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Les secrets de la Tamise
Les secrets de la Tamise
Les secrets de la Tamise
Livre électronique368 pages4 heures

Les secrets de la Tamise

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À propos de ce livre électronique

Tout a commencé par ce premier baiser échangé dans un couloir sombre, à l’étage supérieur de la vaste demeure d’Elwin Hastings. Un baiser qui prit Louisa par surprise… Bien entendu, Anthony Stalbridge n’a pas agi ainsi par amour. Il a agi ainsi par instinct de survie, pour détourner les soupçons du vigile armé qui était sur le point de surprendre le couple dans un endroit où il n’aurait pas dû se trouver. En effet, avec sa robe d’un marron déprimant et ses lunettes à monture dorée, Louisa ne correspond pas à l’idée qu’un homme se fait d’une femme désirable. Il est clair que le séduisant Anthony Stalbridge et une vieille fille comme Louisa n’ont rien en commun, si ce n’est leur intérêt pour M. Hastings — un membre en vue de la haute société et que tous deux soupçonnent de cacher d’affreux secrets. Mais voilà qu’à cause de cette ruse qui les a jetés dans les bras l’un de l’autre, Anthony et Louisa se retrouvent obligés de conjuguer leurs efforts pour élucider le mystère, Mais Hastings cache beaucoup plus que des bijoux et des livres de comptes. Le démasquer prendra un tour nettement plus dangereux que Louisa et Anthony l’avaient escompté — et leur association, un tour nettement plus excitant. Car ils sont l’un comme l’autre attirés par le danger, et Louisa n’attise pas uniquement la curiosité d’Anthony.
LangueFrançais
Date de sortie19 déc. 2016
ISBN9782897674137
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    Aperçu du livre

    Les secrets de la Tamise - Jayne Anne Krentz

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    Copyright © 2007 Jayne Ann Krentz

    Titre original anglais : The River Knows

    Copyright © 2016 Éditions AdA Inc. pour la traduction française

    Cette publication est publiée en accord avec Penguin Group (USA) Inc., New York, NY.

    Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite sous quelque forme que ce soit sans la permission écrite de l’éditeur, sauf dans le cas d’une critique littéraire.

    Éditeur : François Doucet

    Traduction : Janine Renaud

    Révision linguistique : Féminin pluriel

    Correction d’épreuves : Nancy Coulombe, Émilie Leroux

    Conception de la couverture : Matthieu Fortin

    Photo de la couverture : © Thinkstock

    Mise en pages : Sébastien Michaud

    ISBN papier 978-2-89767-411-3

    ISBN PDF numérique 978-2-89767-412-0

    ISBN ePub 978-2-89767-413-7

    Première impression : 2016

    Dépôt légal : 2016

    Bibliothèque et Archives nationales du Québec

    Bibliothèque Nationale du Canada

    Éditions AdA Inc.

    1385, boul. Lionel-Boulet

    Varennes, Québec, Canada, J3X 1P7

    Téléphone : 450-929-0296

    Télécopieur : 450-929-0220

    www.ada-inc.com

    info@ada-inc.com

    Diffusion

    Canada : Éditions AdA Inc.

    France : D.G. Diffusion

    Z.I. des Bogues

    31750 Escalquens — France

    Téléphone : 05.61.00.09.99

    Suisse : Transat — 23.42.77.40

    Belgique : D.G. Diffusion — 05.61.00.09.99

    Imprimé au Canada

    Participation de la SODEC.

    Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour nos activités d’édition.

    Gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC.

    Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

    Krentz, Jayne Ann

    [River knows. Français]

    Les secrets de la Tamise

    Traduction de : The river knows.

    ISBN 978-2-89767-411-3

    I. Renaud, Janine, 1953- . II. Titre. III. Titre : River knows. Français. IV. Collection : Krentz, Jayne Ann.

    PS3561.R36R5814 2016 813’.54 C2016-941155-9

    Conversion au format ePub par:

    Lab Urbain

    www.laburbain.com

    Celui-ci est pour Susan Elizabeth Phillips : elle écrit merveilleusement bien, et nous faisons partie de la même bande de filles. Trinquons à l’amitié.

