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L'étoile de l'ombre: Roman
L'étoile de l'ombre: Roman
L'étoile de l'ombre: Roman
Livre électronique258 pages3 heures

L'étoile de l'ombre: Roman

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À propos de ce livre électronique

Quel est le mystère qui entoure la mort d'Emmanuel Louys, le célèbre pianiste ?

L'étoile de l'ombre relate le parcours d'un pianiste, Emmanuel Louys, trouvé mort dans un studio du centre de Nice. Le mystère de sa disparition rejoint les dérives de sa vie où le romantisme de sa musique désole et lasse ses maîtres avares de musique scientifique et technologique.
Exilé en Russie, où la danse l'exalte, puis aux États-Unis où la passion de New York le transporte, il retrouve la cadence de son conservatoire initial sans pouvoir rejoindre le mouvement de la musique de son temps.
Il meurt dans une atmosphère de complot familial.

Que s'est-il passé pour qu'Emmanuel Louys soit retrouvé mort dans son studio à Nice ? Découvrez ce polar haletant sur fond de complot familial, entre la France, la Russie et New-York. 

EXTRAIT

Pierre Louys enlaça Emmanuel sans pénétrer dans l’aérogare devenue inspectée, protégée, dangereuse, après l’échec de Saint-Pétersbourg, l’abandon d’Élodie à Paris, l’accident de la violoncelliste, l’enquête de moralité induite, infuse, invisible, illisible que subit le corps enseignant bloquait ses perspectives de carrière à court terme. La société française ne pardonnait pas la rupture, la brisure, la fracture, les frasques, les écarts, les bécards, le désastre de cette constitution de quintette pour piano qui entraînait l’accident de la jeune étrangère, sérieuse, appliquée, motivée, emplie de courage, de bonne volonté et confiée aux autorités niçoises, conservatrices, animatrice consciencieuse de sa classe, pourvoyeuse des valeurs républicaines aux enfants, rigoureuse et engagée avec la dureté des pays de l’Europe de l’Est, les galets sous le sable, qu’appréciaient les parents. Pierre Louys éprouva de la compassion et de la pitié pour son fils, qui rêvait avec lui d’une destinée exceptionnelle, dorée et enflammée sous les projecteurs des chaînes de la télévision régionale, l’absence loquace, le mirage ensanglanté, le malheur promis.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Sylvie Bourgouin, née à Rouen, a publié sa thèse de lettres La réception critique de l’œuvre de Marguerite Duras pendant le premier septennat de François Mitterrand à Mahdia en 2009 et Trois histoires d'archéologie médiévale à Paris en 2012, six romans, des recueils de poésie, des pièces de théâtre et de nombreux articles critiques. Présidente de l'association du peintre niçois Jean-Paul Harivel, les correspondances entre les arts, l'entrelacement des modes d'expression et les recherches sur le langage sont au centre de son œuvre romanesque.
LangueFrançais
Date de sortie24 juil. 2018
ISBN9782378773526
L'étoile de l'ombre: Roman

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    L'étoile de l'ombre - Sylvie Bourgouin

    Sylvie Bourgouin

    L’étoile de l’ombre

    Roman

    © Lys Bleu Éditions — Sylvie Bourgouin

    ISBN : 9 782 378 773 526

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    À Adrien, Baptiste et Antoine, mes enfants

    à nos moments de mémoires

    DU MEME AUTEUR

    Éditions Thierry Sajat :

    Des routes et des rives, poésie, 1986-1988 et Éthique et toc, poésie, 1993-1994, édition mars 2010

    Libres cours, poésie, 1995 et Le pastiche du Jardin des poètes, poésie, 2000, édition août 2011

    Catalogue raisonné des gravures de Jean-Paul Harivel, 2005, édition décembre 2012

    Les entretiens de l’envers, 1993-2007, édition 2014

    Éditions Édilivre :

    Une coquille sur l’épaule, pièce de théâtre, novembre 2013

    Le livre de Jeanne Marusky, roman, 1992, édition avril 2014

    Le fond des formes, roman, 1993, édition mai 2014

    Le royaume du berger, pièce de théâtre, novembre 2016

    Éditions L’Harmattan :

