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DJ ICE: Roman pour ados
DJ ICE: Roman pour ados
DJ ICE: Roman pour ados
Livre électronique305 pages4 heures

DJ ICE: Roman pour ados

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À propos de ce livre électronique

Marley Johnnywas Dylan est un jeune passionné de musique qui combine le sens des responsabilités avec des hobbies branchés

Le jour, Marley étudie d’arrache-pied pour ne pas perdre sa bourse d’étude dans la très sélect high school que fréquentent de nombreux snobs privilégiés, tout en rêvant à la belle Lea Hall. Le soir, il bosse dans une pizzeria pour payer le loyer et entretenir sa mère héroïnomane. Son rêve ? Devenir un D.J. professionnel, passer ses nuits derrière ses platines à tirer des sons époustouflants de ses “bootlegs”, “mashups” et “medleys”. Quand le hasard lui ouvre les portes d’une boîte de nuit en tant que D.J., Marley voit sa vie s’emballer, entre la musique électro, les clubs embrumés et les nouveaux amis. Mais quand le malheur le frappe, il doit choisir entre sa passion et sa famille. Dans ce roman, l’auteur brosse un portrait puissant et inspirant d’un garçon qui essaie de suivre sa passion malgré les revers du destin.

DJ Ice est un roman moderne, captivant, nuancé, avec des personnages bien éloignés des archétypes du genre. D’habitude, on a les bons élèves un peu coincés qui sont issus d’une famille modèle, et puis les cancres populaires mais mal éduqués. Ici, on rencontre des. Qui peuvent respecter leur famille mais se révolter parfois. Avoir plein de copains et aussi être amoureux.

Age conseillé : 13 ans et plus

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

- "Dans ce roman, l'auteur brosse un portrait puissant et inspirant d'un garçon qui essaie de suivre sa passion malgré les revers du destin." - Le monticule musique

- "Une belle découverte !" Sophielit

- "Un excellent roman réaliste traçant le portrait d’un adolescent pondéré. Un jeune habité par ses rêves tout en ayant les deux pieds dans le monde réel dans lequel il vit sans hargne mais non sans émois. Ce personnage riche d’émotions et de sentiments authentiques m’a séduite. Je serais bien allée entendre sa musique. Marley est un jeune sympathique et réservé tendant vers son rêve dans un milieu ordinairement présenté sur fond de violence. J’ai adoré ce livre." - Vivrelire

À PROPOS DE L'AUTEURE ET DE LA TRADUCTRICE

Étant au départ une lectrice récalcitrante, Love Maia voit son écriture comme une occasion de tendre la main à d’autres lecteurs récalcitrants grâce à des textes qui leur parlent en mêlant littérature et musique. Elle aime le hip-hop underground, les pizzas, le brouillard, les tartes au fromage, le Death Metal et les papillons. Ce qu’elle n’aime pas, c’est les gens qui vous ignorent quand vous dites bonjour, faire du shopping dans les centres commerciaux, téléphoner, la violence et les stéréotypes. Son espoir est que son roman "DJ Ice" inspire ses lecteurs et les encourage à raconter l’histoire de leur propre vie et leurs rêves. Lorsqu’elle ne travaille pas à son prochain roman, elle joue de la batterie dans un groupe de rock alternatif.

Après une carrière dans la banque et l’assurance en France pendant une bonne dizaine d’année, Anne Cohen Beucher a été rattrapée par sa passion des livres et des langues, et a repris des études de traduction en Belgique. Elle a obtenu le Master en Traduction de l’Institut Supérieur de Traducteurs et Interprètes en juin 2012. Elle traduit de l’anglais et de l’espagnol et est par ailleurs lectrice jeunesse pour des éditeurs français et membre de l’Association des Traducteurs littéraires de Belgique.
LangueFrançais
Date de sortie13 févr. 2015
ISBN9782511031162
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    Aperçu du livre

    DJ ICE - Love Maia

    Marley.