    Prologue

    À la fin du règne de la reine Victoria…

    Elle n’osait pas allumer les lampes de peur qu’un passant le remarque et le signale à la police lorsque celle-ci viendrait poser des questions. Dans la ruelle, le brouillard s’était épaissi, mais les rayons obliques de la lune parvenaient tout de même à éclairer le petit boudoir, encore qu’elle n’eût pas besoin pour s’orienter de cette froide lueur argentée. Elle connaissait comme le creux de sa main les pièces douillettes situées au-dessus de la boutique. Ce petit logement avait été son foyer pendant près de deux ans.

    Elle s’accroupit devant le lourd coffre placé dans un coin et tenta d’insérer la clé dans la serrure. La tâche se révéla incroyablement difficile, car ses mains tremblaient épouvantablement. Pour ralentir les battements de son cœur, elle se contraignit à inspirer profondément, mais c’était peine perdue. Après trois essais infructueux, elle réussit enfin à ouvrir le coffre. Le grincement des gonds résonna comme une plainte lugubre dans le silence de mort.

    Elle tira du coffre les deux livres reliés en cuir qu’elle y avait rangés. Elle se releva, traversa la pièce et alla mettre les livres dans la petite valise. La boutique de l’étage inférieur contenait des dizaines de livres, dont plusieurs valaient une somme rondelette, mais ces deux-là étaient de loin les plus précieux.

    Elle ne pouvait apporter que très peu de livres ; les livres pèsent lourd. Et même si elle avait eu la force d’en transporter plusieurs, cela n’aurait pas été très avisé. L’absence d’un grand nombre de livres sur les rayonnages de l’étage inférieur aurait éveillé les soupçons.

    De même, elle n’avait mis que quelques vêtements essentiels dans la valise. La police aurait trouvé curieux qu’une suicidée emporte avec elle dans le fleuve quasiment toute sa garde-robe.

    Elle ferma la valise pleine à craquer. Grâce au ciel, elle n’avait pas vendu les deux bouquins. Pourtant, au cours des deux dernières années, cet argent aurait parfois été le bienvenu. Mais elle n’avait pu se résoudre à se départir des livres que son père estimait être les plus précieux. C’était tout ce qui lui restait, non seulement de son père, mais aussi de sa mère décédée quatre ans plus tôt.

    Son père ne s’était jamais remis de la mort de son épouse chérie. Qu’il se tire une balle dans la tête à la suite d’un revers de fortune calamiteux n’avait surpris personne. Les créanciers avaient fait main basse sur la belle maison et sur l’essentiel de son contenu. Par chance, ils avaient estimé sans grande valeur l’imposante et remarquable bibliothèque.

    Au moment de choisir parmi les habituels gagne-pain offerts aux femmes de sa condition — c’est-à-dire une existence misérable en tant que dame de compagnie ou gouvernante —, elle avait opté pour autre chose, une chose inimaginable et, de l’avis de la société, impardonnable : elle était devenue marchande de livres.

    Pour la haute société, c’était comme si elle avait cessé d’exister d’un coup de baguette magique. Encore qu’elle n’y connût personne. La famille Barclay ne fréquentait pas le beau monde.

    Grâce aux connaissances en matière de livres rares et de collectionneurs que lui avait transmises son père, elle avait réussi en quelques mois à peine à tirer un petit profit de l’affaire. Elle avait tenu boutique pendant deux ans, au cours desquels elle avait fini par devenir une marchande de livres rares, modeste mais appréciée.

    Sa nouvelle vie, avec ses vêtements pratiques, ses livres de comptes et son abondante correspondance professionnelle, se trouvait à des années-lumière de l’univers confortable et raffiné dans lequel elle avait grandi, mais elle avait découvert que posséder et diriger sa propre boutique était très gratifiant. Elle en aurait eu long à dire sur les avantages d’être maîtresse de son argent. De plus, en tant que commerçante, elle se trouvait enfin affranchie des règles et des contraintes abrutissantes imposées aux femmes célibataires de bonne famille. Certes, elle avait chuté de quelques échelons sur l’échelle sociale, mais sa décision lui avait permis de prendre son destin en main d’une façon qui lui aurait été interdite par ailleurs.