    Hafsa, pièce de théâtre, octobre 2011

    La frappe de la houle, pièce de théâtre, décembre 2011

    Trois histoires d’archéologie médiévale, histoire, juin 2012

    L'or de la misère, roman, avril 2015

    Éditions Moez Machta, Tunisie :

    Critiques d’art, critiques sur l’œuvre de Jean-Paul Harivel, mars 2009

    La nouvelle figuration tunisienne : Mourad Harbaoui et Houda Ajili, catalogue d’exposition, août 2009

    L’unité morcelée, poésie, 1995, édition novembre 2009

    Tatouage de vent, pièce de théâtre de Naceur Kessraoui, adaptation et co-traduction, Sylvie Bourgouin, Sabria Chadlia Bahri, Naïma Kontoratchi-Mellal, novembre 2009

    Vie de ville, poésie et photographie, 1991-1992, 1ère édition janvier 2010, 2ème édition 2013, 3ème édition, janvier 2017.

    L'expression et la critique de la bourgeoisie dans les crayons de Jean-Paul Harivel, janvier 2017

    Deux vies, roman, avril 2017

    Éditions Image, Imed Masmoudi, Tunisie :

    Chutes et ratures et déchirures, poésie, 1999, édition juillet 2009

    La réception critique de l’œuvre de Marguerite Duras pendant le premier septennat de François Mitterrand, thèse de doctorat, 2005, édition octobre 2009

    Éditions Gilles Gallas :

    Dans la nuit des doubles regards, pièce de théâtre, mai 2010

    Éditions du Panthéon :

    Le silence du sang, pièce de théâtre, mars 2013

    Éditions Incipit en W :

    Équidistance, roman, décembre 2017

    Éditions Aquiprint :

    Journal musical, première édition Edilivre, février 2017, deuxième édition Aquiprint, 33520 Bruges (France), septembre 2017

    Courts métrages :

    Hélène Dorion à Vieux-Port, mars 2009, réalisation Catherine Derenne

    La présence normande à Mahdia de 1148-1160, 14 juillet 2010, réalisation Mounir Salem

    Scénarios :

    L’exil du président Habib Bourguiba sur l’île de la Jalta, Docu-fiction, Centre National du Cinéma, février 2012 et Scam, novembre 2012

    Le destin dans l’œuvre d’Annie Ernaux, hommage, Bourneville, 2009, université de Tunis, mars 2012

    Principaux articles :

    L’incarnation de la chance et de la fortune dans « Le savoir-vivre » (roman, Gallimard, 2006), « La fortune, la chance » (« Chroniques romanesques », Hermann, 2007) et « Chronique vénitienne » (roman, Gallimard, 2010) de Marcelin Pleynet, revue Faire-part, mai 2012

    L’autofiction médicale dans l’œuvre de Virginia Woolf, revue Alkemie n°11, éditions Mimesis, Milan, septembre 2013

    Peut-on « écrire la vie »  ou l’illisibilité annoncée dans l’œuvre d’Annie Ernaux ?, actes du colloque international de Tunis (7-10 mars 2012), Tunis, décembre 2013

    Le mythe des Sept Dormants, « Le Journal » et « Les Nourritures terrestres » d'André Gide : une approche du sommeil dans l'autofiction médicale, revue Alkemie n°13, éditions Classiques Garnier, Paris,  juillet 2014

    Les gravures retrouvées de Jean-Paul Harivel ou la situation du mystère (illisibilité et peinture), revue Alkemie n°14, éditions Classiques Garnier, Paris, janvier 2015

    Approche par l'intuitisme, l'illisibilité et l'interartialité de l’œuvre romanesque de Michel Butor, revue Alkemie n°16, éditions Classiques Garnier, décembre 2015

    Un aspect de l'exil du président Habib Bourguiba, revue Horizons maghrébins, numéro 73, Presses Universitaires du Midi, mars 2016

    Naceur Kasraoui, une mémoire en partage (Othman Ben Taleb, Sylvie Bourgouin), traduction de la pièce de théâtre Le phénix et le bourreau in Expressions maghrébines, Traduire le Maghreb, été 2016

    Les femmes dans les nouvelles de Paul Bowles, (janvier 2016), ActuaLitte, revue en ligne, 2 mai 2017 https://www.actualitte.com/t/piTusfhx 

