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L'œil du guetteur: Polar
L'œil du guetteur: Polar
L'œil du guetteur: Polar
Livre électronique373 pages4 heures

L'œil du guetteur: Polar

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À propos de ce livre électronique

Que feriez-vous si un homme vous approchait pour vous déclarer que ça fait longtemps qu'il vous cherche ?

Lionel Darsan est un tranquille employé dans un cabinet d'affaires parisien, à un poste subalterne et tranquille où il s'ennuie jusqu'au jour où il rencontre un mystérieux personnage qui lui révèle qu'il a la capacité à lire sur les visages et de deviner les pensées les plus intimes.
A partir de ce moment, sa vie bascule. Il va se trouver, bien malgré lui, plongé dans de sales affaires : détournement de fonds, délit d'initié, chantage, meurtre dont les auteurs cherchent à fuir la justice et aussi face à un tueur impitoyable, "le guetteur", chargé de "faire le ménage".
S'introduire dans des têtes qui n'ont rien demandé n'apporte pas que des satisfactions. Il réalise enfin que récolter des secrets, démasquer des gens n'a rien de réjouissant et surtout ça peut attirer de gros ennuis. C'est ce que Darsan apprend quand il se trouve en bonne place sur le planning du Guetteur.

Un polar que vous ne lâcherez pas.

EXTRAIT

Charles Novert posa sa serviette, ôta ses sandales, retira son tee-shirt et, marchant avec précaution sur les galets, se dirigea vers la mer. La marée n’avait pas encore atteint son niveau bas et les vagues d’un vert laiteux déroulaient avec calme leur ligne d’écume à une vingtaine de mètres de distance du rivage. Un soleil pâle avait attiré du monde sur la promenade et la plage faisait le plein en ce dimanche de printemps. A Dieppe, elle s’étend sur un kilomètre et demi et s’organise en gradins de cailloux pour mener à la mer.
Grimaçant sur ses plantes de pied, il atteignit la bande de sable dégagée à marée descendante, sans perdre l’équilibre.
Charles Novert continua d’avancer et entra lentement dans l’eau. Il dépassa la ligne d’enfants jouant à grands cris avec les vagues à proximité du bord sous la surveillance de parents attentifs.
Même à cette époque, la Manche surprend par sa fraîcheur. La mer caressa ses chevilles, gagna ses genoux puis enveloppa sa taille, il serra les dents et d’un mouvement courageux, s’immergea jusqu’aux épaules. Avant que le froid ne le saisisse, il partit dans une brasse peu orthodoxe mais vigoureuse en direction du large.
Charles Novert était un piètre nageur et n’avait pas pour habitude de s’éloigner du rivage, mais aujourd’hui c’était différent.
Ceux qui le virent progresser dans son style peu efficace détachèrent le regard et l’oublièrent aussitôt. L’attention se fixe sur les athlètes fendant les vagues d’un crawl énergique, sur les véliplanchistes virtuoses en équilibre sur leur étroite surface de plastique, sur une naïade dont on devine entre deux vagues la plastique avantageuse dans un bikini fluo, pas sur un pratiquant de la brasse lent et anonyme.
Sa tête se mêla à celles des rares baigneurs s’aventurant au-delà de la limite où l’on a pied. Il continua et elle se détacha des nageurs prudents.
Son crâne dansait sur les flots comme une bouée, disparaissant par moments derrière l’ondulation de la houle. Il s’éloigna encore et bientôt on cessa de le distinguer depuis la plage

À PROPOS DE L'AUTEUR

Diplômé d'une business-school, Marc Masse a passé de nombreuses années dans des grandes sociétés d'ingénierie, françaises et étrangères. Son métier l'a amené à voyager dans la plupart des continents. Sa vision de la géographie n'a rien de touristique. Sa passion : lécriture. Il a publié 6 romans du genre "thriller" (L'entreprise, Milieu hippique, Pays lointains) puis Enquête sous les galets (2019), suspense historique se déroulant à Dieppe, publié par les Editions des Falaises.
LangueFrançais
ÉditeurFalaises
Date de sortie13 avr. 2020
ISBN9782848114682
L'œil du guetteur: Polar

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    Aperçu du livre

    L'œil du guetteur - Marc S. Masse

    Soulages

    Prologue

    Une chance sur huit de réussir : il vaut mieux ne pas y aller.