    1

    Mixer dans un club, c’est mon rêve, mais ma réalité ressemble plus à ça : aller au lycée, rentrer à la maison, étudier, aller bosser, bosser, marcher jusqu’au Fever, rêver, rentrer à la maison, encore étudier, aller au lit, se lever. Et on recommence.

    — Salut, M’man, je marmonne, encore endormi, en traversant le petit salon de notre appart pour aller à la cuisine.

    Ma mère ne répond pas, elle ne le fait pratiquement jamais.

    J’attrape les céréales dans le placard et, encore dans le gaz, je fouille dans le frigo avec des gestes machinaux à la recherche de lait.

    Il n’y a pas de lait. Les seuls trucs qui restent sont un paquet de nuggets de poulet (format familial), un plat de haricots et de riz, la moitié d’une plaquette de beurre, et un pot de compote de pommes presque vide.

    Je passe la tête dans le salon et je m’adresse aussi calmement et patiemment que possible à ma mère :

    — M’man ? Où est passé le lait ?

    Ma mère est affalée dans le canapé, à sa place habituelle. Immobile, elle fixe le poste de télévision, comme si elle ne m’avait pas entendu. Des cernes profonds marquent ses joues sous ses yeux marron vides. Elle a la peau sur les os, son teint est verdâtre, transparent et marbré de veines. À force de rester sur ce canapé sans se coiffer, ses cheveux, autrefois de magnifiques boucles épaisses d’un noir brillant, forment désormais une masse informe, tout emmêlée.

    Ma mère est une pure junkie, autrement dit carrément accro à la dope, et camée jusqu’à l’os en plus. Le genre de toxico qui n’a pas de job et qui passe tout le temps où elle ne se shoote pas à essayer de trouver comment se faire son prochain fix. Et quand je parle de dope, je veux dire de la dure : brown sugar, blanche, junk, smack. Ou, comme le définirait un bon vieux dico, de l’héroïne.

    Elle avait seulement quatorze ans quand elle est entrée à l’hôpital pour une prise de poids anormale. Verdict à la sortie : elle en était à son cinquième mois de grossesse. Bizarre qu’une personne puisse être enceinte de cinq mois sans s’en apercevoir, non ? Sauf quand tu connais ma mère.

    Et comme elle avait la trouille de le dire à la sienne, M’man s’est enfuie de la maison de ses parents, les larmes aux yeux et moi bien au chaud dans son ventre. Son mec, Rodney Dylan (mon futur père), avait laissé tomber l’école l’année d’avant et vivait dans un studio HLM pourri quand elle a débarqué.

    Quatre mois plus tard, mes parents et leur bande de potes avaient des tickets pour un de ces festivals de musique où les gens campent au bord d’une rivière pendant une semaine et regardent des groupes jouer. Cette fois-là, c’était en l’honneur de l’immense et regretté Bob Marley. Ma mère a commencé à avoir des contractions le premier jour du festival. Mais au lieu de se faire conduire à l’hôpital, comme toute personne sensée l’aurait fait, elle est restée.

    Je suis né dans une tente de premiers secours à côté de la scène principale pendant une chanson pas très connue de Bob Marley, Johnny Was. Elle raconte l’histoire d’un gars qui se prend une balle perdue en pleine rue. Sa mère pleure sa mort et n’arrête pas de se demander pourquoi, et de crier que « Johnny était un bon gars qui n’avait jamais rien fait de mal ».

    Ma propre mère devait gueuler, elle aussi, sa voix couverte par les cris de la foule. Et je suis arrivé. Marley Johnnywas Diego-Dylan, nouveau-né parmi les milliers de fans de Bob Marley, la musique me déchirant les tympans tandis que je poussais mes premiers cris en avalant à pleins poumons l’air saturé de cannabis.

    J’ai grandi en rêvant de cette musique et d’une vie meilleure. Maintenant, à seize ans, je rêve toujours, plus que jamais. Je rêve que mon père est encore vivant. Que ma mère arrête la dope. Que je n’ai plus besoin de bosser à plein temps pour payer le loyer, les factures et la bouffe. Je rêve d’avoir zéro responsabilité dans la vie sauf celle d’être un ado. Je rêve que tout ça n’était qu’un mauvais rêve, justement, et que je trouve un lieu pour ma musique comme Bob Marley a dû, lui aussi, rêver d’en trouver un pour la sienne à l’époque.