    Jean-Paul Harivel, un peintre dans le delta beat des lumières de Matisse et de Picasso, ActuaLitté, revue en ligne, 24 septembre 2017, https://www.actualitte.com/article/patrimoine-education/jean-paul-harivel-un-peintre-dans-le-delta-beat-des-lumieres-de-matisse-et-de-picasso/84953

    Conférence à l'université de Martil-Tétouan à l'invitation de Monsieur le Pr Abdelilah El Khalifi, Intuitisme, illisibilité et pluralité des interprétations de la nouvelle de Paul Bowles, «Paroles malvenues », Quai Voltaire, Paris, 1989. Proposition d'une retraduction de la nouvelle Les mots malvenus, jeudi 30 novembre 2017.

    Proposition de soutenance de thèse, La réception critique de l’œuvre de Marguerite Duras pendant le premier septennat de François Mitterrand, université de Martil, décembre 2017

    Le Triptyque de Tanger, éditions Mille Plumes, L'Escarène, 4 juin 2018

    Le corps mort est recouvert d’un jeté de lit beige en laine travaillée en crochet qu’on a vulgairement descendu de cinquante centimètres. Rien ne transparaît, rien ne se voit, rien ne dépasse de ce faux drap mortuaire qu’une masse informe semblable à un sanglier abattu, un tas de sable, un amoncellement d’ordures éparses, un silence poignant enveloppe la pièce.

    Une femme au regard sévère, chaussée de fines lunettes d’acier carrées, les cheveux courts et bruns terriblement, un chapeau bleu marine petit pour son tour de tête inspecte la chambre. Elle scrute un étain, renifle une idée, une rose, un flacon de parfum, soulève une hypothèse, un presse-papiers, écarte les objets, les indices de manière professionnelle, elle cherche les acariens, un animal de compagnie tapi sous le lit atterré par la perte de son maître et l’identification réelle du corps. Elle avance avec fierté, hautaine, sûre de sa mission, de chef de service, de l’adresse de son bureau au centre de Nice qu’elle retrouvera ouvert, en toutes circonstances même les jours fériés, en dehors des heures de travail des employés du secteur privé. Sa dignité se lit dans sa concentration, la façon particulière qu’ont les fonctionnaires de croire au statut de leur travail, de rendre une inspection et d’effectuer une tâche importante, sa réalisation unique, singulière. Elle adore son métier, sa passion de la découverte, sa volonté d’intervenir en premier lieu, d’être appelée, de suppléer le procureur, le magistrat, de remplacer les pompiers, les policiers en service aussi. Elle aime l’astreinte, la consigne, la soumission, l’armée, l’ordre quand Emmanuel Louys, le grand pianiste gisant cultivait leurs effacements. Elle approche de la masse inerte, soulève le drap avec précision, minutie, maniaquerie, son sang-froid de rigueur comme sa tenue dans la même disposition d’esprit, convaincue à cet instant extrême de tension et de nervosité, de pouvoir mener à terme cette fonction, cette dissection du passé, ce travail d’historienne active, intuitive, cette épreuve de remémoration, de reconstitution de la vie d’un être, de la découverte de son agonie, de sa souffrance pour mourir ou de son génie à l’éviter.