    Cependant, moins d’une heure auparavant, l’avenir radieux et indépendant dont elle rêvait et qu’elle commençait à se forger avait été anéanti. Elle nageait désormais en plein cauchemar. Elle n’avait pas le choix, elle devait s’enfoncer dans les ténèbres en n’apportant que quelques articles personnels, les recettes du jour et les deux précieux livres.

    Elle devait disparaître — elle le savait fort bien —, mais elle devait aussi faire en sorte qu’on ne se lance pas à sa recherche. Dans la fièvre du moment, elle s’était inspirée d’un article de journal qu’elle avait lu quelques jours plus tôt.

    … Pour la seconde fois en moins d’une semaine, les membres de l’élite londonienne pleurent la mort tragique d’une des leurs. Le fleuve a malheureusement fait une nouvelle victime.

    Mme Victoria Hastings, mue, croit-on, par l’un de ses accès récurrents de désespoir, s’est jetée du haut d’un pont dans les eaux noires et glacées de la Tamise. Son corps n’a pas été retrouvé. Selon les forces de l’ordre, il se pourrait qu’il ait été emporté vers l’océan ou qu’il soit retenu au fond de l’eau par quelque débris. À ce qu’on dit, Elwin Hastings, son époux dévoué, est fou de douleur.

    On se souviendra qu’il y a moins d’une semaine, miss Fiona Risby, la fiancée de M. Anthony Stalbridge, s’est elle aussi jetée dans le fleuve. Son corps a toutefois été retrouvé…

    En une semaine, deux femmes de la haute s’étaient jetées dans le fleuve. De plus, chaque année des femmes désespérées et dépressives d’une classe sociale beaucoup moins privilégiée cherchaient à échapper à la vie de cette manière. Personne ne se poserait de questions en apprenant qu’une libraire sans importance avait fait comme elles.

    Elle rédigea sa lettre de suicide d’une main tremblante, se concentrant très fort pour trouver les mots justes, les mots convaincants.

    … Je suis au désespoir. Il m’est impossible de vivre après ce que j’ai fait ce soir ni de faire face au procès humiliant et à la mort par pendaison qui m’attendent. Je préfère en finir une fois pour toutes en me jetant dans le fleuve…

    Elle signa la lettre et la plaça sur la petite table où elle avait l’habitude de prendre ses repas solitaires. Elle posa dessus un petit buste de Shakespeare pour l’empêcher de tomber par terre et d’échapper à la police.

    Elle mit sa cape et fit une dernière fois le tour du salon du regard. Elle avait été heureuse ici. Certes, la solitude lui pesait parfois, surtout la nuit, mais elle avait fini par s’y faire. Elle songeait à s’offrir la compagnie d’un chien.

    Elle tourna les talons et prit la lourde valise. Une fois de plus, elle hésita. Deux chapeaux étaient suspendus au mur : un bonnet d’été et un bidule à large bord orné de plumes qu’elle portait quand elle allait marcher. Elle songea qu’il serait bien — convaincant — que l’on retrouve le bidule flottant près d’un pont, accroché à un rocher ou à un bout de bois à la dérive. Elle s’empara du chapeau et s’en coiffa.

    Son regard se posa sur le rideau dissimulant la chambre. Un grand frisson la secoua à la pensée de ce qui s’y trouvait.

    La valise à la main, elle se précipita dans l’escalier puis dans l’arrière-boutique. Elle ouvrit la porte et sortit dans la ruelle obscure. Il était inutile de verrouiller à clé. L’intrus avait forcé la serrure moins d’une heure auparavant.

    Elle parcourut la ruelle d’un pas prudent en se fiant à ce dont elle se souvenait de l’étroit passage longeant l’arrière des boutiques.

    Avec un peu de chance, les gens mettraient quelques jours à remarquer que la librairie Barclay était fermée depuis un bon moment. Tôt ou tard, quelqu’un — sans doute son logeur — en serait informé. M. Jenkins frapperait longuement à la porte. Il finirait par se mettre en colère. Avec l’une des clés du trousseau qui ne le quittait jamais, il ouvrirait la porte de la boutique dans le but de réclamer le loyer.

