Parlons foot autrement !: Etude incarnée et située de son enseignement
Par Philippe Sibut
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À propos de ce livre électronique
Ne nous y trompons pas, le neuro-cognitivisme a beaucoup apporté au sport. Mais il agonise aujourd'hui de ses dérives et de ses propres travers. Si les sciences cognitives ont depuis longtemps tourné cette page, qu'attendons-nous pour en faire de même sur le terrain ? A la lumière des avancées de la recherche contemporaine, cet essai réinterroge les construits culturels des sports collectifs afin de proposer de nouvelles pistes pédagogiques.
Certains trouveront là de quoi conforter leur pratique empirique, tandis que d'autres verront leurs certitudes bousculées. Tant mieux ! Peut-être leur créativité se libèrera-t-elle enfin ? Peut-être dépasseront-ils les chimères et les clichés ? Peut-être parviendront-ils à voir et à enseigner le foot, autrement ? Pour que nos enfants jouent le sourire au coeur, pour qu'ils s'élèvent sur leur propre chemin et pour que la passion les y guide durablement, le coach doit engager une véritable quête de sens. C'est là tout l'objet des défis parcourus dans ce livre.
Philippe Sibut
Philippe Sibut est titulaire d'un diplôme d'études supérieures spécialisées, option football, et d'une maîtrise en sciences cognitives appliquées. Educateur, formateur et directeur technique, il livre ici une synthèse de ses travaux et de ses expériences dans l'enseignement des sports collectifs.
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Aperçu du livre
Parlons foot autrement ! - Philippe Sibut
TABLE DES MATIÈRES
Préface de Christian Gourcuff
Préface de Louis Quéré
Avant-propos
Introduction
— LE DOMAINE D’INVESTIGATION —
1. Le football, oui, mais lequel ?
— LE CADRE SCIENTIFIQUE —
2. Les sciences cognitives
— LES EXPLICATIONS —
I. FOOTBALL, JEU ET SITUATION DYNAMIQUE
1er défi de l’éducateur : le football, c’est quoi ?
3. La réalité du football
Synthèse : pour jouer au foot, il faut jouer au foot !
II. SUJET, ACTION ET APPRENTISSAGE
2e défi : quelles théories pour l’action et l’apprentissage ?
Qu’est-ce qu’une action ?
4. La logique discursive : des mots pour le faire
5. Le neuro-cognitivisme : des calculs sur des symboles
6. La neuro-écologie : des réseaux vivants
Synthèse : du miroir aux alouettes cognitiviste aux réalités neuro-écologiques
7. L’action et son apprentissage
Note pédagogique no 1 : auto-organisation dynamique à guider
Note pédagogique no 2 : situer l’action pour la faire exister !
Note pédagogique no 3 : percevoir l’action au bon niveau
Note pédagogique no 4 : le paradoxe de l’automatisme
Synthèse : l’action experte et son apprentissage
III. LA MODÉLISATION DU FOOTBALL
3e défi de l’éducateur : enseigner avec quel scénario ?
8. Introduction au scénario conceptuel
9. Schématiser le football
Note pédagogique n° 5 : le sens recouvré du football
10. Les espaces d’action : un scénario énactif
Synthèse : l’éducateur et le scénario conceptuel
IV. L’ÉDUCATEUR ET L’ENTRAÎNEMENT
4e défi : méthodes et procédés d’entraînement
Étude des relations entre le joueur et le jeu
11. La capture environnementale, des transactions contingentes
Note pédagogique no 6 : fabriquer la matrice du progrès
12. La capture intentionnelle, des transactions possibles
Note pédagogique no 7 : exercer la prise de décision !
13. La capture opérationnelle, des transactions nécessaires
Note pédagogique no 8 : le geste ou le jeu ?
Synthèse : l’éducateur et l’entraînement
V. PHILOSOPHIE ET MÉTHODOLOGIE D’ENTRAÎNEMENT
14. Philosophie d’une pratique incertaine, acceptable et suffisante
15. Les espaces d’action et leurs axes méthodologiques
Synthèse : Une alternative gagnante !
— LOIS ET PRINCIPES —
5e défi de l’éducateur : l’environnement d’apprentissage
16. L’essentiel, une situation dynamique !
Note pédagogique no 9 : arrêtons le tronçonnage des disciplines sportives !