    Jean-Thibaud Malaurine, l’ami d’enfance habite le centre de Nice de toujours, il connaît la ville comme les Parisiens leur quartier, il sait les secrets, les recoins, les impasses, les raccourcis, les marches, les rampes, les escaliers, il court dans les ruelles de la ville vieille, les voies piétonnes, les issues pour rejoindre la plage. Sa vie la baie berce, il se baigne dès avril et s’assied à l’endroit qu’affectionnaient ses grands-parents. Il s’adosse à son fauteuil crapaud de style Louis XV rehaussé de velours grenat près du lit d’Emmanuel, les jambes croisées nonchalamment dans une position d’attente somnolente, il tire sur une cigarette électronique au parfum de vanille et d’ambre embêtant. Ses yeux mi-clos évitent le corps, ses mains refusent de découvrir le regard fermé, son amour d’Emmanuel Louys, son intimité, sa proximité encore proche, sa musique grande empêche la mort d’exister. Jean-Thibaud connaissait le pianiste depuis l’école élémentaire, les premiers cours de piano et de solfège au conservatoire municipal de l’avenue de Brancolar, la réussite sociale éloignait sans séparer, les écarts grandissaient, les oublis s’accentuaient, les excès se partageaient, les vexations s’éteignaient, les femmes, les mariages, les enfants, les aventures, les amours fous se racontaient mais ils se retrouvaient à la plage, autour d’un whisky ou d’un thé sur une terrasse de la promenade des Anglais longue, lors du vernissage d’une exposition au Musée d’art moderne et d’art contemporain ou à la villa Thiole, dans une trattoria des quartiers vieillis, puis la nuit dans le piano-bar d’un grand hôtel où ils portaient le smoking défait, les beaux souliers, se trouvaient beaux et bronzés devant les miroirs sous les lambris déformants qui étiraient leurs silhouettes, se frappaient dans les mains comme les joueurs de football après un but marqué ou un match gagné, se tapaient sur l’épaule et riaient sans se parler dans la complicité évidente des enfances mélangées, des retours dans la ville natale heureux, des amitiés prolongées, nouées, scellées, dans les aléas des bas, les passages à vide, les traversées du désert, les absences, les pertes de vue, les refus, les regrets, les échecs et les succès, les pannes financières et les renflouements, les départs et les déménagements, les éloignements et les errances, ils se ressourçaient dans le dédale de leur ville contée, son labyrinthe, sa couleur particulière chaude et froide à la fois, quand l’ocre, soleil d’or, rejoint le ciel et la terre, quand ses collines adoucissent le front de mer, son histoire s’enferme dans ses remparts mais les fils de famille du sud se reconnaissent, s’étreignent, se souviennent, se retrouvent dans un verre de vin rosé de Provence, un poisson grillé que parfument le thym et le romarin, un concert de rue de cuivres jazzy, un marché couvert où de fraîcheur les produits rivalisent, dans l’amour immodéré, bronzés et pulpeux des seins des femmes, des décolletés des robes, des bijoux de pacotille pour illuminer les soirées d’été dans l’esbroufe des rencontres artificielles, des mauvaises affaires et des vrais découverts.

    Julia perdait Emmanuel Louys de vue depuis un trimestre quand elle reçut l’appel téléphonique de Jean-Thibaud qui annonçait son décès. Les larmes sans couler remplirent ses yeux, sa voix s’étrangla, elle écouta raconter factuellement sa mort, son constat, son épreuve sans qu’il exposât les causes. Il demanda de se rendre au domicile du pianiste où le corps découvert par le gardien jeudi reposait, les formalités administratives lui incombaient, l’appartement occupé par le musicien lui appartenait, au 38 avenue Malausséna à côté d’un square public et du musée Marc Chagall, un studio meublé, le courage manquait pour affronter les autorités, les médecins, la famille qu’il connaissait bien, les amis éloignés, les artistes, les maîtresses qui reviendraient pour partager les biens meubles, les mauvais souvenirs, les dettes peut-être. Il parlait de sa peur, de sa sœur, de son amitié puissante pour Emmanuel, longue, sans ombre mais il n’exprimait pas pourquoi il ne supportait pas le corps mort, « que révélait la mort ? Elle me paralyse. » Son injustice formait un barrage, une barrière, un mur infranchissable. Emmanuel n’intimidait plus ni n’effrayait, l’admiration pour son talent, sa virtuosité, sa science de la musique se figeaient mais Jean-Thibaud appréhendait le retour des familiers oubliés, les membres de son entourage trouble, menteurs, tueurs et avares, il ne surmontait pas l’annonce du décès, le gardien brutal.