    C’est alors qu’on découvrirait le cadavre dans la chambre, à l’étage. Peu après, la police se lancerait aux trousses de la femme qui avait assassiné Lord Gavin, l’un des membres les plus riches et les plus distingués de l’aristocratie.

    Elle se fondit dans la nuit.

    1

    Quatorze mois plus tard…

    La mystérieuse veuve s’était encore volatilisée.

    Anthony Stalbridge avança lentement en rasant les murs du couloir obscur, cherchant du regard un trait de lumière révélateur sous l’une des portes. Toutes les pièces étaient apparemment inoccupées, mais il savait qu’elle était là, quelque part. Il y avait quelques minutes, il l’avait vue disparaître dans la pénombre de l’escalier de service.

    Il l’avait laissée prendre un peu d’avance, puis s’était engagé à son tour dans l’escalier exigu. Mais arrivé à l’étage réservé aux chambres, il ne l’avait vue nulle part.

    Les accords étouffés d’une valse et le bourdonnement sourd des conversations imbibées de champagne montaient jusqu’à lui depuis la salle de bal. Le rez-de-chaussée du vaste hôtel particulier des Hastings brillait de mille feux et était plein à craquer d’invités élégamment vêtus, mais à l’étage, il régnait un silence inquiétant et une obscurité qu’éclairaient à peine quelques rares appliques murales.

    La demeure était immense, mais ses seuls occupants étaient Elwin Hastings, sa très nouvelle, très riche et très jeune épouse, et les domestiques. Ceux-ci dormaient à l’étage inférieur. Ce qui signifiait que la plupart des chambres de cet étage devaient être désertes.

    Pendant une réception réunissant une foule d’invités, il arrivait que certaines personnes en quête d’intimité amoureuse se laissent tenter par les chambres vacantes. Mme Bryce était-elle montée rejoindre un homme ? Pour une raison obscure, il refusait d’y croire. Non pas qu’il eût des droits sur elle. Au cours de la dernière semaine, ils s’étaient croisés à diverses réceptions, où ils avaient dansé quelques valses et échangé des propos prudents et extrêmement polis. Là s’arrêtait leur relation. Mais son intuition — sans compter son instinct masculin tout entier — lui disait qu’en fait, ils étaient inconsciemment engagés dans une partie de bras de fer. Une partie qu’il n’avait pas l’intention de perdre.

    Depuis leur première rencontre, Louisa Bryce faisait de son mieux pour repousser ses attentions, du moins verbalement. Ce n’était guère surprenant, compte tenu du scandale associé à son nom. Ce qui l’intriguait, c’était qu’elle semblait se donner beaucoup de mal pour décourager tous les hommes présents à toutes les réceptions auxquelles elle se rendait.

    Il n’était pas né de la dernière pluie. Il savait que certaines femmes n’étaient pas attirées sexuellement par les hommes, mais les rares fois où il avait réussi à entraîner Louisa sur la piste de danse et dans ses bras, il s’était persuadé qu’elle était aussi sensuellement sensible à lui que lui à elle. La valse était un bon test en la matière. Mais peut-être se faisait-il des illusions pour la plus vieille raison du monde : il la désirait.

    Elle ne pouvait pas savoir que ses lunettes cerclées d’or d’intellectuelle, ses robes démodées et ses propos sérieux et terriblement assommants ne la rendaient que plus fascinante à ses yeux. Cette façade studieuse, ennuyeuse, était manifestement factice. Il devait toutefois reconnaître qu’elle leurrait à merveille les autres membres de la haute société. Le nom de Louisa n’était associé à celui d’aucun homme. Il s’en était assuré, discrètement évidemment. À sa connaissance, Louisa n’avait pas d’amant.

    Cette femme était indiscutablement auréolée de mystère, notamment en raison de son insatiable curiosité à l’endroit de leur hôte, Elwin Hastings, et des associés de celui-ci dans son nouveau consortium.

    Une porte s’ouvrit au fond du couloir. Il se tapit dans un petit renfoncement obscur et attendit la suite.

    Louisa sortit de la pièce. Dans la pénombre, il n’arrivait pas à distinguer ses traits, mais il reconnut son affreuse robe marron avec sa petite tournure démodée. Il reconnut aussi son menton fièrement levé et la courbe gracieuse de ses épaules.