17. L’environnement d’apprentissage
Synthèse générale : les idées directrices parcourues
Conclusion
Remerciements
Notes
Glossaire
Bibliographie
Préface de Christian Gourcuff
Le foot est victime de son succès planétaire et engendre des enjeux économiques gigantesques dans une société mondialisée, organisée par la recherche du profit. Mais le plaisir du jeu reste présent malgré tout partout dans le monde : les émotions suscitées sont inégalables à la fois dans le maniement du ballon et les relations avec les partenaires.
Sa pratique nécessite des aptitudes individuelles, mais aussi une capacité sociale à s’intégrer dans un collectif. Dans le développement du joueur, le débat entre l’instinct et l’acquis est ouvert. De même l’opposition entre créativité et rigueur n’a pas lieu d’être : elles sont complémentaires et indispensables à la performance et à l’épanouissement du joueur.
Les émotions sont fondamentales dans l’acquisition de compétences. Le plaisir de jouer, les relations harmonieuses avec les autres sont des conditions impératives dans la formation notamment du jeune joueur : son implication dans son propre développement est la source principale de son évolution.
Enfin, la qualité essentielle du foot est la capacité d’anticipation, manifestation d’une intelligence spécifique. Concevoir l’action donne un avantage déterminant, dans l’organisation gestuelle et de la mise en mouvement d’abord : les bons techniciens ne sont pas seulement des joueurs aux qualités psychomotrices hors-normes, mais ont aussi une faculté à concevoir le geste juste. L’anticipation de l’action doit être collective : concevoir ensemble, s’organiser ensemble pour avoir un temps d’avance sur l’adversaire dans l’action collective.
Cette intelligence collective se construit à partir de principes et de situations vécues à l’entraînement, où les acquis se mêlent à l’intuition pour développer une sensibilité du jeu.
Trop souvent, les qualités sont cloisonnées : physiques, techniques, tactiques, mentales. Toutes sont pourtant imbriquées les unes dans les autres et interdépendantes. La formation doit donc avoir comme ambition de développer harmonieusement la sensibilité du joueur dans un cadre collectif où le plaisir est omniprésent.
Christian GOURCUFF
Entraîneur du FC Nantes
Préface de Louis Quéré
Le livre de Philippe Sibut offre une réflexion particulièrement incisive sur l’apprentissage du football, une réflexion éclairée par les recherches contemporaines en sciences cognitives. Philippe Sibut affiche clairement ses préférences dans ce domaine : elles vont au type d’approche de la cognition développé par le biologiste chilien Francisco Varela, une approche fortement marquée par la phénoménologie de Maurice Merleau-Ponty, sur laquelle il a apposé le terme « énaction » (pour souligner le primat donné à l’action par rapport à la représentation). Aujourd’hui, l’héritage de Varela a été incorporé dans le courant d’étude de la cognition baptisé 4E (Embodied, Embedded, Enactive, Extended). Sibut y a puisé nombre de ses idées, qu’il faut bien qualifier d’hétérodoxes.
Son point de vue est hétérodoxe, non pas uniquement du fait de ses références à ce courant d’étude, mais aussi et surtout en raison de ses propositions, nourries par des années d’expérience, sur l’apprentissage du football : il s’agit d’apprendre à jouer à un jeu en le pratiquant le plus possible, un jeu qui plus est collectif. Fait bien sûr partie de cet apprentissage l’acquisition d’habiletés corporelles et d’habitudes motrices – les processus par lesquels se fait cette acquisition conservent leur part de mystère, malgré les éclairages de plus en plus nombreux de la psychologie cognitive et des neurosciences (qui n’échappent pas toujours à une forme ou une autre de cérébro-centrisme). Merleau-Ponty disait que, dans l’acquisition des habitudes, « c’est le corps qui attrape
et qui comprend
le mouvement » ; mais, dans son souci de réhabiliter les pouvoirs du corps, sans doute a-t-il été porté à sous-estimer le rôle de la conscience et de la réflexion dans cette acquisition.