    Pourtant, Lionel Darsan et son ami, le commissaire François Caulert, n’avaient pas le choix. Ils devaient se satisfaire d’une telle probabilité et passer sans tarder à l’action.

    Ils se trouvaient à la gare Saint-Lazare. Darsan avait un billet à destination de Cabourg où il comptait passer le week-end. Caulert l’avait accompagné.

    Celui-ci venait de recevoir un appel d’un de ses collègues de la DGSI (Direction Générale de la Sécurité Intérieure) et son expression avait changé. Ce policier l’informait qu’un terroriste, dont on n’avait pas le signalement, projetait un attentat suicide. Ce type d’affaires sortait de son domaine de compétence et il n’était pas en service, mais la date prévue c’était aujourd’hui, durant cette tranche horaire et l’objectif : la gare Saint-Lazare.

    Tout ce qu’on savait c’est qu’il s’agissait d’un homme seul portant un bagage à main. Mais on avait tracé son téléphone et ainsi suivi son déplacement. Et le point rouge venait de s’immobiliser.

    Le responsable de l’opération avait localisé sur l’écran la position du kamikaze : au niveau des arrivées et des départs, là malheureusement où la foule était la plus dense et plus précisément au Starbucks Coffee. Il s’y était précipité avec ses hommes. Surgissant de l’escalator, il avait stoppé leur élan pour décider d’un plan donnant toute chance de neutraliser l’objectif avant qu’il ait pu déclencher ses explosifs. C’est alors qu’il avait reconnu Caulert parmi les consommateurs.

    Il décida de l’aviser par téléphone.

    – Je vois ce que je peux faire, répondit celui-ci d’un ton calme.

    Puis il résuma la situation à Darsan à voix basse. Le décompte fut rapide : il y avait huit hommes seuls autour d’eux, âgés de vingt-cinq à cinquante ans avec un bagage à main, mallette ou sac, posé près d’eux : une chance sur huit donc !

    Caulert n’était pas armé, leur seule option : ceinturer le type avant qu’il ait pu réagir. Mais lequel ?

    On ne pouvait se fier à l’apparence : grand ou petit, brun, blond ou chauve, pâle ou basané de peau, elle ne fournissait pas d’indice. Le type ethnique ou la nationalité ne faisait rien à l’affaire : les extrémistes se recrutent dorénavant partout, pour preuve les volontaires provenant de tous les pays qui avaient rejoint Daesh en Irak et en Syrie.

    Aucun des huit suspects ne semblait inquiet. Ils sirotaient tous un café ou un jus de fruit en lisant un journal ou consultaient l’écran de leur Smartphone. Leur choix de boisson ne disait rien de leur religion. Leur tenue ne révélait rien non plus ; compte tenu de la saison, ils portaient tous un vêtement ample, manteau ou imperméable, sous lequel pouvait se cacher une ceinture d’explosifs ou une arme. Caulert serrait les poings, hésitant sur la conduite à tenir.

    – Donne-moi un instant, murmura Darsan.

    Caulert le fixa interdit.

    Darsan balaya des yeux les alentours comme s’il cherchait le serveur. Son regard se posa une fraction de seconde sur chacun des huit suspects, puis il revint vers son compagnon.

    – Le grand brun avec des lunettes, vêtu d’un manteau gris foncé, assis à la troisième table à ta gauche, murmura-t-il.

    – Quoi ?

    – C’est lui.

    – Tu es sûr ? demanda Caulert ébahi.

    – On n’est jamais sûr de rien, mais c’est mon impression.