    — M’man, j’essaie encore. J’ai acheté plus de cinq litres de lait hier. Qui a tout bu ? Ton mec ?

    Pas de réponse. Parfois, je me demande bien pourquoi je m’emmerde.

    — Je dois me préparer pour aller à l’école, mais on pourrait en parler ce soir. S’il te plaît. D’accord ?

    Elle change de chaîne – sa manière de me dire qu’elle a compris – et fixe de ses yeux injectés de sang un de ces talk-shows matinaux où des animateurs débattent de trucs sans intérêt pendant des heures.

    Ma mère n’a pas toujours été toxico. Elle a commencé la drogue après la mort de mon père, il y a quatre ans. Au début, on était tous les deux super déprimés. Mais elle, avec sa dépression, en un an, elle a sombré dans l’alcoolisme. Puis, l’alcool a été remplacé par les antidouleurs. Et les antidouleurs, par l’héroïne. Elle se shoote depuis un an et demi maintenant. Parfois, j’ai l’impression de la regarder mourir à petit feu.

    Je prends une douche rapide et je m’habille pour les cours avec un jean baggy de skate, un tee-shirt noir, une paire de baskets et une casquette Etnies. J’ai des casquettes Etnies en noir, blanc, rouge et gris foncé avec lesquelles je couvre mon crâne rasé de près. Et, aujourd’hui, j’ai envie de noir.

    Je suis plutôt gaulé comme une allumette. Pas vraiment un corps d’athlète, c’est sûr. Mais j’ai grandi à fond cette année et je mesure presque un mètre quatre-vingt-dix. Ce qui plaît pas mal aux filles, j’avoue. J’ai toujours une tête de gamin, mais les filles craquent pour les mecs grands aux gueules d’anges, donc ça ne me dérange pas. Et j’ai hérité des gènes pas trop dégueu de mes parents. Être moitié Black, moitié Portoricain s’est révélé être un plus dernièrement : ce n’est pas souvent que tu vois ce genre de mélange, en fait.

    Dans le bus, je pousse le volume de mon iPod à fond et je jette un œil sur les fiches que j’ai préparées pour la présentation sur Ernest Hemingway que je dois faire en cours de littérature aujourd’hui. Ça fait seulement un mois que l’année scolaire a commencé et j’en suis déjà à mon deuxième exposé. Je suis nul à l’oral. Et ma première présentation était pourrissime.

    Mais ce n’est pas grave, parce que celle-là sera différente. Cette fois, je vais être cool, rester calme et concentré. La vie d’Hemingway, je vais la raconter les doigts dans le nez. Je regarde la première fiche sur laquelle j’ai écrit en grosses lettres capitales :

    ERNEST HEMINGWAY

    EST NÉ EN 1899

    À CHICAGO, ILLINOIS

    Hemingway.

    1899.

    Chicago.

    Facile.

    2

    — Euh… alors… euh, Ernest Hemingway était originaire de Chicago. Enfin, j’veux dire que c’est là qu’il est né, en fait. Je sais pas trop combien de temps il y est resté, ni où il a vécu après dans sa jeunesse… Et, euh… c’est dans l’Illinois. Chicago, bien sûr, pas Hemingway. Enfin, il était aussi en Illinois, il est né là-bas, en tout cas. Euh. en. 1899.

    Peut-être pas si facile que ça, finalement.

    — Euh… et il a aussi été soldat. Pendant la première guerre mondiale. Oh, et… euh, la guerre civile espagnole aussi. Il y était. Les deux, en fait. Guerres, je veux dire.

    — N’oublie pas de regarder ton public, Marley, le contact visuel., me rappelle madame Beckett en souriant gentiment.

    Regarder la classe ? Elle plaisante ? Je suis trop occupé à la torturer, plutôt.