    En dépit de la témérité de la situation, ou peut-être à cause d’elle, il sentit un désir fou lui serrer le ventre. En la voyant sortir de l’ombre et marcher vers lui, il se rappela la sensation qu’il avait éprouvée à la tenir entre ses bras en dansant avec elle peu de temps auparavant. Elle s’était appliquée, comme d’habitude, à se montrer collet monté et ennuyeuse, mais peu importait l’insipidité de ses propos, ils n’arrivaient pas à voiler la mystérieuse lueur d’intelligence et de circonspection qui brillait dans ses yeux couleur d’ambre. De même, son verbiage creux n’arrivait pas à faire oublier à Anthony la sensation du galbe gracieux de son dos sous sa paume. Il se demanda si elle se rendait compte que plus elle tentait de le décourager, plus il avait envie de découvrir ce qu’elle cachait.

    Louisa, inconsciente de sa présence, se dirigea rapi­dement vers l’escalier de service. La flamme d’un chandelier mural se refléta brièvement sur la monture de ses lunettes. Anthony en était encore à se demander s’il allait sortir de l’ombre et l’interroger ou continuer de la suivre quand une voix revêche jaillit du sommet de l’escalier de service.

    — Qui va là ? demanda sèchement un homme.

    Il s’agissait d’une requête, et non d’une question, et elle n’avait pas été formulée sur le ton courtois, déférent, d’un domestique.

    Quinby. L’un des deux vigiles qui, depuis quelque temps, accompagnaient Hastings où qu’il aille.

    Anthony allongea le bras, attrapa Louisa comme elle passait devant lui et l’obligea à s’arrêter.

    Elle se tourna vers lui, la bouche ouverte sur un petit cri de saisissement et les yeux écarquillés. Il plaqua la main sur ses lèvres.

    — Chut, lui chuchota-t-il à l’oreille. Faites-moi confiance.

    Il l’attira tout contre lui et l’embrassa assez durement pour lui imposer le silence.

    Surprise, elle résista pendant quelques secondes. Anthony accentua délibérément son baiser, l’invitant à réagir. Elle cessa soudain de lutter contre lui. Dans ce moment d’intimité et de sensualité, quelque chose d’aussi intense et d’aussi électrisant qu’un éclair dans le ciel les foudroya l’un comme l’autre. Il sut que c’était réciproque. Il la sentit réagir vivement, se troubler. Et cela n’avait rien à voir avec le fait que le vigile approchait.

    Les pas lourds de Quinby résonnèrent dans le couloir. Anthony jura en silence. Il n’avait qu’un seul désir : continuer d’embrasser Louisa. Il rêvait de l’entraîner dans la chambre la plus proche, l’allonger sur le lit, lui retirer ses lunettes et sa robe trop sage…

    — Que faites-vous là-haut, vous deux ? demanda Quinby.

    Anthony releva la tête. Il n’eut pas à feindre sa contrariété et son irritation. Louisa s’écarta de lui, les sourcils froncés comme si cette interruption l’agaçait également. Il remarqua qu’elle haletait légèrement et que, derrière les verres de ses lunettes, son regard semblait un peu flou.

    — Nous avons de la compagnie, ma chérie, dit-il posément.

    Quinby était tout près. Costaud, les épaules larges, il portait un pardessus foncé. L’une des poches du manteau bâillait sous le poids d’un objet quelconque. Une grosse et visiblement coûteuse bague en or ornée d’un onyx brillait à l’une de ses mains.

    Louisa se tourna vers le vigile. Anthony perçut sa nervosité, mais elle la dissimula admirablement en ouvrant son éventail d’un geste sec et irrité.

    — Nous n’avons pas été présentés, à ce que je sache, dit-elle d’une voix qui aurait transformé un haut-fourneau en bloc de glace.

    Elle avait beau être nettement plus petite que Quinby, elle arrivait à le regarder de haut.

    — Qui êtes-vous pour nous accoster ainsi ?

    — Ne le prenez pas mal, madame, dit Quinby en posant son regard dur sur Anthony, mais les invités ne sont pas autorisés à monter ici. Je vous raccompagne en bas.