    – Ton impression ?

    – Oui, mais plus qu’une impression.

    Comme Caulert hésitait, Darsan se leva.

    – On y va, siffla-t-il entre ses dents.

    – Allons payer au comptoir, dit-il à haute voix, ce sera plus rapide, je ne voudrais pas rater mon train.

    Caulert n’avait d’autre choix que de le suivre. A cause de son mètre quatre-vint-quinze, de son air bonhomme, de ses cheveux touffus et de ses gestes lents, la plupart des gens le rangeaient imprudemment dans la catégorie des colosses patauds qu’une croissance trop rapide a retardé au niveau du cerveau. Il exagérait à dessein cet aspect trompeur et plus d’un délinquant avait regretté de prendre son apparence « Bisounours » pour argent comptant.

    Ils avancèrent entre les tables, l’un derrière l’autre, sans se presser, sans susciter l’intérêt des autres consommateurs. Arrivés au niveau de l’individu que Darsan avait désigné, ils convergèrent brusquement sur lui, chacun d’un côté. Avant que l’intéressé ait pu esquisser un geste, Caulert l’encercla d’une étreinte puissante, lui interdisant de bouger les bras. Darsan le bloqua au niveau du cou et des épaules. Deux policiers en civil qui attendaient à distance se précipitèrent. Ils mirent l’homme, vociférant, toujours tenu par le commissaire, au sol. Ils relevèrent les pans de son manteau révélant une ceinture d’explosifs qu’on décrocha avec mille précautions. On le fouilla : chacune des poches contenait une grenade, celle intérieure de la veste, un pistolet chargé.

    D’autres policiers en uniforme, solidement armés, arrivèrent à leur tour. On acheva d’immobiliser le terroriste avec des menottes, puis on l’évacua comme un paquet, soulevé de terre par quatre hommes.

    C’était l’émoi dans le bar ; après quelques secondes de silence, les consommateurs revenus de leur stupeur se mirent à parler tous ensemble, une manière d’évacuer leur peur rétrospective.

    – Merci, dit le responsable de l’opération, en serrant la main de Caulert et Darsan. J’ignore comment vous avez fait mais tout s’est bien passé. Vous avez eu de la chance et nous aussi. Maintenant, je vous laisse, il faut que je m’occupe de la suite. François, je te téléphone pour te tenir au courant.

    Il s’éloigna et après un dernier signe, rejoignit ses hommes.

    Caulert et Darsan se rassirent. Le commissaire reprenait son souffle. Il se tourna vers Darsan.

    – Dis donc, il faudrait que tu m’expliques.

    – Quoi ?

    – Comment as-tu fait pour mettre dans le mille ? Une chance sur huit, avec une pareille probabilité je n’aurais pas misé un kopeck dans un casino.

    – Ce n’est pas une question de probabilité.

    – Non. Alors quoi ? Tu lis dans le marc de café ?

    – Pas du tout. Les indices désignaient ce type : il avait le regard fixé sur une revue mais ne la lisait pas, ses lèvres bougeaient imperceptiblement comme s’il se récitait une leçon. Sa peau était plus claire sur les joues et le menton prouvant qu’il venait de raser une barbe ancienne, on distinguait de très fines gouttelettes de sueur sur le front qu’on ne pouvait attribuer à la chaleur. Ses mains tenaient en apparence fermement sa lecture, mais à regarder les épaules, elles devaient trembler et le mouvement saccadé des pieds visibles sous la table trahissait une forte tension.

    – Et tu as vu tout ça en deux secondes ?

    – Question d’habitude.

    – Allons ! Tu me prends pour un idiot.

    – Non.

    – Il y a un truc ?

    Darsan hésita avant de répondre.

    – Il n’y a pas de magie. Le hasard et la chance n’ont rien à faire là-dedans non plus.

    – Peux-tu être plus clair ?