    — En 1952, Hemingway a écrit un roman intitulé Le Vieil Homme et la mer, et… il a… euh… remporté le prix Pulitzer. Attendez, non. Non… euh… Si. Pulitzer. Le prix Pulitzer.

    Au premier rang, Mélanie Jergens fait claquer son chewing-gum sans arrêt : le bruit éclate dans mes oreilles, des petits coups secs, super énervants. Elle le fait exprès, pour me déconcentrer. Comme Brittany Danes, qui, elle, fait exprès de pousser des gros soupirs bien lourdingues. Elles me lancent des petits sourires de pestes chaque fois que je pratique « le contact visuel ». C’est malpoli, mais bon, c’est comme ça qu’elles sont les Favos à l’école privée d’Ellington. Elles s’arrangent pour être systématiquement pestes avec ceux qui ne sont pas comme elles. J’essaie de fixer un point dans le vide, mais je finis toujours par revenir sur Mélanie ou Brittany. Impossible de faire autrement.

    — Il a aussi eu le prix Nobel. Euh… c’était en 1954… C’est LE prix en littérature. Enfin, celui-là et le Pulitzer, les deux sont top. Des super prix, je veux dire. Euh… des super prix littéraires, en fait.

    Richie Edwards, Jordan Max et Steve O’Neil ricanent silencieusement au fond de la classe. Enfin, ils font semblant d’être silencieux, alors qu’en fait, ils ne cherchent qu’une chose : être sûrs que j’ai bien vu qu’ils se foutent de ma gueule. Comme d’habitude, notre gentille prof de littérature, la vieille madame Beckett, ne remarque rien.

    — Quand Hemingway est parti à Cuba…

    J’ai la bouche sèche. Mon tee-shirt est trempé aux aisselles. Mon pied gauche me démange, je ne sais pas pourquoi. Je réessaie « le contact visuel », mais, cette fois, je tombe sur Lea Hall, direct. Elle m’ignore complètement. Elle est occupée à écrire dans un carnet rose. Sûrement un truc à propos d’un petit copain parfait dont elle est raide dingue. Un mec de rêve, super riche, plus âgé (bien sûr) et qui va dans une fac de rêve avec une spécialisation de rêve.

    Je dois reconnaître que Lea est la plus jolie fille que j’ai jamais rencontrée. La plupart des mecs trouvent que Mélanie est plus sexy, mais c’est parce qu’ils ne savent pas de quoi ils parlent. Mélanie est un peu vulgaire. On la voit venir, avec ses petits hauts décolletés, ses mini-jupes et ses jeans slim.

    Lea, elle, se couvre un peu plus, mais, sous ses fringues, tu devines quand même qu’elle est bien foutue, et je trouve ça plutôt excitant d’imaginer ce que je ne peux pas voir. Ses airs de fille de bonne famille, teint frais, yeux marron, toujours bon chic bon genre, me donnent bien plus envie de lui sauter dessus et de l’embrasser comme un malade que si elle s’habillait comme une pétasse. Elle ne porte pas des tonnes de maquillage, contrairement à la plupart des filles de l’école. Elle n’en a pas besoin.

    Je jette un coup d’œil sur mes cartes et je la regarde à nouveau. Merde, je suis lourd, et, pourtant, elle ne semble jamais remarquer que je la fixe. Elle devrait sentir mes yeux brûlants comme des charbons ardents qui la transpercent. Ben, même pas ! Elle ne relève jamais la tête.

    Je la regarde entortiller une mèche de cheveux blonds derrière son oreille et mordiller son crayon. J’adore quand elle fait ça, son truc avec la mèche derrière l’oreille. Je l’imagine assise, seule dans la classe, les cheveux qui volent au vent dans un mouvement ralenti trop sexy. Dans mes fantasmes, elle me fait un clin d’œil et m’envoie un lent baiser sensuel.

    Juste à ce moment-là, Richie lâche un énorme rot, qui me ramène à la réalité en sursautant. Pris par surprise, je lâche mes fiches qui s’éparpillent sur le sol. Toute la classe éclate de rire. Jordan se penche au-dessus du bureau de Steve pour toper dans la main de Richie : un high five en règle.

