Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Un avril bien tranquille à Saïgon: Roman
Un avril bien tranquille à Saïgon: Roman
Un avril bien tranquille à Saïgon: Roman
Livre électronique156 pages2 heures

Un avril bien tranquille à Saïgon: Roman

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

En plein Saigon, un homme et une femme se retrouvent dans un hôtel pendant 44 heures. De quoi revivre les événements du Quatrième mois...

Un hôtel 4 étoiles de la rue Dong Khoi, ex-Catinat. Deux amants d’origine vietnamienne, venus de Paris pour revisiter leur passé. Durant 44 heures de sexe et d’amour se profile une longue histoire, celle de Saïgon d’hier et d’aujourd’hui.
Il y a aussi Tong, Ly-An, Diêu Tu, autant de personnages entre le Vietnam et la France, marqués par leur destin et le quatrième mois de l’année 1975. Le 30 avril 1975 : jour de la libération, disent les Vietnamiens du Vietnam. La chute de Saigon, disent les Vietnamiens de l’étranger, les Viêt-kiêu. Une date toujours tabou. « Parler du mois d’avril. Le Quatrième mois. Ce quatrième mois, j’ai écrit son nom sans relâche. Et dans ce roman, j’ai fait fleurir des 4 partout, ce 4 interdit, des 4 à toutes les lignes, jusqu’à ce que toi, lecteur, tu en sois malade. Mais à moi, il m’avait tellement manqué ».

Entre romances et récit historique, l'auteur revient sur un moment qui aura marqué tout un pays : la chute de Saïgon ou le jour de la libération.

EXTRAIT

L’hôtel n’est pas en Californie mais à Saïgon. Pas dans le 4e arrondissement, mais sur la rue Dông Khoi. Ly-An passe ses bras autour de son cou et plonge ses yeux dans les siens. Elle a 4 reflets dorés dans les yeux. Il pense qu’elle est sur le point de lui dire quelque chose d’important. Il retient son souffle et attend. Elle finit par parler. À voix basse : ‒ De Catinat à Tu Do, puis Dông Khoi, cette rue ne cesse de porter des noms différents. ‒ Tu Do ? Dông Khoi ? Il hésite 4 secondes et secoue la tête. ‒ Dông khoi, cela veut dire révolte. Et tu do, liberté. Ici les gens se sont révoltés non pour obtenir la liberté, mais pour la perdre ! dit-elle avant d’éclater de rire. Il sent son amertume. Puis il se dit que dans ce pays, suite à l’installation du régime communiste, non seulement les rues avaient vu leurs noms modifiés mais les dictionnaires avaient aussi subi de grands changements : la langue vietnamienne d’autrefois, cette fierté de ses parents, regorge aujourd’hui de nouvelles expressions telles que « se regonfler le moral », « exalter le slogan », « avoir l’optimisme des révolutionnaires », « suivre l’exemple de l’oncle Hô » employées tout d’abord par les dirigeants d’origine paysanne, dont le plus grand rêve était de détruire la classe bourgeoise avec toutes ses valeurs culturelles, jugées « hypocrites et nuisibles ».
- L’expression « langue de bois » existe-t-elle en vietnamien ? se demande-t-il en luttant contre le sommeil. La chambre est à nouveau plongée dans le silence. Il la prend dans ses bras, enfouit son visage dans ses cheveux. Ces 44 heures s’annoncent délicieuses, il s’arrêtera pour savourer toutes les secondes. Et ce tour de taille, cette taille si fine, si excitante.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Thuân a suivi des études à Moscou avant de s’installer à Paris et de rayonner entre Hanoi, New York et Berlin. Distinguée par le prix de l’Union des écrivains du Vietnam en 2008 et la bourse de la création du Centre national du livre en France en 2013, elle est l’auteure de huit romans dont la plupart ont été traduits en français, notamment chez Riveneuve et au Seuil. Un avril bien tranquille à Saigon a été interdit par la censure vietnamienne en 2015.
LangueFrançais
Date de sortie13 mars 2019
ISBN9782360134724
Un avril bien tranquille à Saïgon: Roman

Auteurs associés

Lié à Un avril bien tranquille à Saïgon

Livres électroniques liés

Fiction littéraire pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Un avril bien tranquille à Saïgon

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Un avril bien tranquille à Saïgon - Thuân

    Elle dit qu’il y aura des 4,

    tellement de 4 que le lecteur en sera dégoûté.