    – D’accord. Disons que c’est le résultat d’un long entraînement et d’une certaine prédisposition.

    – Un long entraînement, je peux comprendre à la rigueur, une prédisposition ça demande une explication pour me convaincre. Comment te serait-elle arrivée ?

    – C’est une assez longue histoire, elle remonte à une dizaine d’années, je veux bien te la raconter, si tu me promets de la garder pour toi.

    1

    Charles Novert posa sa serviette, ôta ses sandales, retira son tee-shirt et, marchant avec précaution sur les galets, se dirigea vers la mer. La marée n’avait pas encore atteint son niveau bas et les vagues d’un vert laiteux déroulaient avec calme leur ligne d’écume à une vingtaine de mètres de distance du rivage. Un soleil pâle avait attiré du monde sur la promenade et la plage faisait le plein en ce dimanche de printemps. A Dieppe, elle s’étend sur un kilomètre et demi et s’organise en gradins de cailloux pour mener à la mer.

    Grimaçant sur ses plantes de pied, il atteignit la bande de sable dégagée à marée descendante, sans perdre l’équilibre.

    Charles Novert continua d’avancer et entra lentement dans l’eau. Il dépassa la ligne d’enfants jouant à grands cris avec les vagues à proximité du bord sous la surveillance de parents attentifs.

    Même à cette époque, la Manche surprend par sa fraîcheur. La mer caressa ses chevilles, gagna ses genoux puis enveloppa sa taille, il serra les dents et d’un mouvement courageux, s’immergea jusqu’aux épaules. Avant que le froid ne le saisisse, il partit dans une brasse peu orthodoxe mais vigoureuse en direction du large.

    Charles Novert était un piètre nageur et n’avait pas pour habitude de s’éloigner du rivage, mais aujourd’hui c’était différent.

    Ceux qui le virent progresser dans son style peu efficace détachèrent le regard et l’oublièrent aussitôt. L’attention se fixe sur les athlètes fendant les vagues d’un crawl énergique, sur les véliplanchistes virtuoses en équilibre sur leur étroite surface de plastique, sur une naïade dont on devine entre deux vagues la plastique avantageuse dans un bikini fluo, pas sur un pratiquant de la brasse lent et anonyme.

    Sa tête se mêla à celles des rares baigneurs s’aventurant au-delà de la limite où l’on a pied. Il continua et elle se détacha des nageurs prudents.

    Son crâne dansait sur les flots comme une bouée, disparaissant par moments derrière l’ondulation de la houle. Il s’éloigna encore et bientôt on cessa de le distinguer depuis la plage.

    2

    – Vous ne me connaissez pas, mais, moi, je vous connais.

    C’est ce que l’inconnu a déclaré en m’abordant.

    Rien ne le distinguait de la foule dont il avait surgi. Ni son aspect : banal, taille moyenne, âge indéfinissable, entre trente-cinq et cinquante ans peut-être, ni son visage : glabre, gris, poli, sans trait saillant. Pas de barbe ni de moustache, pas de lunettes, pas de marque, pas de balafre, même pas une écorchure de rasoir, une façade lisse sans rien où s’accrocher. Un homme très ordinaire à l’air débonnaire qu’on aurait pu oublier aussitôt, vêtu toutefois avec élégance d’un manteau sombre d’où émergeaient les jambes d’un pantalon gris au pli impeccable, terminées par des souliers de marque en cuir. Il ne tenait pas de mallette ni de journal à la main comme beaucoup de passants ce matin dans les rues de Paris, même pas un sac en plastique, ni un parapluie bien qu’il pleuvine. Rien !

    Rien qui retienne l’attention donc.

    Ah, si pourtant, le regard ! Des yeux d’un bleu intense qui me sondaient comme le faisceau d’un projecteur ou d’un laser ou d’un rayon de la mort.

    Impossible de s’en détacher, ils m’ont rivé sur place. En même temps dans ma mémoire a jailli un flash qui évoquait quelqu’un ou quelque chose : une image, un souvenir, sur le coup je n’aurais su dire et l’impression s’est dissipée.