    — Messieurs, s’il vous plaît, intervient enfin madame Beckett.

    Richie se balance sur sa chaise en se frottant le ventre avec un grand sourire satisfait. Je m’agenouille et ramasse mes cartes à la va-vite, j’en fais un tas et je me redresse alors que les derniers gloussements se font entendre. Ils m’ont complètement déconcentré. Comme si je n’étais pas assez nerveux comme ça. Mais c’est le comportement classique des Favos (les mecs, cette fois) populaires à Ellington. Ils sont pires que les filles.

    Mon regard se pose sur cette étendue de visages, l’air mortellement ennuyés ; mes fiches sont toutes mélangées. Je déteste ce cours. Je déteste comme je me sens seul ici.

    — En 1952, Ernest Hemingway a écrit ce roman, Le Vieil Homme et la mer et a… euh… remporté le prix Pulitzer.

    — Hé ho ? Allô ?

    C’est Ritchie qui crie.

    —Tu nous l’as déjà dit !

    Je lève les yeux et je chope Steve, l’index et le pouce en forme de L sur le front, en train d’articuler silencieusement : « Loser ».

    Jordan, lui, se gratte le nez avec son majeur.

    Quelle bande de connards ! Si j’étais encore dans mon ancien lycée, je le leur aurais balancé dans les dents en sortant de cours, mais, ces derniers temps, je ferme ma gueule. Surtout en littérature, vu que, dans cette classe avancée, je me coltine tous les pires bourges de Favos de seconde, ou presque, et qu’aucun ne vaut la peine qu’on lui rentre dedans. Je n’ai pas envie de perdre ma bourse d’études. Reste calme, Marley. Prends sur toi pour le moment.

    — Bien, ton exposé, Marley ! me lance Richie en me tapant sur l’épaule.

    Jordan, Steve, Jason Camp et lui se retournent pour me regarder et éclatent de rire en remontant le couloir. Je n’ai aucune envie de les suivre. Mais on a cours ensemble de l’autre côté du campus et il n’y a pas d’autre moyen de se rendre à la gym en cinq minutes. Je mets mon casque et je pousse le volume à fond, histoire de ne pas les entendre. Je fixe sans les voir leurs visages grimaçants et leurs bouches qui s’agitent à toute blinde. Je me concentre sur la mélodie dans mes oreilles. La musique m’aide toujours à m’en sortir quand je suis seul.

    Je les suis à l’extérieur du bâtiment et là, je vois Charles « Chuckie » Wu et Reginald « Scuzz » Owens qui se dirigent vers nous. Ils s’approchent des Favos d’abord, et Scuzz va direct provoquer Richie, avec un petit coup de tête agressif à quelques centimètres de son visage. Richie répond en hochant la sienne rapidos et s’éloigne sans demander son reste. Il rejoint les trois autres et ils accélèrent le pas en direction des vestiaires. En observant la scène silencieuse qui se déroule sous mes yeux, je ne peux pas m’empêcher de sourire.

    Scuzz s’approche de moi. On se serre la main. Je me tourne vers Chuckie pour lui faire un check. Je ne suis plus seul. Mes potes sont là, maintenant.

    — Ta présentation a dû être sacrément merdique, me balance Scuzz cash alors qu’on se dirige vers les vestiaires.

    — Comment tu sais ça ?

    — Ben, d’abord ces petits merdeux-là, fait-il avec un geste du menton en leur direction, ces dégonflés de Favos, en parlaient en sortant du bâtiment en se fendant la gueule.

    — Et puis, ajoute Chuckie, toutes tes présentations sont à chier.

    Je hausse les épaules en guise de réponse. Il a raison. Elles sont à chier.

    — En parlant de choses qui sont à chier…, dit Scuzz en haussant les sourcils.

    — Gym, je termine pour lui. T’es bien content de jouer au football et de pas avoir à y aller, pas vrai ?

    — Ça, c’est sûr !

    — Tout le monde n’est pas une star comme toi avec un ballon de football entre les mains, Scuzzy, râle Chuckie.

