Le mystère de la douleur : ses causes et sa finalité
Par Jules Rochard et Constant Vanlair
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À propos de ce livre électronique
La douleur est un des sujets sur lesquels les grands esprits de tous les temps se sont appesantis avec le plus de prédilection. Les physiologistes l’ont étudiée sous son aspect physique ; les philosophes ont médité sur son essence, ses causes et sa finalité, et, malgré des divergences d’opinion inévitables, tous ont été d’accord pour la considérer comme une loi de la nature, comme une nécessité fatale à laquelle il faut se résigner, parce qu’elle a sa raison d’être et son utilité...
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Aperçu du livre
Le mystère de la douleur - Jules Rochard
Partie 1
La douleur
{1}
La douleur est un des sujets sur lesquels les grands esprits de tous les temps se sont appesantis avec le plus de prédilection. Les physiologistes l’ont étudiée sous son aspect physique ; les philosophes ont médité sur son essence, ses causes et sa finalité, et, malgré des divergences d’opinion inévitables, tous ont été d’accord pour la considérer comme une loi de la nature, comme une nécessité fatale à laquelle il faut se résigner, parce qu’elle a sa raison d’être et son utilité. Les stoïciens professaient, il y a deux mille ans, à cet égard, les mêmes doctrines que les pessimistes d’aujourd’hui, avec cette différence toutefois que, si les premiers acceptaient la souffrance comme une condition de la vie, c’était pour enseignera l’homme à l’endurer avec courage. Supporte et abstiens-toi, telle était leur devise. Ils plaçaient le bonheur dans l’accomplissement de la vertu, tandis que les pessimistes ne croient ni à l’un ni à l’autre. Pour Schopenhauer, comme pour Hartmann, la douleur est l’irrémédiable condition des êtres, une sorte de damnation, un enfer dont le monde ne pourrait sortir que par l’anéantissement.
Le christianisme a des doctrines plus consolantes. A ses yeux, la douleur, bien loin d’être un mal, est le premier des biens. « O homme, a dit Chateaubriand, tu n’es qu’un songe rapide, un rêve douloureux, tu n’existes que par la douleur, tu n’es quelque chose que par la tristesse de ton aine et l’éternelle mélancolie de ta pensée. » La douleur, dit l’abbé Bougaud, éclaire et purifie ; elle détache des choses qui passent. C’est la gerbe de lumière qui éclaire l’infini. C’est l’expiation qui efface les fautes et l’humiliation qui abaisse l’orgueil. Elle grandit et élève l’âme qui l’accepte et qui la bénit, car l’homme n’est vraiment sublime qu’en face de la douleur et de la mort. La souffrance ennoblit tout ce qu’elle touche, elle embellit le cœur comme le visage. De tout temps les saints, les génies, toutes les grandes âmes ont été les privilégiés de la douleur. Elle s’élève et se spiritualise pour se mettre au niveau de ces natures d’élite, car Dieu proportionne la force de ses coups à la vigueur de ceux qu’ils frappent, comme il mesure le vent à la brebis tondue. La souffrance est la clef d’or qui ouvre la porte de la vie éternelle.
« L’homme qui ne connaîtrait pas la douleur, dit Jean-Jacques Rousseau, ne connaîtrait ni l’attendrissement de l’humanité, ni la douceur de la commisération. Son cœur ne serait ému de rien ; il ne serait pas sociable, il serait un monstre pour ses semblables. » Cette thèse vient d’être reprise par le comte Léon Tolstoï dans son livre de la Vie ; mais, tandis que la religion chrétienne a surtout en vue les souffrances morales, ce sont les douleurs du corps qu’il vise plus particulièrement. Le dernier chapitre a pour titre : Les souffrances physiques sont une condition indispensable de la vie et du bonheur des hommes. Si la douleur n’existait pas, dit-il, l’individualité animale ne serait pas avertie des transgressions de sa loi. Si la conscience réfléchie n’éprouvait pas la souffrance, l’homme ne connaîtrait jamais la vérité et ignorerait la loi de son être. La souffrance physique est pour lui un enseignement et une punition. Son intensité est proportionnée à nos forces. Les êtres inconscients comme l’enfant, comme l’animal, souffrent beaucoup moins que les êtres doués d’expérience et de raison, parce qu’ils n’ont pas le sentiment de la situation et la crainte qu’elle se prolonge ; parce qu’ils ne connaissent pas la révolte.