    – Pouvez-vous m’accorder un moment ? a-t-il demandé poliment.

    Il a posé la question mais il connaissait déjà la réponse. J’étais trop intrigué pour refuser, il le savait.

    Un individu qui vous accoste dans la rue, par réflexe on s’en écarte. C’est un sans domicile fixe qui va demander une pièce, un témoin de Jéhovah annonçant la fin du monde pour demain tout en brandissant une brochure d’un autre âge, que vous repousserez d’un geste ou un dépressif profond remis en liberté par un établissement en mal de lits vacants, qui va vous abreuver de propos incohérents. On se ferme et on se détourne, on s’éloigne, laissant le gêneur planté sur le trottoir.

    Je me rendais au travail comme chaque matin, un job sans rien de bien folichon comme il y en a tant, d’un pas pressé sans raison véritable, je prenais toujours de la marge, mon bus avait rarement du retard et aucun dossier ne demandait ma présence d’urgence, aucune décision à prendre non plus, je n’étais qu’un employé sans importance. La tête baissée, une main dans la poche de mon manteau, l’autre serrant ma mallette contenant un magazine, le chargeur de mon mobile, un rapport que je m’étais promis de lire sans l’avoir encore ouvert et une barre énergétique au cas où un coup de fatigue inopiné viendrait casser mon rythme de travail, éventualité bien improbable. Je fendais les rangs serrés des banlieusards émergeant du RER, des Parisiens sortant de chez eux ou surgissant du métro, bousculant certains, percutés par d’autres qui avançaient eux aussi le front en avant, encore plongés dans leurs pensées nocturnes, la plupart encore mal éveillés, inquiets de ce que leur réservait ce nouveau jour.

    J’avançais, emporté par le même flot dans la même direction, pour la même destination que d’habitude : l’arrêt de l’autobus ligne 21. Sans y penser, sans me poser de questions : composant anonyme d’un ensemble indifférent.

    Et l’inconnu est sorti de ce brouillard, perçant le fond gris. D’où ? M’attendait-il ?

    Du doigt, il a indiqué un café à deux pas de là, où je l’ai suivi comme cédant à une volonté supérieure.

    Nous avons pris place à une table au fond bien qu’il n’y ait pas d’oreilles indiscrètes à redouter, à cette heure l’établissement était peu fréquenté. Le garçon est venu, en traînant les pieds, prendre la commande : deux cafés, pas de quoi booster son chiffre d’affaires.

    – J’ai dit que je vous connaissais, ce n’est pas exact. En fait, je ne vous ai jamais vu. Mais je sais qui vous êtes.

    Se fichait-il de moi ? J’ai voulu me lever, lancer une phrase bien sentie, le laisser là et reprendre ma route quotidienne jusqu’à l’arrêt d’autobus à quelques pas. Mais le regard de l’inconnu ne m’a pas lâché et je n’ai pas esquissé un geste.

    – J’aurais dû plutôt dire : dès que je vous rencontrerai, en un instant je vous reconnaîtrai, car d’un regard je saurai tout de vous. Et c’est déjà fait, pour l’essentiel.

    L’homme a souri, mais je n’ai rien trouvé de drôle à sa déclaration.

    – Croyez-moi, je ne me trompe pas. C’est mon métier.

    – Je ne comprends pas.

    – Il y a pas mal de temps que je cherche quelqu’un comme vous. J’ai passé beaucoup de journées à explorer les gares, centres-villes, stades, expositions, musées… pour vous trouver. Un travail fastidieux vous imaginez, mais nécessaire.

    De quoi parlait-il ? Avais-je affaire à un fou ou à un escroc ? Tout : ma raison, la prudence, mon instinct me poussaient à m’éloigner au plus vite et à mettre de la distance avec ce type. Mais je suis resté immobile comme un papillon collé à la lumière d’un abat-jour.