    Scuzzy s’esclaffe bruyamment et nous fait un dernier check avant qu’on entre dans les vestiaires :

    — Heureusement pour moi !

    J’entends encore son rire quand la porte se referme derrière nous.

    Entrer dans les vestiaires du gymnase, c’est comme passer les portes de l’enfer. Quand j’imagine l’enfer, j’y vois toujours notre prof de gym, madame Tyler – cornes rouges sur le haut du crâne et longue queue effilée qui se balance de droite à gauche – nous accueillir avec un vieux ballon de basket dégonfié ou une raquette de badminton pourrie.

    Bon, c’est un peu exagéré comme tableau, mais je ne peux pas m’en empêcher. Scuzzy a raison : la gym, ça craint. Pas seulement parce que je ne suis pas du genre sportif : c’est un fait. Pas parce que le matériel est naze non plus, vu qu’il ne l’est pas. On est quand même à Ellington, pas vrai ? Rien n’est jamais vieux ou dégonflé ici. Non, c’est le fait qu’on n’est pas capable d’apprendre à jouer à un seul sport d’équipe correctement qui fait de la gym une vaste blague.

    — Hé, les Transplantés, ça baigne ? fait Chuckie à Will, KC, et Juan en les retrouvant devant nos casiers.

    — Tout baigne ! Salut à vous, espèces de simili Transplantés ! nous répond Will.

    Transplanté : étudiant issu d’un foyer à faibles revenus transféré au très célèbre, élitiste et réputé lycée d’Ellington, une école privée méga friquée, qui s’est finalement mise à la discrimination positive l’année dernière en intégrant trentetrois élèves boursiers à son millier d’étudiants.

    Je ne me souviens plus lequel d’entre nous a trouvé ce nom. Peut-être bien Chuckie. Les autres à l’école utilisent plutôt l’appellation officielle : les Transferts ou Étudiants boursiers. Mais nous, on voulait un nom bien à nous, qui nous rappellerait constamment qui on est et d’où on vient.

    Tu vois, si tu bénéficies d’une greffe d’organe, et que la greffe prend, ça peut te sauver la vie. Mais, le transplant, l’organe d’origine, quoi qu’il arrive, a toujours appartenu à quelqu’un d’autre. Aller à Ellington ne va peut-être pas nous sauver la vie « physiquement », mais ça pourrait sacrément changer la gueule de notre futur, ce qui, techniquement, revient au même. Même si Ellington ne nous appartient pas vraiment, pas comme un vrai transplant. C’est plutôt un prêt temporaire, disons ; un emprunt qu’on fait aux gamins privilégiés qui vivent dans des baraques avec tous ces trucs : des cheminées, des jardins et des machines à laver dans lesquelles t’as même pas besoin de mettre de pièces. On s’appelle les Transplantés entre nous pour ne pas oublier que, dès que la cloche a sonné, on rentre tous dans nos ghettos pourris.

    Favos : c’est le nom qu’on a trouvé pour les étudiants les plus populaires d’Ellington. On les appelle les Favos parce qu’ils sont favorisés. Ils ont tout et plus encore, et ils se croient supérieurs à tout le monde. Mais on n’utilise ce surnom qu’entre nous. On ne le ferait pas devant eux. On a un minimum de respect, nous.

    — Alors, ton speech, Marley ? Ça a été comment ? demande Will.

    — Pas terrible, je réponds en ouvrant mon casier et en balançant ma casquette sur l’étagère.

    J’enlève mon tee-shirt, et j’enfile le maillot de sport réversible bleu et jaune et mon short de gym. Je mets le maillot côté jaune. On joue au soccer cette semaine et je suis dans l’équipe des jaunes.

    — Richie et les autres l’ont cherché, explique Chuckie. Pas vrai, Mar ?

    Je hoche la tête :

    — Je comprends pas pourquoi ils font ça.

    — Ils font ça parce qu’ils se croient supérieurs à tout le monde, dit Juan. Des mecs comme Richie nous cherchent parce qu’ils veulent nous rabaisser en permanence. Surtout toi, vu que t’es le seul Transplanté dans ce cours.