    4… comme le mois d’avril,

    celui de la guerre et de la victoire.

    À L’ATTENTION DU LECTEUR

    Je viens d’un pays hanté par son passé. Un passé dont nous, les Vietnamiens, sommes pourtant incapables de parler, et même de nommer. Il est tabou de parler du passé au Vietnam. Et pourtant, il revient sans cesse dans les conversations. Un Viêt-kiêu revient en touriste au « pays » : « Tu es parti avant ou après 75 ? » On se pose tous la question, entre Vietnamiens. C’est une façon de se situer, rapidement, de savoir dans quel camp on est/était. D’éviter les impairs aussi. 30 avril 1975. Le jour de la libération, disent les Vietnamiens du Vietnam. La chute de Saïgon, disent les Vietnamiens de l’étranger, les Viêt-kiêu. Même sur le terme, nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord. Moi-même, je ne saurais pas comment en parler, moi qui suis restée au Vietnam après 1975 – j’avais 7 ans à l’époque. Et je me souviens de l’énorme parade militaire organisée quelques semaines après le 30 avril 1975 pour célébrer « la grande victoire du printemps ». Je me souviens également de la faim qui nous poursuivait : la fin des aides internationales. Le gouvernement vietnamien, au lieu d’importer du riz et du blé pour donner à manger au peuple, a fait importer des tanks et des armes supplémentaires afin de livrer une nouvelle guerre, à la frontière Sud-Ouest, avec le Cambodge. Après mon baccalauréat, j’ai été sélectionnée parmi les meilleurs élèves pour aller faire des études supérieures en Russie. Heureusement, c’était le début de la Perestroïka. Grâce à Gorbatchev, l’Union Soviétique devenait un peu plus libre et je commençais à respirer. Une fois diplômée, je ne suis pas rentrée au Vietnam pour y construire le socialisme, comme le souhaitaient les gens du gouvernement vietnamien. J’ai décidé de m’exiler, en France, où je vis depuis 1991. J’ai écrit sept romans et c’est pourtant la première fois que j’écris sur « avril ». Ce roman devait sortir en avril 2015, pour les 40 ans de la « Libération ». Il a failli ne jamais voir le jour. Le bureau de la censure politique à Hanoï est très vigilant dès que survient le mot « avril ».

    Au Vietnam, aujourd’hui encore, il est compliqué de parler d’avril 75. Il est compliqué d’évoquer notre Histoire, tant elle est figée dans la cire du discours officiel. L’Histoire telle qu’on nous l’a enseignée dans nos manuels, telle qu’on nous la montre dans nos musées. Cette belle Histoire de propagande. Cette Histoire officielle si lointaine de notre histoire à nous, celle de nos familles divisées. C’est étrange, mais l’Histoire, au Vietnam, semble toujours parler de séparation. Avril 1975, la chute ou la libération de Saïgon ? Tout dépend si l’on faisait partie des vainqueurs ou des vaincus (sache, lecteur, qu’en général, dans toutes les familles on y trouve les deux).

    Et il y a cette autre date, 1954. Celle qui nous mettait tout de suite dans une « case », annonçait notre « pedigree ». La bataille de Diên Biên Phu, les accords de Genève et la partition du pays, divisé en deux : le Nord, prosoviétique, et le Sud, proaméricain. Imagine-toi : un pays déchiré, où pour écrire à sa famille de l’autre côté du parallèle, il fallait envoyer son courrier en France ou en Europe pour le faire passer… 1954 comme 1975, cela pouvait nous poursuivre. Une malédiction héréditaire, transmise de génération en génération : un père qui avait fui le Nord en 54 pour aller chez les traîtres du Sud ? Des oncles qui avaient fui le pays en 75 ? Pas de chance : cette faute originelle restait comme une tache d’humidité noire sur un mur, qui grandissait, grandissait. Et alors, adieu les études supérieures, les bons postes dans l’administration…

    Cela fait vingt-quatre ans que j’écris, mais je n’avais encore jamais écrit sur « avril ». Peut-être parce que je n’osais pas. Le livre a été censuré, il est finalement sorti en août dernier, puis retiré du marché, quelques semaines après, sous l’ordre de la police culturelle de Hanoï. Je ne suis pas rentrée au Vietnam pour sa sortie. Les journalistes et les critiques littéraires ont été « conseillés » par leurs supérieurs de ne pas écrire sur ce roman. « Trop sensible ». Qu’importe, j’avais osé.