    – C’était la seule méthode possible, harassante j’en conviens. Mais je ne voulais pas avoir de regret.

    Un silence.

    – Et ça a fini par payer. Dès que je vous ai aperçu à cent pas, j’ai su que c’était vous. Enfin !

    – Qu’est-ce que vous racontez ? L’inconnu a secoué la tête en souriant.

    – Oui, bien sûr, il faut que je vous explique. J’aurais dû commencer par là.

    – …

    – En fait, ça n’a pas été immédiat, bien sûr. J’ai analysé votre démarche, votre silhouette, la forme de votre corps, puis votre visage, en détails. Ça m’a bien pris… trente secondes. Il n’y avait pas de doute.

    Vous semblez surpris. Rassurez-vous, il n’y a là rien de magique. Le visage est doté d’une quantité définie de muscles, il dispose donc d’un nombre limité d’expressions, une quarantaine en fait. Pareil pour le reste du corps, on parle de postures ou d’attitudes, mais là aussi, les combinaisons bien que plus nombreuses sont comptées. Il suffit d’apprendre à les connaître, puis de savoir les lire pour comprendre à qui on a affaire. Je ne dis pas qu’il s’agit d’un travail facile ni d’une science exacte mais avec de l’entraînement ça devient possible et on réduit la marge d’erreurs à presque rien. J’ajouterai pour être tout à fait honnête qu’il faut aussi une certaine prédisposition. Ce n’est pas donné à tout le monde.

    L’inconnu a marqué une pause, me laissant intégrer son propos, avant de reprendre.

    – A l’allure, par exemple, on peut deviner si une personne appartient à la catégorie des seigneurs ou à celle des dominés. Le port de tête montre si elle a des projets, des envies, des passions ou si elle fait partie de la vaste armée des suiveurs. Les mouvements des yeux révèlent si c’est un être de parole ou un individu fluctuant dont l’opinion change au gré de ses intérêts, auquel on ne peut se fier qu’avec précaution. Il suffit de plonger dans un regard pour y voir tout ça.

    Et c’est ce qu’il faisait tout en parlant, me donnant une pénible impression d’escargot tiré de sa coquille.

    – Je pourrais vous dire que vous avez une trentaine d’années et que vous êtes célibataire. Vous n’avez pas de diplôme et travaillez dans une fonction administrative pas très passionnante. Est-ce que je me trompe ?

    C’était vrai.

    – Ça, c’est le plus facile. On pourrait en faire autant avec tous ces gens qui passent, mais ce serait une perte de temps car ils n’ont rien de ce qui m’intéresse. Je cherchais une caractéristique particulière et je l’ai trouvée. Surprenant, n’est-ce pas ?

    A cet instant, j’ai été tenté de l’interrompre. En quoi cela me concernait-il ? J’ai fait mine d’ouvrir la bouche mais aucun mot n’en est sorti et l’homme a continué son discours d’un ton paisible, sans me quitter du regard. Je me sentais épinglé comme un coléoptère sur une planche.

    – Ce que je recherche c’est une prédisposition : une sorte d’intérêt instinctif pour ses semblables : à la différence de l’empathie, il ne s’agit pas de sentiments ni d’émotions qu’on partage avec eux, mais d’une capacité d’analyse qu’on est seul à posséder. Ça n’a rien à voir non plus avec la divination et tout autre genre de fumisterie. C’est en fait ce qu’on pourrait appeler un don.

    Un don, me suis-je dit, et alors ?

    – Et ce don, je l’ai reconnu chez vous.

    – Quoi ?

    – Oui. Vous n’avez rien remarqué, c’est normal, vous êtes encore en mode veille. Vous savez, tout le monde a un petit talent : on chante bien, on court vite, on nage comme un poisson, on possède un joli coup de crayon, on sait trouver la source d’une panne dans un moteur, déceler la cause d’un bug dans un ordinateur, peindre sur toile ou sculpter le bois, on a la main pour tourner l’argile ou tout simplement réussir une mayonnaise du premier coup. Mais là, c’est bien autre chose.

