Quitter tout cela !
Par Neel Doff
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À propos de ce livre électronique
Neel Doff
Cornelia Hubertina Doff (Neel Doff), Buggenum 1858 - Ixelles 1942 Après une enfance de survie et de misère noire, après la crasse, la disette et la prostitution, elle rencontre son premier mari, Fernand Brouez, rédacteur en chef de la revue la Société Nouvelle. Celui-ci lui ouvre la voie vers une nouvelle vie. Son premier livre, une autobiographie qui frôlera le Goncourt, lui attire immédiatement une reconnaissance générale, sincère mais brève. Une carrière commencée trop tard, le gouffre de deux guerres... elle mourra pratiquement oubliée, en dépit de l'indéniable qualité littéraire de son oeuvre.
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Aperçu du livre
Quitter tout cela ! - Neel Doff
Mazarin
PREMIÈRE PARTIE
Campine
Arrivée le 1er mai. Deux jours de marasme. Sortie ce matin, remise, bien qu’encore un peu amollie.
Atmosphère divinement douce, caressée d’un zéphir. Ciel bleu perlé, ouaté, duveté de nuages blancs paisibles. Me promène lentement entre les buissons de chêne et les pinières.
Loulotte, ma chienne, fouille du museau les feuilles mortes. Je voudrais bien en faire autant.
On dirait que les oiseaux s’essayent seulement au chant, que leur gosier ne s’est pas encore dérouillé du silence de l’hiver. Dieu, que le soleil me caresse doucement ; quel baume !
Tji, tji, tji, tji.
Tu, tu, tu, tu, tu, tu.
Fit, fit, fit, fit. Tiritititi
C’est ça, mes chéris, donnez-vous-en : cela se dégèle, s’assouplit. Dans deux jours, j’aurai de beaux concerts.
Ici en Campine, par ce printemps tardif, il n’y a encore aucune verdure, presque pas d’arbres fruitiers en fleurs, à peine quelques bourgeons ; seuls un pêcher à fleurs roses ou un abricotier à fleurs blanches, et le cerisier sauvage, puis de ci de là, le long des routes, quelques pissenlits à moitié éclos. Mais l’atmosphère ! ce sont des réseaux d’or, d’argent et des gouttes de rosée superposées.
Oh ! voilà un oiseau dont le gosier s’est dégagé, élargi : il y va franchement, son chant est liquide comme une source.
Eh ! un papillon jaune qui volette sur les buissons, un autre qui rase le champ. Des vaches meuglent dans une étable, impatientes de sortir ; la cheminée de Hille fume ; sa femme va cuire les pommes de terre.
Des pies bavardent et sautent en hochant de la queue. Les moutons bêlent en broutant quelques herbes dans les pinières, un petit chien aboie sur la route ; Loulotte et le chien du berger se flairent.
Le berger est là, appuyé sur sa houlette, comme un épouvantail.
– Bonjour, berger !
Il me regarde ahuri et un son inarticulé sort de sa bouche : on dirait des charnières pas huilées qui grincent. Il hurle cependant quelque chose à son chien qui se sauve de Loulotte, la queue basse, et se met à contourner les moutons.
Une grande clairière où l’on a tracé des sillons : on y a planté des pins grands comme le pouce.
Tji, tji, tji, tji.
Hardi mes chers, je vous aime. Je voudrai bien chanter avec vous, – seulement mon vieux gosier, lui, ne se dérouille plus, – mais mon âme jubile avec la vôtre.
Un avion... Oui, tu es beau, mais je te voudrais ailleurs qu’au-dessus de cette paix qui n’a que faire de ton bruit d’usine.
Le soleil glisse sur une grande étendue de taillis coupés ; plus loin des emblavures où quelque chose commence à pousser.
Oh ! mais, comme le soleil me chauffe le dos !
Une nuée de corneilles s’est abattues sur la clairière ; leurs voix rauques font tout de même partie de l’ensemble maigre et mélancolique de ce pays et accentuent la note âpre de cette nature arriérée.
Allons, je dois rentrer. Roseke va venir pour préparer mon fricot, et si je n’y mets pas la main, ce ne sera pas mangeable.
Ce matin, dans mon lit, je vis que le temps était gris, pluvieux, et le spleen me prit. Ce n’est que lorsque Roseke est entrée, accompagnée de la bonne odeur de vache et du courage qui s’exhalent d’elle, que je me suis ramassée.
Après mon plongeon dans le bain, les claques et le thé, me voilà sortie.
Un ciel bousculé, avec du bruit de vent dans les pinières et de l’eau suspendue dessus.
Le soleil jette des éclaboussures sur la prairie et les vaches près de ma maison. Il court sur les vaches et les dore, mais le nuage qui vient les noircit ; quand le soleil les dore, elles deviennent légères et une fluidité les enveloppe ; avec le nuage sur elles, elles sont opaques, comme découpées dans du bois. Elles broutent et rien ne leur chaut que la panse.
En débouchant de la pinière sur la colline je dois me courber contre le vent qui me traverse, mais tout de même, ça en vaut la peine. Toute l’étendue de la Campine limbourgeoise se déploie devant moi, enveloppée d’une buée bleue ; les nuages galopent au-dessus en découvrant des lambeaux de ciel bleu Sainte-Vierge. La bruyère métamorphosée en champs et prairies, pointillée de toits roses dans les bouquets de bouleau, est encore grise, avec çà et là, une tache verte ; quelques moutons dans les prés arides, pas encore de vaches, et ce serait désolé si de grandes traînées de soleil ne traversaient la buée en plaques pourpre et or sur des ombres noir d’encre.
Un train halète, un chien aboie, mais le vent estompe le bruit et domine tout.
Voilà Loulotte couchée sur la bruyère, le ventre au soleil ; de temps en temps elle pointe les oreilles ou me regarde de son œil veilleur et ses narines frémissent. Avez-vous remarqué comme peu de gens aiment les nez frémissants ? Moi, j’ai horreur d’un nez inerte et j’aime ces narines qui hument la vie. Cette bête de forme rude, entre le loup et le renard, a une douceur d’agneau quand elle me regarde, mais des gestes féroces