Je n’ai pas la pensée de m’inscrire en faux contre une doctrine aussi universellement acceptée ; je voudrais toutefois réagir contre ce qu’elle a de trop absolu.
La souffrance est évidemment une condition de l’existence humaine au même titre que la maladie et la mort ; mais le désir et le pouvoir d’adoucir les rigueurs de cette loi sont également dans la nature. L’homme, depuis qu’il est sur la terre, n’a pas cessé de lutter pour améliorer sa condition, pour augmenter son bien-être, en diminuant la somme de ses souffrances et en multipliant ses plaisirs. C’est là son droit, son privilège ; c’est la conséquence de sa liberté, le fruit de son intelligence ; c’est un des principaux attributs qui le distinguent des espèces animales, lesquelles sont passives et impuissantes à changer leur destin. La lutte que l’espèce humaine soutient depuis son origine contre la souffrance et le malheur n’a pas été stérile ? Les pessimistes les plus aveuglés par l’esprit de système sont bien forcés de reconnaître que la somme des maux de l’humanité s’est amoindrie. Lorsqu’on veut prendre en patience ses tristesses de l’heure présente, on n’a qu’à relire l’histoire des temps passés ; on y puise la résignation et l’espérance. L’histoire est en effet le martyrologe de l’espèce humaine. C’est une succession de guerres sans fin, de destructions sauvages, où l’incendie et le pillage des villes, le massacre des habitants, sont les passe-temps habituels du vainqueur et qui ne se terminent que par l’anéantissement du vaincu. Nous avons bien encore nos guerres, hélas ! nous pouvons même en entrevoir dans l’avenir de formidables ; mais enfin ce n’est plus l’état normal des sociétés : leurs explosions sont séparées par de longs intervalles de répit. Elles sont de courte durée et, bien que le chiffre des morts soit très élevé de part et d’autre, c’est à peine s’il affecte d’une manière sensible le mouvement de la population des grands États engagés dans la lutte, Enfin, la guerre ne traîne plus après elle les horreurs dont elle était autrefois accompagnée.
Les autres fléaux ont diminué de même. Autrefois la famine dévastait le monde. Dans les dix siècles qui séparent l’époque de Charlemagne de la nôtre, on ne compte pas un laps de vingt ans sans qu’elle ait régné quelque part en Europe. Dans les années les plus désastreuses, lorsqu’on avait consommé le peu de grain restant de la récolte précédente et dévoré les bestiaux, on en venait à manger l’écorce des arbres, l’herbe des prairies, les animaux immondes. On voyait des affamés profaner les tombeaux et assassiner les voyageurs sur les routes pour s’en repaître. Notre pays, dit M. Maxime Du Camp, a souffert de la faim jusqu’au commencement du XIXe siècle. Aujourd’hui, grâce à la rapidité des communications, à la facilité des transports, on ne connaît même plus les disettes. La dernière remonte à 1847 ; elle est antérieure à l’essor des chemins de fer et de la navigation à vapeur. Maintenant les produits alimentaires s’échangent d’un bout du monde à l’autre avec une régularité et une promptitude telles que la pénurie ne peut s’en faire sentir nulle part, et c’est à peine si les mauvaises récoltes font monter de quelques centimes le prix du kilogramme de pain.
Les épidémies ont reculé, comme les famines, devant les progrès de la civilisation. Les nôtres ne sont plus que le vestige de celles qui ravageaient le monde au moyen âge. Depuis un demi-siècle, le choléra a passé six fois sur l’Europe, et toutes ses invasions réunies n’ont pas enlevé le centième de sa population, tandis qu’en trois ans la peste noire du XIVe siècle en a détruit le tiers. L’adoucissement des mœurs a de son côté diminué d’une manière sensible la somme des souffrances de l’humanité. Nous ne connaissons plus l’oppression des grands, les cruautés de l’esclavage, l’horreur des supplices et toutes les rigueurs formidables sur lesquelles reposait le vieil édifice social. Le progrès scientifique a rendu toutes les professions plus salubres et moins pénibles, amélioré toutes les conditions morales et matérielles de l’existence. L’homme, en un mot, par son intelligence et son activité, par le travail accumulé des générations, est parvenu à diminuer la somme des douleurs morales et physiques auxquelles il était condamné. Il a triomphé des maladies