    Il a un bref instant quitté son sourire, comme traversé par une pensée inquiète.

    – Vous avez peut-être parfois, sans y songer, sans même vous en rendre compte, lu dans vos interlocuteurs, déchiffré leurs gestes et leur attitude. Les gens vous semblaient alors transparents et vous pensiez qu’il en allait plus ou moins de même pour tout le monde.

    Je me suis interrogé.

    – Non. Pas que je me souvienne.

    – Vous ne vous souvenez pas, ce n’est pas surprenant. Mais pourtant, ça a dû vous arriver. Peu importe. Ce qui compte c’est que vous possédiez cette aptitude. Vous la partagez avec quelques rares individus.

    J’ai ouvert de grands yeux.

    – Vous n’êtes ni des phénomènes ni des extra-terrestres. Non, vous êtes des humains aux caractéristiques très ordinaires qui possèdent une capacité d’observation et d’interprétation extraordinaire. D’où vous vient-elle ? Pour être franc, je n’en sais rien. Avez-vous en commun d’avoir hérité de ce don particulier à la suite d’une mutation génétique inédite, fruit du plus grand des hasards biologiques ? Quand s’est-elle produite ? Avez-vous tous un ancêtre en commun ? Ou est-ce le résultat d’une sensibilité extrême au langage muet des signes, réservée à un petit nombre, transformée en aptitude par beaucoup de pratique ?

    Je ne saurais vous le dire et d’ailleurs peu importe. En ce qui me concerne, ce n’est que le résultat d’un long entraînement, de beaucoup de travail mais je n’atteindrai jamais la vitesse et la finesse de perception de ceux qui ont ce don.

    Il s’est tu pour me laisser le temps de digérer tout ça sans doute. Etait-ce un malade qui délirait ? Certains se prennent pour Napoléon ou Bismarck ou Jésus, lui pour un télépathe, un voyant ou un medium. Son histoire ne tenait pas debout. Pourtant, il paraissait tout à fait normal. D’apparence très quelconque, cet individu parlait sans agitation, sans hésitation, sûr de lui, un petit sourire aux lèvres qui a fini par m’énerver. Ces précautions oratoires, ce mystère, ces airs d’expert, ce ton de chef de laboratoire s’adressant à un cobaye enfermé dans sa cage ou placé sous un microscope, qui pourrait comprendre ses propos. J’en ai soudain eu assez !

    – Tout ça pour quoi, bon sang ?

    Hochement de tête, moue moqueuse, il semblait s’amuser.

    – Vous ne me croyez pas, c’est naturel. Levez-vous, rien qu’un instant.

    Il m’a pris par le bras et tourné face au mur derrière nous, occupé sur toute la largeur par un miroir qui renvoyait notre image. Et là, j’ai vu mon visage et mes yeux à côté des siens, du même bleu très clair, mais l’éclat des miens paraissait moins intense, comme éteint. Cependant la transparence était bien la même, c’est cette ressemblance qui m’avait frappé d’emblée sans que je m’en rende compte.

    Je me suis rassis, sonné.

    Le garçon arrivait à notre table pour rapporter la monnaie.

    J’ai levé les yeux et l’ai regardé, plus longuement que nécessaire. Je n’ai rien perçu, ni pensée, ni image, ni son. Un blanc total, un désert. Le garçon m’a lancé un coup d’œil étonné, a tourné le dos et s’est éloigné tenant son plateau chargé de nos tasses en équilibre sur l’avant-bras.

    L’inconnu a gloussé, doucement.

    – Ne vous inquiétez pas si vous ne captez rien, C’est normal. Il faut vous activer et ça va demander un peu d’entraînement. Mais rassurez-vous, je vous formerai. Après vous verrez, le résultat est assez étonnant. Pour moi, c’est un art, mais aussi une technique d’orfèvre, de spécialiste pointu, pas une élucubration de voyant extra-lucide ou une fumisterie de prétendu medium.