Qu’il s’agisse d’apprendre à jouer à un jeu n’est pas anodin. Le point de vue hétérodoxe de Sibut (« Pour apprendre à jouer au football, il faut jouer au football ») trouve un appui dans les acquis de l’anthropologie philosophique du jeu : le jeu est mouvement, et ce mouvement, où le va-et-vient ordonné joue un rôle fondamental, se produit comme de lui-même, attirant en lui les joueurs. Il y a donc une autonomie du jeu et un primat du jeu sur les joueurs : « Jouer
c’est toujours être-joué
» ; « Celui qui joue éprouve le jeu comme une réalité qui le dépasse » (Gadamer). Jouer c’est aussi jouer à quelque chose, et la tâche des joueurs est de configurer le mouvement d’un jeu particulier dans son espace et son esprit propres. Ce qui suppose d’acquérir l’intelligence du jeu.
Qu’il y ait primat et autonomie du jeu, cela a des conséquences sur la manière d’envisager le caractère collectif du jeu quand on y joue ensemble. Il est possible qu’un raisonnement en termes de coordination d’actions individuelles ne soit pas la meilleure description de ce qui se passe. On peut penser à un certain nombre d’actions réalisées ensemble dans lesquelles c’est le rythme commun créé par leur accomplis sement qui absorbe les participants et leur soutire leurs gestes et leurs mouvements : danser, chanter à plusieurs, jouer de la musique en groupe, scier du bois avec une scie harpon, converser, etc. sont des activités dans lesquelles le statut d’agent est partagé non seulement entre les participants, mais aussi entre eux et le mouvement rythmé qui les absorbe. Un tel modèle semble pertinent pour les situations de jeu analysées par Philippe Sibut.
Quelle forme d’intelligence collective requiert cette manière d’agir ensemble ? Parler d’intelligence collective ne va pas de soi, tant l’on est habitué à considérer l’intelligence comme une possession individuelle, et son exercice comme la mise en oeuvre d’une capacité tout aussi individuelle. L’intelligence est souvent aussi associée à la raison, et l’on néglige alors le fait que faire preuve d’intelligence c’est être capable « d’estimer les possibilités propres à une situation et d’agir en fonction de cette estimation » (Dewey), ce qui permet de se préparer à l’arrivée de ce qui a été anticipé. Cette capacité est affaire de méthodes à acquérir. Il n’y a donc pas d’intelligence collective sans formation d’une capacité à appliquer conjointement une méthode de traitement intelligent des situations, tenant compte de leur caractère dynamique.
Mais, comme le rappelle Philippe Sibut à la fin de son texte, une telle intelligence est aussi empreinte d’émotion. Le « schème d’action écologique » qu’il propose doit incorporer les affects et les émotions, car ceux-ci font un travail essentiel dans le traitement des situations. Il est d’ailleurs intéressant de constater que l’approche 4E de la cognition est aujourd’hui en train de révolutionner la théorie de l’émotion elle-même.
Louis QUÉRÉ
Directeur de recherche honoraire au CNRS
Avant-propos
Volontaire mais toujours en retard, Jean-Marc déboule dans l’enceinte du stade tel un taureau dans l’arène. Il cherche du regard Nicolas, le coach des U17. De loin, il aperçoit plots, haies, cerceaux, jalons multicolores et échelles d’appui, que ce dernier vient de déposer sur la pelouse. Jean-Marc ironise avec Brahim, un collègue éducateur : « Il a dû pleuvoir ce matin, ça pousse comme des champignons sur le terrain ! »
Nicolas, agrippé des deux mains à la fiche pédagogique qu’il a dénichée sur un site Internet spécialisé, relit consciencieusement ses consignes et se prépare à accueillir ses joueurs. Dans une ambiance badine, ils arrivent en chahutant. L’équipe, bien classée au championnat, a gagné son dernier match. Le temps d’avaler les quinze minutes d’un laïus lénifiant, l’entraînement démarre. Les joueurs parcourent les ateliers qu’ils connaissent par coeur, et comme d’habitude, la mécanique se délite. Les esprits se vident et l’attention se disperse. L’orage se profile et les cris ne tardent pas à gronder : « Vous jouez à quoi là ? Vous vous croyez où ? Je viens de tout expliquer ! » Après un court répit, il poursuit : « Vous n’écoutez rien ! C’est toujours pareil, au bout de vingt minutes, rideau, il n’y a plus personne ! Vous voulez jouer dimanche, ou quoi ? »
Le technicien continue d’invectiver ses joueurs, et les parents présents aux bords du terrain subissent eux aussi sans broncher les remontrances. Enfin, pas tous ; certains sont satisfaits et encensent le technicien :
« C’est un bon entraîneur, il a gagné le championnat l’an dernier, explique le papa de Dylan.
