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Chroniques des Temps Perdus
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Chroniques des Temps Perdus
Livre électronique113 pages1 heure

Chroniques des Temps Perdus

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À propos de ce livre électronique

Un homme voyage dans le temps et tombe amoureux d'un fantôme. Un autre le fait avant tout pour se venger de sa femme. Un troisième, enfin, décide de mourir dans son propre lit, cinquante ans plus tôt.
Ces personnages se perdent et se retrouvent au cours de nouvelles où ils sont avant tout les visiteurs de leurs propres vies qu'ils ne peuvent pas changer. Ce recueil, écrit tout au long de 2013 pour le projet Mâche Fiction, s'approche de ce qu'est au départ la science-fiction : un questionnement sur notre état et sur notre place dans l'univers.

LangueFrançais
Date de sortie4 juin 2014
ISBN9781311718464
Chroniques des Temps Perdus
Auteur

Anthony Jauneaud

Scénariste et narrative designer, Anthony Jauneaud a notamment travaillé chez Ubisoft. Passionné de SF, a naturellement choisi d'écrire comme premier roman de la fantasy. Ses nouvelles et son univers s'inspire de René Barjavel, Isaac Asimov, Philip K. Dick et Mary Gentle.

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    Aperçu du livre

    Chroniques des Temps Perdus - Anthony Jauneaud

    974

    On raconte que lorsqu’un chef mourait, les Vikings plaçaient sur un bateau funéraire ses trésors les plus précieux, ainsi que sa femme. Sur la berge, les soldats frappaient leurs boucliers dans un grand fracas qui cachait les cris de la pauvre épouse qui était poignardée. Ils mettaient alors feu à des cordages recouverts de poix et le bateau, lentement, brûlait tout en s’éloignant du rivage.

    Je n’ai jamais pu souffrir les inexactitudes historiques mais, parfois, en regardant le visage d’Anna figé par le sommeil, je me disais qu’il fallait être un peu flexible lorsque l’on aimait comme moi l’Histoire. Je l’imaginai voilée avec un tissu simple et propre, le visage rougi par les larmes et la peur, sursautant quand elle entendait sortir du fourreau la dague d’un ami fidèle, prêt à la lui ficher en plein cœur.

    Cette image me procurait un certain réconfort, je dois l’admettre.

    Quand un matin, au petit-déjeuner, elle a demandé le divorce, j’ai péniblement dégluti mon café et je l’ai longuement regardée dans les yeux.

    « Non, je ne crois pas.

    — Alexandre. Ça fait dix ans que ça aurait dû s’arrêter.

    — J’aurais dit onze. 29 mai 53. Notre dispute en revenant du congrès.

    — Toi et ta putain de mémoire…

    — Je m’en souviens surtout parce qu’il s’agit de la date anniversaire de la chute de Constantinople. Six cents ans que la ville était tombée.

    — Toi et ta putain d’Histoire. »

    Elle m’a poussé à bout pendant des semaines avec ce divorce. Je suis quelqu’un de patient ; je sais attendre pour avoir exactement ce que je veux. En revenant d’un dîner chez ses parents dans le sud de l’Italie, elle hurlait dans l’avion, se faisant remarquer par tout le monde. J’aurais voulu faire un petit somme pendant le vol — à peine trente minutes — mais elle avait préféré remettre tout ça sur le tapis. J’avais tenté de la calmer, j’avais essayé de lui dire que ça ne servait à rien, j’avais failli lui mettre mon poing dans la bouche pour qu’elle se taise.

    « Qu’est-ce que tu veux ? Tu veux la maison ? Tu veux des parts dans la société ? Tu veux la garde des enfants ?

    — Baisse d’un ton, s’il te plaît.

    — Va te faire foutre Alexandre, va te faire foutre. »

    Pour la punir de son insupportable vulgarité, je l’ai laissée attendre pendant un bon mois avant qu’elle ne craque et qu’elle ne me saute littéralement dessus en sortant de la salle de bains. Je reçus une multitude de coups venant de ses petits poings serrés. Elle était prête à me tuer rien qu’avec ses bras et ses poignets fins comme des pailles. Anna n’était pas forcément belle mais elle avait une férocité terriblement excitante. Même si elle venait d’une famille aisée, tout comme moi, si son père et sa mère lui avaient fourni une éducation respectable, elle avait toujours gardé cette sauvagerie qui la rendait si hargneuse et détestable, héritée de l’internat sans doute ou bien de son enfance entourée de frères plus crétins les uns que les autres. C’était aussi grâce à ça qu’elle gérait aussi bien la société familiale, reine de la négociation violente et sanguine. Personne ne lui tenait tête.

