaldi et Albinoni, mais délaissait les romantiques français et allemands et elle ignorait les musiciens du vingtième siècle dans un principe admis dès son jeune âge par ses parents et ses professeurs qui manièrent la petite fille à leur férule sans lui laisser le temps ni de choisir, ni de penser. Il fut très vite trop tard pour pallier ses faiblesses ou espérer un parcours de soliste virtuose mais Simon aimait sa technicité, son bel amateurisme qui ne lui portait pas ombrage, ses cheveux coupés au carré qui la rendaient sage et responsable comme lui dans une scolarité infinie. Ils s'étaient connus à la faculté lors d'un séminaire passionnant sur la phonologie et ils ne s’étaient plus quittés, l'un répondait à l'autre harmoniquement.

    « Je suis fascinée par les progrès de la science du langage, dit Simon quand il remarqua que Rachel le regardait avec intensité dans une profondeur qui sous-entendait le prolongement de leur faisceau lumineux rencontré et la naissance potentielle du désir.

    — Je suis violoniste, répondit Rachel mais j’admets la possibilité d'un rapprochement de l’étude des cordes vocales avec celle de mon instrument, ces évolutions sont passionnantes, je suis d'accord.

    — La position de la langue dans la bouche, dit Simon pour s'approcher de ses lèvres et tendre un baiser détermine le son comme le pincement de vos doigts sur les cordes. »

    Rachel et Simon s’enlacèrent dans une communion de savoir et l'intense excitation de participer à une découverte, aux différentes écoles russes, parisiennes, allemandes et américaines qui définissaient cette nouvelle discipline prometteuse. Le professeur d'histoire aurait été intarissable sur l'importance du R dans l'alphabet international mais il sut se taire pour profiter du plaisir de sa nouvelle compagne. Ses caresses dans ses cheveux le bouleversèrent, il garda son corps contre le sien et ne le quitta plus jusqu'à l’hôtel El Minzah, rue de la liberté, où ils se séparèrent. Rachel admira les grooms en tenue d'apparat, droits et spectaculaires comme des soldats qui montent la garde dans leur pantalon bouffant, couleur de désert. Simon rejoint le grand Hôtel de la Villa de France où il admira dans le salon les reproductions des tableaux que Matisse avait peints à Tanger au moment de ses deux voyages qui correspondaient à l'installation du protectorat français par le maréchal Lyautey et il ne dormit pas après avoir visité la chambre du peintre et la vue panoramique époustouflante sur la baie. Rachel et Tanger sublimaient son esprit, il entrevoyait dans la phonologie et la linguistique en règle générale la possibilité d'élargir son séminaire, il semblait porté par sa pensée comme il ne l'avait jamais été.

    Hector Maillard, grand, fort, barbu, sanguin, colérique ne présentait pas le même flegme que son ami et attendait avec impatience sa décision sur l’organisation de son week-end et la passion du golf qu'il n'arrivait pas à transmettre. Sa famille avait choisi d'immigrer à Tanger avant la Première Guerre mondiale au moment des accords de Fès et de l’établissement du maintien de l'ordre français. Son père protecteur, marchand de biens légua son agence à son fils sis à l'origine en face du lycée français de Tanger. La famille avait pris l’habitude de loger prioritairement le personnel français détaché, surtout les directrices d’école maternelle et primaire mais aussi les professeurs dont ils appréciaient la stabilité et le mode de vie souvent rangé. L'agent immobilier suivait la politique française de modernisation et s'évertuait à la force du poignet à rendre Tanger à proximité de Paris. Il oubliait la quiétude des habitants et bâtissait, programmait des résidences à long terme sans se soucier des résistances locales moins fortes que dans les montagnes mais très présentes. Il passait outre, entêté, forcené, sûr du progrès des sciences et de l'évolution par le fer, la machine, l'outillage. Dès la mort de son père, où traînaient sur lui des rumeurs de pédophilie et de nombreux cas de corruptions, de malversations et de scolarité au montant excessif qui continuaient d’accroître les barrières de classe, Hector Maillard choisit de s'éloigner et de s'installer sur la promenade le long de la plage municipale afin de profiter de l'importance que prenait selon lui le quartier de Malabata où Matisse séjourna. Toutefois, même si ce n'était pas véritablement excentré, il quittait les points névralgiques, les poumons de Tanger, son influence, son effervescence, son énergie positive et négative, celle des affaires, de la drogue, des putains aussi qui l'attiraient mais qui mouraient dans la misère. Henri Matisse ne réunit pas véritablement les deux hommes et devant l'absence de réponse de Simon Uzan, Hector Maillard considéra qu'il refusait et qu'il ne devait pas insister, son ami était un intellectuel, il se comportait avec balourdise et il préférait les plaisirs de l'esprit comme celui de jouer au bridge.

    Il se rappela qu'il avait garé sa voiture qu'il aimait presque autant que sa femme Louise autour de la place du 9 avril 1947 à proximité de l’entrée de la mosquée et qu'il était parti précipitamment pour entrer dans la banque française retirer des espèces où le guichetier en pull-over bleu marine dissimulait une cravate usée et tachée lui sourit, faisait confiance et crédit, près de la cinémathèque qu'il préférait aux banques marocaines. Il se comporta en pays conquis, comme l'aurait fait son père, en colon distrait et hautain, depuis que les événements de la Toussaint rouge rapprochaient le peuple des rues algériennes de celui de Tanger. Il avait salué avec dédain le gardien de fortune qui semblait passer la nuit sur une chaise à surveiller le parc automobile heureux de retrouver son ami Simon Uzan pour partager un moment de détente et prendre connaissance des premières informations. Même s'il avait les défauts de ses qualités, nerveux, volage mais convivial et sociable, Hector Maillard avait le talent presque génétique de faire fructifier ses biens, ce qu'enviaient et savaient copier à son insu les Marocaines qu'il embauchait pour débaucher. Au moment de l’Indépendance le 2 mars 1956, il possédait une vingtaine de propriétés et d'hôtels particuliers dans Tanger, obtenues pour la plupart par héritage puis par extension de terrains et de biens ou d'absorptions d'agences concurrentes dont les épouses ne supportaient plus le manque de confort l'hiver, de chauffage, de chaudières et qui rentraient trompées en France, déprimées et dévisagées. L'agent immobilier chrétien marqué par l'éducation de son père continuait à lui ressembler. En homme de la Troisième république, il aimait rester botté et porter en semaine le costume complet de bonne qualité, le velours ou le tweed confortable, épais, les pochettes bariolées criardes, les vestes à carreaux et les nœuds papillon de couleur vive. Il restait distingué, serviable en toutes circonstances et même s'il ne montait pas à cheval, il se souvenait du passage de la cavalerie française dans Tanger qu'il admirait, qui le rassurait, à qui il voulait s'identifier. Il fumait beaucoup, buvait sans modération, soufflait, prenait du ventre, de l'embonpoint et l'ostentation de ses mœurs et de son train de vie dans une relation de domination le caractérisait. Il dépensait sans compter, vendait et achetait, commercialisait et négociait, sans s'arrêter ce dont les Tangérois aimaient guetter et savaient profiter.

    Les deux hommes connurent ensemble ce samedi des difficultés pour obtenir de l'argent mais Simon Uzan par bonhomie et tempérance naturelles choisit de descendre au bureau de change de Petit Socco changer ses billets à l’entrée de la belle porte blanche carrelée du souk sans réclamer le taux, il participait ainsi au bonheur de vivre à Tanger, à l’effort d'investissement, de développement alors qu’Hector Maillard savait qu'en se précipitant à sa banque il

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1