    Parler du mois d’avril. Le Quatrième mois. Ce quatrième mois, j’ai écrit son nom sans relâche. Et dans ce roman, j’ai fait fleurir des 4 partout, ce 4 interdit, des 4 à toutes les lignes, jusqu’à ce que toi, lecteur, tu en sois malade. Mais à moi, il m’avait tellement manqué.

    CHAPITRE I

    1

    Anh est née 44 jours après le Têt¹. Linh, 44 jours avant le Têt, l’année suivante. On aurait cru deux sœurs jumelles : chacune mesurait 44 centimètres et pesait 4 kilos à la naissance. Plus tard, elles allaient toutes les deux au lycée à bicyclette, en ao dai blanc et cheveux au vent.

    À leur arrivée en France, des manteaux noirs ont remplacé les ao dai blancs. Elles ont coupé leurs cheveux jusqu’aux épaules et rangé leurs bicyclettes sous le lit. Elles étaient toujours comme des sœurs jumelles.

    Sur le dossier de demande de carte de résident, la photo de Anh était en fait une photo de Linh. La police française n’y a vu que du feu. Ils ont dit : - C’est formidable, vous avez l’air d’aller beaucoup mieux !

    Dans les lettres envoyées à leur famille, la photo de Anh était aussi une photo de Linh. Leur mère n’y a vu que du feu. Tout le monde, dans la famille, n’y a vu que du feu. Les voisins aussi. Tout le monde a dit : - C’est incroyable, on croirait une parfaite petite Française !

    Anh ne voulait pas se faire prendre en photo à l’extérieur. Ni dans la chambre. Elle ne voulait pas être prise en photo. Elle ne voulait rien faire. Ni aller nulle part. Pour amener Anh à la police ou chez le médecin, Linh devait l’y contraindre et le seul moyen était les larmes.

    Les médecins n’ont trouvé chez Anh aucune maladie. Ils étaient désemparés. Mais la médecine française ne se laisse pas abattre comme ça. Alors vint le tour de psychiatres, qui ne trouvèrent chez Anh aucune pathologie.

    Plus tard, Linh comprit qu’Anh n’était pas malade : elle avait simplement perdu la raison. Elle l’avait perdue depuis les événements d’avril 1975.

    Plusieurs jours avant le départ du bateau pour la France, Anh était pétrifiée. Linh et leur mère ont pleuré dans les bras l’une de l’autre. Le chat noir miaulait dans un coin de la maison et la pluie délavait la cour. Anh n’a versé aucune larme. Elle n’a pas répondu aux questions de leur mère, ni aux questions de Linh. Elle est restée muette toute la nuit, sans fermer l’œil, et sans verser une seule larme.

    L’année de ses 44 ans, il décida de se marier, de devenir propriétaire et d’ouvrir un cabinet près de chez lui. Quand on atteint cet âge, on s’aperçoit qu’il n’y a plus beaucoup de choix possibles, pour ne pas dire plus du tout. À 44 ans, il apprit la mort de Linh. Cela non plus, il ne l’avait pas choisi. C’est sa femme qui l’en informa, un jour par hasard, juste avant leur déjeuner : À 4 heures ce matin, un petit bateau de tourisme, immatriculé PQ444, a coulé accidentellement près de l’île de Hon Thom, dans la province de Phu Quôc. Une citoyenne française se trouvait parmi les victimes étrangères… Quelques minutes plus tard, alors qu’il mâchait sa première bouchée, sa femme se remit à lire, toujours aussi fort. Elle fait partie de ces femmes indifférentes à leur mari mais qui vouent une passion sans bornes aux faits divers et à l’immobilier. Elle est capable de passer sa journée entière sur le Net avec des boulettes de bœuf au fromage pour seul repas.