— C’est comme ça que ça marche, renchérit Brahim qui s’est rapproché des parents. Il faut être dur avec les joueurs, sinon, ils font rien. À mon époque, on commençait par dix tours de terrain et personne ne bronchait. »
Marlène, la maman de Paul, reste en retrait. La tête baissée, elle s’interroge : son fils est toujours impatient d’aller jouer au football, mais si triste quand il s’entraîne. L’autre jour, tellement frustré, il a même fondu en larmes dans la voiture. Paul a le sentiment de passer à côté du football, d’être empêché de progresser. Marlène sent bien que quelque chose ne va pas, mais comment l’expliquer ? Profane, elle ne comprend pas toutes les subtilités de ce sport. On lui a d’ailleurs conseillé de ne rien dire pour éviter de pénaliser son gamin. L’an dernier, un parent s’y est essayé ; son fils a commencé les matchs suivants sur le banc des remplaçants.
Quel gâchis ! Cette scène se rencontre encore et toujours sur de nombreux stades. Les gens s’y plient tant que leur chérubin joue, tant que le coach a la faveur du club, tant que dans la presse le classement caresse les ego. Plane alors une odeur funeste et nauséabonde, lorsque l’on se prépare ainsi à enterrer la passion de nos enfants.
L’écriture n’est pas un acte anodin. Mais c’est un bon début pour guider sereinement ses passions vers la raison. La mienne est celle d’un homme déterminé contre l’impuissance des joueurs, des parents et des éducateurs eux-mêmes, prisonniers qu’ils sont des mythes et des croyances de la pratique sportive. Soyons capables de les dépasser !
Cet essai sur le football se veut pragmatique. Il entend mettre en doute les choses établies comme autant de sources de frustration et de peine. C’est ce que vit Paul, qui en arrive parfois à abandonner sa passion. J’invite alors chaque éducateur, entraîneur, enseignant, chercheur et praticien curieux, à parcourir autrement le football. Tout voyage est une aventure, une introspection. Ce périple demande de l’engagement pour lutter contre le conformisme et plus encore pour dépasser notre seconde nature : l’habitude. Cette quête porte l’espoir d’une respiration pleine et entière pour penser autrement le football d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
INTRODUCTION
Au stade ou en voiture, devant son écran, petit ou grand, entre amis ou en solo, en boutique ou au café, nous sommes devenus des consommateurs de football ! Nous vivons et partageons le foot par procuration : la diffusion des compétitions, le merchandising, les paris sportifs, les émissions et journaux spécialisés sont notre pain quo tidien. Heureusement, cet engouement rejaillit sur les clubs par l’adhésion des plus jeunes. Au mois de septembre 2018, la Fédération française de football (FFF) envisageait, au lendemain de la dernière coupe du monde, une hausse de 10 % de ses effectifs, soit près de 200 000 licenciés. Ces retombées feraient le bonheur de n’importe quelle fédé. Pour autant, la médiatisation et tous ses artifices peuvent-ils porter le sport à eux seuls ? S’interroge-t-on sur la vitalité du football ? Pas celle de son porte-monnaie, mais celle du jeu ! De celui que l’on pratique réellement sur le territoire, celui que l’on enseigne avec ses formes éducatives et sportives. Sait-on quelle nature motiva tionnelle habite ses adhérents ? En définitive, peut-on se baser sur une masse de licenciés et des étoiles sur un maillot, pour déterminer la bonne santé du football français ?
— UNE VITALITÉ ENRHUMÉE ? —
L’illustration la plus simple se présente ainsi : certains clubs recru tent jusqu’à soixante joueurs pour alimenter une catégorie qui ne comprend que deux équipes. Or, sur une feuille de match, seuls quatorze joueurs sont inscrits et participent à la rencontre le weekend. Calculez ! Plus de la moitié des licenciés sont exclus de facto des compétitions hebdo madaires. Peut-on durablement garder les jeunes motivés, s’ils ne jouent pas régulièrement ? Cet exemple que j’ai questionné plusieurs fois auprès des instances, démontre que l’aspect comptable des adhérents d’une fédération n’est certainement pas le gage d’une pratique effective régulière, pourtant berceau de progrès et d’une motivation pérenne.