    Si Élodie, disait-il, dans la chambre siégeait, il aurait la force multipliée, sa présence ouvrirait le sens concret, les dossiers matériels. Il saurait les faits vrais, les causes, il s’appuierait pour questionner sur la mort d’Emmanuel de façon tendre, familiale, affectueuse et il éviterait le rapport plat, glacial de la police, des médecins légistes, des résultats d’autopsie. Julia proposa de venir devant son domicile à quinze heures, le temps de descendre de Lyon en TGV, confia qu’à deux amis en effet, la mort tolérable paraîtrait, que la chaleur communicative sauverait de la torpeur et de la prostration. L’homme d’affaires ne bougeait pas de son fauteuil, ne s’approchait pas du corps inerte, il repoussait le plus loin possible la mort évoquée, la vue d’Emmanuel sans vie, il attendait encore un souffle, une rémission, un miracle, une issue qui l’empêchassent d’affronter la fin, l’inéluctable. Il fumait assis et la femme en uniforme austère le rappela à son devoir, à son travail de reconnaissance comme les panneaux électoraux demandent aux citoyens travailleurs de voter. Il rechigna, maugréa, pleura au fond de lui-même puis dans un élan, un demi-tour brutal, il fit deux enjambées jusqu’au corps allongé de son meilleur ami. Il ne regarda pas, tourna la tête et éclata en sanglots dans ses bras, la vision du virtuose mort il ne supporta pas. Quand la tête fut découverte par la fonctionnaire zélée qui ne montrait pas la distinction entre les petits et les grands magistrats majeurs mais qui exécutait sa mission avec la puissance d’un altiste, elle lisait la dernière page, l’ultime note sur ce visage froid, au teint blafard, gris, les cils rabattus, Jean-Thibaud se pencha et s’inclina naturellement devant la dépouille de son ami. Il le reconnut comme s’il ne l’avait pas quitté le week-end précédent quand il le chercha à la gare de Nice-Ville et qu’il lui remit les clés de son appartement. Il crut le voir la veille, déambuler, errer dans une fugue éphémère.

    Sa proximité frappe, grave dans la mémoire une image inoubliable, marque, élève, transcende, elle supplante les êtres, les naissances des enfants, les baptêmes, les mariages, elle annule les quelques traces par sa puissance de bonheur. Contrairement à Jean-Thibaud Malaurine, l’officier de police prit le temps d’identifier avec respect, docilité et servitude le visage du pianiste trouvé sans vie par le gardien de façon inconnue, étonné de cet hébergement gracieux. La hauteur de son front, le dessin bombé de son crâne, l’implantation particulière de ses cheveux blonds qui partait loin du sommet du front marquait son intelligence mais surtout le nez aquilin, allongé, parfait rendait son profil hautain, grave, honorable. L’affairiste ne revoyait plus la couleur des yeux qui oscillaient entre le vert et en fonction de l’intensité de la luminosité, le gris, il ne remettait pas sa corpulence dissimulée sous le drap de la police judiciaire, tenu par la fonctionnaire à un angle en place d’un accompagnement psychologique. Les images d’Emmanuel Louys sur scène défilèrent et lui revinrent en un temps record, il reconnut un col de chemise bleu Oxford déboutonné comme si le pianiste mettait en scène sa mort, il conservait les règles de bienséance, unies dans le lieu, le temps et l’action. Son cou plissé sous le menton laissait apparaître un début de duvet de barbe claire, parsemée qui présageait que le décès remontait à moins d’une journée ou que le pianiste se rasa avant le dîner. Il avait trente-neuf ans, cinq ans de plus qu’elle, deux de moins que Jean-Thibaud, son visage hâlé, intact évitait les marques grossières des taches brunes ou des grains de beauté vilains, révélateurs d’une vie dissolue ou malhonnête parfois, d’un usage immodéré des drogues ou du vin. Ses traits placides, sereins révélaient le calme et la maîtrise mais les policiers puis les pompiers, les infirmiers et enfin cette fonctionnaire minutieuse préparaient, transformaient, nettoyaient, soignaient, lavaient la mort, comme le bain du nouveau-né à la maternité.

    Jean-Thibaud n’embrassa pas le visage d’Emmanuel Louys tant son faciès inspirait le respect, la musique, la partition résonnaient en lui, transpiraient, passaient par les pores de sa peau dans un voile mystérieux et sacré. L’art dépassait les sentiments, leur amitié, ils n’avaient pas fait l’amour mais il confondait l’ami et l’amour à ce moment délicat, particulier où les questions s’étalaient, jaillissaient comme un pare-brise éclaté sur le visage après la minute qui suit l’accident de voiture. Il l’aimait et il ne parvenait pas à oublier ce coin maudit de drap sur son corps pour que disparaisse son beau sourire ensorceleur qui ne s’exprimait pas. Jean-Thibaud taisait les propos convenus, d’usage à la fonctionnaire qu’il retenait autant comme une langue tournée dans la bouche. Il connaissait son corps allongé, botté sur le cuir, quand il se détendait avant et après les concerts, il croisait ses jambes sur l’accoudoir des sofas, fermait les yeux et se reposait. Il partageait l’effort du concertiste immense, sa dépense d’énergie, il paraissait emporter, à plusieurs reprises le retenait, lui prenait la main dans un semi-sommeil, lui disait je t’aime je t’aime mais tous ces mots aujourd’hui il taisait, laissait de côté, il voulait l’entendre aimer sa musique, jouer, communier et se livrer pleinement.