    Il s’est tu et a continué à me regarder. Le léger sourire a fait sa réapparition aux coins de ses lèvres. Il trouvait ça drôle. Pas moi.

    On aime attirer l’attention sur soi, être le centre d’intérêt, occuper le rôle principal, mais pas là, je vous jure.

    Devant moi s’ouvrait un monde inconnu, un couloir obscur conduisant à une perspective encore invisible. J’apprenais que je sortais de l’ordinaire sans en avoir de preuves. Une main me retenait encore par le col : « N’en crois rien, c’est une arnaque. On te fait miroiter de faux espoirs pour t’exploiter, tirer de toi quelque chose. N’écoute pas, n’y va pas ».

    Mais quoi, où était le risque ? J’étais tenté de croire ce type à l’air bienveillant et sincère. Découvrir qu’on est différent de la foule des communs des mortels, qu’on a un don, qu’on est distingué, supérieur en somme. Difficile à refuser. Et puis, il y avait les yeux, mon regard pareil à celui de l’inconnu, c’était une preuve. Il restait pourtant des voiles à lever pour achever de me convaincre et puis je me devais de montrer un peu de réticence, pour la forme.

    – Qui êtes-vous ? Pour qui travaillez-vous ?

    – Mon nom importe peu pour l’instant. Nous aurons l’occasion de faire plus ample connaissance si vous nous rejoignez. Dans notre entreprise, nous sommes généreux. Je ne veux pas faire de pub, mais les conditions sont vraiment attractives. Plus de souci matériel, une vie très aisée, tout est pris en charge pour vous permettre d’être disponible et un travail bien plus intéressant que ce que vous faites actuellement. En échange, on ne vous demande que d’apporter vos compétences et de rester discret, mieux vaut ne pas clamer vos capacités sur les toits. C’est tout. Vous voyez, il n’y a que des avantages.

    Il a marqué un silence pour souligner sa conclusion.

    – Maintenant, c’est à vous de décider.

    Ensuite l’homme n’a plus rien dit, il attendait patiemment ma réponse.

    – Alors ?

    On me révélait que j’avais un don faisant de moi un être hors du commun, en même temps on m’offrait un job pourvu de multiples avantages, propre à me faire oublier un quotidien sans attrait. Pour digérer tout ça, il fallait bien quelques secondes. On m’accordait même le temps de la réflexion. Mais pour quoi faire ? Evaluer sans données de référence, vérifier sans preuves disponibles, rationaliser sans bases logiques ou seulement pour me convaincre moi-même ?

    Qu’avais-je à mettre en face ? Une existence terne, sans risque mais sans passion où mes capacités étaient sous-employées, un long ruban traversant un paysage monotone dans lequel je me dissolvais un peu plus chaque jour comme un morceau de craie dans un ruisseau.

    Les secondes se sont vite écoulées et j’ai donné ma réponse, faisant un pari les yeux fermés, sans la moindre idée de ce qui m’attendait.

    3

    Emilie Novert referma le magazine qu’elle tenait entre ses mains délicates, terminées par des ongles recouverts d’un vernis rose pale. Les manches de son chemisier, d’un rose plus foncé, couvraient ses bras jusqu’aux poignets. Un pantalon de tissu noir, tenu par une ceinture, prenait la suite à partir de la taille jusqu’aux chevilles, ses pieds disparaissaient dans des souliers de cuir noir à talons de hauteur raisonnable.

    Elle vérifia sa coiffure d’un geste machinal, des cheveux bruns descendaient sur sa nuque, tenus de chaque côté par une pince d’écaille. Sans retirer ses lunettes, elle regarda sa montre : 17h40.

    Elle s’étonna, plissant ses yeux sous des sourcils fins : Charles n’était pas rentré. Lorsqu’il se

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