De prime abord, le football, c’est génial ! Mais si la file d’attente est trop longue, un jeune peut perdre patience. C’est ce que l’on constate. Si le flux de licenciés s’accroît après une échéance internationale, il existe peu après ou en parallèle un reflux des adhésions vers d’autres sports ou d’autres intérêts, voire un arrêt de toute activité. En effet, tous les jeunes footballeurs ne vivent pas une expérience sportive positive. Des statistiques (Delorme et al., cités in Sarrazin 2010) nous disent que sur plus 2 200 000 licenciés, des U7 (moins de 7 ans) aux adultes, le taux moyen de décrochage par an dans le football est de 20 %. Il est croissant durant l’adolescence : environ 17 % chez les U11, 21 % chez les U13 et 26 % chez les U18. En résumé, un licencié sur cinq abandonne le foot, et jusqu’à un sur trois chez les jeunes adultes.
Ces effets ne datent pas d’hier, puisque dès le début des années 2000, en poste dans un district dit rural, j’étais interloqué par la difficulté de recruter. Je constatais la chute du nombre d’équipes dans la catégorie des moins de 19 ans. Aujourd’hui, les U17 et même les U15 sont concernés, puisque les poules se resserrent et les forfaits généraux se multiplient. Ce phénomène qui touchait uniquement les territoires ruraux s’étend désormais aux métropoles. Il suffit de lire les procès - -verbaux des districts dits rurbains pour s’en persuader. Une première alerte nationale a retenti en 2011, comme le soulignait alors Le Monde dans son édition du 17 octobre : « Depuis la saison 2006-2007 où le seuil historique des 2 320 000 licenciés avait été franchi, notre sport connaît une hémorragie croissante et n’enregistre plus que 1,7 million de licenciés pour 2011-2012. Le football français aura perdu plus de 600 000 pratiquants, soit le quart de ses effectifs, en quatre ans ! Pour bien prendre la mesure de la situation, ce véritable tsunami équivaut à la disparition simultanée des fédérations de rugby et de volley-ball. » Aujourd’hui encore, malgré la coupe du monde de 2018, sur certains départements c’est toujours la dégringolade, comme le déplore Claude Malla, président du district des Pyrénées-Orientales, lors de l’assemblée générale du 14 juin 2019 : « l’effet coupe du monde ne s’est absolument pas fait ressentir, contrairement à 1998, où nous avions enregistré une augmentation substantielle de 14 % sur trois saisons. » Le secrétaire, monsieur Wattelier, précise : « L’effet coupe du monde s’est ressenti uniquement auprès des jeunes du foot d’animation, ce qui a compensé la baisse de nos licences seniors ». Lors de la saison 2018-2019, aucun championnat U18-U19 n’a pu voir le jour, puisque quatre équipes seulement s’étaient inscrites.
— DES REMÈDES EN VEUX-TU, EN VOILÀ —
Face à ce défi, la FFF n’est pas restée sans réagir. Elle a engagé plusieurs projets en direction du football amateur, projets englobant les associations, les pratiquants et les pratiques.
UN PROJET SOCIÉTAL
La FFF s’est d’abord tournée vers la première cellule du maillage territorial, le club, pour proposer un accompagnement sur plusieurs volets : l’écriture d’un projet, les structures et la formation des membres. Elle valide par ailleurs la qualité des activités dispensées en club, au travers d’un « Label Jeunes » à trois niveaux – espoir, excellence, élite.
UN PROJET DE FORMATION ENCADRÉ PAR UNE COMMUNICATION SOCIO-ÉDUCATIVE
Comme toute politique européenne, la formation a été impactée par les normes requises : accessibilité, modularisation, employabilité, etc. Dans la foulée du ministère de la Jeunesse et des Sports, la fédération s’est adaptée. Elle a repensé les processus d’accès aux diplômes et les a démultipliés. La direction technique nationale (DTN) a créé des instituts de formation et en a profité pour refondre les contenus enseignés, qu’elle a ajustés aux normes sociales actuelles : l’enfant au centre, apprendre par soi-même, le plaisir avant tout. La formation est devenue un enjeu majeur, à commencer par celle des éducateurs. Ces derniers côtoient l’ensemble des familles du football ; il était donc normal qu’ils deviennent les interlocuteurs privilégiés pour développer la motivation de tous. La communication et la promotion du football amateur se sont tournées vers une pratique bienveillante, dans un climat d’apprentissage serein. Le slogan « soyons PRÊTS » illustre cette volonté socio-éducative (voir figure 1). Afin de répondre à cette ambition, l’objectif fédéral est de voir chaque équipe encadrée par un diplômé.