    Le ministère français des Affaires étrangères a exprimé son soutien à la famille de la victime. La police régionale se prépare à ouvrir une enquête. L’agence de voyages locale a promis des indemnités, conformément aux lois d’assurance du pays.

    La liste des victimes. Le nom de Linh était le premier. Il frissonna en entendant son nom. Il frissonne toujours dès qu’il pense à elle.

    Sa femme surfa sur le Net durant tout le déjeuner, cherchant sur des sites différents le montant des futures indemnités pour les familles des victimes, puis sur d’autres sites la liste des passagers miraculés. Enfin, elle s’arrêta pour lui demander s’il avait un problème au travail, car il mâchonnait la même boulette sans l’avaler. Il ne dit rien. - 4 boulettes, ce n’est peut-être pas assez pour toi ?

    Il ne répondait toujours pas.

    - Si cet accident avait eu lieu en France, les indemnités auraient suffi pour acheter un 4 pièces en plein centre de Paris.

    Il ne disait toujours rien. Et elle d’ajouter :

    - L’essentiel, c’est de bien payer l’avocat. Donner un œuf pour avoir 4 bœufs.

    Il restait muet. En temps normal, il aurait essayé de trouver les mots pour la complimenter. Tout comme il s’efforçait toujours de trouver les mots pour complimenter ses patients. À 44 ans, il comprit que faire des compliments lui demandait toujours un effort surhumain.

    Comme d’habitude, après leur déjeuner, sa femme se leva, lui amena solennellement son chapeau et son pardessus, l’accompagna sur le pas de la porte en lui donnant une tape dans le dos. Les premières fois, il avait eu le sentiment étrange d’être chassé de la maison. Puis il s’y habitua. Tout comme il s’accommoda des dettes qu’il avait contractées dans différentes banques, tant pour l’achat de leur maison que pour le rachat de son cabinet.

    Il ne se rappelle plus très bien comment se déroula son après-midi au cabinet, si ce n’est qu’il avait à peine 4 secondes pour respirer et une crampe au poignet à force de délivrer des ordonnances. Dès le début de sa carrière, il avait fait ce constat crucial : que les patients aient besoin ou non d’un traitement, il fallait leur donner une ordonnance d’au moins 4 médicaments et plus chers ils étaient, plus les patients avaient envie de revenir.

    À 4 heures de l’après-midi, il s’arrêta, mit ses stylos dans leur boîte, rangea celle-ci dans le 4e tiroir de son bureau, retira sa blouse et éteignit les 4 lampes de la pièce. Par chance, il n’y avait plus un seul patient dans la salle d’attente. À l’accueil, sa secrétaire lui dit qu’une patiente venait d’appeler : de retour d’Asie et manifestant les symptômes de la malaria, elle demandait à le voir au plus vite. - Dites-lui d’aller directement aux urgences, répondit-il.

    La secrétaire sourit jusqu’aux oreilles, bien heureuse de pouvoir rentrer plus tôt.

    Dans le taxi, en regardant les longues files de voitures grisâtres, il s’aperçut qu’il avait oublié son chapeau et son pardessus au cabinet. Heureusement, il gardait toujours sa carte bleue et sa carte d’identité dans la poche de son pantalon. Alors que le taxi se lançait sur l’autoroute A4, il se mit à pleuvoir, plutôt fort pour un début de mois d’avril. Il demanda au chauffeur de remonter les vitres, en remarquant avec surprise qu’il lui avait demandé le contraire 4 minutes plus tôt, alors que des nuages noirs s’amoncelaient dans le ciel. La nuit tombait. Mais les lampadaires n’étaient pas encore allumés. La ville s’embourbait sous la pluie. Il n’y avait plus âme qui vive, seulement 44 parapluies noirs mouvants, 44 arbres tous dépouillés de leurs feuilles et 44 véhicules glissant vers le néant.

    Le chauffeur le regarda dans le rétroviseur, tout comme lorsqu’il lui avait indiqué l’adresse des 4 Magots.

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1