    — Nous n’avons pas besoin d’être raccompagnés, dit froidement Anthony. Nous connaissons le chemin.

    — En effet, dit Louisa. Nous le connaissons.

    Soulevant ses jupes d’une main, elle fit mine de passer devant Quinby. Celui-ci lui saisit le bras.

    Elle sursauta, profondément offusquée.

    — Comment osez-vous ?

    — Je vous prie de m’excuser, madame, mais avant de vous laisser partir, je dois vous demander ce que vous faisiez ici, dit-il.

    Elle lui lança un regard noir à travers les verres de ses lunettes.

    — Retirez immédiatement votre main, sinon je veillerai personnellement à ce que M. Hastings soit mis au courant de cet incident.

    — Il le sera de toute façon, dit Quinby, visiblement insensible à la menace. Il est de mon devoir de l’informer quand de telles choses se produisent.

    — Quelles choses, pour l’amour du ciel ? riposta-t-elle. Que sous-entendez-vous ?

    Anthony regarda Quinby.

    — Lâchez le bras de madame.

    Quinby plissa les yeux. Anthony comprit qu’il n’aimait pas recevoir des ordres.

    — Tout de suite, ajouta Anthony d’une voix très douce.

    Quinby lâcha Louisa.

    — J’exige une réponse, grogna-t-il, les yeux toujours fixés sur Anthony. Pourquoi êtes-vous montés ici ?

    Anthony se rendit compte que la question s’adressait de toute évidence à lui. Quinby ne prêtait plus attention à Louisa.

    Anthony prit le coude de Louisa d’une manière possessive, comme un amant.

    — Il me semble que c’est évident. Madame et moi désirions être seuls.

    Louisa ne parut pas enchantée de cette explication et ce qu’elle sous-entendait, mais elle comprit qu’elle devait calquer sa conduite sur celle d’Anthony. À son grand mérite, elle joua parfaitement la comédie.

    — À ce qu’il semble, nous devrons chercher ailleurs, dit-elle.

    — Je le crains, acquiesça Anthony.

    Lui serrant le bras un peu plus fort, il la fit pivoter et l’entraîna vers le grand escalier.

    — Minute, dit Quinby dans leur dos. J’ignore quelles sont vos intentions, mais…

    — En effet, lança Anthony par-dessus son épaule. Vous n’avez pas la moindre idée de ce que ma très chère amie et moi faisions ici, et nous en resterons là.

    — C’est mon travail de surveiller ce qui se passe dans la maison, expliqua Quinby en leur emboîtant le pas.

    — Je comprends, dit Anthony. Toutefois, madame et moi ne savions pas que les étages supérieurs étaient interdits aux invités. En tout cas, nous n’avons vu aucun écriteau à cet effet.

    — Évidemment qu’il n’y a pas d’écriteau, grogna Quinby. Les gens comme M. Hastings ne mettent pas des écriteaux dans une belle maison comme celle-ci.

    — Vous ne pouvez donc pas nous reprocher d’être montés à l’étage supérieur en voulant nous isoler, dit affablement Anthony.

    — Attendez, dit Quinby.

    Anthony l’ignora.

    — Je crois que nous trouverons dans ma voiture la tranquillité que nous recherchons, dit-il à Louisa d’une voix assez forte pour être entendu de Quinby.

    Elle lui glissa un regard hésitant, mais eut la bonne grâce de se taire.

    Ils commencèrent à descendre l’escalier. Quinby s’arrêta au sommet. Anthony sentit son regard lui darder le dos.

    — Il nous faut partir à présent, dit-il très doucement à Louisa. Sinon, il se méfiera davantage.

    — J’accompagne Lady Ashton, s’inquiéta Louisa d’une voix tout aussi douce. Je ne peux pas disparaître comme cela ; elle serait folle d’inquiétude.

    — Je suis certain que l’un des valets sera ravi de lui remettre un message l’informant de votre départ en ma compagnie.

    Elle se raidit.

    — Cela m’est impossible, monsieur.

    — Je ne vois pas pourquoi. La soirée ne fait que commencer, et nous avons beaucoup de choses à nous dire, non ?