    L’exigence d’Emmanuel se lisait dans la dernière expression de son visage, son sourire moqueur, ravageur, ironique, sarcastique se déformait, son expression nette, maquillée, équilibrée, sans froideur ni chaleur justifiait le retrait, le détour de son regard. Jean-Thibaud l’enlaçait en d’autres circonstances, le décès de son parrain, une soirée d’ivresse de fin de concert inachevée où il le ramassait, il soulageait sa dèche à Paris quand il économisait un paquet de spaghettis ou se contentait d’une baguette quotidienne. Il exécrait ce faciès propre, lisse qui modifiait, transfigurait l’artiste aimé, gommait son âme romantique, ses sautes d’humeur, ses excès, ses problèmes d’argent perpétuels inhérents à son statut. Grand professionnel, pianiste soliste et virtuose, les associations de musique, ses formations ne recevaient pas les subventions, les virements dus à temps, ses cotisations prenaient du retard et se majoraient, il gardait de vieux tee-shirts noirs élimés qui flattaient son torse, sa peau hâlée et Jean-Thibaud rejetait la vue de cette chemise bleu ciel officielle, banale, rajoutée, apprêtée sans que le défunt ne la portât au moment de sa chute. Il se releva, se redressa, abattu par la mort vue, transporté vers les bas-fonds de son esprit, l’inspectrice recouvrit enfin le visage sans que Jean-Thibaud ne s’approchât, il faisait confiance, son ami gisait sans vie dans son appartement et ne reviendrait pas à lui, il admettait sa fin. Il ne comprenait pas les raisons, les comment, les pourquoi, se posait les questions, les sens, les réflexions, subissait la force de la douleur, l’incompréhension du mal, de la séparation fatale. Il restait dans le fond de la pièce à regarder la fonctionnaire froide, à l’interroger sans parler, à lui demander en silence le passé expliqué, les causes du décès. Elle ne dérangeait plus Jean-Thibaud happé par le chagrin, le flot des souvenirs amers harponnait, arrimait à l’inquiétude de recevoir la famille, le gardien à l’opposé s’activait à la recherche d’objets à récupérer puis d’indices sur les raisons de la mort.

    L’entrepreneur parla d’Élodie par diversion dans une volonté de changement, elle connaissait Emmanuel mieux que lui et la première devait être prévenue, elle l’aimait, elle lui manquait, le serrait dans ses bras, comprenait sa folie tyrannique, elle reflétait et portait sa désolation d’enseigner le sport dans un lycée de banlieue plutôt que d’exercer la danse à l’opéra de Côte d’Azur. Ils se séparèrent pourtant depuis peu, sans se revoir probablement, il ne savait pas, la réflexion l’ennuyait, l’intelligence aussi, le développement du raisonnement s’éloignaient quand les émotions submergeaient son cerveau usé par les veilles, les cigarettes, les tasses de thé et de café entremêlées, les jus d’oranges pressées, les comprimés vitaminés. Jean-Thibaud regarda la fonctionnaire intimidée, « je ne sais rien », il dit, ne comprit pas, Emmanuel Louys était seul, isolé a priori lors de sa mort, sa mère vint le visiter la veille, il voyageait beaucoup dès que ses cours au conservatoire ou au collège s’interrompaient, mais il vieillissait et n’aimait plus les donner, il avouait, il cherchait une formation de concert symphonique, un quatuor avec un pianiste mais il parlait de ce projet depuis dix ans et se plaignait de l’indifférence des pouvoirs publics, de l’inexistence des subventions et de l’absence de mécènes. Sa solution dans ses classes laborieuses de premier cycle à supporter des cohortes d’élèves jusqu’à la fin des semaines, dans l’obligation d’organiser

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