    — J’t’assure, mec, dit KC, ce Richie Edwards, ça fait bien longtemps qu’on aurait dû lui botter son sale cul de Favos.

    — Richie Edwards…, répète Will en remuant vigoureusement la tête comme s’il pouvait simplement le faire disparaître en la secouant suffisamment fort. D’ailleurs, comment tu peux oser appeler ton gamin Richie quand tu es riche à crever ?

    — Son prénom, c’est même pas Richard, insiste Juan. C’est Rich. Y a des mecs riches qui ont vraiment appelé leur gamin Rich. Putain, qui est assez con pour faire ça ?

    — Comme si ma mère m’avait appelé Pauv’, dit Will.

    Tout le monde éclate de rire et Chuckie passe son bras autour des épaules de Will en lui disant :

    — Allez, viens, Pauv’. Sortons d’ici et allons voir si tu es meilleur gardien que Will.

    On sort du vestiaire en traînant les pieds et on va sur le terrain pour une partie d’un truc qui ressemble vaguement à du soccer, mais qu’on ne peut pas décemment appeler comme ça. Notre match ne ressemble pas à grand-chose, en fait. On tape dans la balle dans tous les sens, sans objectif ni technique. C’est le problème de ce cours de gym. On touche à tout, mais on n’apprend jamais rien vraiment.

    Par contre, j’adore avoir gym dehors, dans les bois. Je fixe le soleil qui brille paresseusement sur chaque brin d’herbe du terrain. Il réchauffe le bâtiment derrière nous et me permet de passer en mode rêverie éveillée. La musique dans ma tête colle parfaitement avec l’ambiance, le soleil, les arbres, l’herbe. C’est une mélodie entraînante avec une touche de mélancolie, mais tellement vraie. Je repense aux gens que j’ai vus hier à l’extérieur du Fever et j’essaie de m’imaginer en train de mixer pour eux : je me demande s’ils accrocheraient au set que je suis en train de créer.

    Si je devais décrire le Fever en un mot, ce serait irréel. Quand tu t’approches du club, tu as l’impression d’entrer dans une autre dimension. Il y a un énorme skytracer les vendredis et samedis soir, comme pour une première de ciné ou un truc dans le genre. On voit de très loin les faisceaux lumineux blancs du projecteur balayer le ciel, et les spots multicolores qui ornent la façade extérieure du bâtiment baignent la foule de reflets bleus, rouges, jaunes et verts. C’est assez magique, la manière dont le club est illuminé, et ça donne à tout le monde un côté super glamour.

    Un son perçant me vrille les tympans : madame Tyler siffle comme une folle. Je me demande bien pourquoi.

    Le cours est presque fini et aucun des deux camps n’a marqué. Je vois K.C. et Richie se battre pour envoyer la balle dans des directions opposées alors qu’ils sont dans la même équipe. Je laisse mes pensées revenir au Fever en me demandant quand ce sera mon tour de passer les cordons de sécurité rouges pour faire danser les clients au son de mes mixes.

    Je me prends à souhaiter de ne plus devoir travailler jusqu’à l’épuisement tous les jours après les cours pour gagner juste ce qu’il faut pour garder un toit sur nos têtes, à M’man et à moi. Je m’imagine être payé pour plonger mes mains toute la nuit dans des bacs à disques plutôt que dans l’eau bouillante pleine de vaisselle sale comme aujourd’hui. Je me vois être un de ces VIP qui ne font pas la queue au Fever et entrent directement en passant devant tout le monde, au lieu d’être un de ces mecs qui nettoient derrière les VIP. Je rêve que je suis quelqu’un d’autre.

    3

    — S’lut, M’man, je crie en passant la porte de l’appart de retour de l’école.

    Je file dans la cuisine, je balance mon sac à dos par terre et je sors des restes du frigo pour préparer le dîner. La plupart des soirs, je mange un truc au Spazio avant de commencer mon service, ça m’économise du fric, mais je dois préparer un repas correct pour ma mère une fois par jour. Si je ne lui cuisine rien, elle ne mange pas.

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