UN PROJET STRUCTUREL DES PRATIQUES
La fédération s’est aussi développée en gammes et s’est alors penchée sur plusieurs options :
la refonte des catégories, par exemple l’abandon des U19 pour le niveau ligue ;
la volonté de s’ouvrir à de nouvelles pratiques et d’en renforcer certaines, à l’instar du beach soccer, du futsal, du futnet *, du foot loisirs, etc. ;
l’accueil de nouveaux pratiquants, en l’occurrence de nouvelles pratiquantes, le développement du football féminin étant une priorité inscrite au projet fédéral ;
le football à la carte, puisqu’il est possible pour un même individu d’avoir plusieurs licences : joueur libre, dirigeant, éducateur, arbitre, joueur futsal, etc.
* Les astérisques renvoient au glossaire, p. 393, à la suite des notes de fin d’ouvrage.
Figure 1. Slogan « Soyons PRÊTS ».
Tous ces projets illustrent les efforts permanents de la FFF pour répondre au défi post-coupe du monde 1998 et la victoire de l’équipe de France. Mais que penser de ces initiatives ? Sont-elles capables d’endiguer le décrochage ou l’abandon progressif de ses adhérents, saison après saison ?
— PLUSIEURS PROJETS, MAIS UNE SEULE PERSPECTIVE —
« Quand tout le monde est du même avis, c’est que personne ne réfléchit beaucoup. »
WALTER LIPPMANN (cité in DUFOUR 1970)
En analysant les stratégies ci-dessus, on constate une double ambition fédérale : non seulement capter et accueillir la pratique croissante engendrée par l’engouement populaire, mais aussi réorienter les déçus, adeptes d’une pratique sauvage, vers le giron fédéral. En définitive, les solutions proposées sont là pour gérer la réussite du football. Les stratégies ne répondent qu’à une seule logique : traiter la conséquence de son développement. C’est d’ailleurs ce qu’a confirmé Marc Debarbat, président de la ligue de football amateur (LFA), lors de l’assemblée générale du vendredi 7 juin 2019. Après avoir dressé un rapide bilan de la saison écoulée, marquée par une hausse de 2,5 % du nombre de licenciés, hausse essentiellement portée par les femmes et les plus jeunes (on est loin des 10 % annoncés en septembre 2018 sur les plateaux de RMC), il a déclaré : « il y a tout de même une érosion en seniors et chez les adolescents, qui nous oblige à réfléchir aux modes de pratique que nous pouvons leur proposer. » Plus ça change, plus c’est la même chose, dixit l’école de Palo Alto ! En analysant les chiffres par même le filtre, celui de la population (érosion du nombre de licences), la LFA précipite la seule solution envisagée jusqu’ici : modifier l’organisation des pratiques. Depuis vingt ans, on nous rejoue la même partie ; on est passé des juniors aux moins de 18 ans, puis aux U19, et voilà que l’on en revient maintenant aux U18. Encore hier, en mai 2020, en plein confinement pour cause de covid-19, la direction technique nationale a organisé une série de « webinaires » (séminaires en ligne) pour inviter les clubs affiliés à concevoir ou revoir leur projet autour de trois thématiques :
- la création d’une section loisir ;
- le développement de la pratique féminine ;
- le boom du futsal.
« J’invente pas ! », dirait notre défunt Coluche, « c’est écrit ! »
— QUAND EST-CE QU’ON FAIT DU FOOTBALL ? —
Si pour Wittgenstein (1986) « les problèmes mal posés ne sont pas résolus », Varela (1989b) précise qu’il faut « poser les questions pertinentes qui surgissent à chaque moment de notre vie. »
La démarche d’envergure initiée par la FFF en direction du monde amateur est à saluer, certes. Mais ne se contenterait-elle pas d’une massification et d’une déshumanisation de chacun, au bénéfice des seules prérogatives du football français ?