    — J’ignore de quoi vous parlez. Je vous sais gré de votre intervention, mais, quoique bien intentionnée, elle n’était pas nécessaire. J’aurais su remettre cet homme à sa place. À présent, excusez-moi d’insister…

    — Je crains fort que ce soit moi qui insiste. Vous avez piqué ma curiosité. Je ne dormirai pas de la nuit si vous ne me fournissez pas quelques réponses.

    Elle lui lança un regard rapide, méfiant. Il sourit, ne laissant planer aucun doute sur sa détermination. Ses traits se durcirent, mais elle cessa d’argumenter. Anthony comprit qu’elle cherchait le moyen de lui échapper, pensant sans doute profiter de leur entrée dans la salle de bal et de la présence de la foule.

    — N’imaginez pas me fausser compagnie, Mme Bryce, dit-il. D’une façon ou d’une autre, vous accepterez que je vous raccompagne chez vous ce soir.

    — Vous ne pouvez tout de même pas me forcer à monter dans votre voiture.

    — Je n’ai pas l’intention de faire usage de la force. Il me suffira, je crois, de vous exposer calmement mes raisons.

    — Et quelles sont-elles ?

    — Commençons par le fait que vous et moi semblons partager un grand intérêt pour les affaires personnelles de notre hôte.

    Elle sursauta, et il l’entendit inspirer un peu trop vite.

    — J’ignore de quoi vous parlez.

    — La chambre dont vous êtes sortie là-haut se trouve à être celle de Hastings.

    — Comment le savez-vous ? dit-elle. Vous bluffez.

    — Je bluffe rarement, Mme Bryce. Et jamais quand les faits parlent d’eux-mêmes. Je sais qu’il s’agissait de la chambre de Hastings, car je me suis procuré les plans de l’étage hier.

    — Bonté divine !

    Une lueur de compréhension et quelque chose de très semblable à un soulagement sans bornes éclairèrent ses traits.

    — Vous êtes un cambrioleur professionnel. Je m’en doutais.

    Anthony se dit qu’une dame bien élevée aurait été horrifiée. Apparemment, Louisa n’était pas franchement bouleversée à l’idée d’être en compagnie d’un membre du monde du crime. Elle avait plutôt l’air intriguée. Voire ravie. Il ne s’était pas trompé : elle était une femme des plus exceptionnelles.

    — Vous ne vous attendez tout de même pas à ce que je vous donne raison, dit-il. Vous appelleriez aussitôt la police et me feriez arrêter.

    À sa grande surprise, elle éclata de rire. Un rire qui enchanta Anthony.

    — Mais non, monsieur, le rassura-t-elle en agitant son éventail d’un geste désinvolte. Que vous gagniez votre vie en volant des gens comme Elwin Hastings ne me fait pas un pli. Je reconnais cependant que cela explique une ou deux choses.

    Anthony se rendit compte que la conversation prenait un tour étrange.

    — C’est-à-dire ? demanda-t-il.

    — Je dois avouer que depuis notre rencontre au bal des Hammond, vous m’intriguez.

    — Dois-je m’en trouver flatté ou alarmé ?

    Elle ne répondit pas. Elle se contenta de sourire, la mine aussi satisfaite et contente de soi qu’un chaton roulé en boule devant le feu.

    — Dès le début, je vous ai trouvé mystérieux, dit-elle.

    — Et pourquoi donc ?

    — Pardi, vous avez demandé à m’être présenté et vous m’avez même invitée à danser.

    Elle ouvrit et referma son éventail d’un petit mouvement du poignet signifiant que tout était dit.

    — Et qu’y a-t-il en cela de si étrange ?

    — Les hommes ne tiennent pas à faire ma connaissance, encore moins à m’inviter à danser. Quand vous m’avez de nouveau fait danser à la réception des Wellsworth, j’ai tout de suite compris que vous caressiez un projet secret.

    — Je vois.

    — J’ai cru, naturellement, que je servais de paravent à votre liaison avec une autre femme.

    Elle fit une pause pleine de tact.

    — Une femme mariée, peut-être.

    — Vous avez manifestement consacré beaucoup de temps et d’énergie à

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