    « Je veux bien divorcer. À une seule condition.

    — Laquelle ? » demanda-t-elle entre ses dents.

    Je me suis servi un verre, tout en douceur. J’avais le temps, je savais ce que cela lui coûtait. Et il y avait de fortes chances qu’elle refuse ; mais plus les mois allaient avancer, moins elle pourrait supporter cette situation. Elle voulait les enfants, bien sûr. Elle voulait la maison. Mais tout ça était sans importance à nos yeux. C’était un jeu, une question de puissance. Deux bois de cerfs qui s’entrechoquent. Nous étions financièrement aisés et ni elle ni moi n’avions besoin d’une pension ou d’une aide. Comme la plupart des couples de notre époque, nous avions notre indépendance mais le mariage que nous avions contracté était légalement complexe et ne pouvait pas se terminer comme ça. De plus, aucun de nous n’avait commis de faute grave. Je n’étais plus amoureux depuis des années, mais je n’étais aussi plus le garçon stupide d’autrefois.

    « Alexandre, putain, crache le morceau !

    — Je veux un voyage.

    — Impossible.

    — Compliqué, tu veux dire ?

    — Compliqué, oui. Quasiment impossible. Il y a une liste, il y a des priorités, il y a des actionnaires qui attendent leur tour, il y a des politiciens… Les subventions ne tombent pas du ciel, Alexandre !

    — Je sais, je sais. Mais je veux un voyage. Si j’ai un voyage, je te laisse partir, je ne demande rien. Tu prends ce que tu veux. Le compte commun, l’immobilier. Même les gosses. À plein temps. Je m’en fous. Je veux juste un voyage.

    — Je te dis que c’est compliqué.

    — Plus que notre mariage ? Hum ? »

    J’ai arboré mon plus beau sourire.

    Sept mois plus tard, elle et moi nous nous trouvions dans le bureau d’un célèbre avocat parisien qui réglait nos papiers de divorce. Ce n’était malheureusement pas lui qui s’occupait de nous, mais une chose qui semblait être son fils. Un grand dadais mal foutu, gras du ventre et de visage, maigre partout ailleurs. Son regard s’était brièvement arrêté sur la clause spécifique que j’avais faite rajouter. Il a levé les yeux sur nous.

    « La clause me semble un peu vague pour…

    — J’ai vu avec mon avocat, ne vous inquiétez pas.

    — J’ai simplement peur que si ce contrat était lu par une personne extérieure, cette clause pourrait être mal interprétée…

    — L’avocat d’Alexandre, commença Anna, qui ouvrait la bouche pour la première fois depuis le début de l’entretien, et le mien sont au courant. Nous voulons ébruiter le moins possible cet arrangement entre nous.

    — Il est bel et bien question de voyage… dans le temps, n’est-ce pas ? »

    Il avait l’air au bord des larmes. J’ai soupiré et je me suis levé sans perdre une seconde : « Je crois que je préférerais voir votre papa.

    — Je vous en prie, asseyez-vous. Je vais m’occuper de ça. »

    Il a tamponné trois coins de page, inséré nos cartes dans un lecteur, rentré quelques informations et, trois minutes plus tard, Anna et moi étions divorcés. Enfin.

    Je ne ressentais aucune joie, aucun soulagement. Aucun ami ne m’attendait dehors pour aller boire un coup et fêter ça. J’avais du travail, des cours à préparer et surtout un voyage à organiser.

    « On se voit bientôt. »

    Anna s’éloigna immédiatement, sans répondre.

    « À bientôt ! » lançais-je en souriant.

    Il a fallu attendre plusieurs mois avant qu’une place ne se libère. La liste d’attente était longue, il y avait des priorités, des urgences, des besoins politiques qui dépassaient les pouvoirs d’Anna. Un des jeunes techniciens qui me faisait la visite du centre ressortait son baratin habituel — « ces temps d’attente, cela vous évoque certainement les premières années de l’aviation civile avec des avions chers et fragiles, n’est-ce pas ? » — et je ne l’écoutais que d’une oreille distraite. Je me demandais si j’allais revoir Anna.

    Je me fichais de savoir comment elle allait : elle allait bien, c’était sûr. Elle était une personne travailleuse et toujours motivée par un but bien précis, incapable de s’arrêter avant d’avoir atteint son objectif. Elle avait récupéré avec l’héritage de son père une société en manque d’investissements et de projets novateurs, elle en avait fait une compagnie dont le nom allait rester dans les mémoires pour les cinq ou dix prochaines générations, au minimum. Je n’avais pas le moindre doute sur sa réussite. Notre couple avait été un échec car nous étions deux égoïstes, deux obsédés

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