Le sport numéro un n’est-il pas là pour accueillir et éduquer le plus grand nombre ? Or, c’est là que ça cloche ! Ce sport n’est pas qu’un réceptacle. Premièrement, le sport français ne doit pas être dirigé qu’à grande échelle ; ce n’est ni son origine – la loi de 1901 – ni sa réalité économique – des associations et structures privées. Deuxièmement, dans une éducation de masse (ou un clientélisme, au choix), la discipline est secondaire. La structuration et la communication prennent le leadership : on est pointu sur les méthodes de com et les projets de management, mais on est un peu moins investi sur la matière, celle-là même qui nous réunissait hier, le football. Insidieusement, dans ce coaching des individus à grands frais, le jeu se vide et se fige par routine ou parce qu’implicitement, il est relégué à l’arrière-plan. D’ailleurs, au niveau amateur, pourquoi s’en émouvoir ? Le préemballé, ou devrais-je dire le prêt-à-cliquer sur une plateforme dédiée, est perçu par les décideurs comme largement suffisant pour le public à initier. Cette dé-matérialisation du football est tout un symbole, qui finira par avoir raison de notre culture sportive, devenue médiatique et mercantile. Mais c’est une constante ontologique * pour le sport, je ne lui jette donc pas la pierre. Par contre, emprisonné dans des raisons sociétales, communicationnelles et structurelles, notre jeu a mis un genou à terre. Le football ne doit pas être vidé de sa finalité : penser, respirer, vivre et surtout jouer au football !
— LES RAISONS D’UN MALAISE —
« À ceux qui désespèrent […], ce ne sont pas les raisonnements qui peuvent rendre la foi, mais la seule passion. »
CAMUS (1951)
C’est une réalité, beaucoup de personnes vivent mal leur sport – une expérience pourtant agréable quand elle est bien menée. L’activité sportive, en elle-même, n’est ni éthique ni éducative. Le plaisir de jouer et le bonheur de partager dépendent d’un cadre respectueux, tant de la discipline pratiquée que de la dignité des personnes. Hélas, il faut bien l’admettre, les jeunes ne s’enracinent plus dans une activité durable. Ils désertent une pratique qui décharne en lambeaux leurs espoirs déçus. Un quelque chose ne se concrétise pas, un quelque chose qui ne dépend ni de la volonté de bien faire des uns ni de la technicité des autres.
La perte d’intérêt ou l’abandon d’hier, d’aujourd’hui ou de demain, sont bien connus. Ils sont dus à la non-prise en compte des besoins psychologiques des protagonistes, qu’ils soient joueurs, éducateurs, dirigeants, arbitres ou parents (Sarrazin 2010). Le climat socio-éducatif et sportif ne nourrit plus dans leur chair les savoirs, les savoir-faire et les savoir-être de chacun. On néglige et ampute le progrès individuel, car il n’est pas une priorité pour le plus grand nombre et moins encore pour l’intérêt supérieur du football français. Les ambitions des clubs, de certains dirigeants ou responsables techniques, développent chez le joueur et chez l’entraîneur un sentiment de jouer ou de coacher par procuration. Par exemple, dès la mi-saison on prépare la suivante, quitte à délaisser trois à quatre mois d’apprentissage. Exister et trouver sa place dans ces conditions deviennent des motivations extrinsèques trop lourdes à porter. Les besoins psychologiques constitueraient pourtant des leviers sans commune mesure pour développer le jeu et encourager l’implication de chacun. Mais on en reste là. Ainsi programmé – fait scientifiquement prouvé –, l’abandon est inéluctable (Sarrazin 2010).
Il faut bien comprendre que ce n’est pas par un replâtrage des compétitions, pour mieux cibler les parts de marché, ou par la sortie de nouveaux produits, avec l’ambition de faire revenir les déçus sous prétexte de s’ajuster aux besoins d’une société consumériste, que la passion vacillante ou éteinte se rallumera. Le sport est source d’éveil, d’apprentissage, de développement personnel et de dépassement collectif, justement parce qu’il est un défi que nous avons la chance et le droit de surmonter et de partager. On ne confisque pas le sport de chacun pour le bien du plus grand nombre ; et ce, à tous les étages.
Dans un tel contexte, convient-il de ne questionner que les symptômes d’un système qui grandit, certes, mais qui tousse ? Au-delà des efforts financiers et des progrès structurels délivrés par les instances fédérales, au-delà même des méthodes et des techniques élaborées et dispensées en formation, n’est-il pas plus utile, dans un temps apaisé par l’acquisition des titres internationaux, de s’interroger sur les filtres (croyances, théories, modèles) avec lesquels le football est pensé, conçu et proposé ? Lors de l’assemblée fédérale du samedi 8 juin 2019, Noël le Graët a adressé un message dans ce sens au football français : « La formation reste le mot-clé de notre football […]. Les autres pays travaillent et progressent, nous ne sommes plus en avance… Il faut se mettre autour d’une table le plus vite possible et que l’on parle de ce dossier de façon sérieuse, pour arriver à quelque chose d’évident et de très cohérent ».
— ENGAGEONS LE DOSSIER : PARLONS FOOT, AUTREMENT ! —
« Aussi audacieux soit-il d’explorer l’inconnu, il l’est plus encore de remettre le connu en question. »
WALTER KASPER
Le football est un milieu socio-culturel déterminé non seulement par ses institutions, ses règles, ses techniques et ses moeurs communes, mais aussi par des attitudes, des pratiques et des habitudes. La culture est l’accumulation progressive de tous ces savoirs. Leur transmission permet à ses plus jeunes membres de s’inscrire dans une communauté éducative – pas besoin de tout réinventer. Philippe Leroux, formateur depuis 1962 et toujours intégré dans le processus de formation de la fédération, témoigne : « Avec les formations initiale et continue, la VAE * maintenant, nous continuons, à pas comptés il est vrai, de progresser. » Mais si l’institution, les règles et la tradition sont des manières de penser et d’agir, elles sont aussi des façons d’occulter les choses. On l’oublie, mais la culture c’est aussi l’ajout et l’inno vation apportés à ses savoirs, ses théories et ses modèles. Cette créativité s’exerce si l’on réfléchit à notre discipline, si l’on engage une veille technologique et si l’on s’ouvre à d’autres idées, à des alternatives. Par les avancées et mutations qu’elle induit, la variété est source de réussites futures. Faire fi de cette dynamique, c’est oublier d’où l’on vient et renier le chemin parcouru par nos anciens. Entre la sacrosainte adaptation structurelle, administrative, et l’uniformisation pédagogique, n’avons-nous pas perdu le football lui-même ? N’avonsnous pas délaissé ce qui, hier, nous réunissait et nous poussait à nous dépasser ? Ne nous sommes-nous pas endormis sur les lauriers de nos bleus de 98, négligeant au passage la passion du jeu – cette passion que Georges Boulogne, directeur technique national confronté à son époque aux marasmes des titres internationaux, incarnait dans l’exigence à apporter au football ?
« La révolte n’est nullement une revendication de liberté totale. Au contraire, la révolte fait le procès de la liberté totale. »
CAMUS (1951)
En psychologie du sport, on conçoit aujourd’hui l’optimisation de la performance comme une collection de facteurs – techniques, athlétiques, tactiques, mentaux – à développer pour atteindre les sommets. Est-ce un chemin obligé, un dogme ? Est-il possible de sortir de cette empreinte, tracée tantôt par l’administration technique, tantôt par la pression des certitudes séculaires ? N’existe-t-il pas une autre perspective pour la performance sportive ? D’ailleurs, peut-on s’interroger sur la provenance de cette conception de la formation ? Sur ses conséquences auprès de l’enseignant ? Et auprès de l’apprenant ? Il est certain que si vous demandez à Paul ce dont il a besoin, ce qui le motive, ce qui le fait progresser et le sens de tout ça, il risque de se sentir perdu. Les réponses lui sembleront bien lointaines, peut-être plus encore qu’à sa maman. Mais son sentiment, lui, est bien réel. Il vit une situation peu engageante et non satisfaisante.
Trois idées directrices portent cet essai, pour aboutir à une contre-proposition à l’enseignement consacré.
La première idée sert de trame à l’ouvrage. Quatre questions « fondationnelles * » aident à cerner toute investigation (Roy 2015). Elles interrogent la délimitation